Les Forces éternelles/L’attrait

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Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 402-403).

L’ATTRAIT


Même sans la suave, insistante saison,
Qui me torture, hélas, de toutes ses essences,
Pourrais-je, mon amour, repousser ta présence,
Je suis la maladie et toi la guérison.

Un équilibre doux, tranquille, sur et sage
S’empare de ma vie à te voir respirer ;
En tous lieux je suffoque, et c’est ton seul visage
Qui me semble aéré !

Je suis le desservant et toi le tabernacle.
Tu me parais unique autant qu’universel.
Se peut-il que l’amour, étant un tel miracle,
De tous les grands bonheurs soit le seul naturel !

Le courage, la gloire et la bonté sublime
Exigent quelque effort dont on est orgueilleux,
Mais l’amour, d’un seul bond, atteint le haut des cimes,
Et s’unit au divin comme un regard aux cieux.

L’amour est humble, fier, jubilant, héroïque,
C’est la charité, car les amants entre eux
Quelle que soit leur grâce, ont la bonté tragique
De la sainte auprès du lépreux.

– Hélas ! corps destinés au sol, futurs cadavres,
Âmes qui vous joignez pour vaincre le tombeau,
Débats de naufragés pour atteindre le havre,
Dans cette demi-mort haletante, que navrent
Le poids tombant du temps et le cri des corbeaux,
De tous les noirs gibets le vôtre est le plus haut !