Les Forces éternelles/Offrande du batelier

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Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 270-271).

OFFRANDE DU BATELIER


Déesse, j’ai construit, de mes adroites mains,
Des navires, avec les arbres des chemins ;
Les hêtres de Naxos, les cyprès de Tarente
Rendaient la nef légère et la rame odorante.

Mon travail, chaque jour, fut sincère et joyeux ;
Sur le sol de Sicile, où je possède une anse,
J’ai vu, tel un berger que son troupeau devance,
Mes barques aux bonds vifs paître un flot écumeux.

Je fus jeune, j’aimai ; Déesse, j’aime encore,
Quand la divine nuit vient intriguer l’esprit,
Je repose mon front, anxieux et surpris,
Dans le col d’une enfant plus tiède que l’aurore.


Je fus vaillant, mon sang hardi coulait sur moi
Dans les combats des mers. Un soir, humble et timide,
J’ai vu, dans Syracuse, Eschyle et Simonide,
Puis j’ai repris ma tâche à l’ombre de nos bois.

Aujourd’hui, j’ai senti, quand a brillé l’automne,
Qu’un cœur empli d’amour s’inquiète et s’étonne
De respirer l’azur, auquel il ne rend point
La force et le plaisir qui brûlaient dans mes poings
Lorsque ma vie était à son zéniht ! Aussi
Je vais bientôt mourir. Ce n’est pas le souci
Qui me conduit vers toi, Déesse. Je t’apporte
Le lierre obscur et dru qui surmontait ma porte
Où je vais repasser, tantôt, tranquille et fort.
— Je t’offre ce rameau, douce Aphroditè d’or,
Pour n’avoir pas été, même au soir de mon âge,
Sans désir ni courage !