Les Forces éternelles/Parques ! Nul cœur ne sait…

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Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 322-323).

PARQUES ! NUL CŒUR NE SAIT…


Parques ! Nul cœur ne sait ce qu’il lui reste à vivre,
Ni quel jour doit le rendre à jamais oublieux.
— Fol azur tout chauffé de soleil, je m’enivre
D’autant plus âprement des cieux voluptueux !

Ô cieux éblouissants, ô possesseurs prodigues
D’un flot tumultueux qui ne peut pas faiblir,
Ne romprez-vous jamais l’indiscernable digue
Qui sépare de moi votre irritant plaisir ?

Hélas ! Mon Orient, mes étés, mes Espagnes,
Espace où j’ai partout voulu mettre les mains,
Habitantes des cieux, Pléiades ! je m’éloigne
De vos airs fraternels et pourtant inhumains !


— Puisque je ne peux pas arracher à la nue
Cette dure beauté qui nourrit le désir
Sans le rassasier ! Puisque je m’exténue
À fasciner l’éther qu’on ne doit pas saisir,

Désespérons du ciel sur le sein l’un de l’autre,
Mon amour ! Laisse-moi retomber sur ton cœur,
Défions les transports de l’azur par le nôtre,
Opposons l’âme immense à l’univers moqueur.

La Nature a trompé ses flatteurs les plus tendres,
Jamais ses beaux jardins fleuris ne sont cléments
A deux corps inquiets que l’ardeur vient surprendre.
J’aime la pauvre chambre où rêvent deux amants…

Mais l’àpre volupté par qui l’être est exsangue
Hélas ! ne tarit pas notre désir ce soir,
Car rien, hormis la mort, ne laisse apercevoir
L’âme, ce fruit serré dans une double gangue
D’éphémère liesse et d’épais désespoir,

— Et j’aime mieux ton âme, ô donneur de caresses,
Dussé-je m’épuiser entre le pain et l’eau
Dans un cloître sans air, près d’une rude abbesse
Qui réglerait nos pas dans un étroit enclos.
Que l’indéfinissable et mortelle détresse
Qui suit le carnassier et langoureux sanglot !…