Les Forceurs de blocus/10

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Hetzel (p. 170-171).


X

saint-mungo.


Le lendemain, au lever du soleil, la côte américaine avait disparu. Pas un navire n’était visible à l’horizon, et le Delphin, modérant la vitesse effrayante de sa marche, se dirigea plus tranquillement vers les Bermudes.

Ce que fut la traversée de l’Atlantique, il est inutile de le raconter. Nul incident ne marqua le voyage de retour, et dix jours après son départ de Charleston, on eut connaissance des côtes d’Irlande.

Que se passa-t-il entre le jeune capitaine et la jeune fille qui ne soit prévu, même des gens les moins perspicaces ? Comment Mr. Halliburtt pouvait-il reconnaître le dévouement et le courage de son sauveur, si ce n’est en le rendant le plus heureux des hommes ? James Playfair n’avait pas attendu les eaux anglaises pour déclarer au père et à la jeune fille les sentiments qui débordaient de son cœur, et, s’il faut en croire Crockston, miss Jenny reçut cet aveu avec un bonheur qu’elle ne chercha pas à dissimuler.

Il arriva donc que, le 14 février de la présente année, une foule nombreuse était réunie sous les lourdes voûtes de Saint-Mungo, la vieille cathédrale de Glasgow. Il y avait là des marins, des négociants, des industriels, des magistrats, un peu de tout. Le brave Crockston servait de témoin à miss Jenny vêtue en mariée, et le digne homme resplendissait dans un habit vert-pomme à boutons d’or. L’oncle Vincent se tenait fièrement près de son neveu.

Bref, on célébrait le mariage de James Playfair, de la maison Vincent Playfair et Co., de Glasgow, avec miss Jenny Halliburtt, de Boston.

La cérémonie fut accomplie avec une grande pompe. Chacun connaissait l’histoire du Delphin, et chacun trouvait justement récompensé le dévouement du jeune capitaine. Lui seul se disait payé au-delà de son mérite.

Le soir, grande fête chez l’oncle Vincent, grand repas, grand bal et grande distribution de shillings à la foule réunie dans Gordon-street. Pendant ce mémorable festin, Crockston, tout en se maintenant dans de justes limites, fit des prodiges de voracité.

Chacun était heureux de ce mariage, les uns de leur propre bonheur, les autres de celui des autres, — ce qui n’arrive pas toujours dans les cérémonies de ce genre.

Le soir, quand la foule des invités se fut retirée, James Playfair alla embrasser son oncle sur les deux joues.

« Eh bien, oncle Vincent ? lui dit-il.

— Eh bien, neveu James ?

— Êtes-vous content de la charmante cargaison que j’ai rapportée à bord du Delphin ? reprit le capitaine Playfair en montrant sa vaillante jeune femme.

— Je le crois bien ! répondit le digne négociant. J’ai vendu mes cotons à trois cent soixante-quinze pour cent de bénéfice ! »