Les Frères Zemganno/25

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G. Charpentier, éditeur (p. 140-142).

XXV

Du chemin de fer, les deux frères se faisaient conduire dans un petit hôtel de la rue des Deux-Écus, que Gianni se rappelait avoir habité quelques jours avec son père, quand il était tout petit. Par un escalier à la rampe de bois, on les faisait monter au cinquième, dans une petite chambre au plafond si bas et si inégal, que, quand Gianni voulut changer de chemise, il lui fallut chercher un endroit de la chambre où ses bras pouvaient tenir levés en l’air.

Ils sortaient aussitôt, dînaient chez le premier marchand de vin qu’ils rencontraient, se rendaient rue Montesquieu, et là ils achetaient chacun un pantalon et un paletot. Ils faisaient aussi l’acquisition de bottines à vis et de casquettes.

Ils montaient alors dans un fiacre et se faisaient conduire au Cirque, où ils prenaient des premières, et avec l’instinct d’habitués de baraques de saltimbanques se plaçaient à l’entrée du côté gauche. Ils arrivaient le gaz baissé, la grande rosace de sable jaune dessinée au milieu de l’arène noire, non encore effleurée par le talon de l’écuyer à la chambrière ; et c’était pour eux un curieux spectacle que tout le détail de la menue préparation de ce spectacle de chevaux et de tours de force monté sur un si grand pied.

Le monde arrivait, la salle peu à peu se remplissait.

Bientôt un écuyer, qui reconnaissait des gens du métier à ces riens qui trahissent des gymnastes sous le costume bourgeois, à l’équilibre balancé des mouvements, au flottement ondulant du torse dans un paletot sans gilet, au croisement l’un sur l’autre des deux bras avec les coudes dans les mains, se mettait à parler aux deux frères, les renseignait, leur disait l’heure à laquelle on trouvait le directeur du Cirque.

Et la représentation commençait.

Gianni regardait beaucoup, sans rien dire. Quant à Nello, à chaque exercice, il s’échappait en exclamations, en phrases pareilles à celle-ci : « Nous faisons cela !… Tu ferais cela ?… Nous ferions cela au bout de quinze jours ! »

Ils revenaient, ayant une certaine peine à retrouver leur hôtel, et, quand ils furent déshabillés, Gianni échappait à la parole de son frère qui continuait au lit, en lui disant qu’il était très fatigué, et en s’enfonçant la tête dans le mur.