Les Frères Zemganno/24

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G. Charpentier, éditeur (p. 138-139).

XXIV

En wagon le frère aîné disait au cadet : « N’est-ce pas, frérot, tu ne trouvais pas bien récréatif de toujours courir la province, de toujours trimer dans les foires ?… »

— « Moi, — dit simplement le jeune frère, — moi, tu serais resté, eh bien je restais… tu pars, je te suis… tu irais aux Grandes-Indes, j’irais aux Grandes-Indes… et vrai, je te croirais n’avoir pas ton bon sens,… que ce serait tout de même. »

— « Oui, je le sais, reprit l’aîné, c’est pourquoi les explications étaient inutiles… ça ne fait rien, les voici… nos affaires… elles n’étaient pas brillantes… mais ce n’est pas cela qui m’a fait vendre… j’ai en tête des projets pour nous deux… » Et Gianni, un moment, pianotant d’une main distraite sur la banquette de bois des troisièmes, reprit : « Donc nous serons ce soir à Paris… demain je tâcherai de nous faire engager au Cirque… là nous verrons. »

Et sur ces mots, Gianni s’enferma jusqu’à Paris dans le nuage de sa pipe, pendant que Nello, amusé du changement ainsi qu’un enfant, et tout fier de la perspective de débuter au Cirque, dans un bonheur remuant, expansif, bavard, tourmentait la somnolence de gras et apoplectiques voisins en blouse, par ses paroles, par ses penchements à la portière, par ses descentes et ses remontées à chaque station.