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Les Frères Zemganno/35

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G. Charpentier, éditeur (p. 174-175).

XXXV

Dans l’ennui que Nello éprouvait au milieu de ce monde anglais, l’engagement par Newsome d’un prestidigitateur français apportait une petite diversion. C’était un jeune homme aux allures parfaitement distinguées, et sur lequel couraient des bruits singuliers, et qu’on disait ne pouvoir jamais rentrer en France : un garçon de grande famille qui se serait laissé aller à tricher au jeu pour donner de l’argent à une femme du monde qu’il aimait éperdument. Entre ces deux exilés de France, se nouait une intimité, une intimité mélancolique, mais douce et à laquelle se trouvait associée la compagne actuelle du gentilhomme déshonoré, une pauvre colombe dont le rôle était d’être escamotée par lui tous les jours, et qui à ce métier et à cette vie d’obscurité dans le fond des poches, avait perdu sa grâce amoureuse, animée et remuante, — et toujours immobile, et sans roucoulement, et sans froufrou de plumes, semblait un triste oiseau en bois.

Mais au moment où, avec l’été, la santé de Nello semblait se remettre tout à fait, et où il paraissait prendre presque gaiement son parti de son séjour là-bas, le directeur-gérant des Deux-Cirques de Paris, dans une des tournées annuelles qu’il fait en Angleterre pour recruter des talents neufs, inconnus de la France, voyait les deux frères travailler à Manchester, et les engageait pour la réouverture du Cirque d’hiver, fin octobre.