Les Frères Zemganno/59

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G. Charpentier, éditeur (p. 284-286).

LIX

Dans leurs premiers essais du nouvel exercice, les deux frères se servaient d’un tremplin en bois blanc fabriqué dans le voisinage, le rudimentaire tremplin des saltimbanques. Gianni, sans en rien dire à Nello, commandait chez un spécialiste, et en en surveillant la fabrication lui-même, un tremplin où il substituait au sapin « le frêne des îles », le bois désigné par les Américains sous le nom caractéristique de lance-wood. C’était un tremplin légèrement modifié, et tenant un peu de la batoude anglaise, et ayant trois mètres de longueur avec une inclinaison du plancher qui s’élevait au-dessus du sol de quarante centimètres, à l’endroit où le sauteur prend son élancement. L’extrémité de la planche pour lui donner une élasticité plus grande, Gianni la faisait amincir au point juste, où elle pouvait encore céder et plier, sans se casser. Et finalement, le tremplin terminé, il remplaçait le dernier montant de bois par une barre d’acier enveloppée d’un morceau de tapis, donnant sous le frappement des pieds du gymnaste une force de propulsion extraordinaire au saut.

Le nouveau tremplin apporté aux Ternes, l’aîné demandait au cadet de l’essayer. Nello, au premier saut, dans un saut exécuté sans confiance, gagnait un demi-pied. Là-dessus le jeune frère, après cinq ou six répétitions du saut, faites coup sur coup, sans que l’aîné lui parlât de ce qui lui tenait au cœur, lui criait en plein saut, que maintenant il était assuré de son affaire, et que ce que Gianni voulait de lui, il le ferait sur ce tremplin. Quelques jours après, Nello était arrivé au saut de quatorze pieds. Il n’y avait plus que quelques pouces à conquérir. L’exercice était entré dans le domaine des choses possibles à délai très rapproché.

Alors Gianni allait trouver le directeur-gérant, lui disait qu’il était au moment de mener à bonne fin un truc très extraordinaire et tout nouveau, et lui demandait un congé d’un mois, pour arriver à la perfection complète de la chose.

Gianni avait la réputation d’un chercheur. Depuis longtemps le Cirque était dans la curieuse attente de quelque chose, même de quelque chose « de très fort » devant sortir de la constante préoccupation du clown, et le Directeur partageait la confiance des camarades de Gianni ; aussi accordait-il très gracieusement sa demande à Gianni, en lui disant de prendre tout le temps nécessaire.