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Les Frères Zemganno/6

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G. Charpentier, éditeur (p. 65-67).

VI

Tout petiot, dès l’âge de trois ou quatre ans, Nello apportait aux exercices de la troupe la curiosité de ses yeux éveillés et la joie remuante de son corps.

À la parade, on le voyait d’abord, demi-caché derrière la jupe de la Talochée qu’il tenait à pleines mains, laisser apercevoir un moment sa tête, encore serrée dans le bonnet blanc à trois pièces de la première enfance, et d’où s’échappaient de blondes couettes de cheveux, puis, effrayé par le grouillement de la foule, renfourner la tête et le bonnet dans la tarlatane pailletée, puis montrer de nouveau un morceau plus grand de sa petite personne, et plus longtemps, et avec une crainte moins grande. Bientôt dans une de ces jolies audaces timides, dans une de ces résolutions aux hésitations charmantes, Nello s’enhardissait à traverser le tréteau, un doigt dans la bouche, avec des pas qui avançaient et reculaient à la fois, et un regard cherchant sans cesse derrière lui une retraite, un refuge. Enfin, par un élancement brusque et soudain, il s’attrapait à la barrière du balcon, en s’aplatissant et se rapetissant contre une traverse ; là, le visage masqué par la rampe, et le bras et la main qui s’y étaient attachés, ses regards coulaient en dessous et en tapinois sur le champ de foire. Mais bientôt les sons exultants de la grosse caisse qu’il avait dans le dos, mettaient en son immobilité embarrassée et peureuse, avec une trépidation une certaine assurance ; des frémissements venaient à ses pieds dansants, des sonorités à sa bouche gonflée, et maintenant sa tête pendante bravement en dehors de la rampe s’abaissait avec des yeux intrépides sur toutes les faces levées vers lui. Tout à coup dans la furibonderie de la musique, dans la rage du finale, dans le mugissement du porte-voix, dans le délire des cris et des appels au public, le petit enfant, enfiévré par cette folie et ce tapage, attrapait un mauvais chapeau qui traînait, un vieux châle oublié. Alors, sous ce bout de déguisement et de mascarade, comme s’il faisait partie de la troupe, comme si déjà il avait la charge d’amuser le public, le bambin s’attachait à la promenade grotesque du pitre, d’un bout à l’autre du tréteau, emboîtant le pas derrière lui, marquant avec toute sa force la mesure de ses jambes mal d’aplomb, imitant les gestes bouffonnants, disparu dans l’énorme chapeau, et donnant à regarder, au-dessous du châle bariolé, un pannais de chemise sortant de sa petite culotte fendue.