Les Frères Zemganno/62

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G. Charpentier, éditeur (p. 293-295).

LXII

Le lendemain les deux frères reprenaient leur service au Cirque, où la satisfaction intérieure de Nello le rendait plus méchant, plus taquin que jamais à l’endroit de la Tompkins, pendant que Gianni prenait à part le Directeur, et l’invitait à venir assister à l’exécution du nouvel exercice que son frère et lui avaient trouvé. Le Directeur, qui attendait, avec une certaine impatience, l’annonce de la complète réussite, répondait à Gianni qu’il serait le lendemain, à dix heures du matin, aux Ternes.

Le lendemain, à l’heure dite, le Directeur, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon, était planté debout devant le tremplin du petit gymnase. Et sur sa figure, à mesure que se développait le travail des deux frères, se faisait la fermeture de traits, le renfoncement d’enthousiasme que, devant un rare et curieux bibelot, affiche le froid visage d’un amateur, redoutant le prix qu’on va lui en demander.

Les deux frères avaient fini, et Gianni, un peu décontenancé par le silence de son spectateur, lui disait : — « Eh bien ? »

— « C’est fort… vraiment fort… j’aurais préféré la saison d’hiver… mais nous arriverons toujours avant les vacances, la chasse… oui, je crois, qu’avec cela il y a un succès… mais ça a besoin d’être chauffé… ; l’extraordinaire de l’exercice n’est pas frappant pour la foule… ça ne fait pas l’effet d’une chose qui se passe dans les frises… ça ne donne pas le petit frissonnement — et ici le Directeur fit le mouvement de coudes qui se rapprochent d’une poitrine serrée, — le danger, le péril de mort, qu’il y a dans votre exercice… il est besoin que la presse développe, mâche cela au public… il nous faut, rappelez-vous-le, beaucoup de presse… vous en avez manqué un peu à vos premiers débuts… Venez me trouver après-demain pour la commande des accessoires et l’organisation de la réclame dont je vais m’occuper dès ce soir… Maintenant reposez-vous… vous êtes dispensés de tout service… Vous savez, si l’exercice réussit, je suis tout prêt à faire quelques modifications à votre traité… Mais il est de toute nécessité, comprenez-le bien, que nous passions le plus tôt possible. »

Et sur le pas de la porte, malgré toute la réserve qu’il voulait apporter dans ses compliments, le Directeur ne put s’empêcher de jeter aux deux frères : « C’est extraordinairement fort. »