Les Frères Zemganno/65

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G. Charpentier, éditeur (p. 302-303).

LXV

Les deux frères, le jour de la représentation, dînaient à trois heures et se rendaient au Cirque au moment de l’entrée du public.

— « Gianni, vois-tu la grande porte battante du Cirque d’hiver ? disait tout à coup Nello à son frère, au bout de leur longue marche silencieuse. »

— «  Et pourquoi ? »

— « La vois-tu, le jour où nous avons débuté !… avec les entours noirs et déserts, les bureaux de location sans personne, et devant un vieux fiacre délabré dont le cocher s’était endormi… tu te souviens, hein ! que nous sommes restés, avant d’entrer, à regarder cela tout tristes, et nous disant que nous n’avions pas de chance dans la vie… et les vois-tu encore les deux statues de chevaux aux côtés de la porte, leurs croupes couvertes de neige, et dans la vilaine nuit, le bâtiment sombre, où par les grands carreaux… on n’apercevait d’éclairé que le fond tout rouge avec dessus les deux chapeaux immobiles des contrôleurs et le shako d’un municipal appuyé sur une barrière… seuls dans le vestibule vide. »

— « Eh bien, après ? »

— « Eh bien, si c’était aujourd’hui, au Cirque d’été, un peu comme ça ! »

Gianni tourna des yeux étonnés vers son jeune frère, comme s’il était surpris de trouver chez lui, d’ordinaire si confiant, un doute du succès de tout à l’heure, pressa le pas, et quand il fut devant le Cirque lui répondit : « Tiens, regarde. »