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Les Guérêts en fleurs/01

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 8-9).

LIMINAIRE


C’est encore et toujours mon pays que je chante,
Mon village natal, son clocher, ses maisons ;
C’est le calme béni de ses bleus horizons ;
C’est le riant aspect de sa beauté touchante ;

C’est la fécondité de ses blés chevelus ;
C’est son regard rêveur d’aïeul aimant et tendre
Qui bien mieux me comprends que je sais le comprendre ;
C’est l’exil de ses fils qui ne reviendront plus ;

C’est son nom glorieux sans souillure et sans tache ;
C’est son fleuve géant en tous sens sillonné ;
Enfin, c’est l’humble coin de terre où je suis né,
Où plus d’un souvenir à jamais m’y rattache.

Pour chanter sa splendeur et dire son accueil,
Oh ! que mon cœur voudrait plein d’ardeur et de force,
Se libérer soudain de sa rugueuse écorce
Et proclamer sa foi jusque dans mon cercueil.

Mais mon rude langage, éclos loin de la ville,
Ne connaît de l’orgueil que sa simplicité ;
Voilà pourquoi, je chante avec naïveté.
Des terriens de chez-nous l’œuvre auguste et servile.

Il me suffit alors d’évoquer leur bonheur,
De prier un moment en notre langue agreste,
Pour que pleure en mon verbe ou palpite en mon geste
Le culte que j’éprouve à vanter leur labeur.


Car c’est lui seul, bien seul, ce vieux coin solitaire,
Qui, doux maître absolu de mes rêves d’enfant,
Chaque jour davantage y cacha, triomphant,
Ce nid de mon amour qui n’a plus de mystère.

Et je sens qu’à jamais cet amour est vainqueur
De mon âme sensible où son emprise plonge,
Et qu’il me tient, et que, comme un chant se prolonge,
Sa voix vibre toujours au tréfonds de mon cœur.

Il n’est rien, sente ou val, dont le doux paysage
Ne me soit plus qu’ici très cher et coutumier :
Ce blanc moulin, là-bas, aux ailes de ramier,
Que l’aquilon harcèle et qu’il mord au visage ;

Ces ruches en éveil d’où la senteur du miel
Enivre les oiseaux blottis dans le feuillage ;
Tout converge à te faire aimer, ô mon village,
À pleurer ton absence, à regretter ton ciel !

Car, pour qu’on te vénère avec une âme altière,
Dieu fit plus grave en nous cette empreinte des ans
Qui marque de son sceau le front des paysans,
Les unissant ainsi toute leur vie entière.

Et dans ma foi plénière et mon rêve pieux,
Voilà ce que j’ai dit : le bonheur que nous livre
La paix consolatrice et la douceur de vivre
Sous ce toit où sont nés, où sont morts les aïeux…