Les Guérêts en fleurs/18

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Éditions Édouard Garand (p. 85-87).

ORAGE D’ÉTÉ


Le ciel est gris. Il pleut. Le tonnerre au loin gronde
L’horizon par instant s’illumine d’éclairs.
Le feuillage sanglote aux bords des étangs clairs ;
Sous bois, près de la ferme un troupeau vagabonde.

Il semble que l’azur pleure depuis toujours…
Et l’orage crépite aux carreaux des fenêtres ;
Ruisselle sur les toits, dans le faîte des hêtres,
Aux jardins, et détrempe et souille les entours,

Il s’écrase et vagit sur les routes pierreuses ;
Se perd dans les ravins avec des élans sourds ;
Aux barrages se choque, écumeux, en bonds lourds
De fauves pourchassés par des meutes nombreuses.

Il trace des sillons dans le flanc des coteaux,
Lave aux vergers les fruits en proie aux bestioles ;
Court, plonge, se disperse à travers les rigoles,
Submergeant en chemin les frêles végétaux.


Il s’abat en striant de larges cicatrices
Le bon visage ancien des côtes et des champs.
Il grossit les fossés que la neige aux penchants
Gonfle loin du berceau des sources cantatrices.

Il s’acharne à ployer les branches sur le sol ;
Torturant à plaisir chênes, cèdres, jonquilles.
Brisant les nids cachés à l’ombre des charmilles
Où l’oisillon tentait hier son premier vol.

Et quand tout le pays est inondé, l’orage
Précipite des flots le farouche élément
Vers la rive où s’élève un vieux moulin dormant,
Dont la vanne au repos se lamente et fait rage.

L’orage en sa colère est aussi bienfaisant.
C’est en lui que la meule, au temps de sécheresse
Puise la force qui doit boire avec largesse
Le grain de blé vermeil comme l’orge pesant.


Puis soudain, le soleil apparaît sans mystère.
Des nuages rosés peuplent l’azur moins gris.
Les champs, les monts, les bois de cet émoi surpris,
Sentent frémir en eux le bon sein de la terre.

Et, tandis que le ciel reprend ses tons subtils,
Les lucarnes des toits — tels de grands yeux de femme,
Las d’avoir trop pleuré — clignotent sous la flamme
De l’astre rayonnant venu baiser leurs cils.