Les Guérêts en fleurs/19

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Éditions Édouard Garand (p. 89-91).

LES GRILLONS


Grillons, petits grillons des champs,
Oh ! de tout cœur que je vous aime !
Dans mon âme, ce doux poème
Est né de vos ris, de vos chants !

Pensif, quand tout n’est que silence,
Je vous ai souvent écoutés
Les soirs dolents de lourds étés,
Quand l’ombre sur terre s’élance.

De vos psalmodiques chansons,
Je goûtai l’ivresse magique,
Ce, pendant que votre musique
S’égrenait parmi les buissons ;

Parmi les églantiers sauvages,
Le mil, où, parfois, les oiseaux
Enchâssent leurs frêles berceaux
Le long des gais et frais rivages.


La plaine, l’herbe et les moissons
En frémissent encore toutes.
Il n’est jusqu’aux cailloux des routes
Qui même en ont gardé les sons.

Le puits dont la margelle tremble
A connu vos moindres secrets,
Quand, au crépuscule, indiscrets,
Vous y veniez danser ensemble.

Et l’on dirait que par ces soirs
De lune, où l’ombre à l’onde cache
Un peu de vague, y fait panache
La pénombre de vos corps noirs.

Le nuit, penché sur mon grimoire,
Bien des fois j’entendis vos chants,
Et tous ces souvenirs touchants
Peuplent mon cœur et ma mémoire.


Ce lieu, — berceau de mes aïeux —
Foyer maintenant solitaire,
A conservé, dans son mystère,
Le calme reflet de vos yeux.

Aujourd’hui, nul grillon n’y loge !
Le calme y règne en souverain !
Seul, on entend le clair refrain
Du coucou de la vieille horloge.

Or pour fêter votre retour,
Devant l’âtre chaud qui flamboie,
Le cœur aux souvenirs en proie,
Jusqu’à la prime aube du jour

Je vous dirai mon infortune ;
Pour vous j’accorderai ma lyre,
Et vous rirez de mon délire
Avec la lune… !