Les Habits noirs/Épilogue

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Hachette (tome IIp. 416-433).


ÉPILOGUE.


Première représentation des Habits Noirs, drame en 5 actes et 12 tableaux, à grand spectacle, avec prologue, épilogue, sept décors nouveaux, changements et danses de caractère.

Introduction.

Tel était à peu près le corps de l’affiche énorme qui portait en outre, dans un carré blanc, ménagé parmi la couleur générale de deuil, répondant au titre :

« Mlle Talma-Rossignol débutera dans le rôle de la comtesse Fra-Diavolo. »

Chacun savait, dans Paris, que le théâtre de Merci-Mon-Dieu jouait son va-tout sur cet important ouvrage. L’habile et intelligent directeur, qui côtoyait imperturbablement la faillite depuis un temps immémorial, avait fait des frais exceptionnels. Outre l’engagement de Mlle Talma-Rossignol, on avait six clowns entièrement inédits, trois sauvages des bords du Rio-Colorado, qui se nourrissaient de la chair de leurs ennemis vaincus, une dame assez adroite pour avaler des sabres et un soprano réformé qui devait dire la « chanson de la Boue. »

Au troisième acte, les banquises des mers polaires, grand panorama mouvant, animé par des ours blancs naturels. — Au quatrième, le ballet des tueurs de tigres avec lumière voltaïque et enlèvement d’un ballon. Au septième tableau, embrasement général de la forêt. Les critiques sérieux pariaient pour un monstrueux succès tout le long du boulevard, en déplorant néanmoins les voies funestes où l’art dramatique s’égare depuis le décès prématuré de Voltaire.

I

Avant le lever du rideau.

À l’orchestre, une société choisie faisait salon bruyamment.

« Je ne sais pas, dit Cabiron le lanceur d’affaires, comment ils ont placé des Indiens anthropophages dans une pièce éminemment parisienne.

— Il y a de tout à Paris, répliqua Alavoy. Quand on pense que nous avons déjeuné vingt fois chez ce colonel !

— Fra-Diavolo ! une bourde audacieuse !

— Ma parole d’honneur sacrée ! s’écria Cotentin de la Lourdeville, j’ai vu le fameux scapulaire entre les mains de ce cher M. Maynotte. Le nom y était en toutes lettres : Fra-Diavolo. Et les dates des batailles… ça et ça… Il avait eu le pape prisonnier dans l’Apennin, ce coquin-là ! Son vrai nom était Michel Pozza ou Bozza ; il avait déjà été pendu à Naples, comme chef de la Camorre, en 1806. Je ne me repens pas d’avoir prononcé quelques paroles bien senties sur sa tombe, parce que, en définitive, c’est un personnage historique.

— Fra-Diavolo ! rue Thérèse ! murmura Mme Touban, coiffée de plumages. Comme c’est croyable ! »

Sensitive fredonna :

Voyez sur cette roche,
Ce brave à l’œil fier et hardi,
Son mousquet est auprès de lui :
C’est son meilleur ami.

« Il n’avait pas l’air de ça, dit Alavoy. La rente a fait 76.

La Marseillaise ! cria-t-on du paradis.

— Si la maison Schwartz était tombée, dit M. Tourangeau, adjoint, qui occupait avec sa société des places de pourtour, ç’aurait été une mauvaise affaire pour tout ce pays-ci.

— Tombée ! s’écria Mme Blot. Pourquoi ? Parce que le baron a reçu un coup de pistolet en défendant sa caisse… à ce qu’on dit, car l’ancien mari de sa femme avait bien des raisons pour lui chercher une querelle d’Allemand…

— La maison, fit observer M. Champion, remarquable par sa bonne mine, semble prendre, au contraire, un plus conséquent essor depuis que M. Michel et M. Maurice y apportent respectivement, dans une direction éclairée, le fruit de leurs études classiques.

— En voilà un qui a fait beau rêve ! risqua Céleste timidement, M. Michel ! »

Oh ! combien celle-ci était déchue depuis le nocturne et sentimental voyage de Versailles ! Il faut bien le dire : elle avait trouvé maître Léonide Durant plein de santé, et les yeux de M. Champion s’étaient enfin ouverts. Rendu prudent et adroit par l’habitude de la pêche, M. Champion n’avait point fait d’éclat, mais Céleste était traitée avec rigueur dans l’intérieur de son ménage.

Elle pleurait bien souvent, se disant : « Si encore j’étais coupable ! »

À droite et à gauche, premier étage, il y avait deux loges entièrement grillées qui se faisaient face.

Aux secondes galeries, M. Patu, ancien officier de marine, accompagnait la reine Lampion dont la toilette faisait mal aux yeux.

Par suite du décès de l’entreprise des bateaux-postes, M. Patu était rentré dans la vie privée. Il administrait, en qualité de prince-conjoint, l’estaminet de l’Épi-Scié.

Après une petite secousse, causée par une descente de police qui suivit la catastrophe de l’hôtel Schwartz, l’estaminet de l’Épi-Scié avait repris le courant de ses affaires, et ce bel établissement était aujourd’hui plus prospère que jamais.

M. Patu et la reine échangeaient de nombreux sourires à la ronde. Le titre de la pièce intéressait leur clientèle qui était amplement représentée à tous les étages de la salle.

Au paradis, vous eussiez reconnu Échalot, seul et sans Similor. Saladin n’était ni sur son dos ni sous son bras. Quelque malheur ! La tête d’Échalot pendait sur sa poitrine, et il avait des larmes plein les yeux.

Il disait à ses voisins, des railleurs qui riaient de sa peine, imitant le chant du coq, gloussant, sifflant, mordant des pommes et humant avec délices les puanteurs asphyxiantes de cette atmosphère, il disait :

« L’enfant n’était pas né viable, gros comme un rat et avant les neuf mois, qu’il fut l’auteur innocent de la mort de sa mère. Il tenait dans ma casquette, qui devint son premier berceau. J’ai fait pour lui l’apprentissage de nourrice, étant fils naturel d’un ami qui n’a pas de soin et qui l’aurait laissé sans boire. Et maintenant qu’à l’âge de sa troisième année, il débute déjà sur la scène française, car c’est le phénomène vivant de la malice, Similor en profite pour avoir ses entrées et les quinze sous d’appointements, qu’on me refuse à la porte sévèrement comme un chien enragé ; et que je suis réduit à payer ma place pour jouir de ses débuts de loin, sans pouvoir le presser sur mon cœur au moment du succès ! »

Il fondait en eau et faisait la joie de ses voisins.

Trois coups sont frappés derrière la toile qui frémit ; le chef d’orchestre lève son archet comme une épée exécutant la parade de prime. Un redoutable accord mineur éclate : musique imitative qui s’en réfère à la couleur du titre.

« À bas les chapeaux ! crie le parterre.

— Coupe ta tête, milord ! »

Et la claque applaudit pour se faire la main.

II

Prologue. — La Vendetta. — Le Brassard.

1er  tableau : la Montagne. — Fra-Diavolo et ses bandits sont campés dans des lieux déserts. Cent figurants, paysans, paysannes, soldats du pape prisonniers, bohémiens, etc., emplissent le décor dû au pinceau de quelqu’un. On a incendié le château. Rodolfo, le lieutenant de Fra-Diavolo, amène la jeune Josepha, fille du seigneur, et jure qu’il l’immolera si elle ne cède pas à sa flamme. Chœur de bandits, musique du chef d’orchestre. Fra-Diavolo entre avec fracas et conseille à ses subordonnés d’allier l’astuce à l’audace. Coup de fusil au lointain. On amène un étranger qui doit la vie à la fille de Fra-Diavolo. « Fasse l’enfer, dit Rodolfo, que nous n’ayons pas à nous repentir de notre clémence ! » La nuit vient. L’étranger, qui est forgeron, lime ses chaînes et s’enfuit avec Josepha, la fille du seigneur ; elle est sa fiancée devant Dieu ! Réveil des bandits. Préparatifs de la poursuite. Rodolfo l’avait prévu ! « Si vous voulez réussir dans vos desseins, dit Fra-Diavolo, troublé au milieu de son premier sommeil, unissez, ô mes enfants, la hardiesse à la prudence. »

2e tableau : l’intérieur de la maison du jeune forgeron à Poitiers (changement demandé par la censure). Paolo (André) et Josepha, l’ancienne fille du seigneur, travaillent, l’un à repriser un brassard, l’autre à raccommoder les langes de son enfant, car leur union a été féconde. Le fruit est dans son berceau. Nous savons si Saladin est capable de remplir comme il faut ce rôle de l’enfant de carton ! Paolo sort pour se rendre chez le plus riche banquier de la ville. Rodolfo entre déguisé en pèlerin. L’Angelus sonne. Josepha va chercher la croix de sa mère pour la passer au cou de son enfant. Rodolfo emporte le brassard en disant : « Ô ma vengeance ! » Rentrée de Paolo joyeux. Projets d’avenir. On compte l’argent de la tirelire. Arrivée des gendarmes. La caisse du plus riche banquier de la ville a été forcée, et le brassard porte témoignage contre Paolo qui est arrêté. « Il me reste au moins mon enfant ! » s’écrie Josepha qui s’évanouit non loin du berceau. Mais Rodolfo entre à pas de loup en murmurant : « Ô ma vengeance ! » Il fourre Saladin dans sa poche avec la croix de la mère de sa mère, et s’exhale, pendant que l’orchestre exécute un sombre bourdonnement, analogue à cette circonstance fâcheuse.

Nota. On aperçoit, dans la coulisse, la tête orgueilleuse de Similor qui s’avance trop pour suivre des yeux le paquet où est Saladin. Du haut du paradis, Échalot verse des larmes de triomphe sur le parterre en criant :

« Saladin ! mon fils ! si sa malheureuse mère le voyait ! »

On vocifère : « À la porte ! » Quelques oranges circulent, et des voix autorisées proposent déjà : « Orgeat, limonade, bière ! »

Dans la coulisse, Étienne, pâle comme un mort, l’œil hagard, les cheveux hérissés, se promène entre les portants. Personne ne lui parle. Savinien Larcin et son collaborateur, M. Alfred d’Arthur, sont, au contraire, entourés et choyés par les gens, du théâtre. L’habile directeur lui-même daigne leur sourire.

3e tableau : la prison. Cellule de l’Habit Noir. Paolo est seul. Rodolfo s’est fait geôlier pour savourer sa vengeance. Monologue où Paolo se raconte à lui-même la fuite de Josepha. La fille de Fra-Diavolo (Mlle Talma Rossignol) lui apporte une scie et des consolations. Il coupe ses barreaux et s’élance dans le vide en criant : « Cieux ! protégez l’innocence ! » À ce moment, Rodolfo entre pour lui annoncer qu’il est condamné à mort. Ne le trouvant plus, il jure de se venger.

4e tableau : le Parvis de Saint-Germain l’Auxerrois (changement demandé pour dérouter l’opinion publique et prévenir les allusions) ; mariage de Josepha, sous le nom d’Olympe, avec le jeune usurier Verdier qui lui a fourni un faux acte de décès de son premier mari. Fra-Diavolo est devenu marguillier de cette paroisse, sous le nom du colonel Toboso. Rodolfo s’appelle maintenant Médoc, et intrigue afin de se venger.

Les cloches sonnent pour le mariage. Procession de jeunes vierges portant des fleurs. Paolo arrive très fatigué d’un long voyage. Il se raconte derechef à lui-même comment, ne pouvant plus résister à son impatience, il a bravé tous les dangers ! Il s’introduit dans l’église. On entend un cri. Paolo revient tomber sur les degrés en disant : « C’est elle ! » Rodolfo accourt, l’examine et dit : « C’est lui ! » Il l’emballe dans un fiacre. « Ô ma vengeance ! » La noce sort de l’église, et les jeunes filles effeuillent leurs fleurs en souriant.

5e tableau : la maison du marguillier, rue Thérèse. Fra-Diavolo, fatigué de courir d’affreux dangers, s’est transformé en citoyen paisible. Il feint d’accomplir des bonnes œuvres tout en continuant de commettre une multitude de crimes. C’est chez lui que le fiacre a déposé Paolo évanoui. Rodolfo veut l’immoler tout de suite, expliquant que la vendetta est une habitude corse ; Fra-Diavolo objecte qu’il est bon d’unir la fermeté à la circonspection. Pendant cela arrive Fanchette (Mlle Talma-Rossignol, qui peut jouer tous les âges, depuis dix ans jusqu’à soixante ans : tel est son engagement). Fanchette se moque de Rodolfo, caresse le marguillier, et rend la vie à Paolo par un moyen nouveau. Le marguillier sait tout ! Il engage Paolo à la prudence, puisque le mariage est accompli, et lui donne les moyens de passer en Angleterre où il le fera pendre. Comment ? par son influence. Où la prend-il, son influence ? Quoique marguillier, il est le chef des Habits Noirs ! Au moment où Paolo part, Fanchette entre en berçant le petit enfant dans ses bras. On voit bien qu’il n’est pas de carton, car il crie et tend ses petits bras vers la porte par où est sorti son père. Tableau touchant. On distingue à son cou le cordon de la croix de sa mère.

III

Entr’acte.

« C’est très mignon, dit Alavoy, qui ruisselait de sueur.

— C’est absurde ! » répliqua Sensitive, sec comme allumette.

Un critique sérieux se tourna vers lui, le salua et ajouta :

« Monsieur, les tragédies de Corneille étaient écrites avec beaucoup plus de soin.

— Est-ce que l’histoire du faux Louis XVII sera là dedans ? demanda Mme Touban.

— La censure ! » fit Sensitive en haussant les épaules.

Au paradis, Échalot se trouvait mal et devenait l’objet des attentions de ses voisins. On lui fourrait des pommes dans la bouche, on lui offrait du tabac sous diverses formes, on l’inondait de bière, on le comblait de quartiers d’oranges.

« Comme il a bien crié ! murmura-t-il quand ces soins intelligents lui eurent rendu le calme. Ça sera un Laferrière avec le temps, ce polisson-là ! »

L’instant d’après, Similor, transformé par la prospérité et ressemblant presque, tant il s’était profondément nettoyé, à un marchand de lorgnettes, parut à l’entrée de l’amphithéâtre avec l’enfant, dont le rôle était achevé. L’enfant passa de main en main jusqu’à Échalot, qui tendait vers lui ses bras tremblants. Saladin n’avait pas grandi ; il était mièvre et pointu ; sa tête étroite se couronnait de cheveux rudes d’un jaune grisâtre ; ses yeux effrontés tenaient toute sa figure. Il y a des singes comme cela, ou bien figurez-vous le diable quand il était tout petit.

« Toi, tu es mon joli ! s’écria Échalot en l’étouffant de baisers.

— Ne va pas me l’user, gronda Similor, il vaudra cher ! »

Échalot l’éleva au-dessus de sa tête.

« C’est artiste, dit-il, ça va avoir son nom imprimé partout comme Mangin ou la moutarde blanche ! »

Il ajouta avec noblesse en s’adressant à Similor :

« Je ne t’en dispute pas le bénéfice pécuniaire, Amédée, mais c’est à moi la moitié de son cœur. »

La société du pourtour écoutait M. Champion qui pérorait ainsi :

« Moi seul peux vous dire la vérité tout entière sur ces sujets délicats. On m’avait intéressé par le danger de mes lignes dont la collection est la première de la capitale. Je me croyais sûr de l’intérieur de ma famille ! ajouta-t-il en jetant à Céleste un regard cruel. L’histoire des causes célèbres présente peu d’exemples de vols combinés avec une pareille science. On mit les scellés sur toutes les issues de mon domicile, et je fus obligé de coucher à l’auberge. La caisse ne fut ouverte que le lendemain au jour, en présence de notre sieur Michel, dont on ne connaissait pas encore l’état civil, mais qui avait procuration de Mme la baronne, laquelle, par testament en due forme, était légataire universelle de feu M. le baron, sauf les droits et réserves de Mlle Blanche, présentement épouse de notre sieur Maurice Schwartz. Il y eut des difficultés matérielles pour ouvrir : des lambeaux d’étoffes, des muscles broyés, restaient forcés entre le battant et le seuil du coffre-fort : car vous n’ignorez pas que M. Lecoq, chef présumé de l’association des Habits Noirs, avait été virtuellement guillotiné par la fermeture de la caisse. Les hommes de l’art trouvèrent le fait très curieux, mais explicable ; la caisse, construite pour un autre usage, avait agi, dans ce cas particulier, comme une paire de cisailles : c’est le propre mot des hommes de l’art. Et si vous voulez venir visiter ça, un matin, vous verrez quelle qualité d’acier : les angles tranchent comme des rasoirs ; nous nous amuserons à couper, par le même procédé, divers objets de peu de valeur ; j’en ai fait collection en vue des personnes qui désirent se rendre compte. La chose véritablement étonnante, c’est qu’il fut trouvé, sous le cadavre dudit M. Lecoq, quatre liasses de faux billets de banque, imités aux pointes d’asperges ! Je les ai tenus dans ma main : c’était à se demander si on avait la berlue. On en saisit là pour quatre millions !

— Quatre millions ! » répéta le pourtour.

Adolphe continua :

« Vous souvenez-vous de la soirée du dimanche, trois jours avant l’événement, dans la voiture de Livry, où nous étions, diverses soustractions furent commises ?…

— Ma boîte d’argent ! s’écria Mme Blot.

— Celle de Mme Champion, qui était fort belle, ayant coûté quatre-vingts francs en fabrique, et mon propre porte-monnaie. Je soupçonnais dès lors…

— C’est bien rare, l’interrompit M. Tourangeau, qu’on signale des voleurs dans ce pays-ci.

— Vous aviez joliment bavardé ! ajouta la veuve de l’huissier. Vous aviez défié les Habits Noirs !

— Désormais, bien fin qui connaîtra la couleur de mes paroles ! Le poisson est muet, cela fait sa force. C’était pour arriver à vous conter un détail, en preuve de l’adresse diabolique de ces coquins. Vous savez, Médor, le chien qui avait ma confiance. Ça m’étonnait qu’il n’eût pas aboyé. Quand j’allai, le lendemain de l’événement, pour lui porter sa nourriture, je vis qu’on me l’avait changé, contre un animal de la même espèce, mais privé de vie et empaillé… »

IV

Le drame.

La caverne des bandits. — La chanson de la boue.

« Prrrrr… houitt !

— Prrrrr… houitt ! »

C’est ainsi que les voleurs s’appellent entre eux dans les mélodrames, afin que nul n’en ignore. Ils ont peur de n’être pas découverts.

Sous l’aqueduc d’Arcueil, construction romaine, il est un profond souterrain. C’est là qu’Édouard, fils de Josepha, a grandi parmi les mauvais exemples. « Prrr… houitt ! »

« Prrr.,.. houitt ! » On le place chez le baron Verdier, dans un dessein coupable. Ses amours avec la comtesse Fra-Diavolo, rôle de genre, confié à Mlle Talma-Rossignol.

Il est chassé de la maison parce que le baron ressent les tourments de la jalousie. Les boutons de diamants. Grande scène à ce propos entre Olympe Verdier, l’ancienne femme de Paolo, et la jeune ingénue Sophie.

Cela fait trois tableaux très intéressants. Au quatrième, nous sommes sous les ponts, décor dû au pinceau. La comtesse Fra-Diavolo chante la chanson de la boue avec un succès flatteur. Pas de sergents de ville.

Trois-Pattes veille et dissimule, mais dans une intention louable. Il désire se procurer le scapulaire de la Merci. M. Médoc (qui n’est autre que Rodolfo) a la même ambition ; il entasse dans ce but intrigues sur supercheries et entraîne le baron Verdier dans le piège. Tableau d’intérieur : Édouard et Sophie, amour pur. Tic respectable de la vieille mère qui veut donner des à-compte.

Sixième changement à vue : L’Estaminet de l’Épi-Scié. Danse de caractère, dix-huit billards, six clowns, trois cannibales. Dame instruite à avaler des sabres. Fra-Diavolo, faux marguillier, est assassiné par ses propres Habits Noirs !

Olympe Verdier retrouve au cou d’Édouard la croix de sa mère !!!

Trois-Pattes surprend le secret des bandits de la montagne !!!!!

« Prrrr… houitt ! » — L’harmonie du ruisseau. Polka de la poudrette.

V

La salle.

« Le mérite d’une œuvre d’art est dans la simplicité, professa le critique sérieux. L’école de Beaumarchais fut déjà une décadence. Mais il était doué de beaucoup d’esprit naturel.

— Est-ce que nous allons voir la caisse guillotiner ce pauvre Médoc ? demanda Mme Touban à Sensitive ; ce serait roide !

— La censure, répondit le poète.

— Ils ont glané ça et ça, fit observer Cotentin, mais c’est châtré, cette machine !

— Mais enfin, dit Céleste, le trésor du colonel ? »

Depuis là mort du baron Schwartz, M. Champion, dans les grandes circonstances, imitait son laconisme.

« Descente de police, là-bas, en Corse, répondit-il. Ruines du couvent fouillées. Pas de résultat. Couvent miné, sauté, néant !

— Les Habits Noirs existent donc encore ? » demanda l’huissière.

Adolphe haussa les épaules.

« On en a coffré une demi-douzaine, tout au plus : Cocotte, Pique-Puce, le fretin. J’ai vu ces choses-là de près, puisque l’instruction se fit dans ma propre chambre…

— Contez-nous donc l’instruction.

— Eh bien ! il y avait deux témoins, car ce M. Bruneau, qu’on nomme ouvertement M. André Maynotte, depuis qu’il y a ordonnance du roi pour sa sauvegarde…

— Le premier mari ? dit Mme Blot.

— Le père de notre sieur Michel, oui ; ce M. Maynotte, disais-je, avait pris la poste et Mme la baronne l’avait suivi. Je trouvai ça inconvenant, mais la suite a démontré que c’était la nature. Les deux témoins étaient le conseiller Roland et le chef de division Schwartz : Pas de la petite bière ! Ils déclarèrent tout d’abord avoir envoyé leur démission à leurs ministres respectifs, ayant désormais à remplir un devoir sacré, incompatible avec leurs fonctions publiques. Ils établirent que M. Schwartz avait été assassiné par M. Lecoq…

— Médoc ! ah ! le coquin de Rodolfo !

— Et que M. Bruneau, sans malice aucune, avait refermé la porte de la caisse sur ce sanguinaire scélérat qui était en train de décharger dans sa poitrine, à lui M. Bruneau, le second coup de son pistolet…

— Mais comment tout ce monde était-il là ? »

VI

Les coulisses.

Le dernier tableau s’achevait. Olympe Verdier, entourée de cadavres, remerciait son Dieu en faisant les grands bras.

Étienne et Maurice tombèrent dans les bras l’un de l’autre derrière la toile de fond.

« Tu t’es donc marié !

— Tu as donc fait recevoir enfin ta pièce !

— Oui, répondit Étienne d’un air sombre, ma pièce !

— Pourquoi ne viens-tu pas nous voir ? reprit Maurice ; que de choses dans ces deux années !…

— Qui, gronda Étienne, que de choses !

— Olympe Verdier, ma chère et charmante mère, est redevenue Julie Maynotte ; M. Bruneau a vu la fin de ses traverses…

— Je ferai une autre pièce avec ça…

— Ah ! non ! celle-ci suffit… pour ta fortune et pour ta gloire.

— Pour ma fortune ! dit Étienne ; sur dix pour cent de droits, j’ai donné quatre pour cent à M. Alfred d’Arthur et quatre pour cent à M. Savinien Larcin…

— Ah ! diable ! restent deux pour cent, c’est maigre !

— Le directeur s’en est contenté, fit Étienne avec un gros soupir.

— Alors, il ne te reste que la gloire ! — L’auteur ! l’auteur ! » cria la salle en ce moment.

Étienne s’arracha une forte poignée de cheveux.

« Messieurs, annonça le grand comédien chargé du rôle de Trois-Pattes, le drame que nous avons eu l’honneur de représenter devant vous est de MM.  Alfred d’Arthur et Savinien Larcin !

— Eh bien ! et toi ? » demanda Maurice.

VII

Sortie du théâtre.

« Ça ne fera pas le sou ! pronostiqua Sensitive.

— En voilà pour deux cents représentations, dit Tourangeau. J’y enverrai tous les gens bien de ce pays-ci.

— Mais on ne révèle pas le fameux secret renfermé dans le scapulaire, fit observer Mme Touban.

— Racine eût fait autrement que cela ! déclara le critique sérieux.

— Pour vous finir, dit Adolphe Champion à Mme Blot, l’ancien conseiller et l’ancien commissaire de police travaillent comme des nègres à la révision du procès de Caen. Edmée, Mme Michel, a voulu que tous les créanciers de M. Bancelle fussent payés intégralement et la pauvre vieille Mme Bancelle est morte bien heureuse. Mme Maurice a une jolie petite fille, Mme Michel a un beau petit garçon, la maison va comme un charme. Mme Maynotte est belle à faire trembler… et moi, je pêche deux fois par semaine.

— Mais, demanda la veuve de l’huissier, cette affaire du faux Louis XVII ?…

— Mon cher marquis, disait le puissant ami de Gaillardbois en sortant avec lui d’une loge grillée, ce Lecoq était un mâle ! Le roi est de plus en plus amoureux de son cruel faubourg. Retrouvez-nous donc ce petit duc qui a le nez de saint Louis !

— La voiture de M. Maynotte ! cria un grand laquais galonné.

— Tiens ! dit Gaillardbois, ils étaient dans l’autre loge grillée, en face ! »

Avant de monter dans son équipage, le puissant ami du marquis décacheta un pli qu’un homme décent venait de lui remettre.

« C’est un épilogue, murmura-t-il. Le comte Corona vient d’être poignardé dans la campagne de Sartène par le nommé Battista, cocher de sa femme. Une jolie personne. »

Et il ajouta, en s’adressant à ses gens :

« À la Préfecture ! »

VIII

Le café du théâtre.

Des grogs en quantité, quelques bavaroises. Unanimité de cigares.

« La petite Talma n’aura pas la vie dure !

— Laferrière n’a plus que douze ans… il retourne au catéchisme.

— Étienne ! s’écria Savinien Larcin en réponse à une question indiscrète, quel Étienne ? Connais pas cet oiseau-là.

— Si la censure avait voulu laisser un peu de liberté, professait Alfred d’Arthur au milieu des complimenteurs, la maison Schwartz aurait bien acheté le manuscrit deux ou trois cent mille francs. Attendons le réveil du peuple !

— Envoyez-moi la brochure, dit le critique sérieux à Savinien. J’ai noté çà et là quelques tournures de phrases qu’on ne trouve pas dans Laharpe. À propos, comment vous excuser auprès du public d’avoir escamoté le fameux secret des Habits-Noirs ?

— En annonçant notre prochain drame qui contiendra le mot de l’énigme.

— Quel titre ?

Le Secret de la Camorra ou Fra-Diavolo au couvent de la Merci. »

FIN.