Les Habits noirs/Partie 1/Chapitre 06

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Hachette (tome Ip. 62-74).
Première partie


VI

Aux écoutes.


À l’heure où J.-B. Schwartz et M. Lecoq se séparaient dans le chemin creux, la bonne ville de Caen commençait à s’éveiller ; le jour se lève matin au mois de juin. Les environs s’animaient : dans ces admirables et plantureuses prairies où l’Odon tributaire apporte son filet d’eau à l’Orne, les troupeaux arrivaient, pesants de graisse et de sommeil ; le quai reprenait ses affaires, les cabarets, toujours pressés, s’ouvraient dans les rues de la basse-ville, et l’armée des campagnards envahissait le marché.

Campagnards et citadins, du reste, bateliers, ouvriers, fermiers, ceux qui achetaient et ceux qui vendaient semblaient parfaitement tranquilles. Aucune émotion extraordinaire n’agitait la halle, cette Bourse des ramages populaires où tout curieux peut interroger si aisément le pouls d’une cité. Caen avait dormi tranquille et rien ne semblait avoir troublé la monotone quiétude de sa nuit.

D’habitude, la devanture d’André Maynotte s’ouvrait bien avant les volets du commissaire de police. André n’avait peut-être pas reçu de la nature cette âpre activité du commerçant par vocation qui violente la fortune et fait argent de toutes les minutes ; mais un autre sentiment, plus fort que la cupidité même, le jetait chaque matin hors de son lit. Il était fourmi par amour. Il s’était donné cette tâche d’élever Julie au-dessus de l’humble niveau qui pesait sur son front si jeune, si beau, si fier. La destinée de Julie était de briller ; en lui-même, il avait promis des rayons à son astre et il travaillait sans relâche, car il était fort et patient. Les gens comme lui parviennent à coup sûr ; il avait la volonté indomptable, le talent qui la féconde et ce droit honneur qui reste, quoi qu’on dise, la meilleure des habiletés. Pour arrêter ceux-là, il faut la foudre qui frappe çà et là dans le tas humain, touchant un homme sur cent mille ! et qui donc compte avec ces hasards de la foudre ?

Ce matin, pourtant, les volets du commissaire s’ouvrirent avant la devanture d’André Maynotte. Il y avait je ne sais quoi d’anormal au premier étage. Mme Schwartz, en peignoir d’indienne, allait et venait dans la maison, écoutant à la serrure de son mari et en proie à une véritable fièvre de curiosité. Éliacin était entré au bureau et n’en ressortait point. Il y avait quelque chose de grave.

André avait passé une nuit sans repos. Il s’étonnait lui-même du trouble qui le prenait au moment d’entrer dans sa voie nouvelle. C’était une nature résolue ; il avait pesé mûrement ses chances de succès : pourquoi donc cette agitation inquiète ?

Julie dormait près de lui et semblait sourire à un rêve.

Bien des fois, depuis que la lueur du crépuscule s’était glissée dans la chambrette, André, soulevé sur le coude, avait promené son regard de la beauté sereine de sa jeune femme à l’angélique gentillesse de l’enfant, cachant à demi sa tête blonde derrière les rideaux du berceau.

Il se sentait heureux pleinement, trop heureux, pourrait-on dire, cela l’effrayait. Au moment d’entamer la grande partie, tant l’idée du tyran de Samos est humaine, il avait souhaité un nuage à son ciel.

Le sommeil le prit enfin, tandis qu’il cherchait à l’horizon quelque chose qui ressemblât à une peine. Il ne savait pas qu’il dormait. Il voyait Julie après la bataille gagnée, Julie toujours plus belle, enchâssée dans ce splendide écrin de la femme : la richesse. Comme la richesse lui allait bien ! Comme elle était chez elle dans cet éblouissant milieu ! Comme elle parait les parures et comme elle fleurissait les fleurs ! Avait-elle jamais été autrement ? Se pouvait-il qu’elle eût vécu un jour seulement hors de la noblesse opulente, sa patrie ?

Il fut éveillé en sursaut par un gémissement. C’était Julie qui se plaignait, étouffée sous un cauchemar. Un baiser l’éveilla. Elle sourit, disant : « Ils voulaient nous séparer ! » Et ses beaux yeux se refermèrent.

Cinq heures du matin sonnaient. Un bruit de marteau retentissait à l’étage supérieur.

La première idée d’André fut de se lever, mais il ressentait une fatigue extrême et un affaissement qu’il ne se souvenait point d’avoir éprouvé jamais. En même temps, une tristesse inconnue brisait sa pensée.

« Ils voulaient nous séparer ! » répéta-t-il sans savoir qu’il parlait.

Il y avait une petite pièce, servant de resserre à ses outils et aux objets non encore restaurés. Elle donnait sur la cour et attenait à la chambre à coucher. Au milieu de cette somnolence que produisait chez lui la lassitude, André Maynotte crut entendre des voix dans la resserre. Il sauta hors de son lit, car cela faisait illusion ; on eût dit que plusieurs personnes causaient là, derrière la porte.

Et le bruit du marteau continuait.

La porte ouverte, André vit, cependant, qu’il n’y avait personne.

Les voix venaient maintenant de la cour, et son nom, prononcé plusieurs fois, frappa ses oreilles.

La fenêtre était grande ouverte, à cause de la chaleur ; il s’en approcha, marchant pieds nus. La cour était déserte comme la chambre.

Mais les voix s’entendaient encore plus distinctement. Elles semblaient être si rapprochées, qu’André mit sa tête hors de la fenêtre pour voir si les causeurs n’étaient point collés contre le mur. Il leva les yeux ; son nom venait d’être prononcé pour la seconde fois, en l’air : on l’eût juré.

Voici ce qu’il aperçut. Immédiatement au-dessus de sa tête, un ouvrier, terminant sa besogne, enfonçait le dernier clou d’une sorte d’auvent, destiné à protéger la fenêtre de l’étage supérieur, qui n’avait point de persiennes. Cette fenêtre éclairait le cabinet particulier du commissaire de police ; elle était située au midi ; l’été s’annonçait brûlant ; le commissaire établissait tout bonnement des barricades contre l’invasion du soleil.

Il était arrivé quelquefois à André Maynotte de saisir quelques paroles, tombant par cette fenêtre, surtout quand Mme Schwartz élevait la voix dans ses querelles de ménage. Ce n’étaient pas ses affaires, et la curiosité provinciale n’était point son péché : il n’avait prêté aucune attention à la comédie matrimoniale qui, chez ses voisins, atteignait un nombre fabuleux de représentations, et s’était promis seulement de parler bas quand il causerait dans sa resserre.

Mais l’auvent qu’on venait de poser et qui, pour le moment, formait un angle de 45 degrés, par rapport au plan de la fenêtre du premier étage, exagérant tout à coup les conditions particulières où se trouvait la petite pièce du rez-de-chaussée, renvoyait le son avec une telle netteté, qu’un appareil acoustique n’eût pas fait mieux.

Ce n’était pas l’ouvrier qui avait parlé. Les voix venaient de l’intérieur. Elles étaient émues et contenues. Ceux qui s’entretenaient là-haut paraissaient en garde contre ce fait que la fenêtre ouverte pouvait avoir des oreilles.

André Maynotte resta immobile et déjà frappé. Pourquoi frappé ? Il n’aurait su le dire, car étant donné son caractère ferme et absolu, peu lui importait les commérages des voisins.

Et en dehors des commérages qui vont et viennent, mêlant beaucoup de calomnies à un petit fond de médisances, il n’y avait rien, sa conscience le lui affirmait, qui pût être dit contre lui.

Pourquoi frappé, alors, lui qui était tout jeune, lui qui dédaignait trop, peut-être, les petits hommes et les petites choses, lui qui était étranger dans la ville de Caen, lui qui se préparait à la quitter bientôt pour toujours ?

Il écouta, son nom prononcé l’y autorisait ; il écouta, guettant le retour de son nom.

L’ouvrier venait de rentrer après avoir achevé sa besogne. On se taisait maintenant à l’étage supérieur. Quand on se reprit à parler, la conversation avait tourné, sans doute, car les mots prononcés ne pouvaient plus s’appliquer à André. L’air était frais ; sa fantaisie d’écouteur ne le tenait guère ; il allait regagner son lit, lorsque cette phrase tomba, prononcée à voix basse :

« Je vous dis qu’il est ruiné ! mais ruiné roide ! Il parle de se brûler la cervelle ! »

André hésita. Ce n’était pas la voix du commissaire, non plus celle d’Éliacin, l’Alsacien blond. L’hésitation d’André devait durer juste le temps de faire cette réflexion, qu’il n’avait pas le droit de surprendre certains secrets. Il n’en eut pas le loisir. Le commissaire reprit avec une sorte de colère :

« Vous répandez de mauvais bruits. Tout cela retombe sur nous. Un homme pareil n’a jamais en caisse que l’argent de ses échéances. »

La voix inconnue répliqua distinctement :

« Il avait en caisse plus de quatre cent mille francs en billets de banque. »

André tressaillit de la tête aux pieds. Ce chiffre tout seul lui contait une histoire entière. M. Bancelle lui avait justement dit, la veille, que sa caisse contenait plus de quatre cent mille francs.

Il eut froid dans les veines. Était-ce pitié pour le malheur d’un homme ? André Maynotte était un brave et généreux cœur, mais ce ne fut pas pitié.

On ne sait comment exprimer ces choses : ce fut de la peur. Et pourquoi ?

Encore une fois, pourquoi ce jeune homme, qui était l’honneur même, eut-il peur en devinant que la caisse du riche banquier Bancelle venait d’être forcée et vidée ?

Les faits de pressentiments ne sont pas rares. Nous n’avons pas à en rechercher les causes, physiologiques ou morales. Le phénomène est hors de doute : chacun de ceux qui nous lisent a pu le constater. Les grands chocs ont de mystérieux avant-coureurs, comme les grandes maladies sont annoncées par leurs prodromes.

André Maynotte avait un poids de plomb sur le cœur.

Dans la chambre a coucher, il crut entendre encore ces gémissements qui naguère l’avaient éveillé. Il se traîna, défaillant, jusqu’à la porte. L’enfant reposait paisiblement ; la jeune mère, appuyant sur son bras nu les boucles éparses de ses magnifiques cheveux, dormait aussi, tranquille et belle comme une sainte.

André tendit ses mains vers ces deux êtres si chers. Il était pâle et il tremblait.

Certaine littérature, où il y a du mauvais et du bon, a fait, depuis lors, concurrence aux émotions des procès criminels. En 1825, les drames de la Cour d’assises n’avaient de rivaux qu’au théâtre, et le roman-feuilleton, cette puissance que de maladroits moralistes affectent de rabaisser au lieu de l’utiliser, était encore à naître.

Les histoires de tribunaux faisaient trou dans la mémoire populaire plus violemment qu’aujourd’hui, ce qui est tout dire. Elles restaient ensuite, sous la garde du souvenir public, comme de sombres légendes, incessamment répétées.

Nous parlions de pressentiments. Ce qui va suivre n’est pas une explication, mais un renseignement.

La ville de Caen, qui devait avoir quelques années plus tard cette tragédie bizarre et terrible, le meurtre de l’horloger Peschard, vivait, en 1825, sur les récents débats de l’affaire Orange.

On a oublié cela : un clou chasse l’autre, et la période qui suivit la révolution de Juillet fut si malheureusement féconde en exploits de Cour d’assises, que la célébrité des époux Orange s’étouffa dans cette avalanche de crimes.

Les époux Orange, fermiers au pays d’Argence avaient été condamnés, en août 1825, par la Cour royale de Caen, à la peine de mort, comme coupables de meurtre commis, de complicité, avec préméditation, sur la personne de Denis Orange, leur oncle paternel. C’était une de ces lugubres causes, où l’avidité villageoise joue le rôle principal. Chaque année, l’avarice des campagnes tire quelque nouvelle édition de cette hideuse bucolique : un vieux paysan a l’imprudence de céder son bien à ses neveux, sous condition d’être nourri, logé, soigné jusqu’à sa mort. C’est une sorte de vente à fonds perdu. Un tel contrat renferme naturellement, du côté des neveux, cette stipulation implicite que l’oncle ne mettra pas trop de temps à mourir. Si l’oncle abuse et s’attarde, on lui coupe la gorge avec une serpe, à moins qu’on ne le jette dans un puits. Chacun sait cela dans les paroisses ; néanmoins, il y a toujours de vieux oncles pour accepter ainsi la dangereuse hospitalité de leurs héritiers.

Il s’était présenté ici des détails assez repoussants pour donner un brillant succès à la cause. Le public avait gardé quelques doutes sur la culpabilité des époux Orange, qui étaient tout jeunes : Pierre, un mâle gaillard qui aurait pu gagner sa vie autrement ; Madeleine, une belle et naïve créature, qui ne savait que pleurer quand on parlait de son oncle.

La peine capitale avait été commuée, et, dans le pays d’Argence, on connaissait un valet de charrue qui buvait quatre fois ses gages, depuis le temps, et qui était bien capable d’avoir fait le coup.

En France, la magistrature est respectée autant que respectable, et il ne faut pas trop se plaindre des effrois salutaires dont s’entoure notre justice. Néanmoins, et voilà surtout où gît le renseignement annoncé, étant donné tel caractère particulier, cet effroi peut grandir jusqu’à la terreur. Notre loi ne peut marcher du même pas que nos mœurs : vieillesse et prudence jamais ne se hâtent ; il reste dans le secret de nos instructions criminelles des vestiges gothiques qui, forcément dévoilés à de certaines heures, épouvantent tout à coup la conscience commune. On se demande avec angoisse ce qu’on ferait soi-même et ce qu’on deviendrait sous la pression de cette torture morale que les débats publics viennent un jour révéler.

C’est l’éternel honneur de l’Angleterre. L’instruction s’y fait au grand jour. Le magistrat, loin de remplacer par une excessive sévérité de forme la question abolie, est chargé par la loi même de fournir à l’accusé des avertissements protecteurs. Avant d’entamer ce tournoi de paroles d’où la vérité doit jaillir, le juge, chez nos voisins, ne pousse pas ce cri de guerre que les Peaux-Rouges d’Amérique destinent à étourdir l’ennemi ; l’accusé peut ne pas être l’ennemi. On part de ce principe, il est vrai, par tous pays, mais partir d’un principe est une expression qui raille. L’Angleterre fait mieux : elle reste dans le principe.

André Maynotte était un homme de vaillance, d’intelligence et d’honneur, mais ce n’était pas un lettré. Il avait assisté aux débats de l’affaire des époux Orange. Il en gardait une impression profonde, d’autant plus qu’il les jugeait innocents.

Mais de là à s’effrayer pour son propre compte, il y a loin. Qui l’accusait ? Sous quel prétexte pouvait-on l’accuser ?

Nous rentrons dans l’inexplicable. Ceci est le fait même du pressentiment qui ne répond jamais à toutes les questions qu’on lui pose.

André tremblait, il était très pâle. On avait prononcé son nom par deux fois là-haut chez le commissaire de police.

Cependant sa raison se révoltait, et un sourire lui vint aux lèvres, tandis qu’il se disait : « C’est de l’extravagance. »

En effet, c’était folie, car il faut à tout le moins un motif, un prétexte.

« J’ai toujours dit, s’écria impétueusement une voix nouvelle dans la chambre du haut, qu’il fallait se méfier de ces gens-là ! »

C’était Mme Schwartz qui venait de faire irruption dans le bureau. Cette fois, on ne prononçait aucun nom, et pourtant André Maynotte était sûr, absolument sûr, qu’on parlait de lui.

Ces gens là ! Lui et sa femme.

On tenta évidemment de faire sortir Mme Schwartz, mais elle déclara qu’elle avait droit de rester ; l’affaire la regardait personnellement, puisque, avec de pareils voisins, désormais, on ne pouvait pas dormir tranquille.

La certitude d’André prenait des raisons d’être, si elle ne pouvait pas augmenter.

Le commissaire dut céder, car la discussion s’éteignit.

La voix inconnue poursuivait cependant :

— Cette pensée-là a sauté aux yeux de M. Bancelle. Quand sa femme et ses enfants sont venus, il s’est écrié : « J’ai tout dit à cet homme-là ! Il savait que j’avais en caisse le prix de ma terre, outre mon échéance. Il a vu le secret, et le brassard lui appartient… »

André ne comprit pas cette dernière phrase, dont le sens précis eût été pour lui un coup de massue. Il n’avait pas besoin de cela. Tout son sang lui rougissait le visage et la sueur coulait à grosses gouttes de son front.

— Ils étaient deux ? demanda le commissaire.

— Oui, lui fut-il répondu. Il a fallu quatre mains occupées à la fois pour le travail de forçage.

— Quatre mains d’hommes vigoureux ?

— Non… La moitié de la besogne pouvait être faite par un enfant.

— Ou par une femme… prononça tout bas le commissaire.

— Ne m’as-tu pas dit, s’écria Mme Schwartz, que tu les avais rencontrés tous deux, hier soir, sortant à des onze heures !

André mit ses deux mains sur sa poitrine qui haletait. Mais l’idée de son innocence jaillit du sein même de cette détresse et il se releva tout d’un coup. Le désir lui vint de monter et de confondre en trois paroles cette absurde accusation. Il fit un pas, tout nu qu’il était, pour mettre ce dessein à exécution. Ce mouvement le porta en face de l’entrée, et son regard tomba pour la seconde fois sur la belle dormeuse qui toujours souriait. Il s’arrêta. Une angoisse nouvelle l’étreignit : elle aussi était accusée !

Elle, c’était son cœur. Il n’avait jamais senti comme à cette heure à quel point il l’adorait. Ses épouvantes revinrent et le terrassèrent. Un éblouissement lui montra la prison, l’audience, que sais-je ? Il vit la foule autour du banc des accusés ; il entendit cette voix dure, orgueilleuse, implacable… Écoutez ! Il se trompait. Telle n’est pas chez nous la voix de la justice, et les avocats de notre société qui portent ce beau nom de ministère public, ne cherchent qu’à bien faire. Il se trompait, c’est acquis. Nos juges, dont nul ne suspecte la haute équité, ont en même temps la bienveillance et la prudence ; notre parquet, à regret sévère, ne franchit jamais certaines bornes, posées d’un commun accord par la civilisation et par la religion. Dans ces sphères si élevées, le vent des passions humaines ne souffle pas. Il se trompait, mais il tremblait, lui qui était, nous le verrons bien, ferme et fort.

« Il est comme fou, ce pauvre Bancelle, reprenait en ce moment la voix étrangère. Il a sa tête dans ses mains et va répétant : « C’est moi, c’est moi, c’est moi qui lui ai donné l’idée du brassard ! »

— Il faudrait les arrêter tout de suite, dit Mme Schwartz.

— La maison est cernée, » répondit le commissaire.

C’est à peine si André fit attention à ces deux dernières répliques, si menaçantes pourtant et qui exprimaient si violemment le péril de la situation. Il n’avait entendu qu’une chose : M. Bancelle allait répétant : « C’est moi qui lui ai donné l’idée du brassard ! »

À lui, André. Nous savons qu’il avait été question du brassard, la veille, entre le banquier et le jeune ciseleur.

Mais que faisait là le brassard ? C’était la seconde fois qu’on parlait du brassard, là haut, chez le commissaire de police.

Quel brassard ? Il y avait silence à l’étage au-dessus.

La fièvre d’André creusait son cerveau. Quel brassard ? On s’était donc servi d’un brassard ?

Le sien était là, dans son magasin, en montre, comme toujours. Machinalement, il se dirigea de ce côté. En passant auprès du lit de sa femme, il joignit les mains et sa prière monta vers Dieu comme celle d’un enfant qui ne sait pas expliquer sa terreur nocturne. Il entra dans le magasin et poussa un gémissement étouffé ; l’instant après, il revint, appuyant son pas chancelant aux meubles et à la muraille. Sa joue était livide, ses yeux s’éteignaient ; des convulsions faibles contractaient sa bouche.

« On l’a volé ! murmura-t-il, comme s’il eût confié ce fatal secret à quelque être invisible. On m’a volé le brassard ! »

En ce moment ; le commissaire disait :

« C’est Bertrand, l’allumeur de réverbères.

— A-t-il vu quelque chose, demanda sa femme avidement.

— Il les a vus, répliqua le commissaire, dont la voix dénotait une véritable émotion, à minuit, sur le banc qui est là-bas à l’autre bout de la place. Ils parlaient de la caisse de M. Bancelle, où il y avait, disaient-ils, plus de quatre cent mille francs, et ils comptaient des billets de banque. »

André se laissa tomber sur ses deux genoux en rendant un râle sourd ; le choc de sa tête éveilla Julie qui, souriante et les yeux fermés à demi, lui jeta ses bras autour du cou.