Les Habits noirs/Partie 1/Chapitre 07

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Hachette (tome Ip. 75-87).
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Première partie


VII

Maison cernée.


La maison habitée par les Maynotte et M. Schwartz, le commissaire de police, n’avait que deux étages. Au fond de la cour, un assez grand bâtiment, composé d’écuries et de remises, servait à l’exploitation d’un loueur de voitures qui occupait avec sa famille le second étage. Au rez-de-chaussée, sur le devant, toute la partie à droite de la porte-cochère appartenait à André. Dans l’autre partie, qui était moins large de moitié, le loueur avait installé ses bureaux.

Il y a des manufactures à Caen, mais c’est pour beaucoup une ville de commerce agricole. La richesse extrême du sol normand sollicite les spéculateurs, et Paris le sait bien, puisqu’il adore chaque année à la procession des jours gras quelque Dieu de l’espèce bovine emprunté à ce paradis du Calvados. Les transactions campagnardes sont là-bas très actives ; la ville va en foire et souvent très loin. Il faut pour cela voiture et cheval, il le fallait surtout en 1825, où les moyens de communication restaient à l’état d’enfance. Or, tout négociant n’a pas son attelage à lui appartenant. L’industrie des loueurs, qui se porte encore assez bien, florissait alors encore mieux, et, entre tous les loueurs, M. Granger gardait la vogue pour la bonté de ses chevaux.

Il avait en écurie, s’il vous plaît, des normands de cinq cents écus, et pour ceux qui voulaient brûler la route, tout à fait, il avait un anglais de cent cinquante louis qui trottait comme un cerf galope.

En foire, une heure gagnée peut valoir parfois plein la main de pistoles.

Julie ne savait pas pourquoi son mari était ainsi agenouillé près du lit ; elle ne se doutait de rien ; elle ne songeait même pas à s’informer.

« J’ai rêvé toute la nuit de Paris, » dit-elle.

Et ce mot : Paris, avait dans sa bouche je ne sais quelle amoureuse saveur.

André n’aurait pas su répondre à cela. Il resta pendant toute une minute muet et comme écrasé. Au moment où l’effroi se peignait sur la charmante figure de Julie qui s’apercevait enfin de sa détresse, il redressa la tête lentement et dit tout bas :

« Lève-toi. »

On ne peut affirmer que son plan fût conçu dès-lors de toute pièce, car le jour se faisait à peine dans sa pensée, mais ce qui est certain, c’est que le besoin était en lui, impérieux et profond, de rester seul en face du péril. À ce moment du réveil de son intelligence, il se voyait déjà perdu sans ressource ; son esprit net, précis et très actif, avait fait en quelques secondes le travail d’instruction que le juge devait mettre des semaines à accomplir. Il voyait les apparences et les preuves ; il les comptait, il les pesait, il les coordonnait, comme le condamné d’un conseil de guerre doit ranger dans son dernier rêve les douze soldats qui le viseront au cœur. Tout à l’heure, avant qu’on eût parlé là-haut du brassard et de l’allumeur de réverbères, son trouble prématuré, ses pressentiments, si mieux vous l’aimez, allaient chercher des motifs de trembler dans la caducité terrible qui est le propre des jugements humains ; trouble et pressentiments impliquaient en lui un blâme de ce qu’il avait vu et dégageaient cette conclusion qu’en tel cas donné il aurait mieux fait que les juges. Maintenant, non ; les impressions vagues cédaient la place à la rigueur pour ainsi dire foudroyante d’un raisonnement instantané. Le mot preuve, au Palais, ne peut jamais arriver à une signification mathématique, quoique le témoin, en Angleterre, soit appelé une évidence. L’évidence ne peut pas exister, produite par le témoignage des sens d’autrui ; à peine existerait-elle si le jury pouvait entendre de ses oreilles et voir de ses yeux. Il n’y a au Palais qu’une certaine somme de probabilités, un certain degré de vraisemblance, et cela prend le nom de certitude par approximation. André Maynotte, dans son travail mental, n’exprimait pas ces nuances, il les sentait ; son instinct devinait des subtilités vers lesquelles jamais n’avait tourné sa pensée. Il se disait : si j’étais juge, je condamnerais.

La réunion des circonstances qui semblaient l’accuser avait dès lors pour lui quelque chose de fatal ; elles lui sautaient aux yeux, chacune d’elles et toutes, avec une véhémence que nous n’essayerons même pas de rendre. Il n’en était plus à se défendre ; l’arrêt, dans sa tête, était prononcé.

Comme Julie le regardait étonnée, il ajouta de ce même ton bas et froid :

« Habille-toi. »

Et il prêta l’oreille. Un bruit de roues venait par la fenêtre de la cour.

« Le tilbury ! cria-t-on de la maison du loueur, et l’anglais pour M. Hamon, qui va à la foire des Sept-Vents, derrière Caumont !

— On y est ! fut-il répondu de la cour, où les sabots d’un palefrenier sonnaient sur le pavé. Black a son avoine. »

André avait tressailli au premier mot ; maintenant, il réfléchissait.

Julie, qui ne l’avait jamais vu ainsi, passait la robe qui pendait au pied de son lit.

« Pas celle-là ! » ordonna André d’un ton brusque.

D’ordinaire, tout est prétexte à causerie entre deux amants, et c’étaient dans toute la forme du terme deux amants. Entre eux, les moindres déterminations comme les plus importantes se prenaient en commun, après conseil tenu, ce qui est un des meilleurs plaisirs du ménage. D’ordinaire, on peut le dire, André ne discutait que pour connaître plus à fond le désir de Julie et pour s’y conformer mieux.

Qu’y avait-il donc aujourd’hui ! Julie laissa tomber sa petite robe d’indienne pour demander, d’un accent interdit, maie presque irrité :

« Laquelle ?

— Ta robe des dimanches, » répondit André.

En même temps, il passait rapidement son pantalon et sa redingote.

« C’est comme si un mal te prenait, » murmura la jeune femme, qui eut les larmes aux yeux.

André ne répondit pas. Il essaya de sourire en passant les manches de son vêtement, et cela fit ressortir davantage l’effrayante pâleur de ses traits ; il voulut chanter aussi, mais sa voix s’étrangla, rauque, dans sa gorge.

« Est-ce que tu vas me renvoyer, André ? balbutia Julie, car on pouvait tout craindre de ce fou livide, dont les yeux extravaguaient.

— Non, » répondit André qui haussa les épaules.

Loin de rassurer la jeune femme, ce monosyllabe glacé la brisa davantage. Elle ne dit plus rien et atteignit sa robe des dimanches.

Parfois, il y a de ces malheurs sans cause. Un cerveau se frappe, et sait-on par quelles portes peut entrer la jalousie ?

André alla vers la fenêtre et glissa un regard furtif dans la cour où le palefrenier lançait des seaux d’eau dans les roues du tilbury. On ne parlait plus à l’étage supérieur, sans doute à cause de la présence du palefrenier.

André revint et dit à sa femme qui peignait ses admirables cheveux :

« Dépêchez-vous, nous n’avons que le temps.

— Est-ce une surprise que tu veux me faire ? » interrogea Julie en s’efforçant de sourire.

Sa douce voix savait si bien le chemin du cœur d’André ! André eut un peu de sang aux joues, et répondit :

« Peut-être.

— Une promenade ! s’écria aussitôt la jeune femme, s’accrochant à cet espoir. Faut-il habiller le petit ? »

Le petit était de toutes les fêtes. Déjà elle étendait les mains vers le berceau. Ces mots prononcés durement l’arrêtèrent :

« Non, je vous le défends ! »

Elle mit sa tête entre ses mains et un sanglot souleva sa poitrine. André se détourna d’elle pour cacher deux larmes qui lui brûlaient la joue.

Il entra dans le magasin et ses doigts crispés étreignirent sa poitrine.

Il réfléchissait pourtant et se disait :

« On ne fera rien tant que je n’aurai pas ouvert la devanture. »

La maison n’était-elle pas cernée ? Ceux qui le guettaient pouvaient attendre.

Le magasin avait trois portes : celle de l’arrière-boutique ou chambre à coucher, l’entrée principale donnant sur la place des Acacias, et une petite entrée latérale qui s’ouvrait sous la voûte de la porte cochère. André voulut voir comment la maison était cernée. Il retira sans bruit une des chevilles de fer de la devanture et mit son œil au trou. En face de lui, cinq personnages, en habit bourgeois, s’asseyaient sur un banc ; deux gendarmes étaient debout sous les arbres et quatre gardes de ville se promenaient en longeant le trottoir.

Il remit la cheville et retira la clé de la petite porte latérale. Par la serrure, il ne put rien voir, sinon un large dos, mais il entendit.

Sous la voûte, il y avait au moins quatre gardes à l’affût.

Cependant, rien n’avait transpiré encore dans le public, car la promenade était tranquille, et la présence de la force armée aux environs du commissariat n’était pas chose assez rare pour exciter l’attention.

André choisit deux pistolets dans sa montre et les chargea.

Depuis qu’il était seul, sa physionomie avait repris une expression de calme et de sombre fermeté.

Il rentra près de sa femme qui agrafait sa robe. Il s’approcha d’elle et la baisa au front.

« Tu n’es donc pas fâché contre moi ! s’écria-t-elle en le pressant contre son cœur.

— Il faut faire la valise, » dit-il.

Julie laissa tomber ses deux bras et le regarda stupéfaite.

« La valise ! répéta-t-elle, nous partons déjà ? »

L’idée lui vint vaguement qu’André voulait faire un voyage de Paris préliminaire, pour s’y assurer un établissement, avant de quitter Caen pour toujours.

Mais André répondit de ce ton bref et froid qu’elle ne connaissait pas :

« Moi, je ne pars pas. »

En même temps, il atteignit la valise et l’ouvrit.

« Au nom de Dieu ! supplia Julie, expliquez-vous, André, mon mari !

— Je vais vous conduire, répliqua André. Ne vous effrayez pas ; en chemin, je vous dirai tout. »

Julie s’assit, car le cœur lui manquait.

« Hâtez-vous ! » dit André, reprenant son ton de commandement.

Il ouvrit tout grands les tiroirs de la commode.

Julie demanda en pleurant :

« Que faut-il mettre dans la valise ?

— Tout ce que vous pourrez, répondit André.

— Dois-je donc être longtemps loin de vous ?

— Dieu le sait. »

La voix d’André trembla en prononçant ces derniers mots.

Julie s’élança vers lui et se pendit à son cou.

« Et mon fils ! et mon fils ! » cria-t-elle par deux fois avec angoisse.

André n’avait pas songé à l’enfant, car il resta un instant tout indécis. Comme Julie faisait un mouvement vers le berceau, il l’arrêta pour la seconde fois.

« Le petit n’a rien à craindre, murmura-t-il.

— Mais nous avons donc quelque chose à craindre, nous ! » s’écria-t-elle encore.

Le jeune ciseleur hésita, puis il répliqua tout bas :

« Oui, quelque chose de terrible. Si vous m’aimez, Julie, hâtez-vous ! »

Elle refoula ses larmes et entassa dans la valise les objets à son usage. Désormais, ce qui dominait en elle, c’était l’épouvante.

André la laissa seule une seconde fois pour entrer dans la resserre. Le palefrenier attelait Black au tilbury.

« Salut, monsieur Maynotte, dit-il en le voyant à la fenêtre. Il y a du nouveau en ville, savez-vous ? Les mouches sont autour de la maison et ne veulent pas dire de quoi il retourne. Vous êtes tout pâlot, ce matin, savez-vous ?

— Une belle bête, fit André en examinant Black.

— Pour la beauté, répliqua le palefrenier, j’aime mieux nos normands, sans compliments. C’est plus dodu, oui, à la croupe comme au poitrail ; mais pour le fond et la vitesse, ah dam !… Tiens voilà encore deux argousins qui montent chez le commissaire ! Il y a du nouveau, pour sûr ! »

André jeta un regard dans la chambre à coucher. Julie était agenouillée auprès du berceau de l’enfant.

« Vous me direz, continuait le palefrenier bavard, que ça ne nous regarde pas, c’est certain. Mais on aime savoir, pas vrai ?

— Es-tu prête ? » demanda André à voix basse.

Au lieu de répondre, Julie, qui était maintenant froide et pâle comme André lui-même, interrogea ainsi :

« Est-ce pour moi ou pour toi qu’il faut partir ?

— Pour moi, » répliqua André.

Elle se mit sur ses pieds et prononça résolument :

« Je suis prête. »

Puis elle ajouta comme si un élancement de conscience l’eût blessée :

« Suis-je punie parce que j’ai tant souhaité Paris ! »

André ferma la valise et la poussa dans la resserre jusqu’au pied de la croisée. Il mit dans les poches de sa redingote ses pistolets, son portefeuille et une casquette de voyage.

Puis se présentant de nouveau à la fenêtre et toujours tête nue :

« Hé ! l’ami ! cria-t-il au palefrenier, qui passait le mors entre les dents de Black.

— Quoi, monsieur André ?

— Faites-moi donc inscrire au bureau pour le cabriolet, onze heures, la demi-journée. Nous voulons aller voir la nourrice avec le petit. »

Le premier mouvement du brave garçon fut d’obéir, mais il se ravisa.

« Ce n’est pas pour vous refuser, monsieur André, dit-il, mais je ne répondrais pas de Black, qui a le diable au corps.

— Donnez-moi la bride en main, allez ! Je n’aime pas voir ces oiseaux qui sont sous la voûte.

Le palefrenier se mit à rire.

Le fait est, grommela-t-il, que c’est un gibier qui ne vaut pas cher ! »

En même temps, il fit marcher Black jusqu’à la croisée et mit les rênes dans la main d’André.

« Une petite minute, » dit-il en disparaissant sous la voûte.

Dès qu’André ne le vit plus, il lança la valise dans le tilbury. Julie avait dit : Je suis prête. Elle était là. André l’aida à franchir l’appui de la croisée, et la fit monter dans le tilbury où il prit place auprès d’elle.

En ce moment, Mme Schwartz, par hasard, mit la tête à sa croisée, et s’écria :

« À l’aide ! voici les voleurs qui s’évadent ! »

Julie chancela sur l’étroite banquette. André passa son bras autour de sa taille pour la soutenir et saisit les rênes de la main droite. Black piétina des quatre pieds, puis s’ébranla, obéissant au mouvement du jeune ciseleur qui lui fit faire le tour de la cour pour avoir du champ. Bien lui en prit, car Mme Schwartz était déjà à la fenêtre de la rue, poussant des cris d’aigle et disant :

« Au voleur ! à l’assassin ! au feu ! »

Black, lancé du premier coup à toute bride, franchit la voûte d’un élan. Les hommes de police qui étaient là s’effacèrent contre la muraille. Ceux de la place des Acacias, ainsi que les gardes de ville et les gendarmes, avertis par Mme Schwartz et par le commissaire lui-même qui avait rejoint sa femme et qui se démenait à sa fenêtre sur le devant, se portèrent comme il faut à leur devoir. Mais ce Black était un diable. Il passa près d’eux comme un tourbillon et tourna l’angle de la place, tandis qu’un concert de voix clamait :

« Arrêtez ! arrêtez ! »

Il eût fallu pour cela un rassemblement barrant complètement la rue ou quelqu’un de ces hardis citoyens qui se jettent les yeux fermés au-devant du péril ; je dis les yeux fermés, car tout œil ouvert eût vu dans la main droite d’André, qui tenait à présent les rênes de la main gauche, un pistolet haut et armé, — et derrière le pistolet une pâle figure qui menaçait plus terriblement que l’arme elle-même.

André était droit et ferme sur le siège. À son épaule s’appuyait la tête de sa femme évanouie.

Il était de bonne heure encore et les passants allaient rares dans la rue. Il ne se trouva aucun héros disponible pour barrer efficacement la route au tilbury. Pendant que Mme Schwartz, hors d’elle-même et manquant l’occasion de venger en une seule fois tous ces jugements où Pâris caennais ne lui avait pas décerné la pomme, se démenait, criant : « les hommes sont des lâches ! » Pendant que M. Schwartz, plus sensé, mettait en réquisition les chevaux du loueur et montait ses agents avant d’envoyer des ordres à la gendarmerie, André avait tourné l’angle des Acacias et prenait au grand galop la rue Guillaume-le-Conquérant. La clameur de haro le suivait, mais déjà moins distincte. Les passants, étonnés, mais paisibles, se bornaient à regarder ce tourbillon qui passait. Black s’en donnait à cœur joie ; les roues du tilbury bondissaient sur le pavé.

Quand le léger attelage déboucha sur la place Fontenelle où se tient le marché, on n’entendait plus derrière lui qu’une rumeur lointaine. André ralentit le pas, car il avait à ménager son cheval. Ceux qui le rencontraient désormais s’étonnaient bien un peu de voir cette blanche tête de femme sur son épaule ; mais chacun mène, en Basse-Normandie, son ménage comme il l’entend, et la perversité des cinquante séducteurs, tant civils que militaires, avait peut-être fini par indisposer M. Maynotte.

« Bonjour, monsieur Maynotte. »

Il y en eut plus de vingt pour le saluer ainsi poliment, sans autrement s’occuper de la jeune femme.

Et l’un des cinquante don Juan, plus matinal que les autres, tira son chapeau, songeant déjà aux moyens à prendre pour se faire dire par plus idiot que lui : « C’est vous, mauvais sujet, qui êtes cause de tout cela ! »

Cinq minutes après, les agents à cheval passèrent, puis vint la gendarmerie. Ah ! si nous avions su ! s’écrièrent tous ces Normands valeureux. Ah ! le coquin l’a échappé belle !

Mais comment deviner ? Nul ne savait que la caisse du banquier Bancelle avait été dévalisée. Quand tout le monde le sut, il se forma une imposante cohue, non pas pour courir sus au voleur, mais pour assiéger le logis du volé.

La maison Bancelle faisait des affaires avec tout le commerce campagnard. Son chef avait bien fait de perdre la tête d’avance : c’était jour de payements ; l’armée de ses créanciers parlait déjà de le vendre au poids. Nous ne plaisantons pas en Basse-Normandie ! Quand la foudre brûle un de nos débiteurs, tête-bleu ! nous lavons les cendres pour y retrouver un brin de notre argent !

Ce M. Bancelle était si riche ! On l’avait envié si fort ! Ne roulait-il pas carrosse ? Et cette caisse venue de Paris ! Que peut-on apporter de Paris, sinon des pièges ? Il était coupable : on ne doit pas se laisser voler !

Mais, heureusement pour vous, lecteur, notre récit court en ce moment la poste et nous n’avons pas le loisir de mettre sous vos yeux les obscènes colères des créanciers bas-normands. Nous dirons seulement que la charité publique appliqua, ce jour-là même, plusieurs centaines de protêts sur les blessures de ce pauvre cadavre commercial qui gisait écrasé par un coup de massue.

André Maynotte avait traversé toute la ville et franchi l’Orne au pont de Vaucelles. Black galopait sur la route de Vire. Il faisait beau ; le bon cheval aspirait les fraîcheurs du matin et brûlait le chemin gaiement. Au sortir de Caen, la route, sablée de rouge, file en ligne courbe vers l’ouest à travers les jardins et gravit la pente douce d’un coteau. André, qui réchauffait Julie contre son cœur, était en proie à une exaltation joyeuse ; il se sentait inattaquable. Quand il se retourna au sommet de la côte et qu’il vit au loin, dans un nuage de poussière, une escouade de cavaliers acharnés sur sa trace, il la brava d’un sourire. C’était par derrière que venait le danger ; l’espace était devant lui, et il lui semblait désormais qu’il avait des ailes.