Les Hautes Montagnes/15

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(p. 31-34).

15. La jeune Valaque parle avec les enfants.

Les enfants se sont assis sur le plaid qu’Aphrodo leur a étendu sur le coffre. Ce coffre était décoré de peintures et il semble que c’était le beau.

Sinon elle aurait fait assoir les enfants sur l’autre qui se trouvait plus loin, mais il était noir et vieux, peut-être celui de la grand-mère.

Aphrodo restait debout, et pendant que filait sa quenouille et que tournait son fuseau, elle parlait aux enfants.

Elle demanda à Phanis et à Dimos s’ils avaient une sœur et son âge, et aussi son prénom.

Ensuite les enfants lui demandaient ceci et cela, au sujet des moutons, des étables, des montagnes. Et Aphrodo leur racontait, en filant, la vie des Valaques dans les montagnes et dans les plaines, en été et en hiver.


Ils apprirent des milliers de choses dont ils n’avaient jamais entendu parler. Comment des milliers de brebis et de chèvres donnent le lait, le fromage, le beurre, la laine, la viande pour nourrir les gens. Les troupeaux sont heureux là où ils trouvent des pâturages. Mais il n’en va pas de même pour ceux qui les gardent.

Les Valaques mènent une vie difficile ! Ils luttent contre les hivers rigoureux, contre les rochers, contre les rivières.

Ils vont d’un endroit à un autre, par monts et par vaux. Aujourd’hui ils construisent leur cabane ici, demain ça sera plus loin, où il y a de l’herbe et du feuillage. Leurs maisons ne sont pas solides et tu ne peux rien faire tenir dedans.

Ils travaillent du matin au soir ; pâturage, filage, traite, pétrissage, soin du troupeau. Peu de sommeil : veillée et ronde de nuit.


Voilà ce que racontait Aphrodo.

Mais tandis qu’elle parlait debout, regardant sa quenouille, filant la laine, elle avait un sourire si charmant qu’elle ne semblait pas avoir de soucis.

« Mais tu ne laisses pas les brebis pour venir en bas avec les filles de chez nous ? » dit Phanis.

Aphrodo se mit à rire et répondit qu’elle ne les laisserait pas pour tous les trésors du monde. C’est ici qu’est sa famille, père, mère, beaux-parents, grands-parents ; la lignée vieil-Athanase, pour ainsi dire. Mais pas seulement, il y a aussi une autre parentèle.

« Je suis parente avec chaque arbre… dit-elle. Ici, buissons et Valaques, nous ne faisons plus qu'un après tout ce temps passé ensemble. Ensemble nous vieillissons, ensemble nous prenons l’averse et la neige, ensemble nous prenons le soleil. Eux aussi ont une main et caressent, une voix et chantonnent ; tu n’entends donc pas le murmure du vent ! Et les petits, comme mon frère Lambros, les grands comme Papy, tous me connaissent comme ils connaissent tous les rochers, toute la famille.

Là-bas sous son ombre un pin accueille à midi une centaine de nos moutons. Il fait partie de nos camarades aussi : les arbres le jour, et le soir les étoiles qui nous éclairent au pâturage.


Sur la quenouille d’Aphrodo la laine donnait beaucoup de fil qui s’enroulait sur le fuseau pendant la discussion. Et elle filait sans cesse pour ne pas perdre de temps.

De temps en temps elle disait un mot que les enfants ne comprenaient pas tout de suite, seulement d’après le sens général. Elle disait berge pour année, choucard pour beau, manouche pour homme. Mais les enfants ne se souvenaient pas qu’une jeune fille leur ait parlé avec tant de beauté.

Et quand elle est sortie un instant, parce qu’elle avait entendu le papy qui arrivait, ils ont compris ses mots sur le lien de famille avec les arbres : vraiment, on aurait dit un buisson !