Les Hirondelles (Esquiros)/Sodôme.

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Eugène Renduel (p. 231-235).




SODOME.


Sodôme.



La voyez-vous courir la ville échevelée
Avec ses yeux hagards, sa poitrine essoufflée,
Sa robe de fête en lambeaux,
Sa ceinture aux longs plis sur ses flancs déliée,
Et sa couronne d’or en tombant oubliée
Qui ne brille plus aux flambeaux ?


Son amant, dans la nuit, l’a surprise infidèle ;
Depuis, pour la punir, il a détourné d’elle
Son cœur une fois soulevé :
Mais elle, le cherchant dans les places publiques,
Roulant des pleurs de rage et des regards obliques,
En vain fatigue le pavé.

Ses ongles ont meurtri sa poitrine d’ivoire ;
Ses cheveux ont blanchi ; sa guirlande de gloire
S’effeuille sous les pieds humains ;
Elle est folle, et pareille à l’antique bacchante
Qui, le front couronné d’ache vert et d’acanthe,
Jouait avec du sang aux mains ;

Elle frappe les murs de sa tête ; sans trêve
Sur la fange en hurlant se roule ; se relève
Avec des rires inconnus ;
Puis, ouvrant ses deux bras, découvrant son sein tiède,
Entraîne malgré lui le passant qu’elle obsède
Et le couche sur ses flancs nus.

Les baisers ont froissé sa bouche violette,
Des bras lascifs, jouant sur son corps qui halète,
Le meurtrissent d’embrassemens ;
Le regard dans ses yeux s’éclipse ; ses mamelles
Pendent en se gonflant sous ses désirs femelles,
Et sortent de ses vêtemens.


La voyez-vous surgir la grande concubine,
Tout un peuple étreignant sur sa large poitrine
Avec un sourire vainqueur.
Mais, emplissant d’enfans ses entrailles fécondes,
Elle ne peut, au sein de ses plaisirs immondes,
Combler le vide de son cœur.

Cette ville en chaleur c’est Sodôme ou Lutèce
Qui, de l’impureté la reine et la déesse,
Sèche sous des désirs de feu :
Ce maître qu’elle cherche en parcourant la terre,
Cet époux qui rejette une femme adultère,
Cet amant outragé… c’est Dieu.


Avril 1833.