Les Hirondelles (Esquiros)/La Fiancée du couvent.

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Eugène Renduel (p. 223-230).


LA FIANCÉE DU COUVENT.



Signor Saciez, ki or ne s’en ira

Encele terre, u Diex fus mors et via
E ki la croix d’outremer ne prendra

A paines, mais ira en paradis.
Thibault.


La Fiancée du couvent.


NOUVELLE.


Tu veux donc me quitter ? Le vent gonfle ta voile,
Le nocher dans les cieux a choisi son étoile ;
Loin de ton lieu natal tu veux fuir, et pourquoi ?
Sous le ciel d’Orient, aux champs de Palestine
Où glisse ta nef byzantine,
Va, l’on n’aime pas mieux que moi !


— C’est pour toi que je pars ; en gardant ta mémoire
Comme une fleur pour toi je vais cueillir la gloire ;
Car je ne suis encor qu’humble ménétrier,
Et sur le dos mouvant d’un coursier qui s’élance,
Ma main n’a pas brandi la lance,
Ni mon pied foulé l’étrier.

— Mais on dit que là bas des péris et des fées
Auxberceaux des enfans suspendent leurs trophées,
Qu’un rayon du soleil brille dans leurs yeux noirs ;
Et que des oiseaux bleus aux voix harmonieuses,
Pour les vierges capricieuses
Chantent auprès des vieux manoirs.

— Et que me font à moi les yeux noirs des sultanes,
Les oiseaux merveilleux chantant sous les platanes,
Les roses au zéphyr ouvrant leur sein ami,
Le regard des houris qui brille dans les songes,
Et tous ces gracieux mensonges,
Puisque tu m’aimes, Nohémi !

— Ce pays est si loin que je crains que ta voile
Sur les flots inconstans ne perde son étoile.
En me laissant ainsi n’as-tu pas de remords ?
Pour te suivre si loin que ne suis-je hirondelle !
Car je vois la mer infidelle
Hennir comme un coursier sans mors.


— Ne crains rien, Nohémi, car sa vague si pure
A caressé souvent ma longue chevelure ;
Je suis sur ces rochers frère de l’Océan,
Et pour guider ma nef amour sera ma voile,
Ton souvenir ma bonne étoile
Et ce baiser mon talisman.

— Oh ! ne me quitte pas ; cède à mon vœu rebelle ;
Peut-être à ton retour je ne serai plus belle !
Pourtant je t’obéis puisque fille le doit :
Mais pour que loin de moi, souvent il te souvienne
Qu’une main aspire à la tienne,
Oh ! mets cette bague à ton doigt.

— Sous un ciel étranger ne crains pas qu’on t’oublie,
J’emporterai partout ton image embellie :
Mais je laisse, en fuyant du séjour des hivers,
Mon soleil dans tes yeux, près de toi mon empire,
Mon doux printemps dans ton sourire
Et dans ton cœur mon univers.

Adieu I — Déjà la nef sous le frein mugissante
Fend la mer, en ouvrant son aile frémissante.
Pense à moi ! — Dans les airs vole un dernier baiser,
Et le vaisseau, roulant dans l’Océan immense,
Parfois jusques aux cieux s’élance,
Ou semble aux enfers s’abaisser.


II.


— Voici plus de deux ans que l’ingrat m’a quittée !
Je regarde toujours : mais sur l’onde agitée,
Pas de blanc pavillon qui flotte au gré du vent,
Pas de nef qui là-bas à mes yeux se dévoile,
Et demain, cependant, je dois prendre le voile,
Dieu ! qu’il arrive auparavant !
 
Madone de ces lieux, te souvient-il encore
Quand le lac blanchissait aux rayons de l’aurore,
Que nous t’invoquions auprès du coudrier ;
Alors j’avais la foi, j’étais bonne et moins haute :
Depuis qu’il est parti, ce n’est pas de ma faute,
Vierge, je ne puis plus prier !

Au moins, si je voyais une blanche colombe,
Messagère d’amour et dont l’aile retombe :
5’il m’envoyait son ange en mes songes jaloux ;
Mais non : je vais mourir seule en un cloitre austère,
Car, perdant son amour, après lui sur la terre
Je ne veux que Dieu pour époux. —


Cependant sur les flots la nuit mélancolique
Descendit de son char au coursier symbolique :
La lune dans les cieux s’avançait à grands pas :
La brise soupira comme une douce harpe,
L’aube laissa sur l’eau flotter sa blanche écharpe,
Mais le guerrier ne revint pas.

Nohémi se penchait sur les vagues d’opale,
La lune d’un rayon argentait son front pâle,
Des larmes dans les flots tombaient de ses beaux yeux,
Ses tresses sur son cou gémissaient débouclées.
Et le vent, caressant ses lèvres désolées,
Emportait sa prière aux cieux.

Dans le temple pourtant les cierges saints s’allument,
Sous les doigts d’un enfant la cire et l’encens fument :
Le prêtre est à l’autel qui murmure des mots :
Les vierges sur deux rangs suivent une bannière,
Et des voix, cadençant leur ardente prière,
Réveillent les pieux échos.

Où donc est Nohémi ?… Pâle comme l’aurore,
Mains jointes sur son sein qu’un rayon du ciel dore,
Elle paraît ; des pleurs tremblent dans ses yeux bleux,
Son front près de l’autel s’incline sans murmure,
Et sous le fer tranchant sa longue chevelure
Retombe en anneaux onduleux.


Sous un lin virginal elle voila ses charmes,
Mais on vit dans ses yeux rouler deux grosses larmes,
Sur ses lèvres trois fois expira le serment :
Son beau corps disparut sous un pâle suaire,
Elle pria tout bas et le drap mortuaire
Glissa sur elle en l’enfermant.

Une porte aussitôt s’ouvre ; le glaive brille,
Un guerrier en trois pas s’élance vers la grille :
Son œil jette du feu : l’autel est menacé :
Il écarte le prêtre, épouvante les vierges,
Et lève le drap noir… à la clarté des cierges
Gisait par terre un corps glacé !

Septembre 1833.