Les Historiettes/Tome 2/11

La bibliothèque libre.
Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 2p. 50-51).


LE DUC DE BRÉZÉ[1].


Le duc de Brézé fut élevé par les soins du cardinal de Richelieu. Il n’avoit pas un grand esprit ; il étoit timide et embarrassé. Il ne laissoit pas pourtant d’être glorieux, et il se tenoit découvert tout le matin afin qu’on ne se couvrît pas. Le cardinal de Richelieu, en le voyant, haussoit les épaules, et disoit à madame d’Aiguillon : « Ma nièce, quel successeur ! » Il étoit brave cependant et libéral ; il donnoit beaucoup à sa sœur. Benserade avoit trois mille livres de pension de lui.

Avant que d’aller à Orbitello, où il fut tué en sa charge d’amiral, il voulut voir de quoi on paieroit ses créanciers s’il mouroit, et s’étant satisfait sur cela, il partit content. On trouva après sa mort qu’il donnoit près de cinquante mille livres tous les ans. Son précepteur, l’abbé d’Aubignac[2], en a eu pour récompense quatre mille livres de pension viagère. M. le Prince les lui a disputées, et le pauvre abbé n’en jouit que depuis que ce héros est hors de France ; il s’est accommodé avec les économes.

Le malheur du duc de Brézé fut d’avoir trouvé Du Dognon[3], qui l’empauma de telle sorte qu’on pouvoit dire qu’il ne faisoit que ce que l’autre vouloit. À la mort du duc, Du Dognon, qui étoit vice-amiral, quitta tout et s’alla saisir de Brouage et de La Rochelle. Les Mémoires de la Régence diront le reste.

Ç’a été un grand tyran. Il fit faire un balustre dans le chœur de l’église de Brouage, où il entendoit seul la messe. Pas une femme n’y eût osé entrer. On fermoit les portes de la ville quand il dînoit. Il avoit cent gardes montés comme des saint George, et rançonnoit fermiers et marchands. Grande maison, grand équipage, tout cela bien réglé, et point de désordre, pourvu qu’on fît tout ce qu’il vouloit.

  1. Armand de Maillé Brézé, duc de Fronsac, amiral de France, né en 1619, tué au siége d’Orbitello, le 14 juin 1646.
  2. Auteur de la Pratique du théâtre.
  3. Second fils de Saint-Germain Beaupré. (T.)