Aller au contenu

Les Historiettes/Tome 3/41

La bibliothèque libre.
Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 263-269).


LA MONTARBAULT,
SAMOIS, ET DE LORME.


La Montarbault étoit fille d’un fermier d’Anjou : elle fut mariée à un homme de la condition de son père ; mais elle le quitta bientôt, soit qu’elle se fût fait démarier, ou autrement. Elle vint à Paris, où elle fut entretenue par De Lorme, le médecin. Cet amant ne lui étant pas assez fidèle pour l’arrêter, elle voulut faire une finesse qui lui pensa coûter bon. Elle prit du poison, et ensuite de l’antidote ; mais elle avoit pris du poison en telle quantité, que si De Lorme ne fût survenu à propos, elle passoit le pas ; encore eut-il bien de la peine à la sauver. Depuis elle épousa un gentilhomme nommé Montarbault, à qui elle ne voulut jamais rien accorder qu’ils ne fussent mariés. Cet homme s’en lassa bientôt ; car, quoiqu’elle fût belle, elle avoit l’esprit si turbulent, si enragé, qu’on ne pouvoit vivre avec elle. Sa beauté commençant à diminuer, elle se mit à souffrir ; elle avoit un million de secrets, et voyant qu’elle se décrioit à Paris, elle alloit faire de petits voyages dans les provinces. Une fois elle fit si bien accroire au duc de Lorraine qu’elle faisoit de l’or, qu’on a vu des lettres de lui par lesquelles il la recommandoit comme la personne du monde la plus nécessaire à son État ; mais enfin cela alla si mal pour la pauvre alchimiste, qu’au lieu d’en rapporter de grandes richesses, elle y perdit pour sept à huit mille livres de pierreries que le duc lui prit quand il vit que c’étoit une affronteuse. Après plusieurs promenades, elle rencontra un Anglois qui se vantoit d’avoir trouvé l’invention de faire des carrosses qui iroient par ressort ; elle s’associa avec cet homme, et dans le Temple[1] ils commencèrent à travailler à ces machines. On en fit une pour essayer, qui véritablement alloit fort bien dans une salle, mais n’eût pu aller ailleurs, et il falloit deux hommes qui, incessamment, remuoient deux espèces de manivelles, ce qu’ils n’eussent pu faire tout un jour sans se relayer ; ainsi cela eût plus coûté que des chevaux.

Ce dessein avorté, elle accusa de fausse monnoie, car elle s’y entendoit fort bien, et c’étoit là toute sa pierre philosophale, un nommé Morel, qui avoit été commis de Barbier ; mais elle, au contraire, fut accusée, et eut bien de la peine à se débarrasser.

En un voyage qu’elle fit en Normandie, le fils de la sœur de Chandeville[2], qui étoit neveu de Malherbe ; la vit chez un gentilhomme. Il en devint amoureux, et cela n’est pas étrange, car il étoit jeune, et elle avoit encore de la beauté, étoit cajoleuse, et débitoit agréablement ; elle avoit changé de nom. Il fit en sorte auprès de sa mère, qui étoit veuve, qu’elle priât la Montarbault de venir chez elle. Cet adolescent, qui apparemment la trouva assez facile, la retint deux mois entiers chez sa mère, qui, charmée de cette femme, lui donna sa fille, qui sortoit de religion, pour lui faire voir le monde. Cette mère, comme on peut penser, n’étoit pas plus sage que de raison ; elle avoit toujours été une extravagante, qui se vouloit battre en duel à tout bout de champ. Voilà ces jeunes gens à Paris, logés dans le Temple, chez la Montarbault. Les voisins s’étonnoient fort de voir chez cette femme une jeune fille bien faite ; il arriva par hasard que la femme-de-chambre de mademoiselle de Rambouillet, qui étoit une fille fort adroite, se trouva un jour chez une femme de ses amies au Temple, où elle vit cette jeune demoiselle, qui, ayant appris que cette fille coiffoit si bien, la pria de trouver bon qu’elle se fît coiffer par elle à l’hôtel de Rambouillet. Elle y fut, et cela fut rapporté à madame la marquise, qui s’informa si bien qu’elle sut que c’étoit la nièce de feu Chandeville, qu’elle avoit donné autrefois à M. le cardinal de La Valette. Le frère, qui avoit accompagné sa sœur, fut contraint d’aller saluer madame de Rambouillet, et lui fit un galimatias qui faisoit assez voir qu’il y avoit de l’amour, et qu’il n’avoit osé la venir voir de peur que cela ne se découvrît. Enfin, quelques parents qu’ils avoient ici renvoyèrent cette fille à sa mère. On lui fit avouer que la Montarbault l’avoit voulu mener plusieurs fois chez M. de Chevreuse et ailleurs, et que pour y faire consentir le frère, elle lui disoit : « Cela me servira, parce que ceux à qui j’ai affaire aiment à voir de belles personnes. » Ce garçon, qui s’appeloit Samois, demeura à Paris. Quelque temps après il vint retrouver madame de Rambouillet, et lui dit qu’il recherchoit une fille fort riche, et qu’il n’y avoit qu’une difficulté à l’affaire : c’est qu’il s’étoit vanté d’être parent de MM. de Montmorency, et qu’on souhaitoit qu’il fût reconnu pour tel. « Sur cela, madame, continua-t-il, je me suis adressé à vous, comme à une personne qui aimoit fort feu mon oncle, pour vous prier d’obtenir cette grâce de madame la princesse. » La marquise, au lieu de lui dire les véritables raisons qu’il n’eût pas comprises, lui dit qu’elle n’étoit pas en état de sortir. Un mois ou deux après, il revint la voir, et lui dit qu’il étoit marié, mais le plus malheureusement du monde. « J’avois recherché l’une des deux filles de la baronne de Courville, auprès de Châteaudun. Ces filles étoient en pension dans une religion à Paris. Je la fus demander à sa mère : elle qui, quoiqu’elle ait cinquante ans, est encore assez passable, me dit que pour ses filles elle ne les vouloit point marier, mais que si je voulois l’épouser elle, j’y trouverois mieux mon compte, et qu’elle avoit bien du revenu. Nous nous marions, mais j’ai épousé un diable ; elle a toujours le bâton à la main ; elle bat ses gens et ses paysans à outrance ; et pour moi, le lendemain de nos noces, elle me dit mille injures. » En disant cela, le galant homme dit toutes les injures de harangères et de crocheteurs. Madame de Rambouillet, surprise de cela, le pria de ne dire plus de ces choses-là. « Vraiment, madame, ce n’est pas là tout ; ma mère et ma sœur la vinrent voir ; elle les appela ..... (là, il en dit de plus terribles que les autres). Elle passa bien plus avant ; elle frappa ma mère ; ma mère le lui rendit ; elle mit ma mère en prison ; ma mère l’y mit à son tour ; elle m’a battu ; je l’ai battue. Enfin, après bien du vacarme, nous sommes venus à Paris. Tout le jour elle ne fait qu’escrimer. » Madame la marquise disoit qu’elle espéroit que ces deux femmes se battroient enfin en duel. « Elle mange, ajouta-t-il, quarante huîtres tous les matins (c’étoit en carême), et pour moi et mes gens, elle nous fait mourir de faim. »

Or, cette madame de Courville, comme je l’ai appris dans le pays, durant la vie de son mari et après, s’étoit toujours divertie ; et n’ayant plus aucun reste de beauté, elle avoit été contrainte de prendre un homme qui lui servoit de maître-d’hôtel et de galant tout ensemble. Samois le trouva un jour couché avec elle ; mais comme il voulut faire du bruit, elle lui dit : « Vous avez pu savoir mon humeur, et vous ne devez pas prétendre que je vive mieux avec vous qu’avec mon premier mari. » Samois voulut décharger sa colère sur cet homme, mais, comme il est débonnaire, il se contenta de le chasser. Il enferma pourtant sa femme, et ne la laissoit voir à personne. Un conseiller au Châtelet de Paris, qui avoit été autrefois fort bien avec elle, sut qu’elle étoit prisonnière, et envoya un homme qui adroitement se glissa dans la maison, un jour qu’un gentilhomme avoit eu permission de lui parler ; il lui dit la bonne intention du conseiller, qui envoya un lieutenant du prévôt de l’hôtel pour la délivrer. Ce lieutenant mit le mari et la femme bien ensemble. Quelque temps après une affaire les obligea à venir à Paris tous deux. L’argent manqua bientôt au cavalier, qui, pour en avoir, vendit les chevaux et le carrosse de sa femme ; mais elle, n’entendant point raillerie, trouva moyen de le faire mettre au Châtelet pour dettes. Je pense que le conseiller ne nuisit pas à cette affaire. Depuis, il vint demander franchise à l’hôtel de Rambouillet, parce qu’il avoit été, disoit-il, d’un duel. Celui à qui il parla lui dit qu’il n’y seroit pas en sûreté. « Comment, répondit-il, et n’est-ce pas un hôtel ? »

Pour De Lorme[3], dont nous avons parlé ci-dessus, les eaux de Bourbon, qu’il a mises en réputation, l’y ont mis aussi lui-même[4]. Il a gagné du bien et est à son aise. On dit qu’il prétendoit que ceux de Bourbon lui érigeassent une statue sur les puits ; il se fit faire intendant des eaux, puis vendit cette charge. On l’accuse d’avoir pris pension des habitants pour y faire aller bien du monde, et il y a grande apparence, car sous ce prétexte il ne voulut jamais payer pour quarante écus de ciseaux et de couteaux qu’il avoit pris à la Flèche et à Moulins, et il trouva fort étrange qu’on les lui demandât, comme s’ils ne lui étoient pas assez redevables à lui qui faisoit aller tant de gens à Bourbon, et qui disoit à tous que la Flèche étoit la meilleure boutique. Que ce soit cela ou autre chose, le maître s’est fait riche. Ce fut l’an 1656 qu’il fit cette vilainie. Il étoit allé accompagner à Bourbon l’abbé de Richelieu et ses sœurs ; il avoit avec lui sa demoiselle, car il ne va point sans cela, et il fallut que madame d’Aiguillon le souffrît. À cette heure qu’il est vieux, il craint le serein, et dès que cinq heures sonnent, il se met je ne sais quelle coiffe de crapaudaille[5] sur la tête, qui, avec son habit de satin à fleurs et ses bas couleur de rose, le font de la plus plaisante figure du monde.

J’ai ouï conter à feu Malleville une bonne chose de cet homme ; il s’est toujours mêlé de belles-lettres. Malleville lui montra une grande élégie qui s’appelle Impatience amoureuse. « Hé ! lui dit-il, combien faut-il de vers pour une pièce de théâtre ? — Quinze cents ou environ, dit Malleville. — Vraiment, ajouta le médecin, vous en devriez faire une, voilà déjà le tiers des vers fait. »

  1. Dans l’enclos du Temple, à Paris.
  2. Éléazar de Sarcilly, sieur de Chandeville, neveu de Malherbe, mourut à l’âge de vingt-deux ans. Ses Œuvres poétiques ont été publiées dans le Recueil de diverses poésies des plus célèbres auteurs du temps ; Paris, Chamhoudry, 1651, petit in-8o, 2e partie, p. 85. Ce Recueil a eu d’autres éditions.
  3. Jean De Lorme, premier médecin de trois de nos rois, mourut en 1678, âgé de près de cent ans. Il est l’inventeur d’un bouillon rouge, dont il faisoit la panacée universelle. On voit dans un livre intitulé : Moyens faciles et éprouvés dont M. De Lorme, premier médecin et ordinaire de trois de nos rois………, s’est servi pour vivre près de cent ans (Caen, 1683), les précautions singulières qu’il prenoit pour se préserver du froid et de l’humidité. Il se tenoit durant l’hiver dans une chaise à porteur devant son feu. Il avoit un lit de brique, couchoit habillé avec six paires de bas drapés et des bottines, etc., etc., etc. On renvoie les lecteurs à ce bizarre ouvrage.
  4. Il conte lui-même qu’il donna des coups de bâton à un médecin de la Faculté. Madame de Thémines, depuis maréchale d’Estrées, avoit un fils fort malade. De Lorme demanda du secours ; on appela M. Duret et un autre. Quand ce fut à entrer, Duret, comme le plus vieux, passa ; l’autre médecin, comme étant de la Faculté de Paris, le suit. De Lorme, en présence du maréchal d’Estrées, qui recherchoit la marquise, prend un bâton de cotret et rosse cet homme qui se sauve. Duret s’enfuit ; on court après lui. « Hé ! monsieur, vous n’ordonnez rien pour mon fils. — Faites-le saigner, madame. » Et jamais on ne put le faire revenir. De Lorme pouvoit avoir alors quarante-cinq ans. (T.)
  5. Étoffe du temps.