Les Knabenhorte en Allemagne (Pædagogium)

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Les Knabenhorte en Allemagne (Pædagogium)
Revue pédagogique, second semestre 1885 (p. 470-472).

La surveillance des enfants après la classe. — L’une des causes les plus visibles de la démoralisation de la jeunesse, c’est la vie des rues se substituant à la vie de famille. Les fabriques, les grands ateliers absorbent le travail ; le père, la mère ne peuvent plus se livrer à leurs occupations dans leur domicile ; le chantier, la manufacture les réclament le matin de bonne heure, ne leur rendent la liberté que le soir. Parfois dans la journée, la mère peut s’échapper un instant, préparer le repas des enfants qui reviennent de l’école ; mais ceux-ci, abandonnés à eux-mêmes, passent dans les rues le temps où l’école ne les garde pas. Heureux quand ils ne prennent pas ensemble l’habitude de courir pendant l’heure des classes et de se soustraire à toute surveillance pour faire l’apprentissage du vice.

Le Pœdagogium raconte quelques-unes des tentatives qui ont été faites dans les grandes villes d’Allemagne pour remédier à ce mal. Des institutions se sont fondées pour recevoir les enfants abandonnés et remplacer pour eux autant que possible la famille. En dehors des internats pour les orphelins ou les enfants abandonnés, des philanthropes ont organisé des sortes d’ateliers de travaux faciles, où les enfants puissent s’occuper en commun pendant les heures que l’école leur laisse, et qu’ils passent habituellement à vagabonder dans les rues. On leur fait fendre du menu bois, rouler des cornets, tresser des paillassons, trier des légumes, etc., etc. Ils gagnent quelques sous et sont occupés. C’est déjà un progrès.

Mais on peut faire et on fait mieux encore. On a établi ce qu’on appelle des asiles de garçons (Knabenhorte), qui ont simplement pour objet de recueillir les enfants à leur sortie de l’école jusqu’à l’heure où ils peuvent rentrer dans leur famille, et de leur fournir les moyens -de s’amuser et de travailler sous une surveillance. Le difficile est d’éviter de donner à ces sortes d’externats surveillés les allures d’une ’école ; la nécessité de la discipline avec des enfants nombreux, assez mal élevés et d’âge différent, imposent certaines règles qui peuvent rebuter les garçons et les rejeter dans la rue d’où l’on veut les retirer.

Le Dr Sachse, directeur d’un asile de garçons à Leipzig, croit avoir atteint le but. Son asile n’est pas, comme les autres, une institution due exclusivement à l’initiative privée ; le conseil municipal en a pris la charge et a par conséquent levé une des principales difficultés. Il a donné pour cet usage une belle classe attenant à une de ses écoles, et les enfants peuvent profiter des préaux et du gymnase. De plus, il attribue une somme de 1, 500 marcs pour le traitement d’un maître surveillant et les frais de diverse nature.

Les enfants n’ont donc pas de chemin à faire pour se rendre à l’asile ; ils le trouvent ouvert tout près d’eux dès la sortie de la classe. Ils s’y rendent chaque jour à quatre heures ; le mercredi et le samedi Où il n’y a pas de classe d’après-midi, ils s’y rendent à deux heures. La sortie a lieu à sept heures du soir.

L’instituteur, qui peut voir les enfants en liberté, apprend à les mieux connaître, et peut leur donner d’utiles conseils à l’occasion. Ils se montrent là souvent sous un meilleur jour qu’à l’école ; tel qui est lent à l’étude se montre ingénieux et actif dans des travaux de son choix. On leur donne en effet tous les moyens possibles de s’occuper, pendant les longues heures qu’ils passent.à l’asile, où ils aiment à confectionner, chacun selon son goût, les objets les plus variés. Ils peuvent, à leur gré, travailler séparément ou se livrer à une occupation commune.

À une exposition des travaux de l’asile qui a eu lieu à Pâques, On pouvait voir de petits théâtres, des chambres de poupée, des boites et cartons de toute sorte, des corbeilles, des empreintes en plâtre de monnaies, de médailles et de feuilles, des crochets, des patères, des objets de tour, de découpage, des crosses de fusil, des damiers, etc. Quelques-uns confectionnent les étiquettes du jardin botanique, des reliures simples, des corps géométriques, une chambre obscure, quelques instruments de physique.

En même temps que c’est un excellent moyen d’occuper les loisirs arrachés au vagabondage, ce sont des occasions de s’instruire, de s’intéresser, de se développer, d’acquérir de l’initiative, de l’adresse, de prendre goût et plaisir au travail.

Deux maîtres sont chargés de la surveillance à tour de rôle. Il n’y a place que pour quarante enfants. Ils ont trois établis, une grande table de travail, des armoires pour enfermer leurs outils et matériaux.

Après la collation, ils se rendent dans la salle d’études pour faire les devoirs de la classe. Puis ils sont libres. Selon le temps, ils restent dehors ou travaillent à l’intérieur. Parfois on les mène promener, enlever les cerfs-volants qu’ils ont faits eux-mêmes, patiner avec les patins qu’ils se sont confectionnés. En été on les mène fréquemment au bain, ils prennent des leçons de natation. Par le mauvais temps, ils restent à menuiser, coller, clouer, gâcher, etc. Quelquefois on fait des lectures ; d’autres fois on va jusqu’à jouer la comédie.

Bref, on s’efforce de remplacer la famille, de faire oublier la rue, de détruire le vagabondage dans son germe. Le Dr Sachse exprime le vœu que de tels asiles soient créés dans tous les quartiers de la ville de Leipzig. Ils pourraient rendre d’éminents services ailleurs encore.