Les Louanges de la paille
onsieur le duc d’Orleans, prenant un soin particulier non seulement de tout ce qui peut contribuer au restablissement general de l’estat, par l’extermination du Mazarin et de son party, mais encore de pourvoir au besoin particulier de cette ville, qu’il voyoit aucunement incommodée faute d’ordre, pour y faire venir les pains, bleds, farines et autres denrées necessaires pour la subsistance des habitans[2], convoqua assemblée en son palais d’Orleans l’aprèsdinée du cinquiesme de ce mois, où se trouvèrent Mademoiselle, monsieur le prince de Condé, le duc de Beaufort[3], à present gouverneur de cette ville, et plusieurs autres seigneurs de marque, conseillers de la cour et bourgeois affectionnez au bon party, lesquels ayant donné leur advis, il fut conclu qu’on envoyeroit des commissaires, tant du costé d’Orleans, Chartres, Melun, qu’autres lieux, pour achepter et faire venir en cette ville les bleds, farines, bœufs, moutons et autres choses necessaires pour la subsistance de la ville ; que, pour la seureté des convois, il y auroit des compagnies tirées des trouppes de Sa dite Altesse Royale qui leur serviroient d’escorte ; et que, pour la distribution desdits bleds et farine, elle se feroit en divers quartiers de la ville, sur le pied du prix de l’achapt, pour empescher le desordre qu’apportent ceux qui, voulans profiter de la misère publique, mettent un prix excessif au pain et auxdits bleds et farine[4].
De cet ordre on reconnoist la prudence et l’affection de son Altesse royale, de messieurs les princes et de l’Union, puisque, par ce moyen, non seulement les pauvres tireront un grand soulagement dans leur disette, mais encore les mieux accommodez se trouveront en seureté et hors de la crainte du pillage et de l’emotion que la necessité auroit pu exciter faute de vivres.
Ma foy, je ne m’estonne guiere
Fussiez vous plus saint qu’un apostre, Pour livrer un lâche corsaire Ils vuident aussi l’escarcelle |
- ↑ Le conseil où fut rendu ce règlement est du 5 août, selon M. Moreau, Bibliogr. des Mazarinades, t. 3, p. 35.
- ↑ La disette avoit été telle que, suivant une pièce de la même époque, Le Franc-Bourgeois montrant les veritables causes et marques de la destruction de la ville de Paris, plusieurs milliers de pauvres étoient morts de faim. Ce qu’on avoit vu en 1649 n’étoit rien auprès de ce qu’on voyoit alors.
- ↑ Il y avoit peu de jours qu’il avoit tué en duel le duc de Nemours.
- ↑ La pièce citée tout à l’heure, le Franc-Bourgeois, n’épargne pas les reproches aux meuniers et aux boulangers qui s’engraissoient de la disette publique, à ce point qu’on vit des meuniers demander huit et dix livres tournois pour la mouture d’un setier de blé. Il propose des moyens pour remédier a ces abus ; mais ces moyens, qu’on voulut mettre en pratique, échouèrent. (Bibliogr. des Mazarinades, t. 1, p. 411–412.)
- ↑ Depuis les premiers jours de juillet 1652, un brin de paille mis au chapeau étoit le signe de ralliement des Frondeurs. Ce jour, dit Loret dans sa Gazette du 7 juillet 1652,
Ce jour, par étrange manie,
De Paris la tourbe infinie,
Suivant un ordre tout nouveau,
Mit de la paille à son chapeau.
Si sans paille on voyoit un homme
Chacun crioit : « Que l’on l’assomme,
» Car c’est un chien de Mazarin. »
Mais, avec seulement un brin,
Eut-on quelque bourse coupée,
Eut-on tiré cent fois l’épée,Eut-on donné cent coups mortels,
Eut-on pillé deux mille autels,
Eut-on forcé cinquante grilles,
Et violé quatre cent filles,
On pouvoit avec sûreté
Marcher par toute la cité,
En laquelle, vaille que vaille,
Tous étoient lors des gens de paille.Plusieurs pièces parurent au sujet de cette paille : Le Bouquet de Mademoiselle, Apothéose de la paille, Triomphe de la paille sur le papier, Grand dialogue de la paille et du papier. Une des premières fois qu’on l’arbora, ce fut à la place Dauphine, le jour de l’échauffourée de l’Hôtel-de-Ville, dont il sera parlé tout à l’heure. (Mémoires de Retz, 1719, in-8, t. 3, p. 175.)
- ↑ Ce sont en effet les Frondeurs, décorés de la paille, qui avoient peu auparavant failli mettre le feu à l’Hôtel-de-Ville, et qui y avoient fait un grand massacre. On accusoit Condé de tout cela, ce qui fait dire à Loret :
En mémoire de l’incendie
Arrivé tout nouvellement,
Condé veut, quoi que l’on en die
Porter la paille incessamment.
Ma foi, Bourgeois, ce n’est pas jeu ;
Craignez une fin malheureuse,
Car la paille est fort dangereuse
Entre les mains d’un boute-feu.
- ↑ C’est en demandant l’union de la Ville et des Princes que les factieux avoient tenté l’attaque dont je viens de parler. (Mémoires de Retz, t. 3, p. 176.)
- ↑ Gaston, duc d’Orléans.
- ↑ Allusion au combat de la porte Saint-Antoine, soutenu peu de temps auparavant par Condé contre l’armée du roi.