Les Lucioles/01

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Calmann-Lévy, éditeurs (p. 1-78).




PREMIÈRE PARTIE














RONDE DES LUCIOLES

Au comte de Jarnac.


Monte, petite luciole,
Ma Luciole, vole, vole,
Sois pour l’amante et pour l’amant,
Joli petit feu voltigeant,
Sois la diaphane veilleuse.
Viens, douce lueur amoureuse !

ALPHONSE XIII À VERSAILLES

À Sa Majesté la reine Marie-Christine.
Juin 1905.

 J’étais sur le balcon, près de Louis de France :
Il était à cheval, superbe, glorieux.
Qui donc espérait-il ? un prince aimé, je pense.
Ah ! que de souverains ont passé sous ses yeux !

Son bras semblait chercher un être dans l’espace,
Un fils, un petit-fils, car il parut heureux ;
Le plus joli sourire illuminait sa face,
Et la foule attendait sous un ciel radieux.

Dans le lointain je vis une brillante escorte,
Un homme bel et grand, svelte, alerte et joyeux.
Versailles s’emplissait : la nombreuse cohorte
Poussait de longs hourras à l’hôte gracieux.
 
Le château se parait pour rajeunir son âge
Alors sous le soleil et… près du roi Soleil,
Alphonse descendit du brillant attelage,
Pour voir de son aïeul le palais sans pareil.
 
Le célèbre Nolhac, l’érudit de sa race,
Lui montra Trianon, les jardins, les tableaux,
Les sculptures du lieu, la galerie en glace,
Les charmilles, les fleurs, les jaillissantes eaux.

Et nous applaudissions la jeunesse et la grâce,
Et chacun était fier du royal visiteur.
Vive le roi charmant ! qu’il revienne et repasse
Et nos vieux cœurs émus s’empliront de douceur.

RICORDO DI SICILIA

À Monsieur Pierre de Bouchaud.


Ô Sicile embaumée et de gloire allaitée,
Sous ton ciel de saphir j’ai gravi bien des monts !
Antique Trinacrie, autrefois si chantée,
Je vois tes verts figuiers et tes jaunes citrons.

Je revois tes troupeaux et la bergère grecque
Au classique profil, à l’œil sombre ou pensif,
Et tes cloîtres normands où les fils de la Mecque,
De Sparte ou de Capri se reposent sous l’if.


Reçois mon souvenir, chapelle palatine,
Resplendissant bijou d’un merveilleux décor !
Oui, je rêve de toi, mosaïque opaline,
Harmonieuse et douce au fond du parvis d’or.
 
Je sens de ton Etna le soufre et la fumée ;
Puis la neige argentant la montagne aux flancs bleus ;
Et je monte et regarde en l’île parfumée
Ce panache effrayant de feu roux près des cieux.

Le cratère vomit l’étincelle et la pierre,
Éclairant le flot noir de tragiques lueurs ;
Et le temple couché comme un dieu dans sa bière
S’illumine parfois de sinistres fureurs.

Et la lave engloutit, hélas ! tout ce qui reste.
Mais le gouffre fécond a fait germer des fleurs
Et bourgeonner la vigne et la bruyère agreste

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je cueille des œillets où l’on versa des pleurs !

PLACE AUX VIVANTS !

À la Baronne de Baye.

 
Je vis un long mur blanc, puis des grilles ouvertes,
Des tertres et des croix dans un funèbre enclos,
Et des inscriptions, des buis, des touffes vertes,
Des marbres, des cyprès ; j’entendis des sanglots.

Et je me promenai, là, dans ce cimetière
Odorant de boutons sur le point de s’ouvrir ;
Et dans le champ des morts, foulant la molle terre,
Je ne comprenais pas pourquoi l’on doit mourir.

Orphelins étonnés et veuves en détresse,
Et prêtres en surplis s’avançaient sous mes yeux ;
Les petits d’un asile enterraient leur maîtresse,
Et tous, en leur douleur, allaient silencieux.

Je songeais aux passés inconnus de ces choses,
À l’absurde trépas ! « Mon Dieu l’on dure peu ! »
Disais-je, en regardant un buste aux lèvres closes.
Devant lequel rêvait un hortensia bleu.

D’un nid de moineaux morts oublié sur la plante
Un oiseau nouveau-né, vif, alerte et peureux,
Voleta sur la mousse et la feuille d’acanthe
Et semblait dire à tous : je vis, je suis heureux.

II alla se percher sur la tombe voisine ;
Près de lui j’aperçus deux jeunes amoureux ;
Ils venaient déposer au pied de la colline
Un bouquet sur le corps d’un ami malheureux.

Ils souffraient et… pourtant je sentis que l’envie
De vivre était en eux : ferveur, amour, soleil ;
Et je compris la mort faisant place à la vie,
Le renouvellement sortant du grand sommeil !

LE JOUR PARAÎT

À Monsieur Sully Prud’homme, de l’Académie française.

 
Vierge, réveille-toi, le jour commence à poindre ;
Il faut quitter ta couche et venir me rejoindre.
Lisse tes cheveux blonds épars pendant la nuit,
De suaves parfums embaument ton réduit ;
J’aime ton front d’ivoire et ta lèvre rosée,
Et le doux velouté de ta voix cadencée ;
J’aime le beau regard, enfant, de tes grands yeux
Si francs et si naïfs, miroir à camaïeux.

Que l’air pur du matin caresse ta peau fraîche
Comme un bouton d’avril, comme un duvet de pêche.
Semblable à la gazelle, au bord du clair ruisseau
Légère, on te verra descendre le coteau ;
Ton rire est un poème, et depuis ton enfance
Il attire et retient par sa jeune innocence.
Viens sous la treille, ô vierge, et bois le jus vermeil
De ce raisin doré par les feux du soleil.
Viens dans le gai verger cueillir la pomme mûre
Qui fait craquer la branche en sa verte ramure ;
Prends le fruit et le miel, ma joie et mon bonheur,
Et donne le baiser que désire mon cœur !

LES MARIAGES

Au Comte de Brevern de la Gardie.


Cette heure de midi voyait trois mariages,
Triple fleur d’allégresse éclose un même jour ;
Les cœurs étaient émus au sein des vierges sages,
Dans un triomphe égal trois fois brillait l’amour.

Ici, c’était l’éclat mondain et la richesse,
Un cortège brillant, Paris, la Trinité,
L’hymen de grand gala, la foule qui se presse
Faisant assaut de faste et de frivolité.


Éclairé de vitraux à la teinte rosée
Le temple féodal de Philippe le Bon
Souriait pour fêter la seconde épousée,
Dans la vieille cité bourguignonne, à Dijon.

À Plouarnel-en-Mer était l’autre hyménée.
Les mariés allaient, graves, silencieux,
À la mode bretonne, et la main enchaînée
Par la main frémissante, ils regardaient les cieux.

Et les nouveaux unis commencèrent la vie
Certains de leur bonheur et bénissant le sort,
L’esprit placé si haut, l’âme si bien ravie,
Qu’ils n’entrevoyaient plus ni le mal ni la mort.

trois ans après

Délaissée aujourd’hui, la gracieuse Angèle
Cache un tourment sans fin sous un front gris pâli ;
Elle rit au salon et pleure, pauvre belle,
En sa chambre de marbre et seule en son grand lit.


Dans une rue étroite, auprès de la grand’place,
Les époux de Dijon veillent sur un enfant ;
Un mal sombre le tient ; mais aucun ne se lasse
Et bravement on souffre, étant deux et s’aimant.

Devant la mer on voit à genoux au calvaire
La jeune femme en noir, non loin du bourg de Batz.
Les grands yeux sont noyés et sa bouche est amère,
Son regard obstiné sonde les feux là-bas !…

L’ÉVEIL DU CŒUR

À Monsieur Ferdinand Bac.


Il me semble aujourd’hui que je viens de renaître ;
Je sens l’étrange émoi d’un trouble singulier ;
L’inconnu lumineux soudain vient d’apparaître,
Il m’attire, il m’enlace et je veux le crier.

Je veux dire bien haut à toi, mère nature,
Ce qui remplit mon âme et l’étreint en ce soir.
Ah ! que je suis donc fier de porter ta parure,
Tes chaines de brillants, bel amour, tendre espoir !


Amour ! enfant des dieux ! je t’attendais ; demeure.
Mon logis était vide et j’espérais en vain !
Aussi, vois, je souris en ma triste demeure,
Je décore ses murs pour te garder enfin !

Ah ! que tout semble beau ! qu’il est heureux de vivre
Alors qu’on aperçoit ici-bas le bonheur !
Eros avec sa flèche appelle ; il faut le suivre,
Le soleil de ce jour emplit d’aise mon cœur.

SALUEZ BICHE AU BOIS

À Madame Lille.


Saluez, biche au bois, le printemps et l’aurore ;
Saluez la beauté, la terre fraîche encore ;
Que votre pas léger surprenne sur les eaux
La nymphe et le vieux Pan, jouant dans les roseaux.

Saluez, biche au bois, le bouton qui s’entr’ouvre ;
Saluez la moisson, le grain mûr qu’on découvre ;
Puis, revenez à l’ombre auprès du frêne vert,
Dans les sentiers moussus où le faune se perd !


Saluez, biche au bois, la nature éveillée ;
Saluez la prairie à peine ensoleillée,
Le cerisier en fleurs d’Éole caressé,
La source où se mirait Narcisse au temps passé.

Saluez, biche au bois, les buissons d’églantines ;
Saluez l’hirondelle et les mauves glycines,
Et la blonde Cérès qui veille sur les prés,
Enroulant de bleuets ses voiles diaprés.

MOUETTE

À S. A. le Prince Lucien Murat.


Emporte mon message, Ô ma sœur blanche et grise,
Dans ton plumage fin qui frissonne à la brise.
Sur ton petit cou chaud, au fond des lointains bleus,
Emporte-le bien haut sur l’Océan houleux.

Sache échapper au froid, au vent, à la tempête
Va ne t’arrête pas, ne tourne point la tête,
Alors que surgiront des abîmes amers
Les sirènes chantant sur l’écume des mers.


Prends avec toi mon souffle et mon âme fidèle,
Poids léger dans l’air pur que tu fends de ton aile ;
Sur la grève déserte, au moins, ne les perds pas !
Songe qu’il les attend, l’absent aimé, là-bas.

Mouette au vol si sûr, discrète voyageuse,
Dis à mon fiancé que je suis tout heureuse
De n’être plus à moi, de me sentir son bien,
De lui tout envoyer et de n’avoir plus rien.

HEURE DE FOLIE

Au Baron de Molembaix.


Je ne veux point ce soir t’entendre, Ô ma Raison !
Ton visage est trop froid, ta logique trop dure.
Je cherche la démence et sa vieille chanson,
L’oubli, la folle joie, endormir ma blessure.

Passe très loin de moi, quitte mon pigeonnier ;
Pendant toute une nuit, sans entrave, à mon aise,
Je veux me divertir, Raison, te renier ;
Va-t-en, fantôme blanc, qui jamais ne m’apaise.


Ennuyeuse maîtresse, il est temps de partir,
De passer ton chemin. En quoi m’as-tu servie ?
Ah ! je suis libre enfin de penser au plaisir !
Ah ! nous ne sommes plus deux forçats de la vie !

Parfums, enivrez-moi de vos molles senteurs !
Plus de raisonnements en ces heures jolies !
A moi tout l’univers ! à moi l’amour, les cœurs !
Tintez, petits grelots des joyeuses folies !

SOUS LES TILLEULS

À Mademoiselle Lucie Brémond.


Au loin, sous les tilleuls, j’allai me reposer
Pour laisser à loisir mes pensers dans un rêve ;
Et j’étais si joyeux que je voulais parler,
Raconter à la source, au nuage qui crève
Et nous donne sa pluie en baisers rafraîchis ;
Ce qui montait en moi de sève et de jeunesse.
À cette heure du soir les troncs étaient blanchis.
L’air semblait imprégné d’une impalpable ivresse ;
Le soleil descendait en ardente langueur,

L’écharpe d’or tomba. L’atmosphère était dense,
Les branches s’unissaient sous la molle chaleur,
Mon âme s’élançait palpitant d’espérance.
Bientôt l’ombre envahit les saules des tombeaux ;
Je les vis imprécis, lentement disparaître,
Et je tendis ma lèvre au duvet des oiseaux.
Ô volupté de vivre et de sentir son être !

À LA BEAUTÉ

À la Comtesse Nicolas Potocka.

Femme ou démon, beauté, vous êtes l’attirance ;
Nous sommes éblouis par l’éclat de vos feux.
Mais combien vos dévots amassent de souffrance
Alors que l’ironie est aux plis de vos yeux !

Ange ou sphinx, ô beauté, vous êtes la puissance ;
Docilement on fait ce que vont ordonner
Votre orgueilleux dédain ou votre indifférence ;
Vos esclaves soumis sont prêts à tout donner.


Vous retenez, beauté, malgré votre inconstance,
Comme des papillons voltigeant sur la fleur ;
Les poètes et ceux qu’inspire la science,
Bourdonnent près de vous au prix de leur bonheur.

UN MATIN DE NOVEMBRE

À M. le Comte d’Haussonville, de l’Académie française.

 
Le cercueil s’avançait dans le morne Paris
Sur la neige d’hiver roulant vers Montparnasse,
Il était pauvre et seul. Pas d’enfants, pas d’amis.
Le corbillard geignait, lugubre sur la glace.

Vers la dernière étape il allait lourdement,
Et nul n’accompagnait la triste loque noire,
Bientôt il se couvrit de flocons, blanchissant
Le sombre drap usé qui sembla de la moire,

 
Les passants regardaient, à peine curieux ;
Point de compassion, beaucoup d’indifférence ;
« Il n’est pas regretté ! sans doute un ennuyeux,
« Un méchant, inutile au moins, vague existence » !

Voilà ce que pensaient les rares promeneurs,
Mais une jeune femme ayant en main des roses,
Des roses de Noël, pour les vendre aux flâneurs,
Lança vers le convoi ses belles gerbes roses.

Et sur le char tomba cette aumône du cœur
Donnée au malheureux qui partait solitaire :
« Reçois, mort inconnu, ce bouquet d’une sœur
« Et le suprême adieu que t’adresse la terre » !

LA PROCESSION

LOURDES


À la Comtesse de Caranian.

 
Les pèlerins passaient, leurs cierges à la main,
Suivant l’ombreux sentier de la pieuse grotte
Où Marie apparut ; on longeait le ravin ;
Le prêtre était ému, la foule était dévote.

Le cantique montait vers la Reine des cieux ;
La douce mélodie en sons tendres ou graves
Implorait le Seigneur. En ce jour radieux
La montagne exhalait mille parfums suaves.


Une douce fillette en sa robe de lis,
De blanc toute vêtue et blanche dans son âme,
Sous son voile de lin, marchait sur les iris.
Les jasmins, les bleuets, en portant l’oriflamme.

La prière était pure en son cœur de cristal ;
Et la sublime enfant, songeant à sa patrie.
S’offrit en holocauste à son pays natal.
Car elle aimait la France avec idolâtrie.

Le ciel n’exauça pas son suprême désir,
Et la France souffrit d’une grande tourmente.
On la persécuta voulant la pervertir ;
On frappa ses agneaux du glaive d’épouvante.

Le vent d’hiver monta, bourrasque sur les feux,
Et l’on souffrit beaucoup sur notre pauvre terre ;
Victimes et bourreaux la sentirent chez eux ;
Puis le calme revint : liberté, paix, lumière !

AU POÈTE

À don Fabien Colonna, Prince de Leca.

 
Prends ta lyre, ô poète, et célèbre la vie !
Refoule ton chagrin ; on n’aime plus les pleurs ;
Il faut rire et, qu’importe à l’âme inassouvie,
Chanter l’amour facile, ignorer les douleurs.

Quitte ton val pieux, tes jardins de silence,
Et ta simple demeure et ses humbles bouquets.
Et la source où sur l’eau le saule se balance,
Cet austère repos de tes calmes bosquets :


Monte sur la colline et regarde le monde ;
Vois l’exemple de ceux, là-bas, qui sont fameux.
La cité s’étourdit, le bal mène sa ronde,
Brise ton luth divin, Poète, et fais comme eux.

Parfume tes habits d’héliotrope et d’ambre ;
Fais ta trouée, ami, terrasse le destin.
Sois joyeux ! tous les soirs on gémit dans sa chambre ;
Mais, allègre, on remet son masque le matin.

À FRED, MA FILLEULE

À Messieurs Auguste Germain et Trebor, auteurs de « Fred ».

 
Quel murmure flatteur devant toi se déroule !
Quel concert de bravos chaque soir grandissant !
Savoure le succès, le succès enivrant,
Fred, et l’émotion et l’encens de la foule.

Enfant du vieux Paris, partout où le pied foule,
Où l’on pense et s’amuse et travaille en s’aimant.
Tu seras applaudi pour cet esprit charmant
Qui, si français toujours, de scène en scène coule.

 
Honneur à tes auteurs, fleur éclose de choix !
Moi, poète, aujourd’hui j’élèverai la voix
Pour te chanter, filleule, en ce sonnet d’automne.

Frédérique est un rêve, on aspire à son cœur,
Lorsqu’au bord du chemin, tressant une couronne,
Un matin de printemps on cherche le bonheur.

SONNET POUR MADAME DE RHADEN

À Monsieur Émile Albert.

 
Mes yeux éteints vous voient, amis consolateurs ;
Mon malheur s’adoucit, la révolte désarme.
Et mon être angoissé n’éprouve plus d’alarme ;
Attendri, tout ému, sa voix parle à vos cœurs.

Écoutez mes accents, chères âmes, mes sœurs ;
La pauvre aveugle rit et, j’espère, vous charme ;
L’écuyère, jadis, versa plus d’une larme
En quittant ses coursiers pour les « maîtres chanteurs ».


Sans votre aide, puissant soutien de mon jeune âge,
Mon labeur serait vain, stériles mes efforts.
Et pour lutter encor, je perdrais tout courage !

Vous m’en avez donné ! que mes sons doux ou forts
Disent votre bonté, ma tendre confiance,
Le bonheur et l’amour et ma reconnaissance.

À LOUPETTO

CHIEN FAVORI

À mon mari le duc de Rohan.
château de Manancourt (Somme).

 
Mon pauvre Loupetto, vaillant fidèle et sage,
Les ans passent sur toi, déjà tu deviens sourd ;
Mais ton beau poil neigeux jamais taillé trop court
Brille en ce vert printemps ainsi qu’en ton jeune âge ;

Dans le sombre étang bleu je te vois à la nage,
Entouré de roseaux, tout près de Manancourt ;
Puis vers le maître aimé ton pas agile accourt.
Et tous deux vous allez rêver sous le bocage

 
S’il s’absente, ô malheur ! tu restes agité ;
Tristement, l’œil en pleurs, tu guettes l’arrivée.
Son retour de Péronne, une antique cité.

J’aime ton bon regard de tendresse rivée,
Et tes baisers, Petto, ton bel attachement.
Car ton âme de chien se donne entièrement.

POURQUOI ?

À la Princesse Hélène Vacaresco.

 
Pourquoi sentir alors en son cœur un malaise,
La crainte du labeur, du travail qui nous pèse,
Une amertume en tout, commencer par souffrir,
Toujours être inquiet et toujours tressaillir ?

J’interroge chacun demandant si l’angoisse
Envahissant ma chair et qui souvent me froisse
Est ressentie en eux ? les vents âpres et froids
Les glacent-ils aussi ? portent-ils un grand poids ?


Oh ! comment découvrir chez d’autres la pensée
Et le frémissement de l’âme délaissée,
La chaleur de l’amour pour me connaître mieux
Et pour mieux ressentir les élans généreux !

Pourquoi ne pas, hélas ! lire en eux, en leur être,
La simple vérité, non ce qu’ils font paraître,
Et démêler les fils, les fils de l’écheveau,
En un mot y voir clair avant d’être au tombeau.

PATRIE


À la Princesse de La Tour d’Auvergne.

 
Dans quel lointain pays as-tu désiré vivre ?
Est-ce en Norvège, ami, royaume de demain ?
Parmi neiges et glace où le rêve s’enivre
Des senteurs de la vague au pied du sombre pin,

Où, sous la blanche coiffe et la robe brodée
La vierge au jupon court, songe au héros du nord,
À Lohengrin, au cygne, et méprise Asmodée,
Et chante en voyageant la légende du fiord ?


Est-ce la Germanie et ses rives de fleuve
Qui captive tes pas ? ses fiers châteaux du Rhin ?
Ou bien cette Amérique industrieuse et neuve
Qui prend le monde entier une bible à la main ?

As-tu jeté les yeux sur la prunelle noire,
La soyeuse mantille et la grenade en fleur
Des belles de Tolède ? en t’asseyant pour boire
As-tu levé le verre et cherché le bonheur ?

Je crois que l’Orient, son crépuscule rouge,
Son ciel si bleu, si rose et souvent vermillon
Enchante ton regard, le soir, quand rien ne bouge,
Et que le minaret s’élève en son pignon !

RÉPONSE

À Monsieur Waliszewski.


Ce n’est pas en Espagne et point en Germanie
Que je veux vivre, ami ; mon œil et mon esprit
Ont visité ces lieux, même la Roumanie ;
À leur source j’ai bu, leur charme me surprit ;


Et j’ai d’instants heureux gardé la souvenance
De fort jolis minois et de nymphes au bain.
Mais ma patrie à moi, c’est Paris, c’est la France,
Et loin d’elle mon cœur, mon cœur se meurt de faim.

AU SOLEIL D’ÉTÉ

À Monsieur Béraud.

  
Globe rouge de feu, soleil étincelant
Comme un grand ostensoir au milieu de la brume !
Toi, que Delphes jadis invoquait en chantant,
Fais jaillir tous les feux comme un volcan qui fume !

Lorsque mon cœur est noir comme un vol de corbeaux,
Et que je t’aperçois filtrer par la fenêtre.
Venir à mon chevet, éclairer les rideaux,
Le cauchemar s’enfuit et je me sens renaître.

 

Que ta douce chaleur réchauffe les sillons,
Ce qui respire et vit et se meut sur la terre,
Les arbres des forêts, les cimes, les vallons.
Et fonde les glaciers en eau limpide et claire.

Ô bienfaisants rayons qui dès l’aube ont été
De tout notre univers la véritable sève !
Vous mûrissez le grain et le raisin d’été
Et la pêche et le fruit qui tenta la main d’Ève !

Ô foyer des ardeurs, sublime royauté !
Flambeau du jour naissant et divine parure !
Je comprends qu’on adore en toi toute beauté,
Que la mer obéisse au roi de la nature !

Lorsque tu disparais au sommet du coteau.
Et que, très lentement, s’assombrit le parterre,
Dans les ombres du soir me croyant au tombeau,
Mon cœur très angoissé sent le froid de la bière !

BLUETTE ARMORICAINE


À Madame la duchesse d’Uzès.


Viens, ô mon papillon, disait en sa candeur,
Lorsque l’ailé d’azur descendit sur la terre,
Le plus brillant des lis, admire ma blancheur,
Je suis pur et sans tâche et l’arum est mon frère.

Mon calice t’attend ; vois mes pistils sont d’or
Le peintre en contemplant reprendra sa palette,
Le poète sa lyre et sa chanson d’Arvor,
Et l’air fluide et bleu passera sur ma tête.


Et le poids de ton corps, éphémère danger,
Fera trembler ma feuille et ma très frêle tige ;
Le zéphyr soufflera, vaporeux et léger,
Et ton baiser d’amour donnera le vertige.

L’abeille et le bourdon, le cygne en son bassin
S’approcheront de nous, cherchant une caresse,
Et la nature entière en son immense sein
Chantera la beauté, le bonheur, la jeunesse !

NE PLEUREZ PLUS, AMANTE


À Monsieur le Vicomte de Guerne.


Ne pleurez plus, amante, à l’aube des splendeurs,
Sentez le frais parfum de la rose effeuillée,
Qui se mêle à la brise encor toute mouillée ;
Il adoucit, endort bien de sombres douleurs.

Ne pleurez plus, amante, alors que tout verdit,
Oubliez le passé, la nuit tombe, elle est belle ;
Cueillez le thym des champs et cueillez l’asphodèle ;
La lune en sa pâleur tendrement vous sourit.


Ne pleurez plus, amante, et regardez au bois
Les nids des rossignols, le vol des tourterelles,
Le travail des fourmis, le jeu des coccinelles,
De la nature entière écoutez bien la voix.

Ne pleurez plus, amante, en ces jours de douceur.
Le myosotis bleu tend vers vous ses pétales,
Et les lis blancs vêtus ainsi que des vestales
En se penchant sur vous y laisseront leur cœur.

Plus de regrets, amante, en ces matins si beaux.
Le printemps règne en maître évoquant la déesse ;
Aphrodite et Éros ramènent l’allégresse
Et le grand vent d’amour emporte tous les maux !

LOGIS VIDE


À ma fille la Comtesse Charles de Caraman.


Ah ! tous mes oiselets du nid sont envolés !
Ils sont partis joyeux allant à tire d’aile,
Mon logis est désert et mes yeux emperlés,
Mon cœur me semble lourd et l’aurore moins belle.

Allez, mes chers petits ; fêtez dans vos chansons,
La beauté du soleil, la douceur de la vie,
Croyez à l’allégresse et filez de beaux sons ;
Mais ne m’oubliez pas, ô jeunesse ravie !


Sachez bien qu’autrefois au temps de mon bonheur
Je vous ai tout donné, le jour, l’amour, mon âme ;
Je n’ai gardé pour moi que l’âcre goût du pleur,
Ces larmes de la mère et non plus d’une femme.

AU BOIS DES LILAS


À Madame la Comtesse Jean de Montebello.


Au déclin d’un beau jour, dans le bois des lilas,
J’allai plein de langueur, mon cœur lourd était las,
Tout rempli d’amertume et de brûlantes larmes ;
Au silence des nuits il contait ses alarmes.
Nul ne lui répondit ! mais le calme agissait.
Aux bosquets odorants la verdure poussait ;
Le parfum délicat de ses touffes rosées
Sur mes lèvres passant, les avait caressées,
Ainsi qu’un souffle tiède, ainsi qu’une douceur,

Une brise légère, un pur amour de sœur !
Mon âme relevait sa pauvre aile abattue
À l’heure noctambule où l’ombre s’accentue,
Où chacun dans son nid penche la tête et dort,
En oubliant la vie, en oubliant la mort !

STÉRILES REGRETS


À Don Francisco de Reynoso.


Qu’ai-je fait de ma vie en ses jeunes années
Alors que j’espérais, que tout me souriait,
Quand le soleil dorait même les fleurs fanées
Qu’en ma première aurore, éternel il brillait ?

Qu’ai-je fait de mes jours, à l’aube encore blême
Des fraîcheurs de la brise agitant la forêt ?
Et de la nuit sereine où l’on se dit : « Je t’aime ! »
Et de ces doux parfums que le destin donnait ?


Rien, hélas ! et je souffre en mon attente vaine,
Et le vide m’oppresse en son isolement ;
Je n’ai pas recherché pour soulager ma peine
L’oasis de repos dans le désert brûlant.

Pourquoi ne pas avoir à l’heure radieuse
Retenu le fruit mûr, le papillon du soir,
Et cueilli sous le vent la branche lumineuse ?
La terre offrait ses biens… je n’ai pas su les voir !

SONGERIE


À Monsieur Fournier Sarlovèze.


Avez-vous cru revoir la nuit au pied d’un arbre
Dans un sentier perdu, sur un vieux bloc de marbre,
La figure d’un être à tout jamais parti ?
Le profil de l’aimé l’avez-vous pressenti ?
Avez-vous respiré le varech dans la brise
En voyant les moutons couvrir la vague grise ?
Et contemplé l’orage au bord de l’Océan
Le sel à pleine lèvre auprès d’un cormoran ?
Lorsque l’éclair au ciel allume un sillon rouge

Et que pour un instant il semble que tout bouge,
On voit l’oiseau craintif voler près des bateaux
Pour chercher un abri sur les frêles radeaux.
Le nuage de feu qui brille sur la terre
Fait deviner le coup sinistre du tonnerre.
Ah ! que cela ressemble en son choc effrayant
À la vie, à son drame intense et si changeant ;
Tempête, accablement, passion, violence
La pluie et le soleil, les cris et le silence.

FLORÉALE


À Madame Madeleine Lemaire.


Descendons au jardin, foulons la tiède terre ;
Vois, la chaleur du jour alourdit toute fleur,
Ta main cueille une gerbe et la met dans un verre
Pour prolonger sa vie en un bain de fraîcheur.
L’été grise mes sens, je bois la douce haleine
Des reines de nos prés et des rois de nos champs,
Et sur les buissons d’or je recueille la laine
Qu’y laisse la brebis, puis j’écoute les chants.
Je contemple et j’admire en son brillant pétale

La teinte diaphane et mauve de l’iris,
Et les contours de feu du pavot qui s’étale
Auprès du vert pommier, du lilium, des lis.
Ah ! fleur, vous ravissez les yeux de la nature,
Vous naissez au matin, vous vous fanez le soir,
Éphémère beauté ! Que toute la verdure
Serait donc sombre et triste et seule sans vous voir !

AMORE


À Monsieur le Vicomte de Gontaut-Biron.


L’homme aspire à l’amour comme au soleil la plante,
Comme la bouche à l’air, aux fleurs le papillon,
Duo de l’univers, chœur repris où l’on chante
La ballade du cœur, éternelle chanson.

Oui, l’amour est divin s’il est fort et s’il dure,
Non point un feu de paille ou de copeaux séchés,
Mais une lueur vive et brillante et très pure,
Et qui fait resplendir tous les trésors cachés.


Les trésors de l’esprit de l’homme et de la femme.
L’amour en élevant adoucit, rend meilleur,
Parcelle d’infini qui dilate notre âme,
Fruit tendre et savoureux s’il contient le bonheur,

Mais que de fois ce fruit se gonfle d’amertume,
De cendre et de poussière, et de larmes de fiel,
Lorsque l’objet aimé dont la grâce parfume
Ou perfide ou cruel change en aigreur le miel.

EN SA FLEUR, EN SON FRUIT


À Monsieur le Comte Pierre de Cossé-Brissac.


Deux fois son cœur se prit au réseau de l’amour,
Et deux fois le soleil inonda sa belle âme
D’espoir et de bonheur ; elle offrit tour à tour
Le printemps dans sa fleur et l’automne en sa flamme.

Ce fut un jour d’avril, un radieux matin,
Qu’elle entendit la voix, la voix enchanteresse ;
Il disait qu’il l’aimait, et l’enivrant jasmin
Parfumait le jardin d’une douce caresse.


Dix ans plus tard un être en sa mâle beauté
Passa sur son chemin au déclin de l’année,
Celui qu’on reconnaît alors qu’en son été
L’âme avait attendu depuis qu’elle était née.

Les prés étaient dorés, la fauvette chantait ;
Le lin bleu se penchait ; sur lui les coccinelles
Se posaient doucement et le trèfle étalait
Son incarnat brillant auprès de tiges frêles.

Et la main dans la main, ils allèrent tous deux
Montant, montant toujours le sentier de la vie,
L’amour illuminait ce qu’ils avaient en eux,
Lui, chêne fort et beau — elle tendre et ravie.

J’AIME À VOIR…


À Monsieur G. Rodier.


J’aime à voir, le dimanche, à Paris, les flâneurs,
Les couples s’attarder à l’ombre d’un vieux frêne,
Aspirer l’aubépine et boire les senteurs
Des boutons d’amandiers sur les bords de la Seine.

J’aime à voir les enfants chasser les papillons,
Cueillir le chèvrefeuille et, sous les bois, la fraise,
Et puis rire, danser sur l’herbe des gazons
Et s’amuser de rien en folâtrant à l’aise.


J’aime à voir le ciel bleu, les iris du bassin,
Leurs tiges se pencher sous de nombreux pétales,
Et leur pourpre couleur d’un délicat dessin,
Pâlir au pied du bonze à l’abri des rafales.

J’aime à voir au soleil la prune qui mûrit,
Le vol des pigeons blancs, la terre qui sommeille,
Le dos des lézards verts et le faune qui rit
Sur son socle de bronze entouré d’une treille.

À la chute du jour, j’aime le bruit de l’eau
Sur le caillou bruni tombant en blanche écume
Et rafraîchissant l’air à l’entour du coteau,
Et l’élégant ibis qui hérisse sa plume.

J’aime à venir rêver au bord de ce chemin,
Et gravir la colline encore blanche et rose.
Après le crépuscule, à l’aube du matin,
Au petit jour naissant, alors que tout repose.

L’ENFANT


À mon petit-fils Achille Murat.


Oui, l’enfant comprend mieux et sent plus qu’on ne pense ;
Un grand travail s’opère en son jeune cerveau ;
Surtout ne choquons pas sa raison qui commence,
Respectons son regard, son cœur et son berceau.

On l’élève, dit-on, hélas ! on le rabaisse,
Lui donnant des défauts, d’équivoques joujoux ;
La famille, pour lui, représente sans cesse
Tout l’univers connu qu’il juge d’après nous.


Ah ! montrons-lui le bien et soyons son étoile ;
Faisons germer en lui le respect filial ;
Cachons la lèpre humaine et le mal sous un voile,
Et dirigeons ses pas vers un noble idéal !

RÊVERIE


À Musurus bey.


Au bord de l’étang noir, rêvant au clair de lune
Je repasse ma vie auprès de l’églantier,
Je la vois demi-teinte en sa broussaille brune
Lorsque désespéré je ne pouvais prier !

Quelques brillants rayons sillonnèrent mon âme,
Arc-en-ciel lumineux à la fois clair et beau,
Luciole éphémère entre des doigts de femme
Qui paraît, puis s’éteint, comme un pâle flambeau !


Puis, j’évoque en songeant les heures de l’enfance
Pleines d’élans joyeux, de confiance et d’amours
Belles roses d’antan, j’aime leur souvenance,
Qu’elles vivent en moi, qu’elles fleurent toujours !

JEUNESSE


À Monsieur du Camper.


Ariane et Léo marchaient dans les blés verts
Écoutant l’alouette et sa chanson fidèle
Qui s’éveille au matin, et monte dans les airs,
Et que tout cœur entend et que tout cœur appelle.

Sentant gonfler en eux du printemps le retour,
Ils ne se parlaient pas, craignant de s’en trop dire
Et de briser le charme à l’aube de l’amour,
Charme du sentiment où notre âme se mire.


Ils entendaient l’écho modulé par le vent,
Heureux sous le grand ciel de sentir leur jeunesse,
De nager dans l’azur du rêve où l’on s’entend,
Du frôlement de l’âme en divine caresse !

À LA PETITE MAIN DE MADAME X


Comment, petite main, faites-vous tant de choses ?
Maniez-vous la plume et le pinceau léger ?
Vous peignez des oiseaux, des tulipes écloses,
Et le fleuret pour vous n’offre plus de danger.

Ah ! votre main, madame, est migonne et polie,
Si soyeuse, si douce ! il en tiendrait bien deux
Dans celle que voici, calleuse et point jolie,
Mais solide et robuste, et j’en suis très heureux.


Je suis le repoussoir et vous la toute belle.
Plus l’écrin est vilain, puis la perle reluit ;
Et lorsque dans ma main, la vôtre, au toucher d’aile,
Se pose doucement, de moi le chagrin fuit.

Ah ! restez-là, tout près, donnez-moi ce que j’aime,
Le charme, la bonté ! que ce petit doigt fin
Dont je baise le bout, toujours vigilant, sème
Des fleurs au paradis, m’en ouvrant le chemin !