Les Lucioles/01/02

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Calmann-Lévy, éditeurs (p. 93-112).

TOUT EST PUR


À Mademoiselle Thérèse Poulin.

 

Pas de souillure ici, mon cœur,
Et point de mirage trompeur.
La clarté lumineuse appelle,
Retrempe ton âme immortelle.

AU PÂTRE DE LA MONTAGNE

À Monsieur Marcel Prévost.

 
Rêves-tu de l’étoile où rêves-tu de l’or ?
Ton cœur accepte-t-il joyeusement le sort ?
À quoi songes-tu, pâtre, en ta cabane haute ?
Le démon tentateur est-il parfois ton hôte ?
Dis-moi, veux-tu descendre au village lointain
Voir la table du maître et t’asseoir au festin ?
Ou bien plus bas encore au fond de la vallée
Te perdre dans la ville à tes yeux révélée ?
Oubliant tes rochers calcinés, tes bouleaux,
Tes torrents, tes sapins, tes pies et tes ormeaux.

Quand meurt le crépuscule aux cieux, quand l’oiseau chante,
Quand le bœuf ruminant mâche un parfum de menthe,
As-tu la nostalgie, en ce calme du soir,
Des mille et mille feux qui brillent dans le noir,
Et du grand bruit que font tant de paroles vaines
Qui tombent, au hasard, de nos lèvres humaines ?
Veux-tu quitter ces monts et ces herbages frais,
Les abîmes sans fond où plongent les forêts,
Pour perdre à tout jamais le repos de ton âme ?
Pour rechercher l’ivresse et brûler à sa flamme ?

. . . . . . . . . . . . . . . .

Reste sur tes sommets, pâtre, tout près du ciel,

Au nid des aigles ; prends à tes ruches leur miel,
Bois le lait de ta chèvre, et cueille la myrtille,
Tisse tes vêtements qu’une bergère file.
Qu’importe l’âpreté du climat, le pain dur !
Sur les ailes du vent tu planes dans l’azur !
Dans la rue on étouffe ; ah ! bénis ta demeure !
Ta grande paix vaut mieux que nos plaisirs d’une heure.

PASTORALE


À Madame la Comtesse de Durfort.

 
Le jour tombe ; sa lueur d’or
Paraît encor
Comme un point lumineux dans l’ombre,
Bientôt très sombre.

La grande Ourse est au firmament
En ce moment ;
Le berger cherche sa bergère,
L’agneau sa mère.


La nuit chaude et claire d’été
Sous Astarté
Parle d’amour et de caresse,
Douce déesse !

Les nids perchent sur les ormeaux
Peuplés d’oiseaux,
Et le rossignol se recueille,
Sur la grand’feuille.

Sous les verts bocages fleuris
J’entends les ris,
Le damoiseau, la jeune fille,
Le regard brille !

Ah ! profitez de vos printemps,
Dansez, enfants ;
L’heure avance, la nuit est belle,
Point éternelle !

À LA FLORE DE L’ENGADINE


(SUISSE)
À Monsieur le Marquis de la Mazelière.

 
Jaune ou mauve ou lilas, vous êtes la pensée,
Que prend avec amour l’alpiniste lassée,
La vieille fille tendre, au souvenir constant.
Elle penche la tête et vous garde un moment.

L’arnica noir et or est une marguerite ;
Au soleil elle s’ouvre ; elle est la favorite
Du botaniste errant et de nos guérisseurs,
Et, dans les hôpitaux, des blessés et des sœurs.


La reine de ces monts c’est la petite rose,
Des Alpes le bijou, pure fleurette éclose
Parmi neiges et vents dans le creux du rocher ;
Sur sa robuste tige on voit l’oiseau percher.

Pour trouver l’edelweiss et le blanc saxifrage,
Montons, grisés par l’air, et le muguet sauvage ;
Il pousse en la prairie auprès des flaques d’eau,
Et se mire à la lune et dans le clair ruisseau.

Salut à toi, chardon, qui règnes sur la pente !
Ton cœur tout argenté brille au loin dans la sente.
J’aime tes piquants verts d’un délicat contour,
Et je veux t’emporter en Bretagne au retour.

Ah ! le joli tapis de floréale pousse,
Rosé, multicolore et doux comme une mousse !
Paisible, satisfait, je marche insouciant,
Rêvant à tes parfums sous le vent caressant.

À LA JUNGFRAU

(OBERLAND)
À Madame la Baronne de Saint-Joseph.

 
Ô pic salubre, pur, immaculé toujours,
Vous portez joli nom, « Vierge, de blanches glaces. »
Votre air vif a sauvé bien de jeunes amours,
Des couples languissants et des aigles rapaces.

La Jungfrau se réveille, et son manteau royal
De duvet azuré, de rayons se colore ;
Le petit pâtre est fier de son pays natal,
De ses prés verts brunis, des beautés de la flore.


La montagne gémit d’un vaste grondement,
Gigantesque fracas d’avalanche qui tombe ;
Et mon âme a frémi tout à coup, brusquement.
Puis je monte et m’élève ainsi qu’une colombe.

Et léger je m’envole inondé de bonheur,
Sentant mon cœur si haut qu’il en quitte la terre ;
Et me berçant de rêve et mouillé de mon pleur,
Je me volatilise en suave lumière !

LA PETITE SCHEIDEGG

(OBERLAND)
À Monsieur Chabert, Suisse, août 1906.

 
La Petite s’éveille en sa chemise blanche,
S’enguirlandant des fleurs écloses dans la nuit ;
En sortant du sommeil, au bruit de l’avalanche,
Elle rêve de l’or ; ce songe la poursuit.

La Petite sourit en voyant le touriste
Dont le chemin de fer lui porte mille atours ;
Elle donne son air, sa couleur d’améthyste,
Et l’argent en revanche arrive tous les jours.


La Petite s’endort en sa teinte rosée,
Et puis très doucement on la voit s’assombrir.
Ô Scheidegg sur le mont en nid d’aigle posée !
On te quitte à regret, espérant revenir.

SOUVENIRS DE LA VALTELINE

(SUISSE)
À Monsieur le Comte F. de Chabot.

 

Le jour a décliné ; je vois une ombre grise,
Un voile transparent agité par la brise ;
Le voile s’assombrit, devient opaque et noir
En attendant, là-haut, le blanc croissant du soir.

Le pâtre, en traversant les champs de la colline,
Contemple en s’élevant toute la Valteline ;
Il écoute l’écho caressant et vibrant
Du torrent qui gémit, puis tombe en mugissant.


Il cueille le lis brun dans l’étroite vallée,
Puis la douce réglisse et l’herbe d’eau perlée ;
Notre ancêtre jadis avec ses escadrons
Fit la guerre en ces lieux, comme ses compagnons.

Le sang coula longtemps dans les prés de pervenches,
De gouttes de rubis tachant les vertes branches.
Que de morts, Ô Rohan, et que d’ensevelis !
Ô paix à leur mémoire et paix à leurs délits !

Des rayons argentés sillonnent la rivière,
Tandis que dans l’église on chante la prière ;
Les montagnards, alors, vont tous rentrer chez eux ;
Dans chacun des chalets on allume les feux.

La cloche du troupeau joyeusement résonne,
Et le frugal repas des animaux se donne.
Le pauvre chemineau, seul, reste en son chemin ;
À la ferme, au village il demande du pain.


Paria dans la vie et ne sachant rien faire,
Sans toit et sans souper, sans famille, sans mère,
Il erre nuit et jour, souvent nourri de fiel,
N’ayant pour héritage et foyer que le ciel !

PRÈS DU LAC D’OO


(PYRÉNÉES)
À Madame la Baronne V. de Molembaix.


Près du lac d’Oo j’étais assis
Souffrant de ma mélancolie.
Mon âme s’embrumait de gris,
La lumière semblait pâlie.

Bientôt un orage dans l’air
Souleva les feuilles sur terre ;
Soudain je vis briller l’éclair,
Et rougir lis et primevère.


La grenouille sauta dans l’eau,
D’effroi cachant sa robe verte ;
Et tout tremblant sous un roseau
Le grillon croyait à sa perte.

Un passereau vint se blottir
Dans mes bras, cherchant un refuge ;
Sur mon cœur las et sans désir
Je l’abritai contre un déluge.

La tiède plume du moineau
Réchauffa ma froide poitrine,
Et le minuscule fardeau
Sur mon sein gravit la colline.

Je le gardai longtemps ainsi,
Puis il partit chercher sa graine ;
Mais je me sentais moins transi.

. . . . . . . . . . .

Le soleil redorait la plaine

BERGERIE


(CHANSON)


À Monsieur Victor du Bled.

 
Le soleil darde
Comme un désir,
La montagnarde
Rit de plaisir.

Le jour s’achève,
Tout se confond,
Le berger rêve
Au pied du mont.


Et sa bergère
Lui prend la main
Dans la fougère ;
Heureux matin !

La vache rousse
En ruminant,
Dort sur la mousse
Paisiblement :

Dans la clairière
S’était posé
Sur la bruyère,
L’oiseau rosé :

Écoute ! il chante
Pour nous charmer,
Sa voix berçante
Nous dit d’aimer !