Les Médailles d’argile/L’Ouvrier

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Les Médailles d’argileSociété du Mercure de France (p. 44-46).

L’OUVRIER


Longtemps, dans la clarté, j’ai vu tes mains agiles
D’un doigt ingénieux et d’un pouce savant,
Tresser le souple osier et médailler l’argile.

Le jonc flexible, vert, anxieux et vivant
Gémissait de courber sa tige harmonieuse
Encor du bruit de l’eau sur qui passe le vent.

J’ai vu naître à ton gré, toujours silencieuse,
l’image qui riait ou flottait tour à tout
Dans la terre sanguine ou dans la glaise ocreuse.

Le soir, plus prompt déjà, déjà chasse le jour ;
Ta corbeille pesante est pleine de médailles,
Et l’automne plus fraîche a roidi tes doigts gourds ;

Le vieux rosier qui rampe et monte à la muraille
Fait fleurir tristement au toit de ta maison
Une dernière rose en l’or givré des pailles.

Mets la bûche au foyer et la flamme au tison ;
L’automne t’avertit de l’hiver ; l’hirondelle
A cherché le soleil derrière l’horizon ;

Mais, avant de rentrer à l’âtre qui t’appelle,
Tu veux fixer encor par un dernier labeur
Un songe passager dans l’argile fidèle.

C’est bien ; dans sa tristesse ou dans sa fauve ardeur,
Fais sourire ou pleurer le profil ou la face
De celles dont l’amour a dormi sur ton cœur.

La ronde langoureuse où leur beauté s’enlace
Se noue autour de toi en se tenant les mains,
Et chacune par toi va revivre en sa grâce.

Qu’importe maintenant l’hiver ! si tu le crains
N’as-tu pas pour charmer sa saison ténébreuse
Tout le printemps qui rit en ses jeunes matins ?

Laisse l’argile froide et la glaise frileuse
Se gercer sous le gel où durcit le sol nu
Que dessèche le vent et que l’averse creuse.

La terre va dormir lourde de l’an vécu,
Pour que ses fleurs d’été fussent ses fruits d’automne,
Et son flanc saigne encor du soc qui l’a mordu ;

La neige étalera sa blancheur monotone
Pour engourdir sa paix et son obscur repos
Sur qui le vol épars des flocons tourbillonne,

Jusqu’au jour merveilleux où le printemps nouveau
Fera dans sa torpeur courir de veine en veine
Le sang fluide et clair de ses tièdes ruisseaux.

Une sueur d’argent emperle sa peau saine,
La voici qui palpite et s'étire au soleil,
Et les sources en fleurs fument dans son haleine ;

L’aurore en la touchant empourpre son réveil ;
Alors, prends-la, vivante entre tes mains hardies
Et, debout en chantant dans le matin vermeil,

Sculpte avec des doigts d’or son argile rougie.