Les Médailles d’argile/La Trace

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Les Médailles d’argileSociété du Mercure de France (p. 49-50).

LA TRACE


La terre fut docile à ton double métier,
L’argile au médailleur et la glaise au potier,
Mais ton labeur est vain de façonner encore
Et la hanche de l’urne et le flanc de l’amphore
Et de gonfler la panse et d’amincir le col.
Que tes mains sans regret laissent choir sur le sol
Le vase rouge et noir où ta pointe figure
Sur la courbe rondeur que le feu rendra dure
Un entrelacement de feuilles et de fruits !
Que te sert, au bûcher qui flambe dans la nuit,
Debout et sans repos jusqu’à l’aube, d’attendre
L’heure mystérieuse et froide de la cendre
Pour l’enfermer dans l’urne au lieu d’offrir au vent
Ce que la Mort, hélas ! a laissé d’un Vivant ?
Laisse le lait couler, en blanc flot, des mamelles
Aux bouches sans baisers qui sont faites pour elles,
Pourquoi vouloir rendre captifs le vin ou l’eau ?
Pourquoi veux-tu donner longuement pour tombeau

Le ventre de l’amphore à l’onde des fontaines ?
Toutes les choses sont éternelles et vaines
Et la grappe mûrit toujours neuve, chaque an ;
Bois jeune encor le vin que l’automne nous rend,
Chaque fois qu’il rougit la vigne et qu’au soleil
Il fait lourde la grappe et le pampre vermeil.
La source est toujours prête à notre soif penchée
Pour y boire le flot de son onde glacée.
Considère la fuite et le retour des choses :
Une rose renaît quand s’effeuille une rose.
Ne cherche pas non plus à vouloir retenir
Longtemps dans ta pensée et dans ton souvenir
L’image exacte encor des lèvres fugitives
Dont tu sens à jamais que ta bouche fut ivre.
Dans la médaille nette et ronde de contour
Ne fixe pas la face errante de l’amour ;
Abandonne le bronze et renonce à l’argile
Car sa fragilité n’est pas assez fragile.
Où l’Amour a marché ne cherche pas sa trace.
Regarde le venir et ris lui quand il passe ;
Le vois-tu beau, joyeux, éphémère et divin ?
Mais ne te courbe pas le long de son chemin,
Tu risquerais ainsi de trouver, sur le sable
Où posèrent les pas du passant adorable,
Empreinte au sol encore l’ongle d’un bouc, au lieu
D’y suivre le talon et l’orteil nu du Dieu.