Les Mémoires d’un veuf/Apologie
APOLOGIE
— Halte-là ! monsieur l’auteur. Vous moquez-vous avec votre titre qui ne tient pas ses promesses et le singulier tour qu’a pris cette espèce d’ouvrage ? Un mot, s’il vous plaît. Comment d’abord se fait-il que le livre, Les Mémoires d’un Veuf, soit si court relativement que vous vous voyiez forcé de le gonfler d’un scénario pour ballet et d’un motif de pantomime, fours futurs ou fours résignés ? Pourquoi ne pas avoir placé dans un beau petit cartouche au-dessous de cette ambitieuse appellation le nom de vos choses pour la scène au lieu de les confondre ainsi dans cet ensemble mal harmonieux ?
— Monsieur ou madame, veuillez d’abord considérer qu’en donnant un seul titre aux diverses pièces qui, selon vous, composent ce volume, je ne fais que suivre mille exemples contemporains. Puis, si j’ai fondu et non confondu des fragments d’apparences théâtrales dans ces mémoires, qui vous dit que je n’ai pas eu mes raisons ?
— Bien, mais le titre lui-même, par rapport aux pages seules qu’il concerne typographiquement, voyons, avouez qu’il ne repond pas du tout à l’idée que d’honnêtes, que de moyens lecteurs sont susceptibles de s’en très justement former. En un mot, cette partie du livre n’a pas le caractère de mémoires, tel qu’on entend d’ordinaire ce mot.
— Autobiographiquement parlant non, mais j’ai le droit très net de me servir d’un mot commode, large, traditionnellement élastique, pour désigner une série d’impressions, de réflexions, etc., etc., émanant d’un homme qui serait aussi libre, indépendant, dégagé, aussi désintéressé qu’égoïste et le spectateur par excellence, par exemple, qu’un veuf.
— Mais, excusez l’indiscrétion. Veuf, l’êtes-vous ?
— Je le suis.
— Alors pourquoi votre livre a-t-il l’air de ne s’en douter qu’à peine, à grand’peine ?
— . . . . . . . . . . . . . . .
— Quittons ce sujet. N’êtes-vous pas bien sévère pour Victor Hugo ?
— Ah çà, m’allez-vous aussi reprocher d’aimer Gastibelza ?
— Ce n’est…
— D’estimer les Voix intérieures et autres Feuilles d’automne, de supporter les drames et plusieurs romans ?…
— Permettez… — D’admettre en partie la Légende et Quatre-vingt-treize ?…
— Ecoutez-donc.
— De compter jusqu’à deux vers bien dans les Châtiments ?…
— Le diable d’homme !
— De déplorer une mort tardive ?…
— Me laisserez-vous parler ?
— On est tout oreilles.
— Oui, je vous trouve sévère à l’excès pour ce poète…
— « Grand homme, grand homme ! »
— Pour cette foule derrière ce corbillard…
— Des pauvres !
— Pour ce peuple enfin, pour ces peuples…
— « Tous les sots d’ici-bas ! »
— Alors vous ne regrettez pas votre violence ?
— Ma violence, ce que vous appelez ma violence contre des bouts-rimés, des truismes et la plus sotte vieillesse, la décadence la plus encombrante qui fut jamais ! Oh non, laissez-moi me tordre.
— Enfin, vous n’admettez pas la critique, je le vois bien.
— Mais que mais si, madame ou monsieur, mais que mais si, que je l’admets quand elle me semble juste. Seulement, ce ne fut pas le cas jusques ici. Aussi bien je reparlerai plus au large et au long d’Hugo dans quelque autre livre. Continuez si vous voulez. Je vous écoute. Quoi encore ? Ah ! le style vaguement argotique de quelques-unes des phrases miennes ? Je ne m’en déferai pas et pour cause. Par instants, un peu du ruisseau remonte un brin en ce moi qui fut élevé dans la ville où il y a la rue du Bac. C’est comme pour mes tournures patoisantes de quelquefois. Pure hérédité, cher monsieur ou chère madame, atavisme indéfectible ! Mes ascendants, dès l’avant-dernière génération, remuèrent -qui des guérets ancestraux, qui les archives héréditaires d’un tabellionat rural. — Reste… quoi ?
— Ouf ! Restent… nos moutons. Revenons-leur. Pourquoi si courts, hem, vos mémoires, ô veuf ! Tout au plus sont-ce des notes, des aperçus…
— Des mémoires gros comme le bras, monsieur, des mémoires, madame, — talent, génie, tout ce que vous voudrez à part, — à la Retz, à la Saint-Simon, à la Chateaubriand et à la tous ! Anecdotes, réflexions, maints quolibets, quelque littérature, l’histoire, tout et de tout y sera. Seulement ça manque et ça manquera de transitions.
— Comment y sera, comment ça manquera ? mais c’est écrit et fini ?
— J’ai l’intention de continuer jusqu’au naturel caetera desiderantur et de publier de temps en temps des extraits de cet ouvrage au jour le jour, quitte pour mes très riches héritiers à les réunir en autant de tomes qu’il se trouvera nécessaire. — Ah !…
— Est-ce bien tout ?
— Attendez encore un peu. Je…
— J’attends.