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Les Marchands de Voluptés/11

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Édition Prima (p. 67-72).

XI

Voyage de noces


Les époux écoutaient rouler le train qui les emportait dans la nuit. C’était un bruit sourd ou rythmique, partagé en petits fragments par une sorte de battement répété tous les quatre ou cinq secondes. De leur couchette ils évoquaient la ténèbre environnante et leurs pensées flottaient à la dérive. Adalbret dit ;

— Ma chère femme, je suis bien heureux.

Amande répondit poliment.

— Moi aussi.

— Nous voilà époux, reprit le mari en cherchant, dans un esprit légèrement embrumé, des paroles éloquentes qui se dérobaient.

— On le prétend tout au moins ! répondit doucement Amande.

— Oui et c’est la vérité.

— J’en suis fort satisfaite.

— Excusez-moi de ne pas entourer ce fait de manifestations plus romantiques, fit alors la mari, que le chemin de fer ne rendait pas du tout amoureux.

— Vous êtes tout excusé, mon cher époux.

Et Amande pensait :

« S’il est une chose dont me voilà ravie, c’est bien de pouvoir somnoler en paix dans ma couchette sans être obligée de me livrer aujourd’hui à des innovations gymniques. »

Et elle se disait encore :

« Le plus drôle, en ce moment, c’est certainement que cet imbécile d’Adalbret soit tout à fait à plat, et que cela me ravisse, mais il n’en subsiste pas moins que je mériterais tout de même un peu plus d’attentions amoureuses… ! »

Et elle demanda :

Vous n’êtes pas malade, Adalbret ?

— Non, Amande, mais je ne sais comment cela se fait, je me sens tout chose, tout endormi…

— Vous voulez cesser de parler, pour que le sommeil vienne ?

— Oh !… c’est-à-dire que je voudrais vous dire combien je vous aime…

— Il sera toujours temps, Adalbret. Nous avons notre vie entière pour cela.

— Oui, mais en ce moment…

Il s’arrêta, tout à fait abruti.

— Voulez-vous un peu d’alcool de menthe.

— Merci ! Je vous aime beaucoup, vous savez…

— J’en suis assurée, mais dites-moi, vous a-t-on fait aussi des recommandations avant notre départ de la maison ?

Adalbret ne comprit pas. Seulement Amande voulait, pour se divertir, l’embarrasser un peu, et passer sa nuit, si possible, en amusantes conversations au lieu d’écouter ronfler son mari. Lui avoua :

— Non ! on ne m’a rien dit.

— Parce que moi on m’a dit, sans me fournir d’explications, de faire tout ce que vous me demanderiez…

Et elle pouffa dans sa main pour que son époux ne pût la voir.

Adalbret se souleva sur un coude, malgré son envie de dormir.

— Ah ! oui, je sais de quoi il s’agit. Mais nous en reparlerons à l’arrivée…

— Voulez-vous me dire ce que c’est, je vous prie ? Cela m’intrigue.

— Oh ! c’est assez délicat à exprimer. Il s’agit de… de…

Le mari bafouillait, pour exposer une chose qui lui faisait un peu peur en ce moment où il était couché de son long et en paix parfaite. Il se rendait bien compte que c’est surtout en agissant que l’on expose le détail de ces affaires-là, mais l’action, pour lui, était l’ennemie de son rêve présent.

Il s’arrêta.

Amande voulut le relancer :

— C’est peut-être l’amour.

— Heu ! grogna Adalbret, c’est presque cela, mais vous savez, Amande, que c’est une conversation inconvenante.

— Oh ! vous savez, Adalbret, que les convenances ne me font pas faire de folies…

Et Amande se mit à rire franchement.

Son mari se laissa retomber sur le dos.

— C’est une question grave, proféra-t-il. L’Amour ! Moi, vous savez, je vous aime…

« On le sait, se dit-elle in petto, mais ta démonstration est plutôt molle et dépourvue d’accent… »

Et elle se tut, lasse de cette conversation qu’il fallait alimenter, comme un feu de paille, et qui menaçait sans cesse de s’éteindre.

Le silence régna. Adalbret se mit à ronfler, et Amande, se passant les paumes sur le corps, songeait :

« Je vaux tout de même mieux que ne semble le croire ce pauvre diable. Il y a du plaisir à prendre avec moi, et à me donner. Vais-je regretter d’avoir épousé ça ?… » Mais elle décida : « Non. Je suis une femme mariée et je ferai selon mon gré désormais. En somme, s’il y a du plaisir sur la terre je le trouverai bien toute seule, et s’il est ailleurs que chez moi, je ne ferai rien plus, en allant le prendre là où il se cache, que ne font des milliers et des milliers de femmes comme moi…

« Et elles s’en trouvent bien. »

Là-dessus elle s’endormit.

 

Les époux s’arrêtèrent à Marseille. Ce fut là, dans le fameux Hôtel de Djibouti et de la reine Hortense, qu’eut lieu la nuit de noces d’Amande.

Le caractère essentiel de cette nuit de noces c’est qu’elle eut lieu à trois heures de l’après-midi.

Elle comporta, de la part d’Adalbret, toute une cérémonie de poésie ancienne et de réflexions empreintes de traditionnelles philosophies.

Amande en rit beaucoup et cela l’aida à supporter l’inhabileté et le manque absolu de finesse de son mari.

Il laissa dans l’esprit de sa femme le souvenir d’un événement plus ennuyeux à beaucoup près que le reste du mariage, et privé, en sus, de toute vertu divertissante… Mon Dieu ! on sait bien que ces choses-là ne sont pas tout de suite dignes de l’Empyrée. Mais Amande trouva pourtant que c’était quand même un peu trop idiot et laborieux.

Sans compter que l’Adalbret lui fit mal et ne sembla même pas en extraire lui-même une once de plaisir. Une femme peut supporter beaucoup de déplaisir pour être agréable à autrui. Mais que ce soit sans but et sans résultat pour personne, parut à Amande une vraie disgrâce.

Elle pensa :

« Mon petit, ce n’est pas par vice que j’en viens là, mais comme je ne veux pas mourir sans avoir connu la volupté, qui est peut-être surfaite, mais existe cependant, je vois qu’il me faudra la chercher ailleurs qu’avec toi. »

Et elle fit gentiment les cornes à son mari qui ne comprit pas.