Les Marchands de Voluptés/12

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Édition Prima (p. 73-78).

XII

Retour à Paris


Adalbret et Amande errèrent durant un mois en Provence et en Italie. On visita Cannes avec son port empli de superbes yachts à louer au mois, à la semaine ou à l’heure. Nice reçut leurs pas amusés, et ils y admirèrent un pullulement étonnant de duègnes macrobites traînant dans leurs jupes des petits jeunes gens aux faces exténuées, et tout semblables à de petits chiens de manchon, poil à part. De là ils coururent à Monte-Carlo et perdirent quelques sesterces à la roulette, pour être dans la note du jour et du lieu.

Et ce fut Menton, pleine de souvenirs des grands-ducs de Russie au temps où les fonds du budget d’un grand empire servaient exclusivement à entretenir des danseuses, des adolescents trop féminins et des entremetteuses napolitaines cherchant à négocier, selon le client, leur mari, leur sœur, leur frère ou leur mère. La colonie slave de la côte d’Azur ayant alors utilisation de tout ça…

Puis, Amande passa la frontière d’Italie avec un petit battement de cœur, car elle allait à Venise.

Elle connut la perle Adriatique, ses palais roués vifs et ses gondoliers sortis de la nuit des temps. Elle put franchir le Rialto, rêve qui hantait depuis combien d’ans son enfance. Elle songea avec émotion, sur place, aux mystérieux condamnés qui franchirent jadis le Pont des Soupirs.

Elle pensa qu’Adalbret, dans un pareil décor, se déciderait enfin à faire non plus le mari, mais l’amant. Il le tenta, pour tout dire, mais son éducation, sans doute insuffisante en matière d’amour, ne lui permit que des exploits médiocres au lieu du grand élan et de la fièvre épique qu’Amande attendait.

Elle tenta de l’éveiller, dans son sommeil bourgeois d’époux qui ne sait pas donner de la joie aux femmes. C’était certes délicat, mais Amande ne craignait rien, pas même de passer pour une petite dévergondée…

Au surplus, ce qu’elle fit ne lui valut que de l’étonnement chez son partenaire et point de passion.

Alors, elle se laissa faire de l’œil par ces métèques de races diverses, métissés d’Anglo-Saxon, de Croate, de Vénète et de tzigane, qui sont en quelque sorte l’insecte spécifique du sol vénitien. Mais elle n’eût point le temps de pousser la comédie à son degré le plus plaisant, car les époux ne passèrent que huit jours dans la ville des Doges, et les idylles ont besoin pour se faire chair d’un petit peu plus de temps.

Alors Amande, furieuse de voir sa vie attachée à celle de cet échalas qui ignorait en vérité comment on aime les femmes, qui croyait le plaisir une façon de dire d’une voix pâmée : « Je vous aime » ; et qui dormait la nuit, se promit de lui faire pousser des cornes de sept lieues.

Et elle regarda dès lors les autres hommes avec une insolence parfaite, les yeux dans les yeux…

Au début, elle dut un peu se forcer pour jeter aux mâles le muet défi de cette œillade incisive et tuméfiante…

Mais l’habitude lui vint. À Trévise, durant le retour, elle osa même, dans le couloir du wagon, se frotter, sans nulle équivoque, à un homme qui regardait le paysage, lequel en fut bouleversé.

À Vintimille, durant le cérémonial guerrier de la douane, qui ressemble un peu à une retraite aux flambeaux et à un comice agricole, elle se trouva dans un angle de bâtiment, à côté d’un homme qui depuis un instant la regardait avec une insistance dépourvue de toute vergogne.

Et le personnage, profitant de ce que la retraite était coupée à Amande, la prit par les épaules et lui apposa un baiser violent sur la nuque.

— Oh ! fit-elle sans s’émouvoir, c’est un peu haut…

Et elle rentra dans son train sans mécontentement, ayant là une preuve palpable de l’effet galant qu’elle provoquait sur les inconnus. Ensuite, on reprit le P.-L.-M. vers Marseille.

À Fréjus, il prit idée à Amande de descendre pour voir les ruines romaines qu’un guide marseillais compare à Pompéi avec un sang-froid polaire et une exagération de Maltais.

Là, il faillit lui advenir une aventure charmante et qui corsait heureusement les médiocrités du voyage.

En effet, on décida de passer la nuit à Fréjus. Au matin, toutefois, Adalbret ayant la migraine, Amande s’en alla seule à la découverte. Elle s’était mis dans la tête de voir des merveilles.

Elle sortit de la ville et aperçut de loin une sorte de débris incertain qui semblait, et qui était, d’ailleurs, un pilier d’aqueduc romain.

Elle s’approcha, au gré d’un sentier capricieux, de ce morceau effrité, témoignant d’une civilisation depuis si longtemps disparue.

Et, comme cela ne se rapprochait pas assez vite, selon son gré, elle traversa dans les champs.

Or, à certain moment, pour passer dans un buisson, elle crut bon, se croyant seule, de relever sa jupe un peu haut.

Mais, couché dans l’herbe, un tirailleur sénégalais la regardait venir avec enthousiasme et il devint flambant devant le paysage intime qui lui était ainsi dévoilé.

Il sauta donc sans plus de façons sur Amande et la coucha sur le sol.

Elle qui désirait un amant depuis son mariage…

Mais voilà, il arrive qu’on désire une chose avec ardeur, et que pourtant on la refuse lorsqu’elle se présente…

Voilà pourquoi Amande se débattit comme une diablesse sous l’étreinte du beau noir, venu exprès, peut-être, de ses Tropiques. Pourtant, elle n’était pas robuste au point de se débarrasser sans coup férir de cet athlète de couleur foncée et de volume abusif. Quoiqu’elle se débattît, c’eût été comme si elle chantait la Traviata si, par chance — ou par méchef — un habitant du cru, non loin, ne s’était approché. Cette survenue fit au nègre une peur bleue…

De sorte que l’amant en kaki et chéchia prit ses jambes à son cou et détala avec une vitesse de grand express.

Amande resta soudain seule. Elle se mit debout en riant à demi, puis eut un peu honte de devoir remettre de l’ordre en ses vêtements devant le témoin de sa demi-défaite.

— Méfiez-vous, ma petite dame, fit alors l’obligeant défenseur en saluant. Il ne faut pas trop en faire voir à ces gars-là.

Il guignait du regard un morceau de cuisse, au-dessus du bas, qui ne voulait pas disparaître.

— Et puis, conclut-il, vous me semblez un peu vêtue légèrement pour être en mesure de vous défendre contre un guerrier de ce mordant…

À son retour, Amande refroidie décida de repartir tout de suite pour Paris, et sans nouvelle attente. Le lendemain, on débarquait à la gare de Lyon.

Ici, on trouverait sans doute à se faire séduire sans perdre contact avec les peaux blanches…