Les Marchands de Voluptés/22

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Édition Prima (p. 133-138).

XXII

De bons débuts


Amande entra dans la chambre où se tenait le bon vieux tout émerillonné, depuis surtout qu’il avait payé et qu’il tenait à se rembourser, en lascivetés savantes autant que méthodiques.

Elle était émue en vérité et se disait :

« C’est curieux comme ce vieux me répugne. »

Dès qu’elle eut fermé la porte, l’autre dit :

— Venez ici, ma chère enfant !

Elle s’approcha.

— Asseyez-vous sur mes genoux.

Amande s’attendait à une scène amoureuse prompte et sans complications.

Cependant il ne fallait pas rechigner dès les premiers pas. La vie, en tous ses jeux, comporte un mélange de soucis et de joies qu’il est à peu près impossible de séparer. Il faut les prendre ensemble, et ils sont d’ailleurs gordiennement mêlés. Elle s’assit donc, précautionneusement, sur les genoux du birbe. Il dit :

— Tu es gentille !

Elle ne répondit rien, ne voyant rien à dire et sourit seulement.

Mais l’autre aimait les femmes qui parlent. Il demanda, avec un peu de colère commençante :

— Tu ne réponds rien.

Elle murmura tranquillement.

— Je sais bien que je suis jolie. Je n’ai rien fait pour ça, mais puisque c’est acquis, cela m’est agréable.

— Ah ! fit l’homme, tu te fiche donc que je te le dise.

— Mais non. Seulement il n’y a pas de quoi pavoiser.

Il sentait une fureur sourde naître en lui et reprit :

— Déshabille-toi !

Elle se leva.

— Pardon, monsieur !

Car elle avait marché sur le pied du vieux, qui avait la disgrâce d’étaler des chaussures d’un calibre surhumain, du cent trente au moins…

Il répondit avec quelque morgue ridicule :

— Appelle-moi Monsieur le duc !

Amande le regarda d’un air surpris. Avait-elle le malheur de tomber du baron de Baverne d’Arnet sur un duc ? Alors il lui serait, même en faisant la noce, impossible de sortir de l’armorial. C’était une disgrâce amère…

Et elle demanda étourdiment :

— Duc, vraiment, monsieur, vous êtes duc, mais de quelle branche, car j’en connais quelques-uns ?

Il rougit et riposta avec véhémence :

— Mêle-toi de ce qui te regarde ! Tu as assez à faire ici, avec ton outillage de femme, sans t’occuper encore des autres, et de choses qui sortent de ta compétence.

Mais Amande n’aimait pas les gens qui répondent comme des butors lorsqu’on leur adresse la parole poliment.

Elle haussa un peu le ton en se dévêtant :

— Monsieur, je suis polie avec vous.

Le vieux bougre éclata :

— Je ne te demande pas d’être polie, je me fiche que tu le sois. Je ne viens pas ici prendre de leçons. Approche-toi plutôt ici ! Amande le regarda de haut. Elle venait de quitter sa robe et se tenait debout, dans sa combinaison de satin crème fort collante, qui mettait en valeur la cambrure de son torse, la rigueur de ses formes et la noblesse d’un corps qui visiblement avait connu jusqu’ici d’autres jeux que ceux des maisons d’amour.

Elle se mit à rire :

— Si vous n’êtes pas duc, comme c’est trop visible, fit-elle doucement, vous devriez au moins sauvegarder les apparences et ne pas parler comme un marchand de chiffons.

Il s’élança sur elle en grinçant des dents :

— Petite misérable, les chiffons sont aussi nobles que toi.

— Tiens, riposta Amande, sans le vouloir j’ai peut-être dit votre vrai métier.

Et elle s’assit sur le bord du lit pour rire à l’aise.

— Quitte ta combinaison, cria le faux duc en s’élançant sur elle comme un vieux fauve fourbu.

Elle l’écarta :

— Hé, monsieur ! parlez donc avec moins de rage et quelque gentillesse courtoise. Sinon vous n’aurez rien du tout de moi.

— J’ai payé assez cher ! je t’aurai.

— Si je veux ! fit Amande.

Le vieux crut avoir une crise de nerfs et ses mains se mirent à trembler.

— Ah ça ! mais c’est la première fois que dans cette boîte je trouve une insolente comme toi. Tu me le paieras.

Amande commençait à s’impatienter.

— Monsieur, je vous prie de ne plus me parler sur ce ton grossier et furieux. Je vous dis ce que j’ai à dire, sans façons, et je vous avertis que si vous insistez, je remets ma jupe et m’en vais.

Jamais le vieillard n’avait vu ça. Une femme de maison de rendez-vous qui menace son partenaire de le laisser en frime alors qu’il a versé des sommes exorbitantes pour être mis en face d’une amazone rarissime et prête à tout offrir ou subir…

— Je te ferai arrêter par la police.

Amande eut un accès de gaité.

— Vous êtes fou, monsieur.

— Tu oses me parler sur ce ton, toi, une fille de rien ?

Amande, toujours assise, haussa les épaules.

— Comme représentant de la vertu, je vous retiens…

Le vieux se jeta sur elle pour la calotter. Mais Amande avait fait du sport et savait toutes les esquives. Elle s’effaça et le poing du bonhomme rencontra le vide. Il faillit même, emporté par son élan, tomber sur le tapis.

Ce fut la jeune femme qui le retint.

— Hé, là ! attention de ne pas vous casser une patte.

Sans égards pour le service qu’elle lui rendait, il récidiva et de nouveau sa main vint pour frapper la figure rieuse qui lui semblait de plus en plus insultante.

Mais Amande fléchit sur les jarrets, et, d’un revers des doigts effleura en manière de représailles le masque congestionné du marchand de chiffons.

Il parvint pourtant à la saisir par sa combinaison et tira. Le frêle tissu se déchira, mais ce fut toute sa victoire avec une claque destinée à la figure, mais qui vint mourir sur le dos de la victime amusée.

— Vos coups sont des caresses ! dit Amande ironiquement.

Elle venait de prendre sa robe, et tournait, poursuivie par l’homme, pour remettre ce vêtement nécessaire afin de s’enfuir. Le vieux la criblait d’injures ordurières en un pâle argot des faubourgs. Elle riait toujours et put enfiler sa jupe entre deux fauteuils.

Puis elle se précipita dehors.