Les Marchands de Voluptés/28

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Édition Prima (p. 169-174).

XXVIII

Initiations


Amande passa chez Estelle Némorin l’examen des lascives. Il était subtil et compliqué. Celui qui faisait le rôle professoral restait de glace et visiblement incorruptible. Il cotait sur une feuille exprès les qualités de l’impétrante.

Il y avait des colonnes pour chaque chose et beaucoup de ces choses.

Amande n’en revenait pas qu’on découvrît scientifiquement tant de mystères en amour.

En même temps on donnait à la jeune femme des leçons de maintien amoureux et de correction durant les phases de la passion. On lui enseignait mille actes divertissants et inattendus qui la faisaient rire et l’amusaient infiniment.

Enfin le professeur prit sa fiche et l’annota, puis il salua Amande et dit :

— Madame, l’examen est terminé.

— Puis-je savoir si je suis reçue ? demanda-t-elle.

— Mme Estelle vous le dira.

Et on se rendit chez la tenancière.

Celle-ci prit la feuille et tandis que l’examinateur se retirait, elle dit :

— Ah ! je suis contente de vous. Vous êtes admise avec mention bien.

— Oh ! fit Amande en rougissant de joie.

Car elle craignait un peu de se voir recalée.

— Oui. Vous avez brillé sur deux rubriques d’une façon très exceptionnelle. Moins habile ici, mais pleine de volonté et de dispositions.

Et avec un sourire :

— Mais la note de la colonne des observations dit ceci : « Mme Amande s’analyse visiblement trop et perd parfois le fil des opérations dans son désir de suivre, au fond d’elle-même, le sens et la valeur des impressions qu’elle ressent. »

— C’est bien vrai, fit Amande.

— Oh ! ce n’est rien, reconnut Estelle Némorin. Vous êtes en tout remarquable. Il me faut maintenant vous mettre au courant.

— J’écoute, madame.

— Voici, c’est quatre cents francs par jour.

Et comme Amande la regardait avec curiosité, elle reprit :

— Mais j’accepte que vous me remettiez un chèque, à toucher quand il vous plaira.

— Pourtant, madame, je croyais, remarque Amande, que ces choses-là étaient généralement payées par les hommes. N’est-ce pas suffisant, sans les faire solder aussi par le sexe en face ?

Estelle passa la main sur son pagne et se mit à rire.

— Ah !… ah !… oui, je vous entends. Vous n’êtes pourtant pas venue ici dans l’intention d’y gagner votre vie ?

— Aucunement, madame.

— Fort bien. En ce cas, je me contenterai de vous demander, à cause de vos dispositions, et du lustre que vous répandrez sur ma maison, deux cents francs par jour.

Amande rit à son tour.

— Mais ne touchez-vous pas d’argent du côté mâle ?

— Si, certainement. Mais songez à mes frais immenses qui ne seraient pas couverts autrement. Ici, c’est comme en beaucoup de théâtres. Je fais le service à un certain nombre de gens de plume et de dames du même, à des sénateurs et à des personnes du monde qui me font ensuite de la propagande…

— Ah ! fit Amande, il y a ici un service de presse…

— Parfaitement. Je suis très moderne, moi. Alors j’ai décidé, pour avoir un personnel considérablement réduit, mais de premier ordre, de ne recevoir que des femmes payantes, pour le plaisir qu’elles donnent ou reçoivent, peu m’importe, à des partenaires payants aussi.

— Songez, dit-elle encore, à la satisfaction de l’amant qui, pour cinq cents francs, a le plaisir de donner à une jolie femme une joie que celle-ci paye le même prix…

— C’est en effet ingénieux et spirituel, reconnut Amande.

— Mais oui ! Ainsi vous, ma petite, supposons que vous receviez un homme et versiez deux cents francs pour cela. Il ne faut pas oublier quel rehaut passionnel contient alors la certitude que votre partenaire a payé plus du double le droit qu’il prend d’être un instant au cœur de votre intimité…

— Oui… oui… c’est une façon d’envisager les choses.

— Me faut-il comprendre que vous refuseriez ?

— C’est-à-dire…

— Allons, je vous prendrai pour cent francs par jour et vous aurez le droit de refuser qui vous déplaît. C’est une grave prérogative que je vous donne, mais je tiens tant à votre présence ici.

Amande accepta :

— Essayons !

— Fort bien. Je vais faire graver votre diplôme d’honneur, avec votre portrait traité à la pointe sèche par un grand artiste. Tout est bien fait ici.

Et Amande se prépara à toucher aux cimes de l’Everest amoureux.

Une heure après, dans un salon de satin amarante où elle rêvassait sur ses aventures, on vint, de fait, la quérir pour lui montrer, par un jour dissimulé, un homme qui voulait une « lascive ».

Elle regarda et dit :

— Impossible, c’est mon beau-père.

C’était, en effet, le père même d’Adalbret.

Un autre parut assez digne d’affection, du moins quant à l’énuméré de ses titres. C’était en effet le duc Seligman de la Sierra-Dorchester, un noble anglo-espagnol né à Cracovie. Mais il était bossu.

— Non ! fit Amande, je ne veux pas avoir de bosse à me reprocher. Le troisième apparut trop laid, et d’ailleurs la jeune lascive commençait d’en avoir assez. Elle ne percevait plus en sa chair la moindre sollicitation voluptueuse et se rendit chez Estelle Némorin.

— Je crois, madame, que je n’ai décidément pas la vocation.

— Vraiment ! dit la dame du lieu en riant et sans s’offusquer.

— Non ! Cette attente me glace et les hommes que j’ai vus sont sans attraits.

— C’est assez juste. Voulez-vous revenir demain ? Je vous offrirai un homme très beau, après lequel toutes les femmes courent et qui n’en voit que chez moi…

Elle se pencha vers Amande.

— Il me préfère, mais je vous le céderai une fois.

— C’est entendu, je reviendrai demain.

Et Amande s’en fut d’un pas leste.

On ne saurait croire, quand on parle des facilités de la débauche, pensait-elle, à quel point elles sont surfaites.