Les Marchands de Voluptés/29

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Édition Prima (p. 175-180).

XXIX

Encore une fois


Amande, découragée, n’avait plus aucun désir de se rendre chez Estelle Némorin, qui finissait par l’ennuyer après un nouvel échec.

Elle se disait en effet que l’amour, entouré de tant de complications, est encore moins agréable que son absence.

Et puis, elle attendait certes de se voir aimer et de connaître à nouveau le grand frisson des voluptés, mais il fallait que cela vînt tout seul et non point au bout de difficultés infinies. Certains, sans doute, tirent de ces obstacles une satisfaction de plus, mais, pour elle, c’était le pire des réfrigérants.

En sus, faire de la prostitution ordinaire, sans autre fruit que de déshonorer son mari et surtout sans plaisir, aurait semblé bas à cette jeune femme. Elle gardait, en effet, dans la situation la moins indiquée pour de tels soucis, un besoin durable de moralité…

La morale à ses yeux était sauvegardée par l’intervention de la joie dans l’acte délictueux. Or, le plaisir a un caractère de spontanéité que toutes les tenancières de bouics annulaient par mille entraves, de sorte qu’Amande ne voulait plus rien entendre de ce métier du moment qu’il était ennuyeux.

Il lui restait au vrai à pénétrer dans une vraie maison de tolérance. Là ce doit être, pensait-elle, infiniment plus agréable. On n’ajoute pas à la chose tout cet art et toute cette littérature surérogatoires qui faisaient les vaines délices de Nana Dhousse ou d’Estelle Némorin.

Seulement, comment donc s’introduire dans un lupanar ?

Elle en était là de ses réflexions vagabondes, un après-midi, lorsqu’elle s’arrête à un croisement de la rue de Mogador et fut heurtée par une grosse dame élégante qui lui dit :

— Toujours ces embarras de voitures, n’est-ce pas ?

— Oui, toujours, et je ne les vois pas cesser demain, répliqua Amande.

— Je vais décidément prendre un taxi, plutôt que de continuer à marcher ainsi, fit la puissante personne.

Amande allait dire qu’elle n’y voyait aucun inconvénient, mais la femme dit encore :

— Voulez-vous que je vous dépose là où vous allez ?

— Volontiers, accepta la jeune femme que la bousculade agaçait.

Elles montèrent dans une auto, qui, Amande ne le remarqua pas tout de suite, n’était aucunement un taxi.

Et le chauffeur partit sans ordre.

L’épouse d’Adalbret se mit à rire :

— Vous avez vu cette femme qui a failli se faire écraser ?

« Elle a culbuté par terre et nous a fait voir tous ses trésors.

— Oui. Il me semble qu’une femme convenable ne devrait pas sortir sans une culotte, au minimum…

— Oh ! cela dépend de la température. Par ce beau temps, il n’est pas déplaisant d’avoir de l’aise et de laisser sa peau respirer un peu.

— Voyez-vous, la petite vicieuse, sourit la dame. Vous n’avez donc pas de culotte ?

— J’ai une combinaison qui fait culotte et chemise, tenez !

À ce moment la voiture stoppa.

— Venez prendre une tasse de thé chez moi, demanda la dame importante.

— J’y consens volontiers.

Et Amande monta un escalier somptueux, fort parfumé.

Lorsqu’elle entra dans un appartement doré partout, et encombré de statuettes, de peintures et d’objets d’art uniformément érotiques, elle comprit que sa compagne du moment était encore une tenancière de maison de galanterie, et qu’elle venait de se faire recruter une fois de plus.

« Voyons, pensa-t-elle, ce qui va arriver ! » Elle était dans un cabinet garni de fauteuils de cuir, devant un bureau ministre.

La matrone lui dit :

— Ma chère madame, j’ai la sensation que la vie ne vous donne pas toutes les félicités auxquelles une si jolie femme a évidemment droit.

— Mon Dieu, madame, dit Amande, il en est pour moi comme pour bien d’autres.

— Oui ! Mais je suis convaincue que l’Amour est rare dans vos actes et abondant dans vos désirs.

— Ce n’est pas faux, avoua la jeune femme.

— Et cet amour, je ne crois pas me tromper en devinant que vous l’avez cherché sans le trouver, souventes fois.

— Mon désir ne m’a pas fait encore accomplir de folies, dit Amande, mais, en gros, vos réflexions sont justes.

— Eh bien, le voulez-vous, cet amour tant attendu ?

— Si je le veux…

— Oui. Je vous le propose. J’ai sous la main un homme doux, tendre, beau et ardent…

— Que de vertus !

— Ce ne sont pas précisément des vertus, mais ce sont des qualités, selon moi…

— Oui, sans doute.

— Enfin, acceptez-vous ?

Amande hésitait.

— Dites oui, allez ! Outre cela, l’homme en question est riche et il n’est point de femme qui soit indifférente à quelques billets bleus …

— Écoutez, nota Amande, si ce que vous me promettez est vrai, je n’accepte que dans un décor selon mon goût.

— Dites toujours !

— Voilà. Je veux bien être aimée par votre phénix, mais dans une totale obscurité, et sans un mot. Mes tentatives se sont heurtées jusqu’ici à des déceptions et à des médiocrités qui m’ont un peu dégoûtée. Donnez-moi un homme qui aime, qui sache ce que c’est que l’amour, et qui veuille m’en faire goûter la saveur. Voilà ce que je vous demande.

— Mais j’accepte, et cette originalité de conception me plaît plus que tout. Vos désirs seront réalisés.

— Parfait. Allons-y ! car après une période de calme qui me faisait croire que j’en avais assez, voilà le désir qui me revient.

— C’est bien, venez dans la chambre voisine. Elle sera fermée rideaux tirés et vous attendrez nue l’amant qui vous mènera au paradis. Je lui téléphone illico.

— Espérons donc cette montée au ciel. Elle est assez peu commune.

— Oh ! vous verrez toutes les flammes du bonheur…

— Alors, qu’elles viennent, mais réservez-moi un extincteur.