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Les Martyrs/Livre quinzième

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Garnier frères (Œuvres complètes de Chateaubriand, tome 4p. 202-215).

Livre Quinzième.

Athènes. Adieux de Cymodocée, d’Eudore et de Démodocus. Cymodocée s’embarque avec Dorothée pour Joppé. Eudore s’embarque en même temps pour Ostie. La Mère du Sauveur envoie Gabriel à l’ange des mers. Eudore arrive à Rome. Il trouve le sénat prêt à se rassembler pour prononcer sur le sort des chrétiens. Il est choisi pour plaider leur cause. Hiérocles arrive à Rome : les sophistes le chargent de défendre leur secte et d’accuser les chrétiens. Symmaque, pontife de Jupiter, doit parler au sénat en faveur des anciens dieux de la patrie.

Monté sur un coursier de Thessalie et suivi d’un seul serviteur, le fils de Lasthénès avoit quitté Lacédémone ; il marchoit vers Argos, par le chemin de la montagne. La religion et l’amour remplissoient son âme de résolutions généreuses. Dieu, qui vouloit l’élever au plus haut degré de la gloire, le conduisoit à ces grands spectacles qui nous apprennent à mépriser les choses de la terre. Eudore, errant sur des sommets arides, fouloit le patrimoine du Roi des rois. Pendant trois soleils il presse les flancs de son coursier, et vient se reposer un moment dans Argos. Tous ces lieux, encore remplis des noms d’Hercule, de Pélops, de Clytemnestre, d’Iphigénie, n’offroient que des débris silencieux. Il voit ensuite les portes solitaires de Mycènes et la tombe ignorée d’Agamemnon : il ne cherche à Corinthe que les monuments où l’Apôtre fit entendre sa voix. En traversant l’isthme dépeuplé, il se rappelle ces jeux chantés par Pindare, qui participoiont en quelque sorte de l’éclat et de la toute-puissance des dieux ; il cherche à Mégare les foyers de son aïeule qui recueillit les cendres de Phocion. Tout étoit désert à Éleusis, et dans le canal de Salamine, une seule barque de pêcheur étoit attachée aux pierres d’un môle détruit. Mais lorsque, suivant la voie Sacrée, le fils de Lasthénès eut gravi le mont Pœcile, et que la plaine de l’Attique s’offrit à ses regards, il s’arrêta saisi d’admiration et de surprise : la citadelle d’Athènes, élégamment découpée dans la forme d’un piédestal, portoit au ciel le temple de Minerve et les Propylées ; la ville s’étendoit à sa base, et laissoit voir les colonnes confuses de mille autres monuments. Le mont Hymette faisoit le fond du tableau, et un bois d’oliviers servoit de ceinture à la cité de Minerve.

Eudore traverse le Céphise, qui coule dans ce bois sacré ; il demande la route des jardins d’Acadème : des tombeaux lui tracent le chemin de cette retraite de la philosophie. Il reconnoît les pierres funèbres de Thrasybule, de Conon, de Timothée ; il salue les sépulcres de ces jeunes hommes, morts pour la patrie dans la guerre du Péloponèse ; Périclès, qui compara Athènes privée de sa jeunesse à l’année dépouillée de son printemps, repose lui-même au milieu de ces fleurs moissonnées.

La statue de l’Amour annonce au fils de Lasthénès l’entrée des jardins de Platon. Adrien, en rendant à l’Académie son ancienne splendeur, n’avoit fait qu’ouvrir un asile aux songes de l’esprit humain. Quiconque étoit parvenu au grade de sophiste sembloit avoir acquis le privilége de l’insolence et de l’erreur. Le cynique, à peine couvert d’une petite chlamyde sale et déchirée, insultoit, avec son bâton et sa besace, au platonicien enveloppé dans un large manteau de pourpre ; le stoïcien, vêtu d’une longue robe noire, déclaroit la guerre à l’épicurien couronné de fleurs. De toutes parts retentissoient les cris de l’école, que les Athéniens appeloient le chant des cygnes et des sirènes ; et les promenades qu’avoit immortalisées un génie divin étoient abandonnées aux plus imposteurs comme aux plus inutiles des hommes.

Eudore cherchoit dans ces lieux le premier oflficier du palais de l’empereur : il ne se put défendre d’un mouvement de mépris lorsqu’il traversa les groupes des sophistes, qui le prenoient pour un adepte ; désirant l’attirer à leurs systèmes, ils lui proposoient la sagesse dans le langage de la folie. Il pénètre enfin jusqu’à Dorothée : ce vertueux chrétien se promenoit au fond d’une allée de platanes que bordoit un canal limpide ; il étoit environné d’une troupe de jeunes gens déjà célèbres par leurs talents ou par leur naissance. On remarquoit auprès de lui Grégoire de Nazianze, animé d’un souffle poétique ; Jean, nouveau Démosthène, que son éloquence prématurée avoit fait nommer Bouche d’Or ; Basile, et Grégoire de Nysse, son frère : ceux-ci montroient un penchant décidé vers la religion qu’avoient professée Justin le Philosophe et Denys l’Aréopagite. Julien, au contraire, neveu de Constantin, s’attachoit à Lampridius, ennemi déclaré du culte évangélique : des habitudes bizarres et des mouvements convulsifs déceloient dans le jeune prince une sorte de dérèglement de l’esprit et du cœur.

Dorothée eut quelque peine à reconnoître Eudore : le visage du fils de Lasthénès avoit pris cette beauté mâle que donnent le métier des armes et l’exercice des vertus. Ils se retirèrent à l’écart, et Dorothée ouvrit son cœur à l’ami de Constantin.

« J’ai quitté Rome, lui dit-il, à l’arrivée de votre messager. Le mal est encore plus grand que vous ne le croyez peut-être. Galérius l’emporte, et tôt ou tard Dioclétien sera obligé d’abdiquer la pourpre. On veut perdre d’abord les chrétiens, afin d’ôter à l’empereur son premier appui : c’est l’ancien projet d’Hiéroclès, aujourd’hui tout-puissant auprès de César. Celui-ci répète sans cesse que le dénombrement ordonné, en découvrant une multitude effrayante d’ennemis des dieux, a révélé le danger de l’empire ; qu’il faut en venir aux mesures les plus sévères pour réprimer une secte qui menace les autels de la patrie. Pour moi, presque tombé dans la disgrâce de Dioclétien, vous savez quel sujet me conduit en Syrie. Eudore, nos frères malheureux tournent les yeux vers vous. La gloire que vous vous êtes acquise dans les armes et surtout votre repentir éclatant sont l’objet de l’admiration et des discours de tous les fidèles. Le souverain pontife vous attend ; Constantin vous appelle. Ce prince, environné de délateurs, se soutient à peine à la cour ; il a besoin d’un ami tel que vous, qui puisse l’aider de ses conseils et, s’il le faut, le servir de son bras. »

Eudore raconte à son tour à Dorothée les événements qui s’étoient passés dans la Grèce. Dorothée s’engage avec joie à conduire vers Hélène l’épouse du fils de Lasthénès. Une galère napolitaine, prête à retourner en Italie, se trouvoit au port de Phalère, non loin du vaisseau de Dorothée : Eudore la retient pour son passage. Les deux voyageurs fixent ensuite le moment du départ au troisième jour de la fête des Panathénées. Démodocus arriva pour cette époque fatale avec la triste Cymodocée ; il alla cacher ses pleurs dans la citadelle, où le plus ancien des prytanes, son parent et son ami, lui donna l’hospitalité.

Le fils de Lasthénès avoit été reçu par le docte Piste, évêque d’Athènes, qui brilla depuis dans ce concile de Nicée où l’on vit trois prélats ayant le don des miracles et ressuscitant les morts, quarante évêques confesseurs ou martyrs, des prêtres savants, des philosophes même, enfin les plus grands caractères, les plus beaux génies et les hommes les plus vertueux de l’Église.

La veille de la double séparation du père et de la fille, de l’épouse et de l’époux, Eudore fit savoir à Cymodocée que tout étoit prêt et que le lendemain, vers le coucher du soleil, il iroit la chercher sous le portique du temple de Minerve.

Le jour fatal arrive : le fils de Lasthénès sort de sa demeure ; il passe devant l’Aréopage, où le Dieu que Paul annonça n’étoit plus inconnu ; il monte à la citadelle, et se trouve le premier au rendez-vous, sous le portique du plus beau temple de l’univers.

Jamais si brillant spectacle n’avoit frappé les regards d’Eudore. Athènes s’offroit à lui dans toutes ses pompes, le mont Hymette s’élevoit à l’orient comme revêtu d’une robe d’or ; le Pentélique se courboit vers le septentrion pour aller joindre le Permetta ; le mont Icare s’abaissoit au couchant, et laissoit voir derrière lui la cime sacrée du Cythéron ; au midi la mer, le Pirée, les rivages d’Égine, les côtes d’Épidaure, et dans le lointain la citadelle de Corinthe, terminoient le cercle entier de la patrie des arts, des héros et des dieux.

Athènes, avec tous ses chefs-d’œuvre, reposoit au centre de ce bassin superbe : ses marbres polis et non pas usés par le temps se peignoient des feux du soleil à son coucher ; l’astre du jour, prêt à se plonger dans la mer, frappoit de ses derniers rayons les colonnes du temple de Minerve : il faisoit étinceler les boucliers des Perses suspendus au fronton du portique, et sembloit animer sur la frise les admirables sculptures de Phidias.

Ajoutez à ce tableau le mouvement que la fête des Panathénées répandoit dans la ville et dans la campagne. Là de jeunes Canéphores reportoient aux jardins de Vénus les corbeilles sacrées, ici le Péplus flottoit encore au mât du vaisseau qui se mouvoit par ressorts ; des chœurs répétoient les chansons d’Harmodius et d’Aristogitor ; les chars rouloient vers le Stade ; les citoyens couroient au Lycée, au Pœcile, au Céramique ; la foule se pressoit surtout au théâtre de Bacchus, placé sous la Citadelle ; et la voix des acteurs, qui représentoient une tragédie de Sophocle, montoit par intervalles jusqu’à l’oreille du fils de Lasthénès.

Cymodocée parut : à son vêtement sans tache, à son front virginal, à ses yeux d’azur, à la modestie de son maintien, les Grecs l’auroient prise pour Minerve elle-même sortant de son temple et prête à rentrer dans l’Olympe, après avoir reçu l’encens des mortels.

Eudore, saisi d’admiration et d’amour, faisoit des efforts pour cacher son trouble, afin d’inspirer plus de courage à la fille d’Homère.

« Cymodocée, lui dit-il, comment vous exprimer la reconnoissance et les sentiments de mon cœur ? Vous consentez à quitter pour moi la Grèce, à traverser les mers, à vivre sous des cieux étrangers, loin de votre père, loin de celui que vous avez choisi pour époux. Ah ! si je ne croyois vous ouvrir les cieux et vous conduire à des félicités éternelles, pourrois-je vous demander de pareilles marques d’attachement ? Pourrois-je espérer qu’un amour humain vous fît faire des choses si douloureuses ? »

« Tu pourrois, repartit Cymodocée en larmes, me demander mon repos et ma vie : le bonheur de faire quelque chose pour toi me payeroit de tous mes sacrifices. Si je t’aimois seulement comme mon époux, rien encore ne me seroit impossible. Que dois-je donc faire à présent que ta religion m’apprend à t’aimer pour le ciel et pour Dieu même ! Je ne pleure pas sur moi, mais sur les chagrins de mon père et sur les dangers que tu vas courir. »

« Ô la plus belle des filles de la nouvelle Sion ! répondit Eudore, ne craignez point les périls qui peuvent menacer ma tête ; priez pour moi : Dieu exaucera les vœux d’une âme aussi pure. La mort même, ô Cymodocée ! n’est point un mal quand elle nous rencontre accompagnés de la vertu. D’ailleurs des destinées tranquilles et ignorées ne nous mettent point à l’abri de ses traits : elle nous surprend dans la couche de nos aïeux comme sur une terre étrangère. Voyez ces cigognes qui s’élèvent en ce moment des bords de l’Ilissus ; elles s’envolent tous les ans aux rives de Cyrène, elles reviennent tous les ans aux champs d’Érechthée ; mais combien de fois ont-elles retrouvé déserte la maison qu’elles avoient laissée florissante ! combien de fois ont-elles cherché en vain le toit même où elles avoient accoutumé de bâtir leurs nids ! »

« Pardonne, dit Cymodocée, pardonne ces frayeurs à une jeune fille élevée par des dieux moins sévères, et qui permettent les larmes aux amants près de se quitter ! »

À ces mots, Cymodocée, étouffant ses pleurs, se couvrit le visage de son voile. Eudore prit dans ses mains les mains de son épouse ; il les pressa chastement sur ses lèvres et sur son cœur.

« Cymodocée, dit-il, bonheur et gloire de ma vie, que la douleur ne vous fasse pas blasphémer une religion divine. Oubliez ces dieux qui ne vous offroient aucune ressource contre les tribulations du cœur. Fille d’Homère, mon Dieu est le Dieu des âmes tendres, l’ami de ceux qui pleurent, le consolateur des affligés ; c’est lui qui entend sous le buisson la voix du petit oiseau et qui mesure le vent pour la brebis tondue. Loin de vouloir vous priver de vos larmes, il les bénit ; il vous en tiendra compte quand il vous visitera à votre dernière heure, puisque vous les versez pour lui et pour votre époux. »

À ces dernières paroles, la voix d’Eudore s’altéra. Cymodocée se découvre le visage : elle aperçoit la noble figure du guerrier inondée des pleurs qui descendoient le long de ses joues brunies. La gravité de cette douleur chrétienne, ce combat de la religion et de la nature, donnoient au fils de Lasthénès une incomparable beauté. Par un mouvement involontaire, la fille de Démodocus alloit tomber aux genoux d’Eudore ; il la retient entre ses bras, il la presse tendrement sur son cœur ; tous les deux demeurent ravis dans une sainte et douce extase : tels parurent sans doute, à l’entrée de la tente de Laban, Rachel et Jacob se disant un triste adieu : le fils d’Isaac étoit obligé de garder les troupeaux durant sept nouvelles années pour obtenir son épouse.

Démodocus sortit alors des bâtiments du temple ; oubliant qu’il avoit consenti au départ de sa fille, les chagrins de son cœur s’exhalent aussitôt en plaintes amères.

« Comment ! s’écrie-t-il, as-tu la barbarie d’arracher une fille à son père ? Du moins, si ma Cymodocée étoit ton épouse, si vous me laissiez l’un et l’autre un aimable enfant qui pût sourire à ma douleur et de ses mains innocentes se jouer avec mes cheveux blanchis !… Mais loin de loi, loin de moi, sous un ciel inhospitalier, errante sur une mer où des pirates barbares… Ah ! si ma fille alloit tomber entre leurs mains ! s’il lui falloit servir un maître cruel, préparer son repas et son lit ! Que la terre me cache dans son sein avant que j’éprouve un pareil malheur ! Les chrétiens ont-ils donc un cœur plus dur que les rochers ? Leur Dieu est-il donc inexorable ? »

Cymodocée avoit volé dans les bras de son père, et mêloit ses larmes à celles du vieillard. Eudore écoutoit les reproches de Démodocus avec une fermeté qui n’avoit rien de dur et une affliction qui n’avoit rien de foible.

« Mon père, répondit-il, permettez que je vous donne ce nom, car votre Cymodocée est déjà mon épouse aux yeux de l’Éternel ; je ne l’arrache point de force à vos embrassements, elle est libre de suivre ou de rejeter ma religion ; mon Dieu ne veut point obtenir les cœurs par contrainte : si cela doit vous coûter à tous deux trop de regrets et de pleurs, demeurez ensemble dans la Grèce. Puisse le ciel répandre sur vous ses faveurs ! Pour moi, j’accomplirai ma destinée. Mais, Démodocus, si votre fille m’aime, si vous croyez que je la puisse rendre heureuse, si vous craignez pour elle les persécutions d’Hiéroclès, supportez une séparation qui, je l’espère, ne sera point de longue durée, et qui met Cymodocée à l’abri des plus grands malheurs. Démodocus, Dieu dispose de nous comme il lui plaît : notre devoir est de nous soumettre à sa volonté suprême. »

« Ô mon fils ! repartit Démodocus, excuse ma douleur ; je le sens, je suis injuste : tu ne mérites pas les reproches que je te fais ; tu sauves, au contraire, ma Cymodocée des persécutions d’un impie ; tu la mets sous la protection d’une princesse magnanime ; tu lui apportes de grands biens et un nom illustre. Mais comment rester seul dans la Grèce ? Oh ! que ne suis-je libre de quitter les sacrifices que les peuples ont confiés à mes soins ! Que n’ai-je l’âge où je parcourois les villes et les pays étrangers pour apprendre à connoître les hommes ! Comme je suivrois ma Cymodocée ! Hélas ! je ne te verrai donc plus danser avec les vierges sur le sommet de l’Ithome ! Rose de Messénie, je te chercherai en vain dans les bois du temple ! Cymodocée, je n’entendrai plus ta douce voix retentir dans les chœurs des sacrifices ; tu ne me présenteras plus l’orge nouvelle ou le couteau sacré ; je contemplerai, suspendue à l’autel, ta lyre couverte de poussière et ses cordes brisées ; mes yeux, pleins de larmes, verront se dessécher aux pieds de la statue d’Homère les couronnes de fleurs qu’embellissoit ta chevelure. Hélas ! j’avois compté sur toi pour me fermer les yeux ; je mourrai donc sans pouvoir te bénir en quittant la vie ? Le lit où j’exhalerai mon dernier soupir sera solitaire, car, ma fille, je n’espère plus te revoir ; j’entends le vieux nocher qui m’appelle ; à mon âge, il ne faut pas compter sur les jours : lorsque la graine de la plante est mûre et séchée, elle devient légère et le moindre vent l’emporte. »

Comme le prêtre d’Homère prononçoit ces mots, des applaudissements font retentir le théâtre de Bacchus ; l’acteur qui représentoit Œdipe à Colone élève la voix, et ces paroles viennent frapper les oreilles d’Eudore, de Démodocus et de Cymodocée :

« Ô Thésée ! unissez dans mes mains vos mains à celles de ma fille ! promettez-moi de servir de père à ma chère Antigone ! »

« Je le promets, » s’écria Eudore, appliquant à ses destinées les vers du poëte.

« Elle est donc à toi, » dit Démodocus en lui tendant les bras.

Eudore s’y précipite, le vieillard presse ses deux enfants contre son cœur : ainsi l’on voit un saule creusé par les ans, dont le sein entr’ouvert porte quelques fleurs de la prairie ; l’arbre étend son ombrage antique sur ces jeunes trésors et semble n’implorer que pour eux le zéphyr et la rosée ; mais bientôt un brûlant orage renverse et le saule et les fleurs, aimables enfants de la terre.

La lune parut à l’horizon ; son front d’argent se couronnoit des rayons d’or du soleil, dont le disque élargi s’enfonçoit dans les flots. C’étoit l’heure qui ramène aux nautoniers le veni favorable pour sortir du port de l’Altique. Les chars et les esclaves de Démodocus l’attendoient au bas de la citadelle, à l’entrée de la rue des Trépieds. Il fallut descendre, il fallut se soumettre à sa destinée ; les chars entraînent les trois infortunés qui n’avoient plus la force de gémir. Ils ont bientôt passé la porte du Pirée, les tombeaux d’Antiope, de Ménandre et d’Euripide ; ils tournent vers le temple ruiné de Cérès, et, après avoir traversé le champ d’Aristide, ils touchent au port de Phalère. Le vent venoit de se lever ; les flots, légèrement agités, battoient le rivage ; les galères déployoient leurs voiles, on entendoit les cris des matelots qui levoient l’ancre avec de grands efforts. Dorothée attendoit les passagers sur la grève, et les barques des vaisseaux étoient déjà prêtes à les recevoir. Eudore, Démodocus et Cymodocée descendent des chars arrêtés au bord des vagues. Le prêtre d’Homère ne pouvoit plus se soutenir, ses genoux se déroboient sous lui. Il disoit à sa fille d’une voix éteinte :

« Ce port me sera funeste comme au père de Thésée : je ne verrai point revenir ta voile blanche ! »

Le fils de Lasthénès et la jeune catéchumène s’inclinent devant Démodocus, et lui demandent sa dernière bénédiction : un pied dans la mer et le visage tourné vers la rive, ils avoient l’air d’offrir un sacrifice expiatoire à la manière antique. Démodocus lève les mains et bénit ses deux enfants du fond de son cœur, mais sans pouvoir prononcer une parole. Eudore soutient Cymodocée, et lui remet un écrit pour la pieuse Hélène ; ensuite, imprimant avec respect le baiser des adieux sur le front de la vierge éplorée :

« Mon épouse, lui dit-il, devenez bientôt chrétienne ; souvenez-vous d’Eudore, et que du haut de la tour du Troupeau la fille de Jérusalem jette quelquefois un regard sur la mer qui nous sépare. »

« Mon père, dit Cymodocée d’une voix entrecoupée par les sanglots, mon tendre père, vivez pour moi, je tâcherai de vivre pour vous. Eudore ! vous reverrai-je un jour ? reverrai-je mon père ? »

Alors Eudore, inspiré :

« Oui, nous nous reverrons pour ne nous quitter jamais ! »

Les mariniers enlèvent Cymodocée, les esclaves entraînent Démodocus. Eudore se jette dans la barque qui le transporte à son vaisseau. La flotte sort de Phalère, et les matelots couronnés de fleurs font blanchir la mer sous l’effort des rames ; ils invoquent les Néréides, et Palémon, et Thétys, et saluent en s’éloignant la tombe sacrée de Thémistocle.

Le vaisseau de Cymodocée prend sa course vers l’orient, et celui du fils de Lasthénès tourne la proue vers l’Italie.

La divine Mère du Sauveur veilloit sur les jours de l’innocente pèlerine : elle envoie Gabriel à l’ange des mers, afin de lui commander de ne laisser souffler que la plus douce haleine des vents. Aussitôt Gabriel, après avoir détaché de ses épaules ses ailes blanches, bordées d’or, se plonge du ciel dans les flots.

Aux sources de l’Océan, sous des grottes profondes, toujours retentissant du bruit des vagues, habite l’ange sévère qui veille aux mouvements de l’abîme. Pour l’instruire de ses devoirs, la sagesse le prit avec elle, lorsqu’à la naissance des temps elle se promena sous la mer. Ce fut lui qui, par l’ordre de Dieu, ouvrit au déluge les cataractes du ciel ; c’est lui qui, dans les derniers jours du monde, doit une seconde fois rouler les flots sur le sommet des montagnes. Placé au berceau de tous les fleuves, il dirige leur cours, enfle ou fait décroître leurs ondes ; il repousse dans la nuit des pôles et retient sous des chaînes de glace les brouillards, les nuages et les tempêtes ; il connoît les écueils les plus cachés, les détroits les plus déserts, les terres les plus lointaines, et les découvre tour à tour au génie de l’homme ; il voit d’un regard et les tristes régions du Nord et les brillants climats des tropiques ; deux fois par jour il soulève les écluses de l’Océan, et, rétablissant avec sa main l’équilibre du globe, à chaque équinoxe il ramène la terre sous les feux obliques du soleil.

Gabriel pénètre dans le sein des mers : des nations entières et des continents inconnus dorment engloutis dans le gouffre des ondes. Combien de monstres divers que ne verra jamais l’œil des mortels ! Quel puissant rayon de vie jusque dans ces profondeurs ténébreuses ! Mais aussi, que de débris et de naufrages ! Gabriel plaint les hommes et admire la puissance divine. Bientôt il aperçoit l’ange des mers, attentif à quelques grandes révolutions des eaux : assis sur un trône de cristal, il tenoit à la main un frein d’or ; sa chevelure verte descendoit humide sur ses épaules et une écharpe d’azur enveioppoit ses formes divines. Gabriel le salue avec majesté.

« Esprit redoutable, lui dit-il, ô mon frère ! le pouvoir que l’Éternel vous a confié montre assez le haut rang que vous occupez dans les hiérarchies célestes ! Quel monde nouveau ! Quelle intelligence sublime ! Que vous êtes heureux de connoître ces merveilleux secrets ! »

« Divin messager, répondit l’ange des mers, quel que soit le sujet qui vous amène, je reçois avec joie un hôte tel que vous. Pour mieux admirer la puissance de notre Maître, il faudroit l’avoir vu, comme moi, poser les fondements de cet empire : j’étois présent quand il divisa en deux parts les eaux de l’abîme ; je le vis assujettir les flots aux mouvements des astres et lier le destin de l’Océan à celui de la lime et du soleil ; il couvrit Léviathan d’une cuirasse de fer, et l’envoya se jouer dans ces gouffres ; il planta des forêts de corail sous les ondes ; il les peupla de poissons et d’oiseaux ; il fit sortir des îles riantes du sein d’un élément furieux ; il régla le cours des vents ; il soumit les orages à des lois, et, s’arrêtant sur le rivage, il dit à la mer : Tu n’iras pas plus loin, et tu briseras ici l’orgueil de tes flots. Illustre serviteur de Marie, hâtez-vous de m’apprendra quel ordre souverain vous a fait descendre dans ces grottes mobiles. Les temps sont-ils accomplis ? Faut-il rassembler les nuages ? Faut-il rompre les digues de l’Océan ? Abandonnant l’univers au chaos, dois-je remonter avec vous dans les cieux ? »

« Je vous apporte un message de paix, dit Gabriel avec un sourire : l’homme est toujours l’objet des complaisances de l’Éternel ; la croix va triompher sur la terre ; Satan va rentrer dans l’enfer, Marie vous ordonne de conduire aux ports ces deux époux que vous voyez s’éloigner des bords de la Grèce. Ne laissez souffler sur les ondes que la plus douce haleine des vents. »

« Qu’il soit fait selon la volonté de l’Étoile des mers ! » dit en s’inclinant respectueusement l’ange qui gouverne les tempêtes. « Puisse Satan être bientôt renfermé dans les lieux de son supplice ! souvent il trouble mon repos et déchaîne malgré moi les orages. »

En prononçant ces mots, le puissant esprit choisit les vents doux et parfumés qui caressent les rivages de l’Inde et de l’océan Pacifique, il les dirige dans les voiles d’Eudore et de Cymodocée, et fait avancer les deux galères, par un même souffle, à deux ports opposés.

Favorisé de cette bénigne influence du ciel, Eudore touche bientôt au rivage d’Ostie. Il vole à Rome. Constantin l’embrasse avec tendresse, et lui fait le récit des malheurs de l’Église et des intrigues de la cour.

Le sénat étoit convoqué pour délibérer sur le sort des fidèles. Rome reposoit dans l’attente et dans la terreur. Toutefois Dioclétien, par un dernier acte de justice, en cédant aux violences de Galérius, avoit voulu que les chrétiens eussent un défenseur au sénat. Les prêtres les plus illustres de la capitale de l’empire s’occupoient dans ce moment du choix d’un orateur digne de plaider la cause de la croix. Le concile, que présidoit Marcellin, étoit assemblé à la lueur des lampes dans les catacombes : ces Pères, assis sur les tombeaux des martyrs, ressembloient à de vieux guerriers délibérant sur le champ de bataille ou à des rois blessés en défendant leurs peuples. Il n’y avoit pas un de ces confesseurs qui ne portât sur ses membres les marques d’une glorieuse persécution : l’un avoit perdu l’usage de ses mains, l’autre ne voyoit plus la lumière des cieux ; la langue de celui-ci avoit été coupée, mais le cœur lui restoit pour louer l’Éternel ; celui-là se montroit tout mutilé par le bûcher, comme une victime à demi dévorée des feux du sacrifice. Les saints vieillards ne pouvoient s’accorder sur le choix d’un défenseur : aucun d’eux n’étoit éloquent que par ses vertus, et chacun craignoit de compromettre le sort des fidèles. Le pontife de Rome proposa de s’en référer à la décision du ciel. On place le saint Évangile sur le sépulcre du martyr qui servoit d’autel : les Pères se mettent en prières, et demandent à Dieu d’indiquer par quelques versets des Écritures le défenseur agréable à ses yeux. Dieu, qui leur avoit inspiré cette pensée, fait descendre aussitôt l’ange chargé d’inscrire les décrets éternels dans le livre de vie. L’esprit céleste, enveloppé d’un nuage, marque au milieu de la Bible les décrets demandés. Les Pères se lèvent ; Marcellin ouvre la loi des chrétiens ; il lit ces paroles des Machabées :

« Il se revêtit de la cuirasse comme un géant, il se couvrit de ses armes dans les combats, et son épée étoit la protection de tout le camp. »

Marcellin, surpris, ferme et rouvre une seconde fois le livre prophétique ; il y trouve ces mots :

« Son souvenir sera doux comme un concert de musique dans un festin délicieux. Il a été destiné divinement pour faire rentrer le peuple dans la pénitence. »

Enfin le souverain pontife consulte une troisième fois l’oracle d’Israël ; tous les Pères sont frappés de ce passage des Cantiques :

« Je me suis couvert d’un sac en jeûnant… J’ai pris pour mon vêtement un cilice. »

Aussitôt une voix (on ne sait quelle voix) prononça le nom d’Eudore ! Les vieux martyrs, subitement éclairés, font retentir d’un Hosanna prolongé les voûtes des catacombes. Ils relisent le texte sacré. Saisis d’étonnement, ils voient avec quelle justesse tous les mots s’appliquent au fils de Lasthénès. Chacun admire les conseils du Très-Haut ; chacun reconnoît combien ce choix est saint et désirable. La renommée du jeune orateur, sa pénitence exemplaire, sa faveur à la cour, son habitude de parler devant les princes, les charges dont il a été revêtu, l’amitié dont Constantin l’honore, tout justifie l’arrêt du ciel. On se hâte de lui porter les vœux des Pères. Eudore s’humilie dans la poudre ; il cherche à se soustraire à cet honneur si sublime, à ce fardeau si pesant ! On lui montre les passages de l’Écriture : il se soumet. Il se retire aussitôt parmi les tombeaux des saints, et se prépare par des veilles, des prières et des larmes, à plaider la plus grande cause qui fut jamais portée au tribunal des humains.

Tandis qu’il ne songe qu’à remplir dignement l’effrayante mission dont il est chargé, Hiéroclès arrivoit à Rome, soutenu de toutes les puissances de l’enfer. Cet ennemi de Dieu avoit appris avec désespoir le mauvais succès de ses violences à Lacédémone, la fuite de Cymodocée et le départ d’Eudore pour l’Italie. Les ordres modérés qu’il reçut en même temps de Dioclétien lui firent comprendre que ses calomnies n’avoient pas réussi complètement à la cour. Il avoit cru renverser un rival, et ce rival étoit simplement rappelé sous l’œil vigilant du chef de l’empire. Il tremble que le fils de Lasthénès ne parvienne à le perdre dans l’esprit de Dioclétien. Afin de prévenir quelque disgrâce soudaine, il se détermine à voler auprès de Galérius, qui ne cessoit de le redemander à ses conseils. L’esprit de ténèbres console en même temps l’apostat.

« Hiéroclès, lui dit-il secrètement, tu seras bientôt assez puissant pour atteindre Cymodocée jusque dans les bras d’Hélène. Cette vierge imprudente, en changeant de religion, t’offre une espérance nouvelle. Si tu peux déterminer les princes à persécuter les chrétiens, ton rival se trouvera d’abord enveloppé dans le massacre ; tu vaincras ensuite la fille d’Homère par la crainte des tourments, ou tu la réclameras comme une esclave chrétienne échappée à ton pouvoir. »

Le sophiste, qui prend ces conseils pour les inspirations de son cœur, s’applaudit de la profondeur de son génie : il ne sait pas qu’il n’est que l’instrument des projets de Satan contre la Croix. Plein de ces pensées, le proconsul s’étoit précipité des montagnes de l’Arcadie, comme le torrent du Styx qui tombe de ces mêmes montagnes et qui donne la mort à tous ceux qui boivent de ses eaux. Il passe en Épire, s’embarque au promontoire d’Actium, aborde à Tarente, et ne s’arrête qu’auprès de Galérius, qui profanoit alors à Tusculum les jardins de Cicéron.

César étoit environné dans ce moment des sophistes de l’école, qui se prétendoient aussi persécutés parce qu’on méprisoit leurs opinions. Ils s’agitoient pour être consultés sur la grande question que l’on alloit débattre. Ils se disoient juges naturels de tout ce qui concerne la religion des hommes. Ils avoient supplié Dioclétien de leur donner comme aux chrétiens un orateur au sénat. L’empereur, importuné de leurs cris, leur avoit accordé leur demande. L’arrivée d’Hiéroclès les remplit de joie. Ils le nomment orateur des sectes philosophiques, Hiéroclès accepte un honneur qui flatte sa vanité et lui fournit l’occasion de se rendre accusateur des chrétiens. L’orgueil d’une raison pervertie et la fureur de l’amour lui font déjà voir les fidèles terrassés et Cymodocée dans ses bras. Galérius, dont il corrompt l’esprit et seconde les projets, lui accorde une protection éclatante et lui permet de s’exprimer au Capitole avec toute la licence des opinions des faux sages. Symmaque, pontife de Jupiter, doit parler en faveur des anciens dieux de la patrie.

Le jour qui alloit décider du sort de la moitié des habitants de l’empire, le jour où les destinées du genre humain étoient menacées dans la religion de Jésus-Christ, ce jour si désiré, si craint des anges, des démons et des hommes, ce jour se leva. Dès la première blancheur de l’aube, les gardes prétoriennes occupèrent les avenues du Capitole. Un peuple immense étoit répandu sur le Forum, autour du temple de Jupiter Stator et le long du Tibre jusqu’au théâtre de Marcellus : ceux qui n’avoient pu trouver place étoient montés jusque sur les toits voisins et sur les arcs de triomphe de Titus et de Sévère. Dioclétien sort de son palais ; il s’avance au Capitole par la voie Sacrée, comme s’il alloit triompher des Marcomans et des Parthes. On avoit peine à le reconnoître : depuis quelque temps il succomboit sous une maladie de langueur et sous le poids des ennuis que lui donnoit Galérius. En vain le vieillard avoit pris soin de colorer son visage : la pâleur de la mort perçoit à travers cet éclat emprunté, et déjà les traits du néant paroissoient sous le masque à demi tombé de la puissance humaine.

Galérius, environné de tout le faste de l’Asie, suivoit l’empereur sur un char superbe traîné par des tigres. Le peuple trembloit, effrayé de la taille gigantesque et de l’air furieux du nouveau Titan. Constantin s’avançoit ensuite, monté sur un cheval léger ; il attiroit les vœux et les regards des soldats et des chrétiens ; les trois orateurs marchoient après les maîtres du monde. Le pontife de Jupiter, porté par le collège des prêtres, précédé des aruspices et suivi du corps des vestales, saluoit la foule, qui reconnoissoit avec joie l’interprète du culte de Romulus. Hiéroclès, couvert du manteau des stoïciens, paroissoit dans une litière ; il étoit entouré de Libanius, de Jamblique, de Porphyre et de la troupe des sophistes : le peuple, naturellement ennemi de l’affectation et de la vaine sagesse, lui prodiguoit les railleries et les mépris. Enfin, Eudore se montroit le dernier, vêtu d’un habit de deuil ; il marchoit seul, à pied, l’air grave, les yeux baissés, et sembloit porter tout le poids des douleurs de l’Église : les païens reconnoissoient avec étonnement dans ce simple appareil le guerrier dont ils avoient vu les statues triomphales ; les fidèles s’inclinoient avec l’espect devant leur défenseur ; les vieillards le bénissoient, les femmes le montroient à leurs enfants, tandis qu’à tous les autels de Jésus-Christ les prêtres offroient pour lui le saint sacrifice.

Il y avoit au Capitole une salle appelée la salle Julienne : Auguste l’avoit jadis décorée d’une statue de la Victoire. Là se trouvoient la colonne milliaire, la poutre percée des clous sacrés, la louve de bronze et les armes de Romulus. Autour des murs étoient suspendus les portraits des consuls, l’équitable Publicola, le généreux Fabricius, Cincinnatus le rustique. Fabius le temporiseur, Paul-Émile, Caton, Marcellus et Cicéron, père de la patrie. Ces citoyens magnanimes seinbloient encore siéger au sénat avec les successeurs des Tigellin et des Séjan, comme pour montrer d’un coup d’œil les extrémités du vice et de la vertu et pour attester les affreux changements que le temps amène dans les empires.

Ce fut dans cette vaste salle que se réunirent les juges des chrétiens. Dioclétien monta sur son trône ; Galérius s’assit à la droite et Constantin à la gauche de l’empereur ; les officiers du palais occupoient, chacun selon son rang, les degrés du trône. Après avoir salué la statue de la Victoire et renouvelé devant elle le serment de fidélité, les sénateurs se rangèrent sur les bancs autour de la salle ; les orateurs se placèrent au milieu d’eux. Le vestibule et la cour du Capitole étoient remplis par les grands, les soldats et le peuple. Dieu permit aux puissances de l’abîme et aux habitants des tabernacles divins de se mêler à cette délibération mémorable : aussitôt les anges et les démons se répandent dans le sénat, les premiers pour calmer, les seconds pour soulever les passions ; ceux-ci pour éclairer les esprits, ceux-là pour les aveugler.

On immola d’abord un taureau blanc à Jupiter, auteur des bons conseils : pendant ce sacrifice, Eudore se couvrit la tête et secoua son manteau, qu’avoient souillé quelques gouttes d’eau lustrale. Dioclétien donne le signal, et Symmaque se lève au milieu des applaudissements universels : nourri dans les grandes traditions de l’éloquence latine, ces paroles sortirent de sa bouche, comme on voit les flots majestueux d’un fleuve rouler lentement dans une campagne qu’ils embellissent de leur cours.


fin du livre quinzième.