Les Martyrs/Livre septième

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Garnier frères (Œuvres complètes de Chateaubriand, tome 4p. 102-116).

Livre Septième.

Suite du récit. Eudore devient esclave de Pharamond. Histoire de Zacharie. Clothilde, femme de Pharamond. Commencement du christianisme chez les Francs. Mœurs des Francs. Retour du printemps. Chasse. Barbares du Nord. Tombeau d’Ovide. Eudore sauve la vie à Mérovée. Mérovée promet la liberté à Eudore. Retour des chasseurs au camp de Pharamond. La déesse Hertha. Festin des Francs. On délibère sur la paix et sur la guerre avec les Romains. Dispute de Camulogène et de Chlodéric. Les Francs se décident à demander la paix. Eudore, devenu libre, est chargé par les Francs d’aller proposer la paix à Constance. Zacharie conduit Eudore jusque sur la frontière de la Gaule. Leurs adieux.

« Par Hercule, s’écria Démodocus en interrompant le récit d’Eudore, j’ai toujours aimé les enfants d’Esculape ! ils sont pieux envers les hommes et connoissent les choses cachées. On les trouve parmi les dieux, les centaures, les héros et les bergers. Mon fils, quel étoit le nom de ce divin barbare pour qui Jupiter, hélas ! ne me semble pas avoir puisé dans l’urne des biens ? Le maître des nuées dispose à son gré du sort des mortels : il donne à l’un la prospérité, il fait tomber l’autre dans toutes sortes de malheurs. Le roi d’Ithaque fut réduit à sentir un mouvement de joie en se couchant sur un lit de feuilles séchées qu’il avoit amoncelées de ses propres mains. Jadis, chez les hommes plus vertueux, un favori du dieu d’Épidaure eût été l’ami et le compagnon des guerriers ; aujourd’hui il est esclave chez une nation inhospitalière. Mais hâte-toi, fils de Lasthénès, de m’apprendre le nom de ton libérateur, car je veux l’honorer comme Nestor honoroit Machaon. »

« Son nom, parmi les Francs, étoit Harold, reprit Eudore en souriant. Il vint me retrouver aux premiers rayons du jour, selon sa promesse. Il étoit accompagné d’une femme vêtue d’une robe de fil teinte de pourpre ; elle avoit le haut de la gorge et les bras découverts, à la manière des Francs, Ses traits offroient, au premier coup d’œil, un mélange inexplicable de barbarie et d’humanité : c’étoit une expression de physionomie naturellement forte et sauvage, corrigée par je ne sais quelle habitude étrangère de pitié et de douceur. »

« Jeune Grec, me dit l’esclave, remerciez Clothilde, femme de Pharamond, mon maître. Elle a obtenu votre grâce de son époux : elle vient elle-même vous chercher pour vous mettre à l’abri des Francs. Quand vous serez guéri de vos blessures, vous vous montrerez sans doute esclave reconnoissant et fidèle. »

« Plusieurs serfs entrèrent alors dans la caverne. Ils m’étendirent sur des branches d’arbre entrelacées, et me portèrent au camp de mon maître. »

« Les Francs, malgré leur valeur et le soulèvement des flots, avoient été obligés de céder la victoire à la discipline des légions ; heureux d’échapper à une entière défaite, ils se retiroient devant les vainqueurs. Je fus jeté dans les chariots avec les autres blessés. On marcha quinze jours et quinze nuits en s’enfonçant vers le Nord, et l’on ne s’arrêta que quand on se crut à l’abri de l’armée de Constance.

« Jusque alors j’avois à peine senti l’horreur de ma situation ; mais aussitôt que le repos commença à cicatriser mes plaies, je jetai les yeux autour de moi avec épouvante. Je me vis au milieu des forêts, esclave chez des barbares et prisonnier dans une hutte qu’entouroit, comme un rempart, un cercle de jeunes arbres qui dévoient s’entrelacer en croissant. Une boisson grossière, faite de froment, un peu d’orge écrasée entre deux pierres, des lambeaux de daim et de chevreuil qu’on me jetoit quelquefois par pitié, telle étoit ma nourriture. La moitié du jour j’étois abandonné seul sur mon lit d’herbes fanées ; mais je souffrois encore beaucoup plus de la présence que de l’absence des barbares. L’odeur des graisses mêlées de cendres de frêne dont ils frottent leurs cheveux, la vapeur des chairs grillées, le peu d’air de la hutte et le nuage de fumée qui la remplissoit sans cesse me suffoquoient. Ainsi une juste Providence me faisoit payer les délices de Naples, les parfums et les voluptés dont je m’étois enivré.

« Le vieil esclave, occupé de ses devoirs, ne pouvoit donner que quelques moments à mes peines. J’étois toujours étonné de la sérénité de son visage, au milieu des travaux dont il étoit accablé.

«  Eudore, me dit-il un soir, vos blessures sont presque guéries. Demain vous commencerez à remplir vos nouveaux devoirs. Je sais que l’on doit vous envoyer avec quelques serfs chercher du bois au fond de la forêt. Allons, mon fils et mon compagnon, rappelez votre vertu. Le ciel vous aidera si vous l’implorez. »

« À ces mots, l’esclave s’éloigna, et me laissa plongé dans le désespoir. Je passai la nuit dans une agitation horrible, formant et rejetant tour à tour mille projets. Tantôt je voulois attenter à mes jours, tantôt je songeois à la fuite. Mais comment fuir, foible et sans secours ? Comment trouver un chemin à travers ces bois ? Hélas ! j’avois une ressource contre mes maux, la religion ; et c’étoit le seul moyen de délivrance auquel je ne songeois pas ! Le jour me surprit au milieu de ces angoisses, et j’entendis tout à coup une voix qui me cria :

« Esclave romain, lève-toi ! »

« On me donna une peau de sanglier pour me couvrir, une corne de bœuf pour puiser de l’eau, un poisson sec pour ma nourriture, et je suivis les serfs qui me montroient le chemin.

« Lorsqu’ils furent arrivés à la forêt, ils commencèrent par ramasser parmi la neige et les feuilles flétries les branches d’arbre brisées par les vents. Ils en formoient çà et là des monceaux, qu’ils lioient avec des écorces. Ils me firent quelques signes pour m’engager à les imiter, et voyant que j’ignorois leur ouvrage, ils se contentèrent de mettre sur mes épaules un paquet de rameaux desséchés. Mon front orgueilleux fut forcé de s’humilier sous le joug de la servitude ; mes pieds nus fouloient la neige, mes cheveux étoient hérissés par le givre, et la bise glaçoit les larmes dans mes yeux. J’appuyois mes pas chancelants sur une branche arrachée de mon fardeau, et, courbé comme un vieillard, je cheminois lentement entre les arbres de la forêt.

« J’étois prêt à succomber à ma douleur, lorsque je vis tout à coup auprès de moi le vieil esclave, chargé d’un poids plus pesant que le mien et me souriant de cet air paisible qui ne l’abandonnoit jamais. Je ne pus me défendre d’un mouvement de honte.

« Quoi ! me dis-je en moi-même, cet homme, accablé par les ans, sourit sous un fardeau triple du mien, et moi, jeune et fort, je pleure !

« Eudore, me dit mon libérateur en m’abordant, ne trouvez-vous pas que le premier fardeau est bien lourd ? Mon jeune compagnon, l’habitude et surtout la résignation rendront les autres plus légers. Voyez quel poids je suis venu à bout de porter à mon âge. »

« Ah ! m’écriai-je, chargez-moi de ce poids qui fait plier vos genoux Puissé-je expirer en vous délivrant de vos peines ! »

« Eh, mon fils ! repartit le vieillard, je n’ai point de peines. Pourquoi désirer la mort ? Allons, je veux vous réconcilier avec la vie. Venez vous reposer à quelques pas d’ici ; nous allumerons du feu, et nous causerons ensemble. »

« Nous gravîmes des monticules irréguliers, formés, comme je le vis bientôt, par les débris d’un ouvrage romain. De grands chênes croissoient dans ce lieu, sur une autre génération de chênes tombés à leurs pieds. Lorsque nous fûmes arrivés au sommet des monticules, je découvris l’enceinte d’un camp abandonné.

« Voilà, me dit l’esclave, le bois de Teuteberg et le camp de Varus. La pyramide de terre que vous apercevez au milieu est la tombe où Germanicus fit renfermer les restes des légions massacrées. Mais elle a été rouverte par les barbares ; les os des Romains ont été de nouveau semés sur la terre, comme l’attestent ces crânes blanchis, cloués aux troncs des arbres. Un peu plus loin vous pouvez remarquer les autels sur lesquels on égorgea les centurions des premières compagnies, et le tribunal de gazon d’où Arminius harangua les Germains. »

« À ces mots le vieillard jeta sa ramée sur la neige. Il en tira quelques branches, dont il fit un peu de feu, puis, m’invitant à m’asseoir auprès de lui et à réchauffer mes mains glacées, il me raconta son histoire :

« Mon fils, vous plaindrez-vous encore de vos malheurs ? Oseriez-vous parler de vos peines à la vue du camp de Varus ? Ou plutôt ne reconnoissez-vous pas quel est le sort de tous les hommes, et combien il est inutile de se révolter contre des maux inséparables de la condition humaine ? Je vous offre moi-même un exemple frappant de ce qu’une fausse sagesse appelle les coups de la fortune. Vous gémissez de votre servitude ! Et que direz-vous donc quand vous verrez en moi un descendant de Cassius, esclave, et esclave volontaire ?

« Lorsque mes ancêtres furent bannis de Rome pour avoir défendu la liberté, et qu’on n’osa même plus porter leurs images aux funérailles, ma famille se réfugia dans le christianisme, asile de la véritable indépendance.

« Nourri des préceptes d’une loi divine, je servis longtemps comme simple soldat dans la légion thébaine, où je portois le nom de Zacharie. Cette légion chrétienne ayant refusé de sacrifier aux faux dieux, Maximien la fit massacrer près d’Agaune dans les Alpes. On vit alors un exemple à jamais mémorable de l’esprit de douceur de l’Évangile. Quatre mille vétérans, blanchis dans le métier des armes, pleins de force, et ayant à la main la pique et l’épée, tendirent, comme des agneaux paisibles, la gorge aux bourreaux. La pensée de se défendre ne se présenta pas même à leur esprit, tant ils avoient gravées au fond du cœur les paroles de leur Maître, qui ordonne d’obéir et défend de se venger ! Maurice, qui commandoit la légion, tomba le premier. La plupart des soldats périrent par le fer. On m’avoit attaché les mains derrière le dos. Assis parmi la foule des victimes, j’attendois le coup fatal ; mais je ne sais par quel dessein de la Providence je fus oublié dans ce grand massacre. Les corps entassés autour de moi me dérobèrent à la vue des centurions, et, Maximien, ayant accompli son œuvre, s’éloigna avec l’armée.

« Vers la seconde veille de la nuit, n’entendant plus que le bruit d’un torrent dans les montagnes, je levai la tête et je fus à l’instant frappé d’un prodige. Les corps de mes compagnons sembloient jeter une vive lumière et répandre une agréable odeur. J’adorai le Dieu des miracles, qui n’avoit pas voulu accepter le sacrifice de mes jours ; et comme je ne pouvois donner la sépulture à tant de saints, je cherchai du moins le grand Maurice. Je le trouvai à demi recouvert de la neige tombée pendant la nuit. Animé d’une force surnaturelle, je me dégageai de mes liens, et avec le fer d’une lance je creusai à mon général une fosse profonde. J’y réunis le tronc et le chef de Maurice, en priant le nouveau Machabée d’obtenir bientôt pour son soldat une place dans la milice céleste. Ensuite je quittai ce champ de triomphe et de larmes ; je pris le chemin des Gaules, et me retirai vers Denis, premier évêque de Lutèce.

« Ce saint prélat me reçut avec des pleurs de joie, et m’admit au nombre de ses disciples. Quand il me crut capable de le seconder dans son ministère, il m’imposa les mains, et, me créant prêtre de Jésus-Christ, il me dit : « Humble Zacharie, soyez charitable ; voilà toutes les instructions que j’ai à vous donner. » Hélas ! j’étois toujours destiné à perdre mes amis, et toujours par la même main ! Maximien fit trancher la tête à Denis et à ses compagnons, Rustique et Éleuthère. Ce fut son dernier exploit dans les Gaules, qu’il céda bientôt après à Constance.

« J’avois sans cesse devant les yeux le précepte de mon saint évêque. Je me sentis pressé du désir de rendre quelque service à des misérables, et j’allois souvent prier Denis de m’obtenir cette faveur, par son intercession auprès du Fils de Marie.

« Les chrétiens de Lutèce avoient enseveli leur évèque dans une grotte, au pied de la colline sur laquelle il avoit été décapité. Cette colline s’appeloit le mont de Mars, et elle étoit séparée de la Sequana par des marais. Un jour, comme je traversois ces marais, je vis venir à moi une femme chrétienne tout éplorée, qui s’écria : « Ô Zacharie ! je suis la plus infortunée des femmes ! Mon époux a été pris par les Francs ; il me laisse avec trois enfants en bas âge, et sans aucun moyen de les nourrir ! » Une rougeur subite couvrit mon front ; je compris que Dieu m’envoyoit cette grâce par les prières du généreux martyr que j’allois implorer. Je cachai cependant ma joie, et je dis à cette femme : « Ayez bon courage, Dieu aura pitié de vous. » Et, sans m’arrêter, je me mis en route pour la colonie d’Agrippina.

« Je connoissois le soldat prisonnier. Il étoit chrétien, et j’avois été quelque temps son frère d’armes. C’était un homme simple et craignant Dieu pendant la prospérité ; mais les revers le décourageoient aisément, et il étoit à craindre qu’il ne perdît la foi dans le malheur. J’appris à Agrippina qu’il étoit tombé entre les mains du chef des Saliens. Les Romains venoient de conclure une trêve avec les Francs. Je passai chez ces barbares. Je me présentai à Pharamond, et m’offris en échange du chrétien : je ne pouvois payer autrement sa rançon, car je ne possédois rien au monde. Comme j’étois fort et vigoureux, et que l’autre esclave étoit foible, ma proposition fut acceptée. J’y mis pour seule condition que mon maître renverroit son prisonnier sans lui dire par quel moyen il étoit racheté. Cela fut fait ainsi, et ce pauvre père de famille rentra plein de joie dans ses foyers, pour nourrir ses enfants et consoler son épouse.

« Depuis ce temps, je suis demeuré esclave ici. Dieu m’a bien récompensé ; car, en habitant parmi ces peuples j’ai eu le bonheur d’y semer la parole de Jésus-Christ. Je vais surtout le long des fleuves réparer, autant qu’il est en moi, le malheur d’une expérience funeste : les barbares, afin d’éprouver si leurs enfants seront vaillants un jour, ont coutume de les exposer aux flots sur un bouclier. Ils ne conservent que ceux qui surnagent, et laissent périr les autres. Quand je puis réussir à sauver des eaux ces petits anges, je les baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, pour leur ouvrir le ciel.

« Les lieux où se livrent les batailles m’offrent encore une abondante moisson. Je rôde comme un loup ravissant, dans les ténèbres, au milieu du carnage et des morts. J’appelle les mourants, qui croient que je les viens dépouiller ; je leur parle d’une meilleure vie ; je tâche de les envoyer dans le repos d’Abraham. S’ils ne sont pas mortellement blessés, je m’empresse de les secourir, espérant les gagner par la charité au Dieu des pauvres et des misérables.

« Jusqu’à présent ma plus belle conquête est la jeune femme de mon vieux maître Pharamond. Clothilde a ouvert son cœur à Jésus-Christ. De violente et cruelle qu’elle étoit, elle est devenue douce et compatissante. Elle m’aide à sauver tous les jours quelques infortunés. C’est à elle que vous devez la vie. Lorsque je courus lui apprendre que je vous avois trouvé parmi les morts, elle songea d’abord à vous tenir caché dans la grotte, afin de vous soustraire à l’esclavage. Elle découvrit ensuite que les Francs alloient continuer leur retraite. Alors il ne lui resta plus qu’à révéler le secret à son époux et à obtenir votre grâce de Pharamond : car, si les barbares aiment les esclaves sains et vigoureux, leur impatience naturelle et le mépris qu’ils ont eux-mêmes pour la vie leur font presque toujours sacrifier les blessés.

« Mon fils, telle est l’histoire de Zacharie. Si vous trouvez qu’il a fait quelque chose pour vous, il ne vous demande en récompense que de ne pas vous laisser abattre par les chagrins, et de souffrir qu’il sauve votre âme après avoir sauvé votre corps. Eudore, vous êtes né dans ce doux climat voisin de la terre des miracles, chez ces peuples polis qui ont civilisé les hommes, dans cette Grèce où le sublime Paul a porté la lumière de la foi : que d’avantages n’avez-vous donc pas sur les hommes du Nord, dont l’esprit est grossier et les mœurs féroces ! Seriez-vous moins sensible qu’eux à la charité évangélique ? »

« Les dernières paroles de Zacharie entrèrent dans mon cœur comme un aiguillon. L’indigne secret de ma vie m’accabloit. Je n’osois lever les yeux sur mon libérateur. Moi qui avois soutenu sans trouble les regards des maîtres du monde, j’étois anéanti devant la majesté d’un vieux prêtre chrétien esclave chez les barbares ! Retenu par la honte de confesser l’oubli que j’avois fait de ma religion, poussé par le désir de tout avouer, mon désordre étoit extrême. Zacharie s’en aperçut. Il crut que mes blessures étoient rouvertes. Il me demanda la cause de mon agitation avec inquiétude. Vaincu par tant de bonté, et les larmes malgré moi se faisant un passage, je me jetai aux pieds du vieillard :

« Ô mon père ! ce ne sont pas les blessures de mon corps qui saignent ; c’est une plaie plus profonde et plus mortelle ! Vous qui faites tant d’actes sublimes au nom de votre religion, pourrez-vous croire, en voyant entre nous si peu de ressemblance, que j’ai la même religion que vous ? »

« Jésus-Christ ! s’écria le saint levant les mains vers le ciel ; Jésus-Christ ! mon divin Maître, quoi ! vous auriez ici un autre serviteur que moi ! »

« Je suis chrétien, » répondis-je.

« L’homme de charité me prend dans ses bras, m’arrose de ses larmes, me presse contre ses cheveux blancs, en disant avec des sanglots de joie :

« Mon frère ! mon cher frère ! J’ai trouvé un frère ! »

« Et je répétois :

« Je suis chrétien, je suis chrétien. »

« Pendant cette conversation, la nuit étoit descendue. Nous reprîmes nos fardeaux, et nous retournâmes à la hutte de Pharamond. Le lendemain Zacharie vint me chercher à la pointe du jour. Il me conduisit au fond d’une forêt. Dans le tronc d’un vieux hêtre, où Sécovia, prophétesse des Germains, avoit jadis rendu ses oracles, je vis une petite image qui représentoit Marie, mère du Sauveur. Elle étoit ornée d’une branche de lierre chargée de ses fruits mûrs, et nouvellement placée aux pieds de la Mère et de l’Enfant, car la neige ne l’avoit point encore recouverte.

« Cette nuit même, me dit Zacharie, j’ai appris à l’épouse de notre maître que nous avions un frère parmi nous. Pleine de joie, elle a voulu venir au milieu des ténèbres parer notre autel et offrir cette branche à Marie en signe d’allégresse. »

« Zacharie avoit à peine achevé de prononcer ces mots, que nous vîmes accourir Clothilde. Elle se mit à genoux sur la neige, au pied du hêtre. Nous nous plaçâmes à ses côtés, et elle prononça à haute voix l’oraison du Seigneur dans un idiome sauvage. Ainsi je vis commencer le christianisme chez les Francs. Religion céleste, qui dira les charmes de votre berceau ? Combien il parut divin dans Bethléem aux pasteurs de la Judée ! Qu’il me sembla miraculeux dans les catacombes, lorsque je vis s’humilier devant lui une puissante impératrice ! Et qui n’eût versé des larmes en le retrouvant sous un arbre de la Germanie, entouré, pour tout adorateur, d’un Romain esclave, d’un prisonnier grec et d’une reine barbare !

« Qu’attendois-je pour retourner au bercail ? Les dégoûts avoient commencé à m’avertir de la vanité des plaisirs ; l’ermite du Vésuve avoit ébranlé mon esprit ; Zacharie subjuguoit mon cœur, mais il étoit écrit que je ne reviendrois à la vérité que par une suite de malheurs et d’expériences.

« Zacharie redoubla de zèle et de soin auprès de moi. Je croyois en l’écoutant entendre une voix sortie du ciel. Quelle leçon n’offroit point la seule vue de l’héritier chrétien de Cassius et de Brutus ! Le stoïque meurtrier de César, après une vie courte, libre, puissante et glorieuse, déclare que la vertu n’est qu’un fantôme ; le charitable disciple de Jésus-Christ, esclave, vieux, pauvre, ignoré, proclame qu’il n’y a rien de réel ici-bas que la vertu. Ce prêtre, qui ne paroissoit savoir que la charité, avoit toutefois l’esprit de science et un goût pur des arts et des lettres. Il possédoit les antiquités grecques, hébraïques et latines. C’étoit un charme de l’entendre parler des hommes des anciens jours en gardant les troupeaux des barbares. Il m’entretenoit souvent des coutumes de nos maîtres ; il me disoit :

« Quand vous serez retourné dans la Grèce, mon cher Eudore, on s’assemblera autour de vous pour vous ouïr conter les mœurs des rois à la longue chevelure. Vos malheurs présents vous deviendront une source d’agréables souvenirs. Vous serez parmi ces peuples ingénieux un nouvel Hérodote, arrivé d’une contrée lointaine pour les enchanter de vos merveilleux récits. Vous leur direz qu’il existe dans les forêts de la Germanie un peuple qui prétend descendre des Troyens (car tous les hommes, ravis des belles fables de vos Hellènes, veulent y tenir par quelque côté) ; que ce peuple, formé de diverses tribus de Germains, les Sicambres, les Bructères, les Saliens, les Cattes, a pris le nom de Franc, qui veut dire libre, et qu’il est digne de porter ce nom.

« Son gouvernement est pourtant essentiellement monarchique. Le pouvoir, partagé entre différents rois, se réunit dans la main d’un seul lorsque le danger est pressant. La tribu des Saliens, dont Pharamond est le chef, a presque toujours l’honneur de commander, parce qu’elle passe parmi les barbares pour la plus noble. Elle doit cette renommée à l’usage qui exclut chez elle les femmes de la puissance et ne confie le sceptre qu’à un guerrier.

« Les Francs s’assemblent une fois l’année, au mois de mars, pour délibérer sur les affaires de la nation. Ils viennent au rendez-vous tout armés. Le roi s’assied sous un chêne. On lui apporte des présents, qu’il reçoit avec beaucoup de joie. Il écoute la plainte de ses sujets ou plutôt de ses compagnons, et rend la justice avec équité.

« Les propriétés sont annuelles. Une famille cultive chaque année le terrain, qui lui est assigné par le prince, et après la récolte le champ moissonné rentre dans la possession commune.

« Le reste des mœurs se ressent de cette simplicité. Vous voyez que nous partageons avec nos maîtres la saie, le lait, le fromage, la maison de terre, la couche de peaux.

« Vous fûtes hier témoin du mariage de Mérovée. Un bouclier, une francisque, un canot d’osier, un cheval bridé, deux bœufs accouplés, ont été les présents de noces de l’héritier de la couronne des Francs. Si, dans les jeux de son âge, il saute mieux qu’un autre au milieu des lances et des épées nues, s’il est brave à la guerre, juste pendant la paix, il peut espérer après sa mort un bûcher funèbre et même une pyramide de gazon pour couvrir son tombeau. »

« Ainsi me parloit Zacharie.

« Le printemps vint enfin ranimer les forêts du Nord. Bientôt tout changea de face dans les bois et dans les vallées : les angles noircis des rochers se montrèrent les premiers sur l’uniforme blancheur des frimas ; les flèches rougeâtres des sapins parurent ensuite, et de précoces arbrisseaux remplacèrent par des festons de fleurs les cristaux glacés qui pendoient à leurs cimes. Les beaux jours ramenèrent la saison des combats.

« Une partie des Francs reprend les armes, une autre se prépare à aller chasser l’uroch et les ours dans les contrées lointaines. Mérovée se mit à la tête des chasseurs, et je fus compris au nombre des esclaves qui dévoient l’accompagner. Je dis adieu à Zacharie, et me séparai pour quelque temps du plus vertueux des hommes.

« Nous parcourûmes avec une rapidité incroyable les régions qui s’étendent depuis la mer de Scandie jusqu’aux grèves du Pont-Euxin. Ces forêts servent de passage à cent peuples barbares qui roulent tour à tour leurs torrents vers l’empire romain. On diroit qu’ils ont entendu quelque chose au midi qui les appelle du septentrion et de l’aurore. Quel est leur nom, leur race, leur pays ? Demandez-le au ciel qui les conduit, car ils sont aussi inconnus aux hommes que les lieux d’où ils sortent et où ils passent. Ils viennent ; tout est préparé pour eux : les arbres sont leurs tentes, les déserts sont leurs voies. Voulez-vous savoir où ils ont campé ? Voyez ces ossements de troupeaux égorgés, ces pins brisés comme par la foudre, ces forêts en feu et ces plaines couvertes de cendres.

« Nous eûmes le bonheur de ne rencontrer aucune de ces grandes migrations ; mais nous trouvâmes quelques familles errantes auprès desquelles les Francs sont un peuple policé. Ces infortunés, sans abri, sans vêtement, souvent même sans nourriture, n’ont, pour consoler leurs maux, qu’une liberté inutile et quelques danses dans le désert. Mais lorsque ces danses sont exécutées au bord d’un fleuve dans la profondeur des bois, que l’écho répète pour la première fois les accents d’une voix humaine, que l’ours regarde du haut de son rocher ces jeux de l’homme sauvage, on ne peut s’empêcher de trouver quelque chose de grand dans la rudesse même du tableau, de s’attendrir sur la destinée de cet enfant de la solitude, qui naît inconnu du monde, foule un moment des vallées où il ne repassera plus, et bientôt cache sa tombe sous la mousse des déserts, qui n’a pas même conservé l’empreinte de ses pas.

« Un jour, ayant passé l’Ister vers son embouchure, et m’étant un peu écarté de la troupe des chasseurs, je me trouvai à la vue des flots du Pont-Euxin. Je découvris un tombeau de pierre sur lequel croissoit un laurier. J’arrachai les herbes qui couvroient quelques lettres latines, et bientôt je parvins à lire ce premier vers des élégies d’un poète infortuné :

« Mon livre, vous irez à Rome, et vous irez à Rome sans moi. »

« Je ne saurois vous peindre ce que j’éprouvai en retrouvant au fond de ce désert le tombeau d’Ovide. Quelles tristes réflexions ne fis-je point sur les peines de l’exil, qui étoient aussi les miennes, et sur l’inutilité des talents pour le bonheur ! Rome, qui jouit aujourd’hui des tableaux du plus ingénieux de ses poètes, Rome a vu couler vingt ans d’un œil sec les larmes d’Ovide. Ah ! moins ingrats que les peuples de l’Ausonie, les sauvages habitants des bords de l’Ister se souviennent encore de l’Orphée qui parut dans leurs forêts ! Ils viennent danser autour de ses cendres ; ils ont même retenu quelque chose de son langage : tant leur est douce la mémoire de ce Romain, qui s’accusoit d’être le barbare, parce qu’il n’étoit pas entendu du Sarmate !

« Les Francs n’avoient traversé de si vastes contrées qu’afin de visiter quelques tribus de leur nation transportées autrefois par Probus nu bord du Pont-Euxin. Nous apprîmes, en arrivant, que ces tribus avoiont disparu depuis plusieurs mois et qu’on ignoroit ce qu’elles éioient devenues. Mérovée prit à l’instant la résolution de retourner au camp de Pharamond.

« La Providence avoit ordonné que je retrouverois la liberté au tombeau d’Ovide. Lorsque nous repassâmes auprès de ce monument, une louve, qui s’y étoit cachée pour y déposer ses petits, s’élança sur Mérovée. Je tuai cet animal furieux. Dès ce moment mon jeune maître me promit de demander ma liberté à son père. Je devins son compagnon pendant le reste de la chasse. Il me faisoit dormir à ses côtés. Quelquefois je lui parlois de la bataille sanglante où je l’avois vu traîné par trois taureaux indomptés, et il tressailloit de joie au souvenir de sa gloire. Quelquefois aussi je l’entretenois des coutumes et des traditions de mon pays, mais de tout ce que je lui racontois il n’écoutoit avec plaisir que l’histoire des travaux d’Hercule et de Thésée. Quand j’essayois de lui faire comprendre nos arts, il brandissoit sa framée, et me disoit avec impatience : « Grec, Grec, je suis ton maître. »

« Après une absence de plusieurs mois, nous arrivâmes au camp de Pharamond. La hutte royale étoit déserte. Le chef à la longue chevelure avoit eu des hôtes : après avoir prodigué en leur honneur tout ce qu’il possédoit de richesses, il étoit allé vivre dans la cabane d’un chef voisin qui, ruiné à son tour par le monarque barbare, s’étoit établi avec lui chez un autre chef. Nous trouvâmes enfin Pharamond goûtant, assis à un grand repas, les charmes de cette hospitalité naïve, et il nous apprit le sujet de ces fêtes.

« Au milieu de la mer des Suèves se voit une île appelée Chaste, consacrée à la déesse Hertha. La statue de cette divinité est placée sur un char toujours couvert d’un voile. Ce char, traîné par des génisses blanches, se promène à des temps marqués au milieu des nations germaniques. Les inimitiés sont alors suspendues, et pour un moment les forêts du Nord cessent de retentir du bruit des armes. La déesse mystérieuse venoit de passer chez les barbares, et nous étions arrivés au milieu des réjouissances que cause son apparition. Zacharie eut à peine un moment pour me serrer dans ses bras. Tous les chefs étoient convoqués au banquet solennel : on devoit y traiter de la conclusion de la paix ou de la continuation de la guerre avec les Romains. Je fus chargé du rôle d’échanson, et Mérovée prit sa place au milieu des guerriers.

« Ils étoient rangés en demi-cercle, ayant au centre le foyer où s’apprêtoient les viandes du festin. Chaque chef, armé comme pour la guerre, étoit assis sur un faisceau d’herbes ou sur un rouleau de peaux ; il avoit devant lui une petite table séparée des autres, sur laquelle on lui servoit une portion de la victime, selon sa vaillance ou sa noblesse. Le guerrier reconnu pour le plus brave (et c’étoit Mérovée) occupoit la première place. Des affranchis, armés de lances et de boucliers, portoient çà et là des trépieds chargés de viande et des cornes d’uroch pleines de liqueur de froment.

« Vers la fin du repas, on commença à délibérer. Il y avoit dans la ligne des Francs un Gaulois appelé Camulogène, descendant du fameux vieillard qui défendit Lutèce contre Labiénus, lieutenant de Jules. Élevé parmi les quarante mille disciples des écoles d’Augustodunum[1], il avoit perfectionné une éducation brillante sous les rhéteurs les plus célèbres de Marseille et de Burdigalie[2] ; mais l’inconstance naturelle aux Gaulois et un caractère sauvage l’avoient jeté d’abord dans la révolte des Bagaudes. Ces paysans soulevés furent domptés par Maximien, et Camulogène passa chez les Francs, qui l’adoptèrent à cause de sa valeur et de ses richesses. Les prêtres du banquet de Pharamond ayant fait faire silence, le Gaulois se leva, et, peut-être lassé secrètement d’un long exil, il proposa d’envoyer des députés à César. Il vanta la discipline des légions romaines, les vertus de Constance, les charmes de la paix et la douceur de la société.

« Qu’un Gaulois nous parle de la sorte, répondit Chlodéric, chef d’une tribu des Francs, cela ne doit pas nous surprendre : il attend quelques récompenses de ses anciens maîtres. J’avoue que le cep de vigne d’un centurion est plus facile à manier que ma framée, et qu’il est moins périlleux d’adorer César sur la pourpre au Capitole que de le mépriser dans cette hutte sur une peau de loup. Je les ai vus dans Rome même, ces avides possesseurs de tant de palais qui sont assez à plaindre pour désirer encore une cabane dans nos forêts : croyez-moi, ils ne sont pas si redoutables que la frayeur d’un Gaulois vous les représente. Conquis par cette nation de femmes, les Gaulois peuvent demander la paix s’ils le veulent ; pour Chlodéric, il sent en lui quelque chose qui le porte à brûler le Capitole et à effacer le nom romain de la terre. »

« L’assemblée applaudit à ce discours en agitant les lances et en frappant sur les boucliers.

« Allez, allez donc à Rome, repartit le Gaulois avec impétuosité. Que faites-vous ici cachés dans vos forêts ? Quoi ! braves, vous parlez de passer le Tibre, et vous n’avez pu encore franchir le Rhin ! Les serfs gaulois, conquis par une nation de femmes, n’étoient pas assis tranquillement à un repas lorsqu’ils ravageoient cette ville que vous menacez de loin. Ignorez-vous que l’épée de fer d’un Gaulois a seule servi de contre-poids à l’empire du monde ? Partout où il s’est remué quelque chose de grand, vous trouverez mes ancêtres. Les Gaulois seuls ne furent point étonnés à la vue d’Alexandre, César les combattit dix ans pour les soumettre, et Vercingétorix auroit soumis César si les Gaulois n’eussent été divisés. Les lieux les plus célèbres dans l’univers ont été assujettis à mes pères. Ils ont ravagé la Grèce, occupé Byzance, campé sur les ruines de Troie, possédé le royaume de Mithridate et vaincu au delà du Taurus ces Scythes qui n’avoient été vaincus par personne. Le destin de la terre paroît attaché à mes ancêtres comme à une nation fatale et marquée d’un sceau mystérieux. Tous les peuples semblent avoir ouï successivement cette voix qui annonça l’arrivée de Brennus à Rome, et qui disoit à Céditius, au milieu de la nuit : « Céditius, va dire aux tribuns que les Gaulois seront demain ici. »

« Camulogène alloit continuer lorsque Chlodéric, l’interrompant par de bruyants éclats de rire, frappant du pommeau de son épée la table du festin et renversant son vase à boire, s’écria :

« Rois chevelus, avez-vous compris quelque chose aux longs propos de cette prophétesse des Gaulois ? Qui de vous a entendu parler de cet Alexandre, de ce Mithridate ? Camulogène, si tu sais faire de grands discours dans la langue de tes maîtres, épargne-toi la peine de les prononcer devant nous. Nous défendons à nos enfants d’apprendre à lire et à écrire cet art de la servitude : nous ne voulons que du fer, des combats, du sang. »

« Des cris tumultueux s’élevèrent dans le conseil des barbares. Le Gaulois, se vengeant de l’insulte par le mépris :

« Puisque le fameux Chlodéric ne connoît pas Alexandre et n’aime pas les longs discours, je ne lui dirai qu’un mot : Si les Francs n’ont pas d’autres guerriers que lui pour porter la flamme au Capitole, je leur conseille d’accepter la paix à quelque prix que ce puisse être. »

« Traître, s’écria le Sicambre écumant de rage, avant que peu d’années se soient écoulées, j’espère que ta nation changera de maître. Tu reconnoîtras, en cultivant la terre pour les Francs, quelle est la valeur des rois chevelus.

« Si je n’ai que la tienne à craindre, repartit ironiquement le Gaulois, je ne me donnerai pas la peine de recueillir l’œuf du serpent à la lune nouvelle, afin de me mettre à l’abri des malheurs que me prépare Teutatès. »

« À ces mots, Chlodéric, furieux, tendit à Camulogène la pointe de sa framée en lui disant d’une voix étouffée par la colère :

« Tu n’oserois seulement y porter la vue. »

« Tu mens, » repartit le Gaulois tirant son épée et se précipitant sur le Franc.

« On se jeta entre les deux guerriers. Les prêtres firent cesser ce nouveau festin des Centaures et de Lapithes. Le lendemain, jour où la lune avoit acquis toute sa splendeur, on décida dans le calme ce qu’on avoit discuté dans l’ivresse, alors que le cœur ne peut feindre et qu’il est ouvert aux entreprises généreuses.

« On se détermina à faire des propositions de paix aux Romains ; et comme Mérovée, fidèle à sa parole, avoit déjà obtenu ma liberté de son père, il fut résolu que j’irois à l’instant porter les paroles du conseil à Constance. Zacharie et Clothilde vinrent m’annoncer ma délivrance. Ils me conjurèrent de me mettre en route sur-le-champ pour éviter l’inconstance naturelle aux barbares. Je fus obligé de céder à leurs inquiétudes. Zacharie m’accompagna jusqu’à la frontière des Gaules. Le bonheur de recouvrer ma liberté étoit balancé par le chagrin de me séparer de ce vieillard. En vain je le pressai de me suivre, en vain je m’attendris sur les maux dont il étoit accablé. Il cueillit en marchant une plante de lis sauvage dont la cime commençoit à percer la neige, et il me dit :

« Cette fleur est le symbole du chef des Saliens et de sa tribu ; elle croît naturellement plus belle parmi ces bois que dans un sol moins exposé aux glaces de l’hiver ; elle efface la blancheur des frimas qui la couvrent, et qui ne font que la conserver dans leur sein, au lieu de la flétrir. J’espère que cette rude saison de ma vie, passée auprès de la famille de mon maître, me rendra un jour comme ce lis aux yeux de Dieu : l’âme a besoin pour se développer dans toute sa force d’être ensevelie quelque temps sous les rigueurs de l’adversité. »

« En achevant ces mots, Zacharie s’arrêta, me montra le ciel, où nous devions nous retrouver un jour ; et, sans me laisser le temps de me jeter à ses pieds, il me quitta après m’avoir donné sa dernière leçon. C’est ainsi que Jésus-Christ, dont il imite l’exemple, se plaisoit à instruire ses disciples en se promenant au bord du lac de Génésareth, et faisoit parler l’herbe des champs et les lis de la vallée. »


fin du livre septième.

  1. Autun.
  2. Bordeaux.