Les Martyrs/Remarques sur le livre XVI
LIVRE SEIZIÈME.
La question touchant le polythéisme, la religion naturelle et le christianisme, est la plus grande question qu’on puisse soumettre au jugement des hommes. Elle fourniroit la matière de plusieurs volumes, et je ne pouvois y consacrer que quelques pages.
La scène est fondée sur deux faits historiques :
1o Il est vrai que Dioclétien délibéra pendant tout un hiver, avec son conseil, sur le sort des chrétiens ;
2o Sous l’empire d’Honorius, on voulut ôter du Capitole l’autel de la Victoire. Symmaque, pontife de Jupiter, prononça à ce sujet un discours qui nous a été conservé dans les Œuvres de saint Ambroise. Saint Ambroise répondit à Symmaque, et nous avons aussi la réponse de l’éloquent archevêque de Milan.
Je suppose que Rome chargée d’années, etc.
Ceci est emprunté du discours du vrai Symmaque. Je ne sais si l’on a jamais remarqué que le fameux morceau de Massillon, dans son sermon du petit nombre des Élus, est imité du beau mouvement oratoire du prêtre des faux dieux. C’est le cas de dire, comme les Pères, qu’il est permis quelquefois de dérober l’or des Égyptiens.
Nous ne refusons point de l’admettre dans le Panthéon, etc.
Tibère avoit voulu mettre Jésus-Christ au rang des dieux ; Adrien lui avoit élevé des temples, et Alexandre Sévère le révéroit avec les images des âmes saintes.
Galérius laissoit un libre cours aux blasphèmes de son ministre.
Cela seul suffiroit pour établir la vraisemblance poétique et faire tomber la critique de ceux qui disent qu’Hiéroclès ne pouvoit pas parler si librement dans le sénat romain. Mais l’auteur de la brochure que j’ai citée a très-bien montré que je n’étois pas sorti des bornes de la vérité historique.
« Sous Dioclétien, dit-il, il n’y avoit guère à Rome que le peuple qui suivît de bonne foi le culte des idoles. Des systèmes philosophiques plus absurdes peut-être que le polythéisme étoient professés publiquement, et l’on jouissoit sur ce point de la liberté la plus absolue, pourvu qu’on rendît un hommage extérieur aux dieux de l’empire. Qui ignore que même longtemps avant cette époque la philosophie athée d’Épicure et de Lucrèce étoit à la mode ? Et, pour donner un exemple plus décisif, qui ne se rappelle le discours que César prononça en plein sénat lors de la conjuration de Catilina, et dans lequel, niant les dogmes les plus importants pour le maintien de l’ordre social, il dit en propres termes que la mort est la fin de toutes les inquiétudes, au lieu d’être un supplice, et qu’au delà du tombeau il n’y a ni peines ni plaisirs ? »
Ce jardin délicieux étoit la stérile Judée.
Ce sont là les plaisanteries de Voltaire sur la Judée. Eudore répond à ces plaisanteries. Je n’ignore pas qu’il eût pu répliquer que la Judée étoit très-fertile : et sans beaucoup de travail j’aurois trouvé les preuves réunies de ce fait dans l’abbé Fleury, et surtout dans le docteur Shemd. Mais, selon moi, une simple observation peut concilier les autorités qui ont l’air de se contredire ; car si plusieurs auteurs anciens parlent de la fécondité de la Judée, Strabon dit en toutes lettres qu’on n’étoit point tenté de disputer aux Juifs des rochers déserts. L’Écriture offre sur le même sujet des passages si contradictoires, que saint Jérôme a cru que la fertilité de la Judée devoit s’entendre dans le sens spirituel. La vue des lieux résout sur-le-champ la difficulté. La Judée proprement dite étoit certainement un pays sec et ingrat, à l’exception de quelques vallées, telles que celles de Bethléem, d’Engaddi et de Béthanie ; mais le pays des Hébreux étoit une terre d’abondance. La Galilée au nord ; l’Idumée et la plaine de Saron au midi ; au levant, les environs de Jéricho, sont des pays excellents. Jérusalem étoit bâtie sur un rocher, dans les montagnes, au centre d’un pays fertile qui la nourrissoit. Voilà la vérité. Pourquoi les législateurs des Juifs placèrent-ils, par l’ordre de Dieu, la cité sainte dans un lieu sauvage ? Eudore en donne, humainement parlant, la raison principale.
Les chrétiens s’assemblent la nuit, etc.
Les anciens apologistes font mention de ces calomnies. On voit bien que le mystère de l’Eucharistie avoit pu faire naître la fable des repas de chair humaine ; mais on ne sait pas ce qui pouvoit avoir donné lieu à l’histoire du chien, des incestes, etc. Fleury remarque judicieusement que les païens, accoutumés aux abominations des fêtes de Flore et de Bacchus, avoient naturellement supposé que les chrétiens se livroient dans leurs assemblées secrètes aux mêmes crimes.
Partout où ils se glissent, ils font naître des troubles.
Voilà les véritables armes des sophistes. Ils combattent leurs adversaires en les dénonçant.
Comme le sabot circule, etc.
Comparaison employée par Virgile et par Tibulle.
Auguste, César, etc.
Ce début est celui de l’Apologie de saint Justin le philosophe.
Toutefois, l’effet d’une religion…
On a trouvé cela adroit : cela n’est que juste.
Nous ne sommes que d’hier…
Beau mot de Tertullien : Sola relinquimus templa.
Tout se borne à savoir, etc.
Eudore va droit au but, parce qu’il parle devant un prince politique qui réduit là toute la question.
La raison politique de l’établissement.
Voyez ci-dessus, note 4e.
Publius, préfet de Rome.
Ce mot sur Publius, jeté en passant, n’est pas inutile. Il amène en scène un personnage déjà nommé dans le quatrième livre, et qui va bientôt jouer un rôle important.
Lorsqu’une neige éclatante, etc.
L’éloquence d’Ulysse est comparée à des flocons de neige dans l’Iliade : mais la comparaison est d’une tout autre espèce et présentée sous d’autres rapports.
Une longue suite de prophéties, toutes vérifiées.
Ce sont là les preuves qui manquent ici et que j’avois développées. J’ai été obligé de les retrancher : non erat hic locus.
Plusieurs empereurs romains, etc.
Voyez la note 2e de ce livre. La lettre de Pline le jeune à Trajan en faveur des chrétiens est bien connue ; elle fait partie des notes du Génie du Christianisme.
Mais auparavant venez reprendre dans nos hôpitaux, etc.
Les chrétiens avoient déjà des hôpitaux, et l’argent des agapes servoit à secourir les pauvres. L’Église prenoit les pauvres sous sa protection : témoin l’histoire de saint Laurent, que j’ai attribuée à Marcellin. Galérius, dans ce moment même, faisoit noyer les pauvres pour s’en délivrer. On reviendra là-dessus.
Elles croient peut-être qu’ils sont tombés dans ces lieux infâmes, etc.
On mettoit les enfants trouvés dans des lieux de prostitution. Voyez l’Apologie de saint Justin.
Princes, que ne m’est-il permis, etc.
Voilà précisément où Hiéroclès attendoit Eudore. Il savoit qu’un chrétien étoit obligé de garder le secret sur ces mystères, et que ce raisonnement se présentoit à l’esprit : « Vos mystères sont des abominations. Vous le niez ; mais vous ne voulez pas expliquer ces mystères : donc vos mystères sont des crimes. » Eudore a été obligé de se défendre par des arguments a posteriori, ce qui donne prise à son adversaire. La seconde attaque, à laquelle Eudore ne pouvoit manquer de succomber, étoit celle qui se tiroit du sacrifice à l’empereur. Aussi Hiéroclès ne l’a pas oubliée, bien sûr qu’Eudore refuseroit nettement ce sacrifice. Au fait, c’étoit là que gisoit le mal, et ce qui, en dernier résultat, servoit de prétexte pour égorger les chrétiens.
Ce Dieu, je le sens, pourroit seul me sauver.
Sorte de prophétie qui remet sous les yeux un des plus grands traits de l’histoire ecclésiastique : saint Léon arrêtant Attila aux portes de Rome.
Ils n’ont pas même fait entendre le plus léger murmure.
Cette raison est sans réplique, et les apologistes l’ont employée.
Bien que j’aie quelque raison de regretter à présent la vie.
Seul trait par lequel j’ai rappelé, dans ce livre, l’action fondée sur l’amour d’Eudore et de Cymodocée.
Dieu se servoit de l’éloquence chrétienne, etc.
Eudore et les anges de lumière ne peuvent pas réussir à empêcher la persécution des chrétiens ; mais ils sèment les germes de la foi dans le sénat romain, et préparent ainsi le triomphe futur de la religion. Leurs efforts ne sont donc point inutiles.
Hiéroclès, reprenant son audace, etc.
Voyez la note 19e.
Tout à coup le bouclier de Romulus, etc.
Celsam subeuntibus arcem
In gradibus summi delapsus culmine templi,
Arcados Evippi spolium, cadit æneus orbis.
(Stat..)
Si la sibylle de Cumes, etc.
Cela est historique. Après la délibération de son conseil, Dioclétien voulut encore avoir l’avis des dieux. Il fit consulter l’oracle. La réponse fut à peu près telle qu’on la verra dans le livre suivant.