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Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIe siècle/Partie I/Chapitre 7

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CHAPITRE VII

Marco Polo à Venise


Un matin de l’an 1295, les habitants de Venise, ne furent pas peu surpris de voir trois voyageurs, vêtus de costumes étrangers, qui heurtaient à la porte du palais jadis occupé par les frères Polo. Personne ne doutait de leur mort, et leurs héritiers avaient depuis des années recueilli leurs biens. Ils questionnèrent les visiteurs inattendus. Ceux-ci, dans un italien péniblement articulé, et mêlé de mots étrangers, déclarèrent qu’ils étaient Nicolo, Matteo et Marco Polo revenus après 24 ans d’absence. La stupeur fut grande et aussi l’incrédulité. Mais les arrivants donnaient de telles précisions qu’à la longue il était bien difficile de ne pas les croire. Malgré tout, quelque réserve persistait. Elle se dissipa quand, devant les curieux accourus de toute la ville au bruit de la surprenante nouvelle, des serviteurs, ouvrant l’un des coffres dont les voyageurs étaient munis, étalèrent des joyaux sans prix et de merveilleuses étoffes. La cause était entendue : des hommes qui rapportaient de tels trésors ne pouvaient être des imposteurs.

Remis en possession de leur palais, les Polo s’y installèrent avec une magnificence inouïe. Ce n’est pas vainement qu’ils avaient longtemps vécu au milieu d’une Cour digne des Mille et Une Nuits. Ils avaient pris des habitudes de faste qui étonnaient les Vénitiens eux-mêmes, si orgueilleux de leurs richesses et si portés à l’ostentation. Le « palais des millionnaires », tel fut le nom que la foule donna à la demeure des Polo.

Marco Polo s’était tout de suite retrouvé Vénitien. Pendant ses longues aventures au sein de l’Orient, il avait conservé dans son cœur l’amour de la cité natale. Le dignitaire de Khoubilaï restait, si haut placé qu’il fût, un de ces marchands vénitiens, qui, en s’enrichissant, enrichissaient leur patrie. Gênes et Venise étaient alors en guerre. Marco Polo équipa une galère à ses frais et la conduisit lui-même à la bataille. En 1296, dans le golfe de Layas, la flotte vénitienne fut vaincue. Vingt-cinq galères furent détruites ou tombèrent au pouvoir des Génois. Marco Polo fut au nombre des prisonniers. Il fut retenu à Gênes plusieurs années. Les prisonniers, comme tous les oisifs, aiment les récits. Marco Polo égayait ses compagnons et s’égayait lui-même en racontant ce qu’il avait vu autrefois. Du fond de son étroite prison, il évoquait la Chine, avec ses villes immenses et ses habitants sans nombre, les palais du grand Khan emplis de trésors et peuplés d’esclaves. Les auditeurs écoutaient, amusés et ravis, comme des enfants écoutent des contes de fées.

La célébrité de Marco se répandait parmi eux. Bientôt l’idée lui vint que ses récits pouvaient plaire à un large public. Avec lui, prisonnier comme lui, vivait un écrivain alors connu, Rusticien de Pise. Il avait compilé et abrégé les romans de la Table Ronde. Il s’offrit à Marco Polo pour écrire sous sa dictée la relation de ses voyages. Telle fut l’origine du Livre des Merveilles du Monde.

Sorti des prisons de Gênes, Marco Polo rentra dans sa patrie, entouré du double prestige d’heureux voyageur et de bon citoyen. Il fut nommé membre du grand Conseil de Venise. Il mourut chrétiennement dans sa ville natale en 1324. Son testament, daté du 9 janvier de cette même année, contient une clause d’affranchissement en faveur d’un esclave d’origine mongole : « Je libère mon serviteur Pierre de tous liens de servitude, afin que, de même, Dieu me libère de tous mes péchés ».