Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIe siècle/Partie II/Chapitre 3

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CHAPITRE III

Les trois Rois Mages


La Perse est une vaste contrée qui fut autrefois renommée et puissante. Mais les Tartares l’ont ravagée en maints endroits. Il s’y trouve une cité qui a nom Saba[1]. Les trois Rois qui adorèrent Jésus venaient de cette ville ; ils y sont ensevelis dans trois sépulcres qui se touchent et dont chacun est surmonté d’une maison carrée. Les corps sont encore tout entiers : ils ont cheveux et barbe. Les rois s’appelaient Jaspar, Melchior et Balthazar. Messire Marco Polo demanda aux habitants de la ville ce qu’ils savaient de ces trois rois, mais personne ne put le renseigner. On savait seulement que c’étaient trois rois qui avaient été ensevelis là autrefois. Mais, à trois journées de marche, Marco Polo trouva un château appelé Cala Ataperistan, c’est-à-dire en français « Château des adorateurs du feu », le nom est bien celui qui convient, car les habitants adorent le feu et voici pourquoi. Ils racontent qu’autrefois les trois rois de cette contrée allèrent adorer un prophète qui venait de naître. Ils lui apportèrent trois offrandes : or, encens et myrrhe pour savoir si ce prophète était dieu, ou roi ou mire[2], (sauveur). S’il acceptait l’or, c’est qu’il serait roi, s’il acceptait l’encens c’est qu’il serait dieu ; s’il prenait la myrrhe, c’est qu’il serait mire.

Or, quand ils furent arrivés au lieu où était né l’enfant, le plus jeune des trois rois entra d’abord et le trouva semblable en âge à lui-même. Il sortit, tout émerveillé. Après lui, entra le roi qui était immédiatement plus âgé et, tout comme celui qui l’avait précédé, l’enfant lui parut semblable en âge à lui-même. Il sortit à son tour, se montrant, lui aussi, rempli d’admiration. Alors entra celui qui était le plus vieux et il en fut pour lui comme il en avait été pour les deux autres. Il sortit tout pensif. Les trois rois s’étant réunis se dirent l’un à l’autre ce que chacun avait vu, et leur étonnement grandit encore. Ils décidèrent d’entrer tous trois ensemble. Ce qu’ayant fait, l’enfant leur parut avoir l’âge qu’il avait réellement, c’est-à-dire treize jours. Alors ils l’adorèrent et lui offrirent l’or, l’encens et la myrrhe. L’enfant prit les trois offrandes et leur donna une boîte close. Puis les rois le quittèrent pour retourner en leur pays.

Après avoir chevauché plusieurs jours, ils voulurent voir ce que l’enfant leur avait donné. Ils ouvrirent donc la boîte et trouvèrent dedans une pierre. À cette vue, ils se demandèrent avec étonnement ce que ce présent pouvait signifier. Or voici quelle en était la signification : quand ils avaient remis à l’enfant leurs offrandes et qu’il les eût prises toutes trois, ils avaient compris alors qu’il était vraiment dieu, vraiment roi et vraiment sauveur. La foi était donc née à ce moment en leur âme ; il fallait qu’elle y restât solide comme une pierre. C’est pourquoi l’enfant, qui connaissait leurs pensées, leur avait fait ce don. Mais eux, ne comprenant pas le symbole, jetèrent l’objet dans un puits. Aussitôt descendit du ciel une flamme ardente qui s’y enfonça.

Les trois rois, voyant ce miracle, se repentirent d’avoir jeté la pierre, car ils comprirent alors le symbole dans sa grandeur et son excellence. Ils prirent donc de ce feu et l’emportèrent dans leur pays où ils le mirent dans un temple richement orné. Là on l’entretient et on l’adore comme un dieu. Tous les sacrifices que font les habitants, ils les font consumer dans ce feu. Et si parfois ils le laissent s’éteindre, ils s’en vont dans les cités voisines qui partagent leur foi, se font donner de leur feu et le rapportent en leur temple. Telle est la raison pour laquelle les gens de cette contrée adorent le feu. Et certaines fois ils vont jusqu’à dix journées de marche pour en trouver.

Voilà ce que racontèrent à Messire Marco Polo les habitants de ce château et ils lui affirmèrent avec serment que les choses s’étaient bien passées comme ils le disaient[3]. Ils ajoutèrent que l’un des trois rois régnait dans une cité du nom de Saba, un autre à Awah et le troisième dans ce château où l’on adorait le feu.

  1. C’est la ville de Sarvah entre Rey et Hamadan. Les Mongols la prirent et la brûlèrent en 1220.
  2. Dans la langue du Moyen Âge, mire signifie médecin.
  3. On voit que Marco Polo, non sans raison, leur laisse la responsabilité de ce récit.