Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIe siècle/Partie II/Chapitre 4

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CHAPITRE IV

Le golfe Persique


Quand on descend de la Perse vers le Sud, après avoir traversé pendant cinq jours un plateau, on rencontre une autre descente qui dure bien vingt milles et qui est très pénible et peu sûre, car il y a de mauvaises gens et des voleurs. Une fois hors de cette vallée, on trouve une plaine spacieuse, avec des rivières, des dattes et toutes sortes de fruits. Le pays est peuplé d’oiseaux magnifiques et inconnus dans nos climats. Quand on a chevauché deux jours, on aperçoit la mer océane. Sur le rivage se trouve la cité d’Hormoz. Les marchands y viennent des Indes avec leurs vaisseaux chargés d’épices, de pierres précieuses, de fourrures, d’étoffes de soie et d’or, de dents d’éléphants et d’autres denrées. Les marchands installés dans la ville achètent toutes ces choses et c’est par eux qu’elles se répandent à travers le monde. Hormoz est donc le centre d’un immense trafic. Le soleil y fait régner une chaleur excessive. On y fabrique un vin de dattes relevé d’épices. Il est de goût excellent. Quand on en boit pour la première fois, il purge, mais on s’en trouve ensuite fort bien et il fait engraisser. Quand les habitants sont malades, ils mangent de la viande et du pain de froment. S’ils en mangeaient lorsqu’ils sont bien portants, ils tomberaient malades. Leur nourriture habituelle se compose de dattes, de poisson salé, de citrons et de ciboule ; elle les maintient en santé.

Leurs navires sont très mal faits : beaucoup périssent parce que les planches n’en sont pas jointes avec des clous de fer, mais sont cousues avec du fil que fournit l’écorce de la noix de coco. Ce fil ne se corrompt pas au contact de l’eau de mer, mais il ne résiste pas à la première tempête, et il s’en élève de très violentes dans ces mers. Les navires portent un mât, une voile et un timon. Quand ils sont chargés, on recouvre la cargaison de cuir et on met dessus les chevaux qu’on va vendre aux Indes.

Les habitants sont basanés. Ils adorent Mahomet. Ils ne demeurent pas dans les villes, à cause de la grande chaleur qui y règne et qui les ferait tous mourir : ils vont dehors, dans les jardins où il y a de l’eau et des rivières. Malgré tout ils ne résisteraient pas s’ils n’usaient d’un moyen que je vais vous dire.

Pendant l’été, du désert de sable qui entoure cette plaine, souffle parfois un vent si extraordinairement chaud qu’il les ferait mourir, mais, dès qu’ils le sentent venir, ils entrent dans l’eau jusqu’au cou et n’en sortent que lorsque le vent a cessé.

On sème le froment et l’orge et les autres céréales en novembre. On les récolte en mars. Il n’y a point de fruits en dehors des dattes qui durent jusqu’au mois de mai. La grande chaleur dessèche tout. Pour protéger les navires, on les enduit d’huile de poisson.

Les habitants du pays, lorsque l’un d’eux vient à mourir, font un deuil de quatre ans. Pendant tout ce temps, au moins une fois chaque jour, ils se rassemblent, parents, amis et voisins du défunt. Ils poussent de grands cris et versent d’abondantes larmes.