Les Mille et Une Nuits/Nouvelles Aventures du calife Haroun Alraschild

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La sultane Scheherazade[1] ayant achevé l’histoire des deux sœurs jalouses de leur cadette, Dinarzade ne manqua pas de l’assurer que cette histoire l’avoit beaucoup intéressée. Le sultan des Indes ne put s’empêcher lui-même de lui témoigner le plaisir qu’il avoit éprouvé en l’écoutant. « Sire, lui dit alors Scheherazade, le mariage imprévu du roi de Perse Khosrou-schah[2], et les événemens qui l’ont suivi le rappellent deux mariages encore plus singuliers, contractés successivement par le fameux calife Haroun Alraschid[3], à la suite de ces déguisemens qu’il aimoit, et qui lui procurèrent tant d’aventures merveilleuses. Si votre Majesté veut me permettre de lui raconter cette histoire, je ne doute pas qu’elle ne l’amuse encore plus que la précédente. » Cette annonce fit sur l’esprit du sultan des Indes, naturellement curieux, l’effet que desiroit la sultane. Schahriar sourit au seul nom d’Haroun Alraschid : il remarqua que le jour n’avoit pas encore chassé tout-à-fait les ténèbres de la nuit, et invita la sultane à commencer sur-le-champ le récit des aventures du calife Haroun. Scheherazade, enchantée de voir que la curiosité du sultan ne se fatiguoit point, commença aussitôt l’histoire qu’on va lire, qu’elle continua, selon son usage, sur la fin de la nuit suivante, et pendant plusieurs autres nuits consécutives.

NOUVELLES AVENTURES
DU
CALIFE HAROUN ALRASHID
OU
HISTOIRE DE LA PETITE FILLE
DE CHOSROÈS ANOUSCHIRVAN.


On célébroit à Bagdad la fête de Arafa[4]. Le calife Haroun Alraschid, assis sur son trône, venoit de recevoir les hommages des grands de son empire. Peu satisfait de ces démonstrations de respect et de soumission, il voulut voir par lui-même si ses ordres étoient fidellement exécutés, et si les magistrats n’abusoient pas de leur autorité. Il aimoit d’ailleurs à soulager les malheureux, à répandre des aumônes ; et la circonstance de la fête de l’Arafa l’engageoit à remplir lui-même un devoir de religion si cher à son cœur[5].

Dans ce dessein, le calife se tourna vers Giafar le Barmecide, et lui dit : « Giafar, je voudrois me déguiser, me promener dans Bagdad, visiter les divers quartiers de la ville, voir ses habitans, entendre leurs discours, et distribuer des aumônes aux pauvres et aux malheureux : tu m’accompagneras, et tu auras grand soin que nous ne soyons reconnus de personne. » « Commandeur des croyans, répondit Giafar, je suis prêt à exécuter vos ordres. »

Le calife se leva aussitôt : ils passèrent dans l’intérieur du palais, prirent des habits convenables à la circonstance, et n’oublièrent pas de garnir d’argent leurs poches et leurs manches. Ils sortirent ensuite secrètement, et commencèrent à parcourir les rues et les places publiques, faisant l’aumône à tous les pauvres qui se trouvoient sur leur chemin.

Tandis qu’ils marchoient ainsi au hasard, ils rencontrèrent une femme assise au milieu de la rue et couverte d’un voile épais, qui leur tendit la main en disant : « Donnez-moi quelque chose pour l’amour de Dieu. » Le calife en la regardant, remarqua que son bras et sa main étoient d’une blancheur qui égaloit et surpassoit même celle du cristal. Il en fut surpris, et tira de sa poche une pièce d’or qu’il remit à Giafar pour la lui donner. Le visir s’approcha d’elle, et lui remit la pièce d’or.

L’infortunée sentit, en fermant la main, que ce qu’elle tenoit étoit plus gros et plus pesant qu’une obole ou qu’une drachme : elle regarda dans sa main, et vit que c’étoit une pièce d’or. Aussitôt elle appela Giafar, qui étoit déjà passé, en criant : « Bon jeune homme, bon jeune homme ! » Giafar revint sur ses pas. « Vouliez-vous, lui dit-elle, me faire l’aumône de cette pièce d’or, ou ne me l’avez-vous donnée que par erreur, ou dans une autre intention ? » « Ce n’est pas moi qui vous l’ai donnée, lui répondit Giafar, c’est ce jeune homme qui me l’a remise pour vous. » « Demandez-lui donc, reprit la femme, quelle a été son intention, et faites-la-moi connoître. »

« Le jeune homme n’a eu d’autre intention que celle de vous faire l’aumône, lui dit Giafar, après avoir consulté le calife. »

« En ce cas, reprit-elle, que Dieu soit sa récompense ! »

Giafar rendit cette réponse au calife, qui lui dit : « Demande-lui si elle est mariée ; et si elle ne l’est pas, propose-lui de m’épouser. » La femme ayant répondu qu’elle n’étoit pas mariée, Giafar lui dit : « Celui qui vous a donné la pièce d’or voudroit vous épouser. » « Je l’épouserai, reprit-elle, s’il peut me donner la dot et le douaire que je lui demanderai. » Giafar sourit à ces mots, et dit en lui-même : « Le calife n’est peut-être pas en état de fournir une dot et un douaire à cette infortunée, et je ne sais où nous pourrons emprunter pour cela de l’argent. »

« Quelle est donc, continua tout haut Giafar, la dot que vous desirez, et quel doit être votre douaire ? » « Ma dot, répondit-elle, doit égaler le montant des tributs de la ville d’Ispahan pendant un an, et mon douaire le produit annuel de la province du Khorassan[6]. »

Giafar secoua la tête, et porta ces paroles au calife, qui, au grand étonnement de son visir, parut fort satisfait, et lui dit d’annoncer à l’inconnue qu’on acceptoit ses conditions.

Le grand visir s’étant acquitté de sa commission, l’inconnue lui demanda quels étoient le rang et la fortune du jeune homme, et comment il pourroit remplir les conditions qu’il acceptoit ? « Le jeune homme, répondit Giafar, est le Commandeur des croyans, le calife Haroun Alraschid. » Aussitôt l’inconnue arrangea un peu son modeste habillement, leva les mains au ciel, remercia la bonté divine, et dit à Giafar qu’elle acceptoit pour époux le Commandeur des croyans. Le visir porta cette réponse à son maître, qui prit alors le chemin du palais.

Lorsque le calife fut rentré dans son palais, il envoya vers l’inconnue une dame d’un âge mûr, accompagnée de jeunes esclaves. Elles lui dirent qu’elles venoient la chercher de la part du calife, et la conduisirent d’abord aux bains qui étoient dans l’intérieur du sérail. Elles répandirent sur elle les parfums les plus exquis, la revêtirent d’habits magnifiques, l’ornèrent des bijoux et des joyaux les plus précieux, et n’oublièrent aucune des parures que les plus grandes reines ont coutume de porter. On la mena ensuite dans le palais qui lui étoit destiné. Il étoit orné de meubles de toute espèce et fourni de toutes sortes de provisions. Dès qu’elle y fut installée, on en rendit compte au calife, qui envoya chercher les cadis et fit dresser le contrat de mariage.

Le soir étant venu, le calife entra dans l’appartement de sa nouvelle épouse, s’assit auprès d’elle et lui témoigna le désir qu’il avoit d’apprendre quelle étoit sa naissance et pourquoi elle lui avoit demandé une dot et un douaire aussi considérables ?

« Commandeur des croyans, répondit-elle, vous voyez dans votre esclave une descendante de Chosroès Anouschirvan[7] : les revers de la fortune, les rigueurs du destin m’ont réduite dans l’état où vous m’avez trouvée. »

« Princesse, répliqua le calife, Chosroès Anouschirvan, s’il en faut croire quelques historiens, abusant d’abord de son autorité, vexa ses sujets et commit, au commencement de son règne, de grandes injustices. »

« C’est apparemment à cause de ces injustices, reprit-elle, que sa postérité a été contrainte de demander l’aumône au milieu de la rue. » « Mais, ajouta le calife, tous les historiens conviennent qu’il changea bientôt de conduite et se montra si humain et si équitable, que les animaux de la terre et les oiseaux du ciel ressentirent les effets de sa justice et de sa bonté. » « C’est encore pour cela, répondit la nouvelle reine, que Dieu a eu pitié de ses descendans et a retiré sa petite-fille[8] du milieu de la rue, pour la rendre l’épouse du Commandeur des croyans. »

Le calife Haroun Alraschid étoit d’un caractère fier et ombrageux. Cette illustre origine, qu’il ne s’étoit pas attendu à rencontrer, le sang-froid avec lequel la nouvelle reine envisageoit son élévation, peut-être la hauteur qu’il crut apercevoir dans ses réponses, tout cela le piqua tout-à-coup : il la quitta brusquement, et jura de ne pas la revoir avant un an.

L’année suivante, le jour de la fête de l’Arafa, le calife se déguisa encore, et sortit de son palais accompagné de Giafar son visir et de Mesrour chef de ses eunuques. Comme il se promenoit dans la ville de Bagdad, une boutique attira ses regards par la propreté et l’élégance qui y régnoient. Il y vit un jeune homme occupé à préparer avec beaucoup de soin et d’attention de petits gâteaux[9] qu’il remplissoit ensuite d’amandes et de pistaches.

Le calife s’arrêta, et s’amusa un moment à voir travailler le jeune pâtissier. De retour dans son palais, il envoya un esclave demander au pâtissier, de sa part, cent gâteaux de la grosseur du poing. L’esclave ne tarda pas à les apporter. Le calife alors s’assit, fit venir du sucre, des pistaches, tout ce qui étoit nécessaire, se mit à remplir lui-même les gâteaux, et glissa dans chacun une pièce d’or. Il envoya en même temps un esclave à la petite-fille de Chosroès pour la prévenir que l’année du serment étant révolue, il viendroit la voir le soir : il lui faisoit demander en même temps ce qui pouvoit flatter ses désirs et quel présent il devoit lui offrir ?

La princesse de Perse répondit à l’envoyé du calife, qu’elle avoit tout ce qu’elle pouvoit désirer et qu’il ne lui manquoit absolument rien. Cette réponse ayant été rapportée au calife, il ordonna à l’eunuque de retourner auprès de la princesse et de lui faire une seconde fois la même demande. La princesse voyant que le calife insistoit, le pria de lui envoyer mille pièces d’or et une femme âgée[10] en qui il eût toute confiance, afin qu’elle pût sortir avec elle et distribuer aux pauvres les mille pièces d’or. Le calife, content de pouvoir faire quelque chose d’agréable à la princesse, donna sur-le-champ les ordres nécessaires pour la satisfaire. Elle sortit avec la femme qui l’accompagnoit, et parcourut les rues de Bagdad jusqu’à ce qu’elle eût distribué les mille pièces d’or. Ensuite elle prit le chemin du palais.

Il faisoit, ce jour-là, une chaleur excessive ; la princesse sentit une soif ardente, et le dit à la vieille. Celle-ci lui proposa d’abord d’appeler un porteur d’eau, mais la princesse lui témoigna la répugnance qu’elle avoit de boire dans la tasse qui servoit à tout le monde, et la pria de frapper à la porte d’une maison, et d’y demander par grâce un verre d’eau.

La vieille regardant alors autour d’elle, aperçut une belle maison dont la porte étoit de bois de sandal ; au-dessus pendoit une lampe retenue par un cordon de soie ; au-devant étoit une portière en tapisserie, et de chaque côté un banc de marbre. La vieille ayant dit à la princesse qu’elle alloit demander de l’eau dans cette maison, s’avança et frappa doucement à la porte avec le marteau. La porte s’ouvrit, et il en sortit un beau jeune homme élégamment habillé.

« Mon enfant, lui dit la vieille, ma fille est très-altérée ; elle ne veut pas boire de l’eau d’un porteur d’eau, auriez-vous la bonté de lui en donner ? » « Volontiers, dit le jeune homme en rentrant. » Bientôt après il apporta une tasse pleine d’eau, la présenta à la vieille. Celle-ci la donna à la princesse, qui eut soin de se tourner en buvant du côté du mur, pour ne pas laisser apercevoir son visage, et remit la tasse à la vieille. Elle la rendit au jeune homme en le remerciant et lui souhaitant toute sorte de bénédictions. Il y répondit par des vœux pour sa santé. La princesse et la vieille continuèrent leur chemin, et rentrèrent dans le palais.

Pendant ce temps-Là le calife ayant achevé de garnir tous les petits gâteaux, les avoit arrangés sur un grand plat de porcelaine de la Chine. Il appela un esclave et lui ordonna de porter ce plat à la princesse de Perse, en lui disant de sa part, que c’étoit le gage de la paix qu’il devoit faire ce soir avec elle. L’esclave prit le plat, le remit à la vieille, en lui rapportant les paroles du calife, et s’en retourna fort affligé de n’avoir pu manger un seul des gâteaux. Il en avoit été fort tenté ; mais comme ils étoient assez gros, il avoit craint que s’il en prenoit un, on ne remarquât la place vuide.

La princesse ayant vu le plat de gâteaux, commanda à la vieille de le porter au jeune homme qui lui avoit donné à boire, pour le remercier de sa politesse. La vieille sortit aussitôt pour exécuter cet ordre. Elle eut aussi, chemin faisant, grande envie de goûter des gâteaux, et déjà elle en avoit pris un ; mais, voyant le vuide qui paroissoit, elle craignit qu’on ne s’aperçût de sa gourmandise et le remit à sa place. Elle trouva le jeune homme assis près de la porte de sa maison, le salua et lui dit : « Mon enfant, la jeune personne pour qui je vous ai demandé à boire, vous envoie ces gâteaux pour vous remercier de la tasse d’eau que vous lui avez donnée. » « Mettez-les sur le banc, dit le jeune homme, en la remerciant. »

La vieille s’en étant retournée, le gardien du quartier vint trouver le jeune homme, et lui dit : « Seigneur Hageb[11], c’est aujourd’hui la fête de l’Arafa, ne me donnerez-vous pas quelque chose pour célébrer ce grand jour et acheter à mes enfans quelque friandise ? » « Prends ce plat de gâteaux, lui dit le jeune homme. » Le gardien du quartier fort satisfait, baisa la main, et emporta le plat.

La femme du gardien le voyant entrer avec le plat, s’écria : «Ah, malheureux, d’où te vient ce plat ? L’as-tu dérobé ou enlevé par violence ? » « C’est, dit-il, le seigneur Hageb (que Dieu conserve ce brave jeune homme ! ) qui me l’a donné. Venez tous manger de ces gâteaux : ils doivent être excellens. « Es-tu fou, dit la femme ? Va plutôt les vendre. Cela vaut au moins trente à quarante drachmes qui nous serviront à entretenir nos enfans. » « Laisse-nous, dit le mari, nous régaler de ce que Dieu nous envoie. » La femme se mit alors à crier et à pleurer, en disant : « Nos enfans n’ont ni bonnets, ni chausses. »

Les femmes ont presque toujours raison : celle-ci l’emporta enfin. Le mari prit le plat et le remit au crieur public pour le vendre avec les gâteaux. Quelqu’un en offrit d’abord quarante drachmes ; enfin il monta jusqu’à quatre-vingt. Un des marchands, considérant alors le plat attentivement, vit ces mots gravés sur le bord : Fait par ordre du Commandeur des croyans. Il fut fort étonné, et demanda au crieur s’il vouloit les faire pendre avec son plat ? Le crieur ne comprenant rien à ce discours, le marchand lui dit que ce plat appartenoit au Commandeur des croyans.

Le crieur pensa mourir de peur, reprit le plat, courut au palais, et demanda à parler au calife. On le fit entrer ; et après qu’il se fut prosterné et qu’il eut fait des vœux pour le calife, il lui présenta le plat. Le calife ayant reconnu le plat et les gâteaux, entra dans une grande colère, et dit en lui-même : « Quoi, je me donne la peine d’arranger moi-même quelque chose pour le faire manger dans l’intérieur de mon sérail, et l’on aime mieux le vendre ! Qui t’a donné ce plat, dit-il ensuite au crieur ? » « C’est, répondit celui-ci, le gardien de tel quartier. » « Qu’on me l’amène, dit le calife. »

On alla chercher le gardien, et on l’amena les mains liées avec une corde. « La méchante femme, disoit-il en lui-même, qui n’a pas voulu nous laisser manger ce qui étoit dans le | plat : nous nous serions régalés, et il n’en seroit rien arrivé de pis ! Maintenant nous n’avons pas goûté un gâteau, et nous voilà dans une très-mauvaise affaire. »

Le calife fit au gardien la même question qu’au crieur, en le menaçant de lui faire couper la tête s’il ne disoit la vérité. Il n’eut garde de rien déguiser, et nomma le seigneur Hageb. Le calife irrité de plus en plus, en entendant prononcer le nom d’un de ses officiers, ordonna qu’on l’amenât sur-le-champ, qu’on lui arrachât son turban, qu’on le traînât par terre sur le visage, et qu’on mit sa maison au pillage.

Les officiers chargés d’exécuter cet arrêt, se rendirent à la maison du Hageb, frappèrent à la porte, lui signifièrent les ordres du calife, et l’emmenèrent au palais. Un des officiers prit son turban, en ôta la mousseline, la lui passa autour du cou, et la déchira, en lui disant : « Alaeddin, telle est la volonté du calife : il nous avoit commandé pareillement de piller ta maison ; notre amitié pour toi nous a empêché d’exécuter nous-mêmes cet ordre ; nous en avons remis l’exécution à d’autres. Quelque pénible que soit pour nous cette commission, l’honneur nous fait un devoir d’obéir à notre souverain. »

Alaeddin étant devant le calife, se prosterna, fit des vœux pour la conservation de ses jours, et demanda humblement par quelle faute il avoit mérité un pareil traitement.

« Reconnois-tu (lui dit le calife, en lui montrant le gardien qui avoit les mains liées derrière le dos), reconnois-tu cet homme ? » « C’est, répondit Alaeddin, le gardien de notre quartier. » « D’où venoit le plat que tu lui as donné, reprit le calife ? » Alaeddin raconte alors exactement de quelle manière et pourquoi ce plat lui avoit été apporté par la vieille femme.

Ce récit simple et naturel parut appaiser un peu la colère du calife. « Lorsque la jeune personne, dit-il à Alaeddin, but l’eau que tu apportas pour elle, vis-tu son visage ? » « Commandeur des croyans, répondit Alaeddin troublé, et ne faisant pas attention à ce qu’il disoit, je le vis. » À ces mots, le calife transporté de fureur, ordonna qu’on amenât la princesse de Perse, et qu’on leur tranchât la tête à tous deux. La princesse se tournant vers Alaeddin, lui dit : « Quelle raison vous engage à avancer faussement que vous avez vu mon visage, et à me faire périr avec vous ? » « C’est le destin qui nous perd, répondit Alaeddin, je voulois dire que je n’ai rien vu de votre visage : l’erreur de ma langue cause notre mort. »

On fit mettre, selon l’usage observé dans les exécutions, Alaeddin et la princesse sur le tapis de cuir appelé le tapis de sang ; on déchira le bord de leurs habits, et on leur banda les yeux. L’exécuteur tourna autour d’eux, en disant : « Le Commandeur des croyans ordonne-t-il que je frappe ? » « Frappe, dit le calife. » L’exécuteur tourna une seconde fois, en prononçant la même formule, à laquelle le calife répondit par le même mot. Enfin l’exécuteur en tournant pour la troisième et dernière fois, dit à Alaeddin : « Avez-vous quelque chose à me recommander avant que le calife ait prononcé pour la troisième fois votre arrêt ; car, dès qu’il l’aura prononcé, votre tête tombera aussitôt par terre ? »

« Je voudrois, dit Alaeddin, que vous ôtassiez ce bandeau de dessus mes yeux, afin de voir encore une fois mes amis : vous ferez ensuite ce que vous voudrez. » Lorsque le bandeau fut ôté, Alaeddin regarda autour de lui, et ne vit que des visages consternés. Tous les yeux étoient baissés par respect pour le calife, et personne n’eût osé dire un mot. Au milieu de ce silence, le malheureux Alaeddin éleva la voix, et dit au calife :

« Commandeur des croyans, j’ai quelque chose d’important à vous révéler. » « Qu’est-ce que c’est, dit le calife ? » « Différez, dit Alaeddin, notre supplice de trois jours, vous verrez les choses du monde les plus extraordinaires. » « J’y consens, dit le calife ; mais si dans trois jours je ne vois pas ces choses extraordinaires, rien ne pourra vous soustraire à la mort. » En même-temps il ordonna qu’on les conduisit en prison.

Le troisième jour, le calife impatient, résolut d’aller lui-même au-devant des aventures qu’il attendoit. Il choisit un déguisement bizarre, s’affubla d’un habit grossier, entoura sa tête d’un mouchoir épais, prit en main une arquebuse[12], mit une giberne sur son dos, et remplit ses poches d’or et d’argent. Dans cet équipage, il sort du palais, et commence à parcourir les rues de Bagdad, espérant voir bientôt les merveilles que lui avoit annoncé le Hageb.

Sur les dix heures du matin, il vit à l’entrée d’un bazar un homme qui disoit tout haut : « Jamais je n’ai rien vu de si étonnant ! » Le calife lui demanda ce qu’il avoit vu de si étonnant. « Il y a, dit cet homme, dans ce bazar, une femme qui, depuis le point du jour, récite le Coran avec tant de justesse et de clarté, qu’il semble entendre l’ange Gabriel révélant lui-même à Mahomet ses divins préceptes. Malgré cela personne n’a encore donné la moindre chose à cette pauvre femme : vous conviendrez que rien n’est plus étonnant. » Le calife ayant entendu cela, entra dans le bazar, et vit une vieille femme qui récitoit le Coran, et en étoit déjà aux derniers chapitres. Il fut ravi de la manière dont elle le récitoit, et s’arrêta pour l’écouter jusqu’à ce qu’elle eût fini.

Le calife voyant alors que personne ne lui donnoit rien, mit la main dans sa bourse avec le dessein de lui donner tout ce qu’elle renfermoit encore. Mais la vieille s’étant levée tout-à-coup, entra dans la boutique d’un marchand, et s’assit à côté de lui. Le calife s’approcha, prêta l’oreille, et entendit ces mots : « Voulez-vous une jolie personne ?» « Volontiers. » « Eh bien, venez avec moi, vous verrez une beauté telle que vous n’en avez jamais vu ! »

« Quoi donc, dit le calife en lui-même, cette vieille femme, que je prenois pour une femme de bien, feroit-elle le plus infâme des métiers ! Je ne veux lui rien donner que je ne sache ce que ceci va devenir. » Dans ce dessein, il les suivit de très-près. La vieille entra dans sa maison avec le jeune homme. Le calife se glissa derrière eux et se cacha dans un endroit d’où il pouvoit tout voir sans être aperçu. La vieille appela sa fille, qui sortit aussitôt d’un cabinet.

Le calife fut étonné de voir une beauté à laquelle aucune de ses femmes ne pouvoit être comparée. Sa taille étoit noble et bien proportionnée ; ses yeux noirs, languissans, étoient empreints d’un collyre magique plus puissant que tout l’art des Babyloniens[13] ; ses sourcils ressembloient à des arcs d’où partoient des flèches mortelles ; son nez à la pointe d’une épée ; sa bouche au sceau de Salomon ; ses lèvres à deux cornalines rouges ; ses dents à un double rang de perles ; sa salive étoit plus douce que le miel, plus fraîche que l’eau la plus pure : son sein s’élevoit sur sa poitrine comme deux grenades, et sa peau paroissoit douce comme la soie[14] : enfin, elle ressembloit à cette belle qu’un poète met au-dessus du soleil et de la lune.

Cette jeune personne n’eut pas plutôt vu le jeune homme qui étoit auprès de sa mère, qu’elle rentra précipitamment dans le cabinet, en reprochant à sa mère de l’avoir exposée à la vue d’un inconnu. Celle-ci s’excusa, en lui disant que son intention étoit de la marier ; qu’un homme pouvoit voir une fois celle qu’il vouloit épouser ; que si le mariage n’avoit pas lieu, on ne se revoyoit plus, et qu’il n’y avoit aucun mal à cela.

Le calife fut satisfait de voir que la vieille femme n’avoit que des intentions honnêtes. « Vous avez vu ma fille, dit-elle ensuite au marchand : vous plaît-elle ? » « Beaucoup, répondit-il. Quelle est la dot et le douaire que vous demandez ? » « Quatre mille pièces d’or pour la dot, dit-elle, et autant pour le douaire. » « Cela est beaucoup, dit le marchand. Tout mon avoir ne se monte qu’à quatre mille pièces d’or : si je donne tout, il ne me restera rien. Acceptez mille pièces d’or. J’en dépenserai mille autres pour meubler la maison, et faire le trousseau de ma femme, et je ferai valoir le reste dans le commerce. »

La vieille femme jura que sans les quatre mille pièces d’or, on n’auroit pas un cheveu de sa fille. Le marchand témoigna alors son chagrin de la modicité de sa fortune, prit congé de la vieille, et se disposa à la quitter. Le calife le prévint, sortit devant lui, et se mit à l’écart dans la rue jusqu’à ce qu’il se fût éloigné. Le calife rentra ensuite dans la maison, et salua humblement la vieille, qui lui demanda, en lui rendant légèrement le salut, ce qu’il vouloit ?

« Le jeune homme qui sort de chez vous, dit le calife, m’a dit qu’il n’épousoit pas votre fille ; je viens vous la demander, et vous offrir la somme que vous desirez avoir. » La vieille regarda le calife depuis les pieds jusqu’à la tête, et lui répondit : « Voleur (car tu en as bien la mine) ; tout ce qui est sur toi ne vaut pas deux cents drachmes : où prendrois-tu quatre mille sequins ? »

« Ces propos sont inutiles, dit le calife, et l’apparence est souvent trompeuse. Voulez-vous réellement marier votre fille[15], je suis prêt à vous compter la somme ? » « Eh bien ! dit la vieille, nous t’épouserons en nous comptant les quatre mille sequins. »

« J’accepte les conditions (dit le calife, en entrant dans l’intérieur de la maison et s’asseyant). Allez chez le cadi un tel, et dites-lui que le Bondocani[16] le demande. » « Voleur, reprit la vieille, puis-je croire que le cadi voudra bien venir pour toi ? « « Ne vous embarrassez pas, dit le calife ; allez, et dites au cadi qu’il apporte des plumes, de l’encre et du papier. »

La vieille partit, disant en elle-même : « Si le cadi venoit avec moi, je pourrois regarder mon prétendu gendre, non comme un voleur ordinaire, mais comme un chef de voleurs. Arrivée chez le cadi, elle le trouva assis au milieu de plusieurs autres juges et entouré de beaucoup de monde. Elle s’avança d’abord, mais n’osant aller plus loin elle retourna sur ses pas. « Comment, dit-elle ensuite, je m’en irai sans avoir osé rien dire au cadi ! » Elle s’enhardit, revint à la porte, avança la tête, la retira, et recommença plusieurs fois la même chose.

Le cadi remarqua ce manège, appela un huissier, et lui ordonna de faire entrer cette femme. L’huissier vint la chercher : elle le suivit fort contente, et s’approcha du cadi qui lui dit : « Que voulez-vous, bonne femme ? » « Seigneur, répondit-elle, j’ai chez moi un jeune homme qui voudroit que vous vinssiez le trouver. » « Qui est ce jeune homme qui veut que j’aille le trouver, et quel est son nom ?» « Il dit, reprit la vieille, qu’il s’appelle le Bondocani. »

À ce nom, qui étoit le nom secret du calife, et qui n’étoit connu que des gens en place, le cadi se leva sur-le-champ, et dit à la vieille : « Marchez devant moi et me montrez le chemin. » Tous ceux qui étoient là eurent beau lui demander où il alloit, il ne leur dit autre chose, sinon qu’il lui étoit survenu une affaire, et il partit avec la vieille. Celle-ci réfléchissoit, chemin faisant, et disoit en elle-même : « Ce pauvre cadi est un bon-homme. Mon futur gendre l’a sûrement régalé cette nuit de quelques coups de bâton : il craint que pareil accident ne lui arrive encore, et voilà pourquoi il s’empresse si fort de venir le trouver. »

Le cadi, suivant toujours la vieille, entra dans sa maison, et reconnoissant le calife, alloit se prosterner devant lui ; mais le calife lui fit signe qu’il ne vouloit pas être connu. Le cadi le salua donc à la manière ordinaire, s’assit sans façon près de lui, et lui demanda quel sujet lui faisoit désirer sa présence. « Je voudrois, dit le calife, épouser la fille de cette femme, et nous avons besoin de vous pour dresser le contrat. » Le cadi se tournant alors du côté des dames, leur fit une profonde révérence et demanda quelle étoit la dot et le douaire ? « Mille sequins de dot et autant de douaire, lui dit la vieille. »

Le cadi, après s’être assuré du consentement du calife, voulut dresser son acte ; mais, s’apercevant qu’il avoit oublié du papier, il prit le bas de sa robe et écrivit d’abord les noms du calife, de son père et de son grand-père qui lui étoient bien connus[17]. Ensuite il demanda à la vieille le nom de sa fille, de son père et de son grand-père.

La vieille se mit alors à gémir et à se lamenter. « Malheureuses que nous sommes, dit-elle, si son père vivoit, ce voleur n’auroit pas osé mettre le pied dans cette maison, à plus forte raison prétendre à la main de ma fille ! Mais la mort de mon mari me réduit à cette extrémité. » « Dieu prend pitié des infortunés et des orphelins, dit le cadi, en écrivant. » À chaque nouvelle question, la vieille recommençoit à se lamenter de plus belle. Le cadi secouoit la tête, avoit peine à se contenir, et le calife rioit de tout son cœur.

Le contrat achevé, le cadi coupa le bas de sa robe où il étoit écrit, et se leva pour s’en aller ; mais ne voulant pas paroître dans les rues avec une robe coupée, il l’ôta, et pria la vieille de la donner à quelqu’un à qui elle pût encore servir. Comme il sortoit, la vieille dit au calife : « Est-ce que vous ne donnez rien au cadi, qui est venu lui-même vous trouver, qui a écrit sur le bord de sa robe, et a été obligé de l’abandonner ? »

« Laissez-le partir, dit le calife, je ne lui donnerai pas une obole. » « Que les voleurs sont avides, s’écria-t-elle : cet homme vient chez nous pour gagner quelqu’argent, et nous le dépouillons ! » Le calife se mit encore à rire, et dit à la vieille en s’en allant, qu’il alloit lui apporter les quatre mille sequins et des étoffes pour habiller la nouvelle mariée. « Ô voleur, reprit encore la vieille, tu vas donc piller le magasin de quelque pauvre marchand, lui enlever tout son bien et le réduire à la mendicité ! »

Le calife de retour dans son palais, se revêtit de ses habits de cérémonie, s’assit sur son trône, et commanda qu’on fit venir des marbriers, des menuisiers, des badigeonneurs et des peintres en bâtiment. Quand ils furent arrivés, qu’ils eurent baisé la terre devant lui, et fait des vœux pour la durée de son règne, il ordonna qu’on les étendît par terre, et qu’on leur donnât à chacun deux cents coups de bâton. Comme ils crioient grâce, et demandoient humblement quelle faute ils avoient commise, il les fit relever, et dit au principal d’entre les marbriers :

« Dans telle rue, à tel endroit, vous trouverez une maison faite de telle manière : allez-y sur-le-champ, et pavez-la toute entière en marbre. Si ce soir il se trouve seulement un endroit grand comme la main qui ne soit pas pavé, ta main droite sera mise à la place. » « Commandeur des croyans, dit-il, nous n’avons pas de marbre. » « Qu’on en prenne dans mes magasins, dit le calife, et assemblez tous les marbriers de Bagdad. Lorsque la maîtresse de la maison vous demandera qui vous a envoyés, vous répondrez, c’est votre gendre. Si elle vous demande : Quelle est la profession de mon gendre ? Comment s’appelle-t-il ? vous répondrez à la première question : Nous n’en savons rien ; et à la seconde : Il se nomme le Bondocani. Si quelqu’un de vous répond autre chose, il sera mis en croix sur-le-champ. »

Le marbrier assembla tous les ouvriers de sa profession, fit charger le marbre et tout ce qui étoit nécessaire pour leur travail, se rendit à la maison que le calife avoit indiquée, et y entra avec tous ceux qui l’accompagnoient. La vieille aussitôt se présenta : « Que voulez-vous ? » « Nous venons pour paver cette maison. » « Qui vous a envoyés ? » « Votre gendre. » « Quelle est la profession de mon gendre ? » « Nous n’en savons rien. » « Mais, comment s’appelle-t-il ?» « Le Bondocani. » « Mon gendre, dit en elle-même la vieille, n’est qu’un voleur ; mais c’est assurément le premier, le chef, le plus distingué de tous les voleurs. » Les marbriers s’étant partagé la besogne, chacun d’eux n’eut à faire qu’une coudée d’ouvrage, ou même moins.

Le calife avoit donné des ordres pareils au chef des menuisiers : celui-ci rassembla tous les autres menuisiers, prit des planches, des clous, et tout ce qui étoit nécessaire pour faire des portes et autres ouvrages de son état. Ils entrèrent tous dans la maison, dressèrent leurs établis, se partagèrent l’ouvrage, et commencèrent à travailler à l’envi l’un de l’autre.

La vieille étonnée se présente pareillement à eux : « Que voulez-vous ? » « Nous venons pour arranger cette maison. » « Qui vous y a envoyés ? » « Votre gendre. » « Quelle est la profession de mon gendre ? » « Nous n’en savons rien. » « Mais comment s’appelle-t-il ? » « Le Bondocani. » La vieille ne sachant où elle en étoit, et devenue presque folle, disoit en elle-même : « Mon gendre le voleur est un homme bien redouté, car tout ceci ne se fait que par la crainte qu’il inspire ; et tous ces ouvriers en ont si peur, qu’aucun d’eux n’oseroit dire quelle est sa profession. »

Bientôt après arrivent les badigeonneurs et les peintres, avec la chaux, l’huile de chanvre, et tout ce qui leur étoit nécessaire. Les badigeonneurs font éteindre la chaux, dressent leurs échelles, et se mettent quatre ou cinq après un mur ; derrière eux travaillent les peintres.

L’étonnement de la vieille étoit si grand, qu’elle en perdoit la raison. « Mon gendre, dit-elle à sa fille, est obéi bien ponctuellement, et on a une grande frayeur de lui. Sans cela, comment pourroit-il faire faire tant de choses en un jour ? Un autre ne les feroit pas exécuter en un an. Quel dommage qu’avec tout cela ce ne soit qu’un voleur ! »

Résolue d’interroger ces nouveaux ouvriers, la vieille s’approche des badigeonneurs, leur fait ses questions ordinaires, et obtient toujours les mêmes réponses. Elle s’adresse aux peintres, qui ne lui apprennent rien de plus. Enfin, s’attachant à l’un d’eux, plus jeune que les autres, et le tirant à l’écart : « Mon enfant, lui dit-elle, au nom de Dieu, apprenez-moi le vrai nom et la profession de mon gendre ? » « On ne peut parler, lui répondit-il, quand il y va de la vie. » « Allons, dit alors la vieille, je vois clairement que ce n’est qu’un voleur. Tout le monde a peur du mal qu’il peut faire. »

Sur la fin du jour, les ouvriers ayant fini d’arranger la maison, remirent leurs habits, allèrent au palais, et rendirent compte au calife de l’exécution de ses ordres. Le calife les ayant bien récompensés, fit venir des porteurs. On remplit des paniers de linge, de tapis, de coussins ; on met dans d’autres des habits, des étoffes brodées, des bijoux. Le calife ordonne aux porteurs de faire aux questions de la vieille les mêmes réponses qu’il avoit prescrites aux ouvriers.

La vieille voyant arriver les porteurs, leur dit : « Vous vous trompez, toutes ces choses ne sont pas pour nous ; portez-les à ceux à qui elles appartiennent. » « C’est ici, répondent les porteurs, la maison qu’on a arrangée aujourd’hui, et c’est bien ici que nous envoie votre gendre. » En même temps, ils entrent et déposent leurs paquets, en disant à la vieille, qui soutenoit toujours qu’ils se trompoient : « Ayez soin toujours de parer votre maison, mettez ces habits, et faites habiller tous ceux que vous voudrez, car votre gendre a de tout en abondance, et il viendra vous voir cette nuit à l’heure où tout le monde est endormi. » « Les voleurs, dit en elle-même la vieille, sortent toujours la nuit. »

Cependant la vieille va trouver ses voisines et les prie de venir avec elle pour lui aider à arranger la maison, et à placer les meubles et les effets qu’elle vient de recevoir. Celles-ci la suivent, autant par curiosité que par envie de lui rendre service. Arrivées devant la maison, elles sont étonnées de la voir blanchie, réparée ; et bientôt leurs yeux sont éblouis de la quantité de meubles, d’effets précieux, d’habits, de bijoux qui brillent de tous côtés.

« D’où vous viennent toutes ces choses, lui dirent-elles, et comment cette maison est-elle tout-à-coup si changée ? Hier ce n’étoit qu’une masure, rien n’étoit blanchi, point de peinture nulle part, encore moins de marbre. Dormons-nous, et tout ceci n’est-il qu’un songe, ou bien est-ce l’effet d’un enchantement ? »

« Il n’y a point d’illusion, dit la vieille ; tout s’est fait naturellement. C’est mon gendre qui a opéré ces merveilles, et qui m’a envoyé tout ce que vous voyez. » « Votre gendre ! Et quel est-il ? Quand avez-vous donc marié votre fille ? Nous n’en avons rien su. » « Tout cela s’est fait aujourd’hui. » « Quel est l’état de votre gendre : il faut que ce soit un riche marchand ou un grand seigneur ? » « Mon gendre n’est ni marchand ni grand seigneur : c’est un voleur, mais non pas un voleur ordinaire ; c’est le chef, le capitaine de tous les voleurs. » À ces mots, les voisines sont saisies de frayeur, et disent à la vieille :

« Au nom de Dieu, faites-nous la grâce de nous recommander à votre gendre, afin qu’il n’enlève rien de nos maisons ! Entre voisins on doit avoir des égards les uns pour les autres. » « Ne craignez rien, mon gendre est généreux. Je vous promets que non-seulement il ne vous prendra rien, mais il ordonnera aux voleurs qu’il commande de respecter ce qui vous appartient. »

Les promesses de la vieille rassurèrent un peu ses voisines, qui lui aidèrent à placer les meubles, et à arranger sa maison. Lorsqu’elles eurent fini, elles s’occupèrent de la parure de la mariée. On fit venir d’abord une coiffeuse, ensuite on la revêtit d’habits magnifiques, et on l’orna de toutes sortes de bijoux. Comme on finissoit la toilette de la mariée, on vit arriver des porteurs avec des corbeilles remplies des viandes les plus délicates, et des mets les plus recherchés, tels que pigeons, poulets, perdreaux, cailles, gélinottes[18]. Dans d’autres corbeilles étoit le dessert, composé de pâtes, de dragées, de sucreries, de confitures, et autres choses de cette espèce.

« Prenez ces mets et ces plats, dirent les porteurs à la vieille ; c’est votre gendre qui vous les envoie. Il vous recommande de bien manger, et de régaler vos voisins, et tous ceux que vous voudrez. » « De grâce, dit la vieille, quel est l’état de mon gendre, et comment s’appelle-t-il ? »

« Il s’appelle le Bondocani ; mais nous ne connoissons pas son état, répondent les porteurs en s’en allant. » « Assurément, disoient quelques voisines, c’est un voleur. » « Qu’il soit ce qu’il voudra, disoient les autres, celui qui peut faire tout cela n’a pas son pareil dans Bagdad. »

Tout le monde se mit ensuite à table, et chacun mangea de bon appétit. On apporta le dessert, auquel on ne fit pas moins d’honneur. On avoit eu soin de mettre auparavant de côté pour l’époux, quelques-uns des mets les plus délicats, et quelques plats de dessert.

Cependant le bruit se répandit dans le quartier que la vieille avoit marié sa fille à un voleur, qui l’avoit enrichie tout d’un coup par les nombreux présens qu’il lui avoit faits. Cette nouvelle passant de bouche en bouche, parvint bientôt aux oreilles du marchand dont nous avons parlé. Il apprend que la personne qu’il a demandée en mariage a été donnée par sa mère à un voleur, qui leur a fait présent d’une quantité innombrable de meubles, d’habits, de bijoux, qui a fait réparer leur maison, l’a fait blanchir, peindre, paver en marbre, et l’a rendue d’une magnificence qui éblouit les regards.

Cet événement piqua vivement le jeune marchand, qui conçut aussitôt le projet d’aller chez le lieutenant de police, et de lui promettre une récompense considérable pour l’engager à se saisir du voleur, espérant, par ce moyen, pouvoir s’emparer lui-même de la jeune personne. Il alla donc sur-le-champ trouver le lieutenant de police, lui raconta tout ce qui s’étoit passé, lui promit une bonne récompense, et lui dit que le voleur possédant des richesses immenses, il pourroit prendre encore tout ce qu’il voudroit.

Le lieutenant de police fut fort content, et dit au jeune marchand : « Attendez jusqu’à dix heures du soir, afin que nous trouvions le voleur dans la maison. Je m’y rendrai à cette heure-là, je ferai saisir le voleur, et vous vous emparerez de la jeune personne. » Le jeune marchand remercia le lieutenant de police, se retira, et revint à l’heure indiquée.

Le lieutenant de police venoit de monter à cheval avec quatre cents hommes. Il étoit accompagné de quatre officiers, et précédé de flambeaux et de lanternes ; toutes les voisines s’étoient retirées chez elles ; la maison étoit éclairée par beaucoup de bougies ; et la mère et la fille, bien enfermées, attendoient tranquillement le nouveau marié. Le lieutenant de police frappe rudement à la porte. La vieille se lève, aperçoit de la lumière par les fentes de la porte, regarde en dehors, et voit le lieutenant de police et son escouade qui occupoient toute la rue, et l’un de ses officiers qui se préparoit déjà à enfoncer la porte.

Cet homme, nommé Schamama, étoit violent, brutal, ou plutôt c’étoit un vrai diable incarné, toujours prêt à faire le mal et à se porter aux plus grands excès. « Que faisons-nous là, disoit-il au magistrat, et que gagnerons-nous à attendre qu’on nous ouvre la porte ; il vaut mieux l’enfoncer, fondre sur eux, saisir celui que nous cherchons, et nous emparer des effets qui sont dans la maison. »

Un autre officier, nommé Hassan, d’une figure douce et d’un caractère encore plus doux, aimant à faire le bien, et qui sembloit placé près du lieutenant de police pour le bonheur de l’humanité, lui dit aussitôt : « Ce conseil est mauvais et dangereux. Personne n’a jamais fait aucune plainte contre ces gens-là. Et nous ne savons si l’homme qu’on a dénoncé comme un voleur, est réellement un voleur. Le jeune marchand, mécontent de n’avoir pas épousé la jeune personne, peut avoir fait une dénonciation fausse pour se venger. Ne vous jetez point dans une affaire qui peut avoir pour vous-même les suites les plus fâcheuses, et tâchons de tirer doucement tout ceci au clair. Au reste, c’est au commandant à décider de ce qu’on doit faire. »

La vieille entendoit tous ces discours à travers la porte, et trembloit de peur. Elle revint auprès de sa fille, et lui apprit que le lieutenant de police frappoit à la porte. « Barricadez-la, lui dit la jeune personne effrayée, peut-être que Dieu nous délivrera de ce danger. » La vieille barricada la porte. On frappa de nouveau avec plus de violence ; elle demanda : « Qui est là ? » « Infâme vieille, lui répondit Schamama, associée de voleurs, ne vois-tu pas que c’est le lieutenant de police et ses gens ? Ouvre la porte à l’instant. »

« Nous sommes des femmes, répondit la vieille, et nous n’avons aucun homme avec nous ; nous ne pouvons ouvrir à personne. » « Ouvre la porte, reprit Schamama d’une voix terrible, ou bien nous allons la mettre en pièces. »

La vieille ne répondit rien, et vint rejoindre sa fille : « Vois, lui dit-elle, ce voleur qui est cause que nous sommes investies, assiégées depuis le commencement de la nuit ! S’il paroît, c’en est fait de lui. Fasse le ciel qu’il ne vienne pas ce soir ! Ah, si votre père vivoit encore, le lieutenant de police ou tout autre n’auroit jamais assiégé ainsi notre maison ! » « Comment faire, disoit la jeune personne ? Il faut se soumettre au destin. »

Cependant le calife voyant qu’il n’y avoit plus personne dans les rues, que la nuit s’avançoit, et que chacun étoit retiré chez soi, se déguisa, prit son arquebuse, ceignit son épée et sortit secrètement pour aller trouver sa nouvelle épouse. Arrivé au commencement de la rue, il vit de loin les flambeaux, reconnut le lieutenant de police avec ses gens, et le jeune marchand qui étoit à côté de lui, et entendit la plupart des officiers qui crioient : « Brisez la porte, saisissez la vieille, et tourmentez-la pour lui faire dire où est le voleur son gendre. »

Le seul Hassan s’efforçoit au contraire de contenir cette multitude enragée, en leur disant : « Braves camarades, respectez les lois que vous devez faire observer, et ne précipitez rien. Ce sont des femmes, elles n’ont point d’homme avec elles, ne les maltraitez pas. Peut-être l’homme qu’on a dénoncé n’est pas un voleur, et cette affaire peut avoir pour nous des suites fâcheuses. » « Hassan, s’écria Schamama, tu n’es pas fait pour accompagner un lieutenant de police, mais plutôt pour rester assis sur le banc des juges. Il ne faut dans notre état que des gens alertes, déterminés, acharnés à leur proie, propres à faire un coup de main, et à surprendre le monde. »

« Maudit Schamama, disoit en lui-même le calife en écoutant ce discours, je te récompenserai comme tu le mérites. » En même temps il aperçut près de la maison où demeuroit la vieille, une rue sans issue. Il y entra, et vit une grande porte au-devant de laquelle étoit une tapisserie et une lampe suspendue ; à côté étoit assis un eunuque. Le maître de ce palais étoit un des émirs du calife, qui commandoit mille soldats ; il s’appeloit l’émir Iounis. C’étoit un homme dur et féroce, qui, lorsqu’il n’avoit pas assommé quelqu’un dans sa journée, ne mangeoit pas, tant il étoit en colère.

L’eunuque voyant venir le calife, cria après lui, et se leva pour le frapper, en disant : « Où vas-tu, insensé ? » Le calife lui répondit d’un ton ferme et assuré : « Infâme valet, que t’importe ? » L’eunuque déconcerté crut voir dans l’auguste souverain, un lion prêt à se jeter sur lui : il prit la fuite, et courut en tremblant à son maître, qui lui dit en le voyant : « Malheureux, que t’est-il arrivé ? » « Monseigneur, dit-il, tandis que j’étois assis devant la porte, un homme est entré dans la rue et s’est approché de l’hôtel : j’ai voulu le frapper, il m’a crié d’une voix de tonnerre : « Infâme valet. » J’ai pris la fuite, et je viens vous rendre compte. »

L’émir, en écoutant ce discours, pensa étouffer de colère. « Traiter mes gens d’infâmes, s’écrie-t-il, c’est me faire injure à moi-même ! Je vais punir cet insolent. » Aussitôt il se lève, prend une énorme masse d’armes capable de briser une montagne, et sort en criant : « Où est l’insolent qui m’insulte en traitant mes gens d’infâmes ? » Le calife voyant venir Iounis, l’appelle par son nom. Iounis reconnut aussitôt la voix de son maître, jeta sa masse d’armes, et se prosterna par terre.

« Lâche, dit le calife, tu es un grand seigneur, et tu souffres que le lieutenant de police vienne vexer, tourmenter dans ton voisinage, des femmes retirées dans leur maison, et qui n’ont point d’homme avec elles ! Tu restes tranquillement chez toi, et tu n’en sors pas pour repousser et traiter comme il le mérite cet indigne officier ! » « Commandeur des croyans, répondit Iounis, si je n’avois craint de maltraiter un magistrat, en qui vous pouviez avoir confiance, cette nuit lui eût été fatale, ainsi qu’à sa troupe ; et si vous l’ordonnez, je vais les charger à l’instant, et les mettre tous en pièces. Comment un lieutenant de police et ses archers pourroient-ils me résister ? »

« Entrons d’abord chez vous, lui dit le calife. » Iounis vouloit le faire asseoir ; mais il refusa, et lui dit de le faire monter sur la terrasse. Lorsqu’ils y furent, il lui montra la maison des femmes dont il lui avoit parlé, et lui demanda comment il pourroit s’y introduire. Iounis lui montra un endroit favorable à son dessein, et alla chercher une échelle qu’il plaça comme il falloit. Le calife passa dessus, franchit l’intervalle qui séparait les deux maisons, et dit à Iounis de rentrer, et qu’il l’appelleroit quand il auroit besoin de lui.

Le calife passa sur la terrasse en marchant doucement, et sans faire de bruit, de peur d’effrayer davantage les dames, et s’avança jusqu’à une ouverture qui donnoit dans l’intérieur de leur appartement. Il regarde, s’étonne de la magnificence qui règne partout, et croit voir un paradis. L’éclat des dorures et des peintures étoit encore relevé par celui des lustres et des girandoles ; et la jeune personne, assise sur un trône, revêtue d’habits superbes, et couverte de bijoux, ressembloit au soleil qui brille au milieu d’un ciel pur, ou à la lune dans son plein.

Tandis que le calife émerveillé de la beauté de sa nouvelle épouse la considéroit avec complaisance, la vieille parloit ainsi à sa fille : « Qu’allons-nous devenir, et comment nous débarrasser de ces méchans ? Nous sommes des femmes, et nous n’avons que Dieu pour appui. Quel malheureux destin nous a envoyé ce voleur ! Ah, si votre père vivoit… Mais telle est la volonté de Dieu. »

« Ma mère, lui répondit la jeune personne, vous avez beau vous plaindre et m’humilier en traitant ce jeune homme de voleur, puisque Dieu me le donne pour époux, je dois le recevoir de ses mains, et me conformer à ses décrets. » « Dieu veuille, reprit alors la vieille, touchée des sentimens de sa fille, qu’il ne vienne pas cette nuit ; car on le saisiroit, et on lui feroit un mauvais parti à ce pauvre jeune homme ! »

Le calife ayant entendu cette conversation, ramassa par terre une petite pierre de la grosseur d’un pois, la lança adroitement sur la bougie qui étoit devant la jeune personne, et l’éteignit. « Qu’est-ce donc qui fait éteindre cette bougie, tandis que les autres brûlent si bien, dit la vieille en la rallumant ? » Comme elle finissoit ces mots, le calife lance une seconde pierre, et éteint la bougie qui avoit servi à rallumer la première. « Encore une bougie qui s’éteint, dit la vieille, cela est étonnant. » Peu après, une troisième pierre éteint une troisième bougie. « Pour le coup, dit la vieille, il faut que quelque esprit aérien s’amuse à éteindre ici les bougies. » Comme elle alloit la rallumer, une petite pierre lui tombe sur la main. Elle regarde alors du côté de l’ouverture qui étoit au plancher, et aperçoit son gendre.

« Voyez par où vient votre époux, dit-elle à sa fille. Il a pris le chemin que prennent ses pareils : c’est toujours par les toits que viennent les voleurs. Un autre seroit entré par la porte. Mais Dieu soit loué de ce qu’il est venu par-dessus les toits, sans cela il auroit été pris ! » Puis s’adressant à son gendre : « Va-t-en bien vite, lui dit-elle, par où tu es venu, si tu ne veux être pris par les scélérats qui assiègent notre maison. Nous ne sommes que des femmes, et nous ne pouvons te sauver. »

« Ouvrez-moi toujours la porte de la terrasse, dit le calife en riant, afin que je me rende près de vous, et que je voie ce que je dois faire à ces marauds. » « Malheureux, lui dit la vieille, crois-tu que celui qui assiége notre maison ressemble à ce pauvre cadi qui a eu si peur de toi, qu’il a coupé sa robe pour écrire sur-le-champ ton contrat ? Celui qui nous assiége est le lieutenant de police en personne. Crois-tu lui faire faire aussi ce que tu voudras ? » « Ouvrez-moi, vous dis-je, répondit le calife, ou je vais briser la porte. » La vieille monta, et ouvrit la porte de la terrasse.

Le calife étant entré, se mit à côté de son épouse, dit qu’il se sentoit appétit, et demanda à se mettre à table. « Auras-tu bien le cœur de manger, dit la vieille, tandis que ces scélérats peuvent fondre sur nous à tout moment. » « Ne craignez rien, dit le calife, et apportez-nous quelque chose. » La vieille apporta les mets et les plats de dessert qu’on avoit mis à part. Le calife se mit à manger et à causer tranquillement avec elles.

Quand le calife fut rassasié, et que la table fut ôtée, on entendit redoubler les cris : « Ouvrez la porte, ou nous allons l’enfoncer. » Le calife tira alors son anneau, le remit à la vieille, et lui dit : « Portez cela au lieutenant de police, et dites-lui que le maître de cet anneau est chez vous. Si le lieutenant de police vous demande ce que désire le maître de cet anneau, vous lui direz que je voudrois qu’il entrât avec ses quatre principaux officiers, et qu’il fît apporter une échelle de quatre échelons, une corde et un faisceau de baguettes[19]. »

La vielle, peu contente de la commission, répondit : « Le lieutenant de police aura donc aussi peur de vous ou de cet anneau ? Je crains, moi, qu’il ne serve de rien ; que ces gens-là ne m’écoutent pas, ne se jettent sur moi, et ne m’assomment. »

« Ne craignez rien, dit le calife, le lieutenant de police ne peut me résister. » « Si vous avez aussi le secret de vous faire craindre du lieutenant de police, et de lui faire exécuter vos volontés, dit la vieille, je veux absolument prendre de vos leçons, et je ne vous laisserai pas que vous ne ni ayez appris un tour de votre métier, ne seroit-ce qu’à voler les femmes. »

Le calife se mit à rire, et donna son anneau à la vieille. Elle le prit, alla jusqu’à la porte, et dit en elle-même : « Je ne ferai qu’entrouvrir la porte pour leur donner l’anneau, et s’ils n’écoutent pas ce que j’ai à leur dire de la part du voleur, je refermerai la porte comme elle étoit. Que voulez-vous donc, dit-elle en criant bien fort ? » « Infâme vieille, abominable sorcière, répondit Schamama, nous voulons saisir le voleur qui est chez toi, lui couper une main et un pied, et tu verras de quelle manière nous te traiterons ensuite. »

La vieille, un peu effrayée, leur demanda si quelqu’un d’eux savoit lire ? « Oui, dit le lieutenant de police en s’avancant. » « Voici un cachet, lui dit la vieille : voyez ce qui est écrit dessus, et quel est le nom de celui à qui il appartient. » « Que le diable emporte le cachet et celui à qui il appartient, dit Schamama ! » Puis s’adressant au lieutenant de police : « Aussitôt que la vieille paroîtra, lui dit-il, frappez-la, jetez-la par terre, et faites-nous entrer dans la maison : nous la pillerons, nous prendrons le voleur, et ensuite vous verrez de qui est le cachet ; et s’il appartient à quelqu’un à qui nous devons du respect, nous dirons que nous ne l’avons vu que lorsque le mal étoit fait : personne ne pourra soutenir le contraire. »

En disant cela, Schamama s’approcha de la porte, et dit à la vieille : « Donne-moi cet anneau, et voyons s’il pourra te sauver. » La vieille entr’ouvrit la porte seulement pour passer la main, et lui tendit la bague. Il la prit, et la donna au lieutenant de police. Celui-ci reconnoissant l’anneau du calife Haroun Alraschid, changea de couleur, et trembla de tout son corps. « Qu’as-tu donc, lui dit Schamama ? » Le lieutenant de police, pour toute réponse, lui présenta l’anneau. Il le prit, s’approcha d’un flambeau, et ne put s’empêcher, malgré ses emportemens, de reconnoître l’anneau du calife. Aussitôt il tombe à la renverse en criant : « Au secours, au secours ! »

« Malheureux, lui dit le lieutenant de police, la vengeance divine va bientôt éclater contre toi ! Tout ceci est l’effet de tes infâmes procédés et de ta cupidité. Prépare-toi à répondre à nos accusateurs, et à te tirer, si tu peux, de ce mauvais pas. »

Schamama revenant à lui, dit à la vieille avec respect : « Que desirez-vous, madame ? » Celle-ci s’aperçut aussitôt qu’on avoit peur de son gendre, et en fut enchantée. « Celui à qui appartient le cachet, dit-elle, demande une échelle de quatre échelons, une corde, un faisceau de baguettes, et le sac qui renferme les autres choses nécessaires pour la punition des coupables. Il demande aussi à voir le lieutenant de police et ses quatre principaux officiers. » « Ou est, illustre dame, reprit Schamama, celui à qui appartient l’anneau ? » « Il est dans cette maison, dit la vieille. »

Le lieutenant de police s’approchant de la vieille, lui demanda à son tour où étoit celui à qui appartenoit l’anneau et ce qu’il desiroit ? La vieille lui répéta ce qu’elle venoit de dire à Schamama. « Nous sommes prêts à exécuter les ordres de celui à qui appartient cet anneau, et nous avons avec nous tous les instrumens nécessaires pour punir les coupables, dit le lieutenant de police en balbutiant, et tremblant comme ceux de sa suite. »

La vieille entra, et dit à son gendre en riant : « Il n’y a pas dans le monde un chef de voleurs pareil à vous. Vous faites peur au cadi, vous faites peur au lieutenant de police, vous faites peur à tout le monde. Je veux entrer à votre service, et voler les femmes tandis que vous volerez les hommes. Vous me ferez part de vos secrets, et je pourrai réussir ; car tel maître, tel valet, tel père, tel fils, dit le proverbe. Cependant, si dès que ces gens-là sont venus, ils eussent brisé la porte et fussent tombés sur nous, tandis que vous n’étiez pas encore ici, que serions-nous devenues ? Mais, grâce à Dieu, vous êtes venu à temps. »

Le calife se mit à rire ; et sa jeune épouse, assise à ses côtés, se réjouissoit de leur délivrance, lorsque le lieutenant de police entra, accompagné de ses quatre principaux officiers, parmi lesquels étoient Schamama et Hassan. Le calife fit avancer ce dernier, et lui dit d’appeler l’émir Iounis, commandant de mille hommes. Celui-ci parut sur-le-champ. Le calife lui ordonna de châtier le lieutenant de police et Schamama.

Iounis obéit, et s’acquitta de sa commission en homme à qui elle ne déplaisoit pas. Le châtiment fut poussé si loin, que les malheureux laissèrent leurs ongles sur la place[20]. On les traîna ensuite en prison, et Hassan fut revêtu de la charge de lieutenant de police. « Avez-vous jamais vu, dit alors le calife à la vieille, un voleur traiter ainsi un lieutenant de police et ses gens ? » « Non, en vérité, dit la vieille ; et il ne me reste qu’une chose à désirer, c’est que Dieu punisse maintenant le calife pour l’injustice qu’il vient de commettre envers nous, injustice sans laquelle, malgré toutes tes prouesses et le merveilleux de tout ceci, tu n’aurois jamais mis le pied dans notre maison. »

Le calife, étonné de cette brusque exclamation, dit en lui-même : « Aurois-je commis quelque injustice et donné lieu à cette femme de faire ainsi des imprécations contre moi ? Quel mal, dit-il ensuite à la vieille, vous a donc fait le calife ? »

« Quel mal ? Il a fait piller, ravager notre maison. On a enlevé nos meubles, nos effets, tout ce que nous avions. On ne nous a pas laissé un vêtement, ni de quoi avoir un morceau de pain ; et si Dieu ne vous eût envoyé vers nous, nous serions mortes de faim. »

« Pourquoi le calife vous a-t-il traitées de cette manière ? »

« Mon fils étoit un de ses hagebs. Un jour qu’il étoit assis ici, on frappe à la porte ; il y va, et voit deux femmes qui lui demandent de l’eau pour boire. Il leur en donne, et elles s’en vont : une heure après une vieille lui apporte un plat de petits gâteaux de la part de la personne à qui il avoit donné à boire. Il les accepte. Le gardien du quartier vient à passer, et lui demande quelque chose. C’étoit le jour de la fête de l’Arafa. Mon fils lui donne le plat de petits gâteaux. Une heure après une troupe de gens viennent de la part du calife, emmènent mon fils, et pillent notre maison. Le calife veut savoir comment le plat de petits gâteaux est parvenu à mon fils. Il le dit. Le calife lui demande s’il a vu quelqu’un des charmes de la jeune personne. Il vouloit dire que non ; mais il étoit troublé, et répondit sans y penser qu’il avoit vu son visage. Le calife fit venir la jeune personne, et ordonna qu’on leur coupât la tête à tous deux. Mais il n’a pas voulu les faire exécuter un jour de fête : il les a fait conduire en prison. Voilà comment le calife nous a traitées, et sans cette injustice et la perte de mon fils, tu n’aurois jamais épousé ma fille. »

Le calife ayant entendu les plaintes de la vieille, reconnut l’injustice qu’il avoit commise, et lui dit : « Que diriez-vous si j’engageois le calife à faire sortir votre fils de prison, à lui rendre ses biens, à lui donner un emploi plus distingué, et si ce cher fils venoit cette nuit même se jeter dans vos bras ? »

La vieille ne put s’empêcher de sourire à l’idée de revoir son fils ; mais reprenant bientôt sa tristesse, elle dit au calife : « Tais-toi, malheureux, les fanfaronnades ne sont plus ici de saison. Celui dont je te parle à présent n’est pas comme le lieutenant de police qui a peur de toi, et que tu traites comme tu veux. C’est le Commandeur des croyans, le grand Haroun Alraschid dont le nom est respecté de l’Orient à l’Occident, et qui commande à des nombreuses armées. Le moindre esclave de sa cour a plus de puissance que le lieutenant de police. Ne te laisse pas aveugler sur le succès de tes ruses, et par la crainte que tu as inspirée aux gens d’une certaine espèce. Ne vas pas courir à ta perte, et nous laisser sans appui. J’espère pour mon fils, que le Tout-Puissant qui l’éprouve, voudra bien Venir à son secours. »

Le calife, touché jusqu’aux larmes du discours de la vieille, se leva pour s’en aller. La vieille et la jeune personne le pressoient de rester, et s’efforçoient de le retenir ; mais le calife jura que rien ne pourroit l’empêcher de sortir, et s’échappa de leurs mains.

Lorsque le calife fut rentré dans son palais, il s’assit sur son trône et fit venir les émirs, les visirs et les hagebs. Lorsqu’ils furent assemblés, qu’ils se furent prosternés devant lui, et qu’ils eurent fait, selon l’usage, des vœux pour la durée de son empire, il leur dit : « J’ai réfléchi à l’affaire d’Aladdin, que j’ai fait arrêter et mettre en prison, et je suis étonné qu’aucun de vous n’ait demandé grâce pour lui, et ne lui ait donné aucune marque d’attachement et de sensibilité. »

« Commandeur des croyans, répondit un des émirs, notre respect pour vous nous a retenus ; mais en ce moment nous implorons votre miséricorde pour votre esclave. » Tous les émirs se découvrirent alors la tête et baisèrent la terre. « Je lui pardonne, dit le calife ; allez le trouver, revêtez-le d’une robe d’honneur, et amenez-le ici. »

Dès que le calife aperçut Alaeddin, il lui donna une des premières charges du palais, et lui dit de retourner aussitôt chez lui. On le fit monter sur un cheval du calife ; les émirs l’accompagnèrent et le reconduisirent chez lui en triomphe, aux acclamations d’un peuple nombreux, et au bruit de toutes sortes d’instrumens. Sa mère et sa sœur, entendant de loin les cris du peuple et le bruit des tambours, ne savoient ce que c’étoit. Tout-à-coup des huissiers frappent à la porte, et annoncent la grâce d’Alaeddin et sa nouvelle dignité. Ils demandent en même temps la récompense de cette bonne nouvelle, et s’en retournent fort contens de la générosité de ces dames.

Alaeddin paroît bientôt lui-même. Sa mère et sa sœur sautent à son cou, le serrent dans leurs bras, et versent des larmes de joie. Alaeddin s’assied et leur raconte son aventure. Remarquant ensuite la magnificence de la maison, il en témoigna son étonnement à sa mère. Elle lui apprit que le jour qu’il avoit été arrêté, on avoit pillé et saccagé la maison, enlevé les marbres, les portes, les meubles ; qu’on n’y avoit pas laissé la valeur d’une drachme, et qu’elles avoient été trois jours sans manger.

» Mais d’où viennent donc toutes ces choses, ces effets, ces meubles ces vases ? Qui a décoré, orné cette maison en si peu de temps ? Tout ce que je vois ne seroit-il qu’un songe ? » « Ce n’est point un songe, mais une galanterie de mon gendre, qui a fait faire tout cela en un jour. » « Quel est votre gendre ? Quand avez-vous marié ma sœur, et qui a pu l’épouser sans mon consentement ? » « Ne te fâche pas, mon enfant ; sans lui nous étions perdues. » « Quel est l’état de mon beau-frère ? » « Voleur. » (Alaeddin, à ce mot, pensa étouffer de colère et d’indignation.) « Quel est donc ce voleur qui ose devenir mon beau-frère ? Par le tombeau de mes pères, il faut que je lui coupe la tête. » « Laisse là ce bandit ; il a fait bien autre chose à d’autres qu’à toi, et il ne lui est rien arrivé : tout ce que tu vois a été pour lui l’ouvrage d’un jour. »

La mère d’Alaeddin lui raconta ensuite l’aventure du cadi, celle du lieutenant de police, et la punition de ce dernier, et elle lui montra par terre les traces du sang que la violence des coups avoit fait couler. Elle finit en disant : « Je me suis plaint devant lui de l’injustice du calife et de ton arrestation : aussitôt il a promis d’aller trouver le calife, de te faire mettre en liberté, te faire revêtir d’une robe d’honneur, te faire rendre tous tes biens, et de t’en faire donner de nouveaux. Effectivement, il nous a quittées sur-le-champ, et bientôt après nous avons eu le bonheur de le revoir : c’est à lui sans doute que nous en sommes redevables.

Alaeddin ne comprenoit rien à tout cela, et son étonnement ne pouvoit être plus grand. « Quel est le nom de cet homme ? » « Je ne sais, et toutes les fois que je l’ai demandé aux divers ouvriers qui sont venus ici de sa part, ils m’ont dit qu’ils ne le savoient pas, mais que son surnom étoit le Bondocani. »

À ce nom, Alaeddin comprit que le prétendu voleur n’étoit autre que le calife. Il se leva tout hors de lui, et baisa sept fois la terre. Sa mère se mit à rire, et lui dit : « Et quoi, mon fils, ce nom te fait-il aussi perdre l’esprit ? Tu disois tout-à-l’heure que tu lui trancherois la tête ? « « Savez-vous bien, répondit Alaeddin, que celui que vous venez de nommer, est le Commandeur des croyans, le calife Haroun Alraschid ? Et quel autre que lui auroit pu traiter ainsi le lieutenant de police, et faire tout ce qu’il a fait ? » « Ah, mon fils, je suis perdue, le calife ne me le pardonnera pas, je l’ai toujours traité de voleur ! »

Tandis qu’ils parloient ainsi, le calife entra. Alaeddin se jeta à ses pieds ; sa mère s’enfuit, et se cacha dans un cabinet. « Où est votre mère, dit le calife ? » « Elle n’ose paroître à vos yeux, répondit Alaeddin. » « Pourquoi donc, dit le calife, elle n’a rien à craindre ? » Et aussitôt il l’appela lui-même. Elle vint, et se prosterna devant le souverain. « Tout-à-l’heure, lui dit-il en riant, vous vouliez me prendre pour maître, et vous charger de voler les femmes, et maintenant vous me fuyez ! Ce n’est pas le moyen de faire des progrès. » La vieille, un peu rassurée, demanda pardon au calife, qui fit venir aussitôt un cadi, répudia la princesse de Perse, et la maria avec Alaeddin. On célébra en même temps les deux mariages. Tous les émirs et les seigneurs de Bagdad y assistèrent. Les repas et les réjouissances durèrent trois jours, et l’on distribua aux pauvres des aumônes abondantes. Alaeddin et le calife coulèrent les jours les plus heureux auprès de leurs épouses, et leur bonheur n’eut d’autre terme que celui de leur vie.

Scheherazade finissoit de raconter l’aventure du calife Haroun Alraschid avec la petite-fille de Chosroès Anouschirvan, et son mariage avec la sœur d’un de ses chambellans. Le sultan des Indes, que ces aventures avoient beaucoup diverti, demanda aussitôt à la sultane si elle en savoit encore quelques autres du même prince.

« Sire, répondit la sultane, la vie du calife Haroun est pleine d’une multitude d’aventures pareilles, sans parler d’un nombre infini de traits curieux, d’anecdotes piquantes. Toutes ces choses sont présentes à ma mémoire ; mais je desirerois, si vous me le permettez encore, vous raconter maintenant l’histoire d’un jeune marchand de Bagdad et de la Dame inconnue, histoire dans laquelle éclatent principalement la justice et l’humanité de ce grand prince. »

Le sultan des Indes auroit bien voulu entendre sur-le-champ quelque chose de cette histoire ; mais le jour qui commençoit à paroître, l’obligea d’attendre à la nuit suivante. Scheherazade commença donc le lendemain en ces termes :


  1. Les noms des deux sœurs, Scheherazade et Dinarzade, sont composés des mots schéher et dinar, suivis de la terminaison zade, qui est dérivée du verbe persan zaden, naître, et marque un rapport d’origine. Ainsi Parizade, nom d’une princesse dans l’histoire précédente, signifie née d’un génie, ou de la race des génies ; nom que les poètes persans donnent quelquefois à une belle personne, et d’où paroît venir celui de Parysatis, femme de Darius Nothus.
    Schéher désigne en persan une ville ; mais cette signification ne paroît pas convenir beaucoup icic, et la langue arabe nous fournit une idée plus ingénieuse. Shéher ou schahar, signifie dans cette langue mois, ou proprement lune ; Scheherazade, selon cette étymologie, est la même chose que née de la lune, ou belle comme la lune, comparaison souvent répétée dans ces contes.
    Le mot dinar, le même que denarius, denier, indique une pièce d’or ou d’argent. Dinarzade signifie donc proprement enfant d’or ou d’argent ; et par métaphore, belle, précieuse comme l’or et l’argent. Ces noms propres ont été, comme on voit, assez bien choisis par l’auteur arabe, et la ressemblance de terminaison convient encore bien à des noms de sœurs.
    Le nom du sultan des Indes, le grand roi Schahriar, mérite également d’être remarqué.
    Schahriar signifie en persan roi, empereur, ainsi que schah. De plus, on lit, au commencement des Mille et une Nuits, que ce roi « étoit de la maison des Sassaniens (ou Sassanides), qui avoient étendu leur empire dans les Indes, et jusqu’à la Chine. » On trouve effectivement dans la liste des Sassanides un roi nommé Schahriar. On pourroit objecter que ce prince, dont le règne fut court, n’étoit pas de la famille royale ; mais Schahriar est aussi le nom d’un prince de cette famille, père d’Iezdegerd, dernier roi de la dynastie. On sent, malgré cela, qu’aucun de ces princes ne peut être regardé comme étant le sultan Schahriar des Mille et une Nuits, puisque toutes les histoires qu’on lui raconte, notamment celle des Califes et d’Haroun Alraschid, se rapportent à des époques bien postérieures à celle des Sassanides. L’auteur paroît seulement avoir supposé que son sultan des Indes et de la grande Tartarie tiroit son origine des anciens rois Sassanides, et il s’est conformé autant qu’il a pu à la vraisemblance, en lui donnant un nom connu dans l’histoire de cette monarchie. On peut encore remarquer que le nom Schahriar est écrit dans quelques manuscrits, Schahrebar et Schahrebaz, prononciations qui se rapprochent davantage des noms Sarbaros et Sarbazas qu’on lit dans les écrivains grecs du moyen âge.
  2. Khosrouschah. Ce nom est composé du mot persan Khosrou, que les Arabes prononcent Kesra, et dont les Grecs ont fait Chosroès, nom commun à plusieurs anciens rois de Perse, et du mot schah, roi.
  3. Le surnom Alraschid, donné au calife Haroun à cause de sa justice, répond assez bien au vieux mot français droiturier.
  4. Cette fête se célèbre le 9 du mois de dou al haga, qui est le dernier de l’année arabe. Elle tire son nom d’une montagne voisine de la Mecque, sur laquelle des pélerins vont prier ce jour-là. Les détails de cette fête, qu’on lit dans la Continuation des Mille et une Nuits de M. Cazotte, ont été imaginés par les traducteurs, et sont presque tous absolument contraires à la religion mahométane.
    Je me contenterai de cette seule remarque de ce genre. J’en pourrois faire de pareilles à chaque page, si je voulois comparer la Continuation de M. Cazotte avec l’original arabe, et montrer combien elle est opposée au génie et aux mœurs de l’Orient.
  5. L’aumône est un des cinq préceptes fondamentaux de la religion mahométane.
  6. Province de Perse, anciennement la Bactriane.
  7. Chosroès Anouschirvan, ou le grand Chosroès, roi de Perse, de la dynastie des Sassanides, contemporain de Justinien. Il est surnommé le Juste par les écrivains orientaux, qui vantent beaucoup ses vertus. Les écrivains grecs en font un portrait tout différent. Son caractère, selon M. le Beau, est un problème insoluble. On pourroit résoudre ce problème en distinguant, comme ce passage l’indique, deux époques dans son règne. Le nom de ce prince fameux est, comme presque tous les noms propres, entièrement défiguré dans la Continuation de M. Cazotte, qui l’appelle Kassera Abocheroan.
  8. Petite-fille ne signifie ici que descendante. L’auteur arabe se sert même du mot fille dans cette signification.
  9. Le nom arabe de ces gâteaux est catifa, qui fait au pluriel catayéf.
  10. En arabe cahermanah. Les califes Abbassides avoient pour intendantes de leur maison des femmes appelées cahermaniah, auxquelles ils se fioient plus qu’aux hommes, de peur d’être empoisonnées. Voyez la Bibliothèque Orientale de d’Herbelot, p. 234.
  11. Hageb, nom d’une charge près la personne des califes, qui peut répondre à celle de chambellan.
  12. Arquebuse. Les mots du texte cous al bondoc désignent un arc ou instrument propre à lancer des balles. Le mot arquebuse, arcobugio en italien, est pareillement dérivé du mot arc. Les mots kis al bondoc, que j’ai rendus par giberne, indiquent proprement un sac où se mettent les balles.
  13. La ville de Babylone, ou Babel, est renommée parmi les Mahométans pour ses prestiges et ses enchantemens. Cette opinion est fondée sur un passage du Coran, dans lequel il est dit que deux anges prévaricateurs, Harout et Marout, enseignoient la magie à Babylone. (Coran, chapitre II, ou de la Vache, verset 112, édition de Maracci.)
  14. La plus grande partie de cette description, traduite ici littéralement, est citée par le savant M. Jones dans ses Commentaires sur la poésie asiatique, pag. 177.
  15. Le calife se sert ici d’une expression proverbiale et emblématique, en demandant à la vieille : « Avez-vous une vigne, ou voulez-vous battre avec le garde vendanges ? » « J’ai une vigne, répond-elle. » Le sens de l’allégorie est facile à saisir. Il lui fait entendre par-là qu’ayant une fille à marier, elle ne doit pas le rejeter. La vigne est prise dans ce sens allégorique en plusieurs endroits des livrs saints. (Voyez le Cantique des Cantiques, chap. I, verset 5, et chap. VIII, verset 12.
  16. Le bondocani en Arabe, al bondocani : ce mot dérivé de bondoc, balle de fusil (voyez la note p. 27), d’où vient aussi le mot bondokia, fusil, doit signifier ici celui qui porte un fusil ou arquebuse. Le rapport du mot al bondocani avec le déguisement du calife disparoît, si on lui donne pour armes un arc et des flèches, comme a fait M. Cazotte.
  17. Le calife Haroun étoit fils de Mahdi, et petit-fils d’Abou Giafar al Mansour.
  18. Gélinottes, en arabe cata, ou al cata. Selon M. de Buffon (Histoire Naturelle des Oiseaux, tom. 3, pag. 356), l’oiseau de Syrie que les Turcs nomment cata, est exactement le même que le ganga ou la gélinotte des Pyrénées. Le même auteur, en disant, quelques lignes auparavant, que l’alchata désigne certainement un oiseau du genre des pigeons, n’a pas pris garde que le nom alchata n’est que celui de cata ou chata, précédé de l’article arabe al.
  19. Ces divers objets devoient servir à donner la bastonnade au lieutenant de police et à Schamama, comme on le verra plus bas.
  20. Il paroît que cela arrive quelquefois dans ce supplice, comme on le voit par la description qu’en donne Chardin : « La peine corporelle ordinaire est la bastonnade sur la plante des pieds. On jette le patient sur les fesses, et on lui attache les pieds l’un contre l’autre avec une corde qu’on guinde au haut d’un arbre ou à un crochet ; et avec de longs bâtons, deux hommes le frappent sur la plante des pieds à longs intervalles et par mesure, mais fortement. La règle est de ne donner pas moins de trente coups, ni plus de trois cents. Le patient jette les hauts cris ; les pieds lui enflent et noircissent, et quelquefois les ongles en tombent. La guérison dure environ un mois. »