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Les Milliards d’Arsène Lupin/Chapitre IV

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Chapitre IV

La Maffia


Patricia demeura longtemps pensive. Enfin elle murmura comme pour elle-même :

« Donc, la Maffia contre Arsène Lupin !… »

Elle releva la tête et, regardant Horace Velmont en face :

« La Maffia… répéta-t-elle. Oui, votre conclusion doit être exacte.

— Certainement, dit-il, et cette Maffia, d’origine américaine, ne borne pas son rôle au but magnifique que se sont proposé ses dirigeants, et qui est la lutte contre le mal. Non, ils veulent de l’argent tout de suite. Alors, en attendant, ils louent leurs services comme les mercenaires de jadis, ils s’enrôlent à la solde des particuliers qui veulent exercer une vengeance ou se mettre à l’abri des représailles, ou bien à la solde des factions politiques qui ont résolu de se défaire d’un adversaire quelconque, haut fonctionnaire gênant, général ennemi, homme d’État trop énergique.

— Alors, cette Maffia dont on parle tant, c’est cela ?

— Oui.

— Vous en avez acquis la preuve ?

— Vous auriez pu l’acquérir aussi, et la police et tout le monde également. Les cartes d’identité et de reconnaissance des conjurés, que vous avez découvertes et publiées, portent un M majuscule, n’est-ce pas ?

— En effet.

— M première lettre du mot Maffia : à la suite, les lettres M et A, initiales de Mac Allermy, les lettres FF qui sont les initiales de Frédéric Fildes. En outre, j’ai su que l’homme qui servait de secrétaire à Mac Allermy — « Le Sauvage », comme vous l’appelez — celui qui est devenu le chef de la bande, se nomme Maffiano. C’est dans le nom de ce Sicilien de Palerme que les dirigeants ont ramassé le mot de Maffia… La Maffia, jadis association de malfaiteurs siciliens qui prétendaient recouvrir leurs crimes d’une apparence politique… La Maffia de sinistre souvenir…

— Est-ce cette même Maffia dont on parle tellement depuis quelque temps en France ?

— Je l’ignore. Je vois plutôt là un mot générique qui fait bon effet et qui, à mon sens, désigne l’esprit du mal sous toutes ses formes. Il y a une Maffia mondiale, à laquelle se rattachent plus ou moins toutes les bandes éparses dans les différents pays et qui constituent ainsi une formidable affiliation ayant pour but le vol et le meurtre. En tout cas, nous savons, nous, qu’il y a, à New York, un noyau d’organisation, un centre d’action qui rayonne jusqu’en Europe et qui fut l’œuvre de Mac Allermy et de Frédéric Fildes qui en ignoraient les dessous criminels et voulaient en faire une force bienfaisante. D’après mes renseignements, ce centre d’action se dédouble en deux groupes : les militants, les agents d’exécution à la tête desquels opère le Sicilien Maffiano, et un comité de contrôle et de comptabilité, en quelque sorte un conseil d’administration créé par les deux amis, qui recueille les cotisations, et surtout répartit les bénéfices. En général, dans ces espèces d’affiliation, les règlements sont fort sévères et les répartitions d’une régularité absolument scrupuleuse. À chacun sa part, suivant son grade et son numéro d’ordre dans la hiérarchie. Cela se passait ainsi autrefois dans les associations de flibustiers. Pour tout manquement aux lois de la probité, pour toute défaillance, une seule punition : la mort. Et jamais le coupable n’échappe. Pas de cachette sûre pour lui, pas de déguisement qui le mette à l’abri. Un jour ou l’autre, on trouve son cadavre, percé d’un poignard où s’inscrit la lettre M… Maffia ! »

Avant de répondre, Patricia, de nouveau, garda un moment le silence, plongée dans de profondes réflexions.

« Soit, dit-elle enfin. Nous sommes d’accord. Vous avez raison sur tous les points. Mais si j’ai commis une erreur grave en ne tirant pas de ce nom, Paule Sinner, la signification totale qu’il comportait, comment aurais-je pu savoir ce que voulait dire la lettre M et ce qu’il y avait à redouter de cette effroyable association ? Il faut que vous ayez eu, vous, des informations particulières.

— Évidemment ! convint Horace Vermont.

— Mais de quelle façon ? Un des affiliés qui a trahi ?

— Juste ! Un ancien complice d’Arsène Lupin.

— Donc, un complice à vous, avouez-le !

— Si ça vous fait plaisir, mais ça n’a aucune importance pour le moment. L’ancien complice de Lupin, devenu gangster à New York, a été engagé par Mac Allermy, et quand il a su ce qui se tramait contre Arsène Lupin, il est venu m’avertir. Aussitôt, j’ai pris le bateau pour New York, j’ai manœuvré autour de Mac Allermy et lui ai vendu un dossier important. Après quoi, j’ai demandé mon affiliation.

— Vous faites partie de la Maffia !

— Tout simplement, et même du comité supérieur. Voici ma carte : Paule Sinner, no XI.

— C’est merveilleux, murmura la jeune femme, avec une admiration stupéfaite. C’est merveilleux et presque incroyable d’habileté et d’audace.

— Alors, reprit-il, maintenant vous comprenez ? »

Il s’interrompit brusquement et à voix plus haute comme s’il continuait une conversation :

« Bref, mademoiselle, la baronne, ayant constaté que son portrait la représentait rousse alors que maintenant elle est platinée, l’a refusé. Le peintre veut faire un procès. L’affaire en est là. »

Patricia le regardait avec stupeur. Il ajouta à voix très basse :

« Du sang-froid… Non, je ne suis pas fou, mais on nous espionne.

— L’histoire est amusante, répondit Patricia, très haut en riant.

— N’est-ce pas ? » dit Velmont.

Et dans un chuchotement :

« Vous voyez ces trois ou quatre gaillards en tenue de soirée, oui, là, qui se mêlent à la foule des invités mais qui s’en distinguent par ce je ne sais quoi de louche, de furtif, de sinistre qui sent son bandit d’une lieue… ne vous rappellent-ils rien ?

— Si, dit la jeune femme avec une surexcitation contenue, ils me rappellent les individus que j’ai vus à New York le soir du crime, sous les arcades de la place de la Liberté.

— Précisément.

— C’est vous qu’ils visent !

— Sans aucun doute, dit Horace avec calme. Pensez donc que l’Association a été fondée par onze personnes. S’il n’en reste plus que quatre, ou même trois, au moment du partage, ces quatre ou ces trois auront tout le butin pour eux. C’est pourquoi la bande s’extermine elle-même peu à peu. Bientôt, par éliminations successives, il ne restera plus qu’un complice lors du règlement des comptes et de la dissolution qui doit avoir lieu vers la fin de septembre prochain. Tenez, regardez à droite… vous connaissez ce grand type avec ses longues jambes et ses longs bras ?

— Ma foi, non.

— C’est avec lui que vous avez dansé tout à l’heure, ce qui fut un tort. Vous auriez dû refuser… Ah !… il s’éloigne…

— Comte Amalti di Amalto, baron de Maffiano.

— Le Sauvage, alors ? Un des complices ? Celui que vous considérez comme le chef ?

— Oui… Le conseiller intime de Mac Allermy, son homme à tout faire. Celui qui vous persécutait, caché dans l’ombre… Celui qui a assassiné Mac Allermy et Frédéric Fildes…

— Et qui a été frappé, lui aussi, dans l’hôtel de Paris où je l’ai vu !

— Frappé, mais pas tué. Il a survécu à sa blessure, et il a disparu de l’hôpital avant la publication de votre article qui révélait le rôle qu’il a joué dès le début et qui l’aurait fait arrêter. »

La jeune femme, malgré son courage, frissonna.

« Oh ! j’ignorais cela… Oh ! j’ai peur de cet homme ! Gardez-vous, je vous en prie !

— Vous aussi, Patricia, gardez-vous. Du moment que cet homme est sur votre piste, il ne vous lâchera pas. Et c’est un danger constant. »

Elle essaya de dominer son inquiétude.

« Mais qu’ai-je à craindre ?

— Autant que moi.

— Pourtant je ne fais pas partie de leur bande.

— C’est vrai ! Seulement, vous êtes l’ennemie. Dix minutes après votre départ de New York, le même câble était envoyé à chacun des affiliés d’Europe : « Patricia Johnston, secrétaire, s’embarque pour venger les numéros 1 et 2 M ». Depuis, vous êtes surveillée et condamnée. La mort vous guette ce soir… Sortons d’ici ensemble. Avec moi vous n’aurez rien à craindre et vous passerez la nuit chez moi.

— Bien, dit-elle docilement. Mais, et soyez sûr que je pense à votre sécurité autant qu’à la mienne, ne m’avez-vous pas raconté qu’on connaissait tous les domiciles de Lupin ?…

— La liste que je leur ai fournie est antérieure à la mort de Mac Allermy. Mon domicile actuel n’y est pas mentionné. »

Il se leva.

« Venez, Patricia. Appuyez votre tête sur mon épaule, permettez-moi de vous enlacer la taille de mon bras respectueux… Oui, comme cela… et partons ensemble, non pas comme des complices peureux qui cherchent à fuir, à se protéger et à se secourir l’un l’autre, mais comme des amoureux qui se serrent tendrement l’un contre l’autre, tout enivrés de passion. Venez, Patricia, venez ! »

La jeune femme obéit. Ils s’en allèrent, côte à côte, à pas comptés, et penchés l’un sur l’autre.

Ils se dirigeaient vers la sortie ; mais au moment où ils traversaient une des régions sombres et désertes du jardin, une silhouette masculine, mince et de haute taille, soudainement parut devant eux.

La main d’Horace Velmont quitta la taille de Patricia et rapide comme l’éclair braqua sur le visage du survenant le rayon d’une lampe électrique. Son autre main libre était prête à le saisir à la gorge.

Horace eut un rire sec.

« Oui, c’est bien toi, Amalti di Amalto, baron de Maffiano, dit-il gouailleur. C’est toi « Le Sauvage ». Oblique un peu pour nous laisser le passage libre. T’as pas une gueule que j’aimerais rencontrer au coin d’un bois, tu sais… Et même ici, je préfère me garer de toi. Je n’ai pas envie que tu me zigouilles comme tu as zigouillé ce bon M. Mac Allermy, ton patron, sans parler de l’attorney Frédéric Fildes !… Et puis, dis donc, veux-tu un bon conseil ? Laisse tranquille Patricia Johnston. »

Le bandit avait eu un mouvement de recul. Il répondit :

« On nous l’a signalée de New York comme dangereuse pour nous…

— Eh bien, je te la signale de Paris comme inoffensive. D’ailleurs assez parlé. Je l’aime. Donc elle est sacrée. Ne t’avise pas d’y toucher, Maffiano… sans cela…

L’homme gronda :

« Toi… Un jour ou l’autre…

— Plutôt l’autre, mon garçon. Et dans ton intérêt… Tu n’as rien à espérer contre moi… au contraire.

— Tu es Arsène Lupin.

— Raison de plus ! Allons file ! Passe ton chemin presto ! Et occupe-toi de la Maffia de Maffiano sans t’occuper de nous. C’est plus prudent, crois-moi… »

Le bandit hésita un moment puis, brusquement, plongea dans l’ombre, comme s’il eût piqué une tête dans l’eau.

Horace et Patricia quittèrent le jardin et traversèrent la grande salle vide. Pendant que Patricia prenait son manteau au vestiaire, Horace s’inclina devant la baronne Angelmann pour prendre congé d’elle.

« Très belle votre nouvelle conquête, murmura la baronne avec plus de dépit que de raillerie.

— Très belle en effet, dit Horace gravement. Mais ce n’est pas une conquête, c’est une amie d’outre-Atlantique qui ne connaît pas Paris et m’a prié de la reconduire jusqu’à sa porte.

— Seulement ! Pauvre ami, vous n’avez pas de chance !

— Tout vient à point à qui sait attendre », dit sentencieusement Horace.

Elle appuya ses yeux sur les siens.

« Vous m’attendez donc toujours ? souffla-t-elle.

— Plus que jamais », répondit Horace.

La baronne détourna les yeux. Patricia les rejoignait.

Horace reprit le bras de la jeune Américaine et tous deux sortirent de l’hôtel Angelmann.

Ils firent quelques pas sur le trottoir et Horace dit à sa compagne :

— Je vous le répète, ne passez pas la nuit chez vous, Patricia.

— Chez vous alors ?

— Chez moi. Ces bougres-là sont furieux et vous auriez tout à craindre. Ils ne reculent devant rien.

— Vous êtes sûr de vos domestiques ? interrogea la jeune femme.

— Je n’ai qu’une vieille bonne, mon ancienne nourrice, qui m’est dévouée jusqu’à la mort.

— La fidèle Victoire ?

— Oui. Je puis me fier à elle comme à moi-même. Venez ! »

Il l’entraîna jusqu’à son auto où ils montèrent. Un quart d’heure plus tard, Horace arrêta la voiture à Auteuil, avenue de Saïgon où il habitait un pavillon entre cour et jardin[1].

Tout en ouvrant la grille de l’avenue, il sonna pour avertir Victoire. Mais la vieille nourrice ne se présenta pas sur le perron quand ils y parvinrent.

Velmont fronça le sourcil.

« C’est bizarre, dit-il, alarmé. Comment se fait-il que Victoire n’allume pas le vestibule, ne se montre pas ? Jamais elle ne s’endort quand je suis absent. »

Il alluma, et tout de suite se baissa vers le tapis de l’escalier.

« Il est venu des gens, voici leurs traces ! Montons, voulez-vous ? »

En hâte, suivi de Patricia, il gravit l’escalier jusqu’au second et ouvrit une porte. Dans une chambre à coucher, Victoire était étendue sur le divan, bâillonnée et ligotée, un bandeau sur les yeux.

Il se jeta sur elle et avec l’aide de Patricia la délivra. Victoire était évanouie, mais rapidement elle revint à elle.

« Rien ? Pas de blessure ? » lui demanda Velmont.

La brave femme se tâtait.

« Non, rien…

— Que s’est-il passé ? On t’a assaillie. Les as-tu vus ? Par où sont-ils venus ?

— Par l’issue de la salle à manger, je suppose. J’étais ici, assoupie. La porte s’est ouverte. On m’a jeté quelque chose sur la tête… »

Horace déjà se précipitait vers le rez-de-chaussée. À l’autre bout d’une grande pièce, il y avait un office, et dans un placard de cet office débouchait un escalier, lequel s’enfonçait sous terre jusqu’à une porte qui commandait un tunnel pratiqué sous la cour. Cette porte était ouverte[2].

« Les salauds ! gronda Horace, ils m’ont espionné ! Ils ont tout découvert ! Hé ! Hé ! ce sont des adversaires de taille ! On ne s’embêtera pas avec ceux-là. »

Il revint et s’assit dans la salle à manger, devant une table face à la fenêtre. Patricia l’avait suivi, laissant en haut Victoire encore étourdie. La jeune Américaine, en face d’Horace, prit place de l’autre côté de la table.

Ils restèrent longtemps sans parler. Tous deux réfléchissaient. Enfin Patricia observa :

« Comment les gens de cette Maffia espèrent-ils dépouiller Arsène Lupin ? Une fortune ne se prend pas comme un sac à main !

— Lupin a fait le malin en vendant de droite et de gauche ce qu’il possédait comme papiers, actions, bijoux, etc. Tout cela a produit une somme liquide, une masse palpable, qu’il croyait bien dissimulée, mais qu’ils sont peut-être sur le point de découvrir. Alors, c’est la lutte entre eux et lui ! Ah ! j’avoue qu’ils ont de gros atouts entre les mains. Mais tout de même Lupin, c’est Lupin !…

— Et Lupin est tranquille ?…

— Pas toujours. Ils sont nombreux, adroits et ne reculent devant rien. Ils l’ont bien prouvé jusqu’ici. En outre, ils ont tout l’argent qu’il leur faut. Comme entrée de jeu, Mac Allermy et Frédéric Fildes ont apporté chacun cent mille francs, somme que les autres ont dû doubler depuis, grâce à un tas de petites opérations équivoques. Enfin, et c’est le plus grand atout en leur faveur, Lupin en a assez d’être toujours sur la brèche. Il aspire au repos, à la vie tranquille, à l’honnêteté. Il veut jouir de la vie et du résultat de ses efforts. Il est un peu dans la situation des maréchaux de France après les campagnes victorieuses et quand l’étoile de Napoléon a commencé à pâlir. Il est las… »

Horace Velmont s’interrompit brusquement. Déjà il regrettait presque son aveu de défaillance.

— Il est donc si riche, ce Lupin ? demanda avec indifférence Patricia.

— Peuh ! Difficile à estimer… Quelques milliards… Sept… huit… neuf, peut-être.

— C’est assez joli…

— Pas mal. Et cela lui a coûté tellement d’efforts qu’il a un peu le droit d’y tenir. Mettons dix millions par affaire, en moyenne, avec sept ou huit cents affaires différentes qui, toutes, représentent des combinaisons compliquées, des expéditions épuisantes, des dangers courus, des blessures reçues, des luttes effroyables, des échecs décourageants. Et puis, les mauvais placements, les spéculations qui s’effondrent, la crise, sans compter les besoins qui augmentent avec l’âge, les pensions à verser, et Lupin ne lésine pas ! Dans ces conditions, comment voulez-vous qu’il ne tienne pas à ce qu’il a ! Lupin n’est pas respectueux de la propriété d’autrui, mais, fichtre, ne touchez pas à la sienne ! C’est sacré, cela. L’idée seule qu’on jette les yeux sur sa fortune le met hors de lui. Il devient féroce.

— Curieux, murmura Patricia pensive, je ne le croyais pas ainsi.

— C’est un homme, et rien de ce qui est humain ne lui est étranger, répondit Horace avec flegme.

— Pourtant il me semble qu’on ne devrait pas tenir autant à ce qu’on a dérobé », observa l’Américaine.

Il haussa les épaules.

« Pourquoi ? Prendre est plus difficile que gagner. Et l’on risque bien plus ! Le fait seul de posséder crée un état d’âme impitoyable. Et plus on avance en âge, plus cet état d’âme s’aggrave. Lupin a environ dix milliards… Oui, c’est le chiffre qu’il a avoué. Eh bien, je ne conseille à personne de reluquer son magot. »

Sa voix s’éteignit, mais aussitôt il reprit, dans un souffle à peine perceptible, et en abritant de sa main le mouvement de ses lèvres :

« Ne faites pas un geste, ne dites pas un mot, pas une syllabe… Vous m’entendez ?

— Tout juste, répondit-elle à voix très basse elle aussi.

— C’est ce que je veux.

— Qu’y a-t-il ? » interrogea Patricia.

Avec une apparence d’insouciance, il alluma une cigarette et, renversé sur son siège, observant les cercles de fumée bleue qui tournoyaient vers le plafond, il poursuivit entre ses dents :

« Quoi que je vous dise, n’ayez pas une réaction, pas un tressaillement… Et obéissez sans réfléchir. Vous êtes prête ?

— Oui, souffla-t-elle, comprenant que la situation était grave.

— Il y a en face de vous, pendue au mur, une glace. Si vous relevez la tête de quelques centimètres, cette glace vous renverra l’image de tout ce que je vois, moi, directement, puisque je suis tourné vers la fenêtre, vous y êtes ?

— Oui, je vois la glace et la fenêtre… Le carreau du bas à gauche, n’est-ce pas ?

— C’est ça. On a pratiqué un trou dans ce carreau, vous le voyez ?

— Oui, et je distingue quelque chose qui bouge un peu.

— Ce qui bouge c’est le canon d’un fusil qui passe à peine et que dirige vers moi quelqu’un se trouvant au dehors. Tenez, voyez au-dessus de la glace cette panoplie. Il y manque un fusil, un fusil à acétylène, dont la détonation ne fait aucun bruit.

— Et qui donc vous vise ?

— Maffiano sans doute… « Le Sauvage »… ou tel de ses complices réputé pour son adresse. Ne bougez pas d’un centimètre. Hé ! Patricia… Vous n’allez pas vous évanouir ?

— Aucun danger… Mais vous ?

— Moi, c’est de la volupté. Silence, Patricia. Allumez une cigarette. Comme ça la fumée cachera votre pâleur. L’homme vous épie, mais ne se croit pas vu. Maintenant, écoutez-moi. Vous allez vous lever paisiblement et monter au premier étage. Ma chambre est en face sur le palier. Dans ma chambre il y a un appareil de téléphone automatique. Vous demanderez le 17 : Police-Secours. Dites qu’on envoie ici, 23, avenue de Saïgon, d’urgence cinq ou six hommes. Tout cela très bas. Et puis sans vous inquiéter de Victoire qui est en sécurité au second, vous vous bouclerez dans la chambre, vous fermerez les volets des fenêtres, vous barricaderez la porte et vous n’ouvrirez à personne… à personne !

— Et vous ? demanda Patricia avec une angoisse dans la voix.

— Moi, n’ayant plus à vous défendre, je me tirerai d’affaire. Allez, Patricia. »

Et, tout haut, il prononça :

« Chère amie, vous avez eu une journée très fatigante. Si j’ai un conseil à vous donner, c’est d’aller dormir. Ma vieille nourrice vous indiquera votre chambre.

— Vous avez raison, répondit tranquillement Patricia. Je suis fourbue. Bonsoir, cher ami. »

La jeune femme se leva avec un naturel parfait et sans hâte quitta la salle à manger.

Horace Velmont était content de lui. Par sa maîtrise, par son calme devant le danger, il avait rétabli aux yeux de la jeune femme son prestige peut-être affaibli par son précédent aveu.

Il s’aperçut que le canon du fusil remuait, comme si on épaulait. Il cria :

« Vas-y Maffiano ! tire, mon garçon ! Et ne me rate pas, ou je te brûle le peu de cervelle que tu as ! »

Il écarta son veston et offrit sa poitrine.

Le coup partit, sans aucun bruit.

Velmont gémit, porta la main à sa poitrine, et s’affaissa sur le plancher.

Un cri de triomphe retentit au dehors. La porte-fenêtre fut brusquement ouverte. Un homme voulut sauter dans la pièce… et recula en gémissant, atteint à l’épaule par la balle du revolver que Velmont avait dirigé contre lui.

Velmont se releva parfaitement sain et sauf.

« Idiot ! dit-il à l’homme. Tu t’imagines, crétin que tu es, que, parce que tu as détaché de ma panoplie un fusil muni de cartouches, et que tu es le meilleur tireur de la Maffia, c’est suffisant pour que, couic, ça y est ! je meure ! C’est lamentable comme stupidité. Crois-tu que je sois assez bête pour offrir des armes à des agresseurs, toujours possibles quand on habite un pavillon isolé ! Oui ! je leur offre des tubes d’acier aux agresseurs, et des cartouches, mais auxquelles il manque l’essentiel.

— Quoi donc ? demanda l’autre ahuri.

— Les balles, ça fait que le fusil c’est peau de balle ! Alors, tu tires avec du vent, imbécile ! Tu n’envoies que de l’air. C’est pas avec ça qu’on tue, mon vieux ! »

Tout en parlant, Velmont avait décroché un second fusil pris dans le haut de la panoplie et s’était avancé vers la fenêtre. Il suivait des yeux l’ombre qui s’enfuyait. Ne voyant nulle part la silhouette de Maffiano, il se demandait avec inquiétude :

« Où diable peut-il être passé ? Qu’est-ce qu’il manigance ? »

Et soudain, il entendit, au premier étage, un coup de sifflet strident, un appel qu’il reconnut. Patricia réclamait du secours.

« Les bandits auraient-ils découvert l’issue secrète de ma chambre ? » se demanda-t-il angoissé.

Mais, pour lui, l’angoisse voulait dire action. Il se précipita vers l’escalier et escalada les marches en trois secondes.

Au premier, il se trouva devant la porte, et au tumulte qu’il entendit à travers le panneau, il se rendit compte que le combat était engagé là, c’est-à-dire au débouché de l’issue secrète qui lui permettait d’entrer et de sortir sans qu’on le sût.

Furieusement il se rua contre la porte.

Dans la chambre, toute une partie de la muraille était ouverte et Maffiano cherchait à entraîner avec lui Patricia. En arrière, dans l’ombre, à l’entrée de l’issue, deux complices apparaissaient, prêts à intervenir si c’était nécessaire.

Patricia, à bout de forces, ne se défendait plus qu’à peine ; elle avait laissé échapper le sifflet d’argent et appelait faiblement :

« Au secours ! »

À ce moment, on entendit le violent assaut de Velmont contre la porte qui gémit.

« Ah ! je suis sauvée ! Le voilà ! » murmura la jeune femme, qui retrouva des forces pour tenter de se dégager.

Maffiano resserra son étreinte.

« Sauvée, pas encore ! »

Mais la porte craquait ; par l’issue secrète, les deux complices avaient fui. Le bandit écuma de rage.

« J’aurai au moins une compensation », gronda-t-il.

Se penchant brusquement, il voulut baiser les lèvres de la jeune femme.

Mais il ne put que l’effleurer. Elle s’était rejetée en arrière et, de ses ongles, révoltée par l’odieux contact, elle lui lacéra le visage.

« Misérable ! Brute immonde ! » râla-t-elle, luttant farouchement contre l’homme qui l’avait ressaisie.

Soudain, la porte tomba, Maffiano n’eut même pas le temps d’entrevoir Velmont qui se précipitait sur lui. Le bandit reçut un coup terrible sous le menton. Il lâcha Patricia, chancela. Une série de gifles rageuses le remirent debout, le dégrisèrent. Il voulut fuir, mais l’issue était refermée. Alors il revint vers le milieu de la chambre, tira son revolver, s’assit et dit à Velmont, qui apprêtait aussi le fusil qu’il n’avait pas lâché :

« Tout à l’heure, Velmont. Remisons nos armes pour le moment, tous les deux. Des types comme nous se combattent, durement, sans merci, mais ne se tuent pas sans une explication préalable. »

Velmont haussa les épaules.

« C’est pourtant ce que tu voulais faire il y a un moment, me tuer sans explications. Enfin, causons si ça t’amuse, mais sois net et précis !

— Voilà ! Tu m’as dit ce soir, pendant la fête chez Angelmann, que tu réclamais notre belle Patricia pour toi, parce que tu l’aimais… Rien à faire… Il faut que tu saches que tu n’as aucun droit sur elle.

— J’ai les droits que je prends et ceux qu’elle me donne. »

Un éclair passa dans les yeux du bandit.

« Je m’oppose…

— En ce cas, adresse-toi à un huissier ! coupa Velmont railleur. C’est l’usage ici en matière d’opposition. »

Maffiano, à son tour, haussa les épaules.

« Tu es fou ! Voyons, réfléchis. Tu ne la connais que depuis deux heures.

— Et toi ?

— Depuis quatre ans. Depuis quatre ans, je suis auprès d’elle… Je la guette, je la poursuis sans me montrer. Elle savait ma présence chez Allermy, n’est-ce pas, Patricia ? Et que de fois je l’ai suivie dans l’ombre ! Car elle savait aussi que je l’aimais, que je la désirais, qu’elle était tout pour moi…

— Tu parles bien, ricana Velmont. Mais si elle est tout pour toi, toi, tu n’es rien pour elle, rien, n’est-ce pas, Patricia ?

— Moins que rien, dit-elle avec dégoût.

— Tu vois, Maffiano ! Allons, décampe et laisse-moi la place libre !

— À toi ? Jamais. Tu es un étranger pour elle… Et tiens, connais-tu seulement quelque chose de sa vie ? Sais-tu qu’elle était aimée du père et du fils Allermy ?

— Tu mens !

— Sais-tu qu’elle était la maîtresse du fils, d’Henry Allermy ?

— Tu mens !

— C’est la vérité pure. Elle a eu un enfant de lui. »

Velmont avait pâli.

« Tu mens… Patricia, je vous en conjure…

— Il dit la vérité, déclara la jeune femme, dédaignant de mentir. J’ai un enfant, un fils qui a maintenant dix ans… Un fils que j’adore, Rodolphe. Il est toute ma vie, toute ma raison d’être.

— Un fils dont elle ne peut se séparer, ajouta Maffiano, et qu’elle s’est fait amener à Paris, il y a quelque temps. »

Le ton du bandit parut significatif à Horace, qui demanda, vaguement inquiet :

« Où est cet enfant, Patricia ? À l’abri de tout danger ? »

Elle eut un sourire de certitude.

« Oui, de tout danger.

— Retournez près de lui, Patricia, dit Velmont gravement. Et emmenez-le aussi loin que possible. Emmenez-le tout de suite. »

Maffiano eut un ricanement.

« Trop tard ! »

Patricia pâlit et sursauta, une terreur dans les yeux.

« Que voulez-vous dire ? Je l’ai encore vu ce matin !

— Oui, à Giverny, n’est-ce pas, près de Vernon, chez une brave femme, la mère Vavasseur. Retournez là-bas, Patricia, vous n’y trouverez ni enfant, ni mère Vavasseur. La brave femme me l’a amené cet après-midi. »

Le visage de Patricia se décomposait.

« Vous êtes un lâche ! Un misérable !… Cet enfant est délicat, il a besoin de soins attentifs !

— Il en aura, des soins, je vous le jure. Je serai une mère pour lui, répondit Maffiano, avec une sinistre raillerie.

— Je préviendrai la police ! cria Patricia affolée.

— J’ai pleins pouvoirs du père, d’Allermy junior. La justice me félicitera de rendre un fils à son père ! plaisanta Maffiano. »

La rude main de Velmont lui broya l’épaule.

« Avant la justice, il y a la police, qui t’arrêtera et te demandera des comptes…

— La police est loin, dit le bandit.

— Pas tant que tu crois ! J’ai fait téléphoner à Police-Secours. Leur voiture sera là dans cinq minutes. Tiens, écoute… des bruits de trompe d’auto… Ils arrivent… Tu vois la situation, Maffiano ? C’est le cabriolet de fer à tes poignets… le dépôt… les assises… la guillotine…

— Et l’arrestation d’Arsène Lupin !

— Tu es fou, Arsène Lupin est intangible pour la police ! »

Le bandit réfléchit une seconde.

« Alors, qu’est-ce que tu m’offres ? demanda-t-il…

— Dis où est l’enfant, et je te laisse le passage libre pour t’échapper par l’issue secrète numéro deux, celle-ci. Dépêche-toi. Les autos sont devant la maison. Où est l’enfant ?

— Que Patricia m’accompagne. Nous arrangerons cette affaire, elle et moi. Elle connaît mes conditions, qu’elle se rende d’abord, aussitôt après je lui rendrai son fils.

— J’aime mieux mourir, déclara sourdement Patricia. »

Le bruit d’une sonnette retentit au rez-de-chaussée, Velmont s’exclama :

« Les voici ! »

Il posa le doigt sur une saillie de la boiserie.

« Si j’appuie, la porte du vestibule s’ouvre. J’appuie, Maffiano ?

— N’hésite pas, dit Maffiano. Mais alors Patricia ne saura pas où est son fils. »

Velmont appuya sur la saillie. On entendit des voix d’hommes et des pas au rez-de-chaussée. Velmont se dirigea vers la porte pour aller au-devant d’eux. Ce fut rapide comme l’éclair. Maffiano sauta vers l’une des fenêtres, l’ouvrit, enjamba la balustrade et disparut.

« Exactement ce que je voulais », ricana Velmont, ressaisissant son fusil qui portait au-dessus de la culasse un mécanisme particulier.

L’ombre de la nuit s’étendait sur le jardin que d’autres jardins mitoyens prolongeaient sur un assez vaste espace.

« Il a, continua Velmont, trois murs bas à sauter pour en gagner un quatrième plus élevé, qui nécessite, pour être franchi, le secours d’une échelle placée d’avance et qui lui permettra de descendre dans une rue déserte et de s’enfuir.

— Et s’il n’a pas préparé cette échelle ? dit Patricia.

— Il l’a préparée. On distingue les montants d’ici. »

La jeune femme gémit.

« S’il s’enfuit, je ne reverrai jamais mon fils. »

Cependant, les policiers appelaient en bas. Victoire descendait de sa chambre, mais déjà Horace leur criait :

« L’escalier, messieurs ! Au premier, la porte en face. »

Se penchant sur l’appui de la fenêtre, il épaula son arme.

« Ne le tuez pas, supplia Patricia. On ne saurait plus rien. Mon fils serait perdu.

— N’ayez pas peur. Une jambe engourdie seulement. »

On entendit le déclic de la gâchette. Il n’y eut pas de bruit violent, pas de détonation, un léger sifflement tout au plus. Mais, au bout du jardin, un cri de douleur retentit, suivi de gémissements.

Velmont enjamba le balcon, aida Patricia à le franchir et la soutint pour descendre jusqu’au sol par des crampons de fer fixés dans la façade et formant échelle.

Les trois murs les plus bas furent aisément franchis. Au pied du quatrième, beaucoup plus élevé, un corps étendu s’agitait, que Velmont éclaira de sa lampe de poche.

« C’est toi, Maffiano ? Le mollet droit un peu amoché, n’est-ce pas ? Ce n’est rien. Mes chevrotines sont toujours stérilisées dans l’autoclave, et j’ai une boîte de pansements. Offre-nous ta jambe blessée. La main des grâces va te panser. »

Patricia appliqua adroitement un bandage sur la légère blessure, pendant que Velmont, d’une main preste, explorait les poches de Maffiano.

« Ça y est, s’écria-t-il joyeux. Je te tiens, mon bonhomme. J’ai déjà, par Patricia, ta carte d’associé, et voici celles de Mac Allermy et de Fildes, que tu as fait voler à New York ! »

Et se penchant davantage vers lui, il articula durement :

« Rends-nous l’enfant, et je te rendrai ta carte.

— Ma carte, balbutia Maffiano, je m’en fiche pas mal !

— Erreur, mon garçon ! Tu ne t’en fiches pas du tout ! Cette carte, qui porte ton numéro d’ordre dans l’association, constitue ton seul et unique titre te donnant droit au partage du butin réalisé. Si tu ne peux pas la produire à l’heure voulue, tu ne comptes pas comme associé, et, par conséquent, tu ne comptes pas comme participant aux bénéfices. Tu es dans les choux, mon lapin !

— C’est faux ! protesta Maffiano. Ils me connaissent là-bas. Je dirai que ma carte m’a été volée.

— Il faut des preuves, en l’espèce le témoignage de Patricia ou le mien. Tu n’auras ni l’un ni l’autre. C’est la ruine de toute espérance.

— Tu oublies que je vous tiens tous les deux par l’enfant. Et l’enfant, je le garde.

— Non. Tu nous le ramèneras ce matin, et on fera l’échange. Donnant donnant.

— Soit, dit le blessé, après une hésitation.

— Tu as bien compris, insista Velmont. Si, à neuf heures du matin, l’enfant n’est pas là, et en bonne santé, je brûle la carte.

— Triple idiot ! Comment veux-tu que je fasse ? Tu m’as démoli la jambe. Je ne peux pas bouger.

— C’est exact. Patricia va te refaire ton pansement. Ensuite, tu te reposes bien tranquille, et demain soir, nous viendrons te chercher et nous irons tous trois délivrer l’enfant. D’accord ?

— D’accord ! »

Patricia et Velmont le transportèrent dans une petite remise accotée au grand mur et remplie de chaises et de canapés de jardin. Ils l’étendirent sur un canapé, refirent le pansement et sortirent de la remise, dont ils fermèrent la porte à clef.

Puis ils revinrent à la maison.

« Envolé ! dit Horace au brigadier qui dirigeait les policiers.

— Sacré malin ! Comment avez-vous fait votre compte pour le laisser filer… Cependant, nous n’avons pas perdu de temps. Par où s’est-il sauvé ?

— Par les jardins ; il a escaladé le grand mur qui les encercle tous. Cherchez si vous voulez. »

Les recherches des agents furent vaines, bien entendu. Le brigadier, en revenant, interrogea Horace Velmont.

« Qui êtes-vous, s’il vous plaît, monsieur ?

— Celui que vous appelez « Machin » à la préfecture. »

Le policier le regarda avec curiosité, mais ne fit aucun commentaire.

« Et madame ? demanda-t-il.

— Miss Patricia Johnston, journaliste américaine, de passage à Paris. »

Le brigadier emmena ses hommes.

Cette nuit-là, Velmont coucha dans un cabinet attenant à sa chambre, tandis que Patricia occupait cette chambre.

La journée suivante s’écoula sans incidents. Victoire leur servit d’excellents repas et tous deux causèrent comme d’anciens amis. Dès le petit matin, Velmont avait apporté quelque nourriture et surtout une abondance d’eau au prisonnier que sa blessure altérait. Puis il fit la sieste pour se préparer à une nuit qui serait peut-être mouvementée, car il se méfiait de la parole de Maffiano. Celui-ci rendrait-il le petit Rodolphe ?

Le soir même, Horace et Patricia retournèrent vers la remise au pied du grand mur. Horace ouvrit la porte et poussa une exclamation… À la lueur de sa lampe électrique, il voyait que la remise était vide. L’oiseau s’était réellement envolé… Aucune trace de lui… La serrure, fermée à clef, ne semblait pas avoir été forcée. L’échelle se trouvait allongée à sa place ordinaire.

« Rudement forts, ces cocos-là, dit Horace ahuri. Ils ont dû passer par le pavillon qui est contigu au mien.

— Qui l’habite ? demanda Patricia.

— Personne. Mais ils se sont servis des deux passages secrets que j’y ai fait pratiquer. L’un s’ouvre au rez-de-chaussée, l’autre au premier étage, dans ma chambre. Vous l’avez vu hier soir.

— Dans votre chambre ?

— Oui, vous le savez bien… celle où vous avez couché cette nuit. Vous n’avez entendu personne passer par là ?

— Personne.

— Et forcément, vous auriez entendu, puisque l’ouverture est contre le lit. Du reste, je suis idiot… Ce n’est pas ça !

— Que supposez-vous ?

— Je ne suppose rien. Je sais, Patricia : c’est vous qui avez délivré Maffiano. »

Elle tressaillit et essaya de rire.

« Dans quel but, Seigneur ! s’exclama-t-elle.

— Il vous tient par votre fils. Il a dû vous faire je ne sais quelle menace !… C’est le chantage à l’amour maternel ! »

Un silence embarrassé suivit. Patricia, les yeux baissés, pâle, semblait prête à pleurer. Horace avait projeté la clarté de sa lampe sur elle et l’observait attentivement. Au bout d’un moment, il redit pensivement :

« Il vous tient par votre fils. »

Elle ne répondit pas. Il parut se secouer, fit claquer ses doigts, puis, sans rien ajouter, il sortit de la remise en chantonnant un petit air ironique.

Quelques minutes plus tard, s’étant ressaisi, il voulut avoir une nouvelle conversation avec Patricia, pour connaître ses intentions, mais c’est en vain qu’il la chercha dans le jardin et dans le pavillon ; Patricia avait disparu.


  1. Voir Victor, de la Brigade mondaine.
  2. Voir « Victor de la Brigade mondaine. »