Les Missives/Missives de mes dames des Roches de Poitiers
MISSIVES
DE MES DAMES
des Roches de Poitiers
Mere & Fille.
Response premiere.
e vous rends graces de ce qu’usant
de commandement envers
moy, vous entrez en possession
de mon ame, qui de long temps
vous estoit dediée. Que s’il vous
plaist (Madame) continuer en tel
office, je m’estimeray d’autant plus, que je me trouveray
plus propre à vous servir. Ce que je desire sur
tout, & vous baise tres-humblement les mains.
2.
Combien j’ayme le souvenir que vous avez
de moy, lequel produit tant de beaux discours
honorables, tesmoins de vos excellences, en vertu,
doctrines, & courtoisie. Vrayement (Monsieur)
j’aprouve plus que jamais l’autorité de ceux qui disent,
nulle chose estre du tout heureuse, ou malheureuse,
puis qu’en l’absence amere & facheuse de
soy, vos lettres (douces & gracieuses) qui en sont
causees m’apportent tant de plaisir, que pourtant
je ne puis rendre en sorte que ce soit defaillant
de subjet & de stile. Celuy qui porte double nom de l’Aquilon & du Ponant, a fait vostre message
par autruy. Et croiez qu’il a esté necessaire aux drogues
d’estre bonnes, car on les a bien mises au vent :
mais de crainte d’esventer trop les graces du personnage,
je n’en diray mot. Il me suffira de saluër
humblement les vostres, qui leur sont entierement
contraires.
3
Est honorable messager ayant charge de vostre
part de sçavoir nouvelles vertaines de
ma fille & de moy, vous les fera ce croy-je entendre
telles que vous les desirez : tant je m’asseure de
la bien-vueillance honneste dont il vous plaist
nous estre liberal. Nous sommes saines (graces à
Dieu) & beaucoup plus aises sçachant vostre bonne
disposition, qui sera tousjours de nous cherement
desirée. L’ancienne cognoissance de vos vertus (qui
jamais ne viellissent) me fait souvent supplier la
bonté divine que leur agreable sejour ne puisse
de long temps estre demoli : & qu’il luy plaise (Monsieur)
vous maintenir en parfaite santé, longue &
heureuse vie.
4
E suis fort marrie (Monsieur) de la peine que
je vous ay donnée sans le vouloir : car je vous
jure n’avoir jamais prié homme vivant de vous
emploier en chose qui vous peust ennuier : ou retirer
vostre gentil esprit de ses exercices ordinaires
plus beaux & plus dignes de luy. Et vous ose bien
dire que j’aurois crainte que mes vers (ayant receu vostre docte & exacte correction, ne me voulussent
recongnoistre : aussi chacun peut voir en les lisant,
que je ne seray pas reprise par Apelle de la faute de
Protogene. Il est advenu toutesfois que ceste corvée
vous est escheuë, & vous les avez corrigez, dont
je vous remercie de bon cueur, & reçoy vostre censure
pour ornement. Mais je vous supplie ne forcer
ma conscience en ce mot de caterve : pource que je
suis opiniastre & proterve. Je sçay que mes vers mal
polis reçoivent nature qui est femelle, & refusent
l’art qui est masle. Aussi me seroit-il plus mal seant
que jamais de pratiquer avec luy en l’absence de
Monsieur de la Villee mon mary, duquel je vous recommande
la personne & les affaires, vous suppliant
humblement (Monsieur) s’il est en vostre puissance
de luy aider, qu’il soit en vostre volonté.
5
Onsieur, je n’eusse jamais pensé que Paris,
qui est la vive source des bons maris, ou l’air
de Bretaigne vous eussent peu en telle sorte aliener
de la façon accoustumee de m’escrire, mesmes en
ce temps si tenebreux, où vos lettres seroient à mes
yeux une gratieuse lumiere. Je sçay que vous n’avez
point defailly de porteur : pource que plusieurs de
nos citoiens revenus du lieu où vous estes, m’ont
dit qu’ils vous avoient veu depuis peu de jours en
tres-bonne disposition Dieu merci. Or ne suis je
pas pour vous imiter : mais tousjours je seray diligente
à vous escrire, obeir, & servir. Priant humblement
la bonté divine qu’elle vous tienne en parfaite santé, je vous supplie qu’il vous plaise avoir souvenance
de moy.
6.
Rayment je serois fachée que souz la condition
d’une lettre si gentille que la vostre, on
me veist condamnée de trois fautes : ingratitude,
ignorance, & opiniastreté. Ingratitude envers vous
correcteur de ma faute, ignorance pour ne l’avoir
cognuë, & opiniastreté à la vouloir soustenir. Ce
n’est pas mon desir que les volontez sacrees à la
Deesse Verité s’inclinent en ma desfavorable faveur.
Je n’ay tant de presomption que je pense ne
faillir point, & ne me tiens à si vil pris que je cuide
tousjours errer : & si j’ay erré à proterve, le divin
Arioste qui ne veut point trop de Latin parmy son
vulgaire, en embellist un des vers de son premier
chant. Puis que le larcin est loüé en un homme
si riche, ne sera-il pas permis à moy qui defauts
d’esprits, d’invention & de paroles : & mesmes en
ce temps de guerre que le pillage est pratiqué de
chacun ? Ne faites donc s’il vous plaist couler souz
la douceur de vos paroles (tant bien dites) l’aigreur
d’une telle tache : & croiez que je veux, desire &
recherche, d’estre advisee, aprise & enseignee, selon
le besoin que j’en ay. Je ne souhaite pas moins avoir
part en vos bonnes graces, s’il vous plaist me faire
tant d’honneur, priant la grandeur divine (Monsieur)
qu’elle vous soit liberale des siennes.
7.
Uis que l’ignorance doit clorre la bouche ainsi
que vous dites (Madame) le sçavoir la peut justement
ouvrir : aussi est-ce luy qui ouvre maintenant
la vostre. Je dy cecy pource que la parole est
image de la pensee, & l’escriture image de la parole.
Ainsi donc vostre missive representant (pour
estre tant bien ornee) les rares perfections de vostre
divin esprit, attire mon ame par mes yeux, de sorte
qu’elle qui d’autrefois a eu l’honneur de vous ouyr,
se trouvant enchaisnee en vos sages discours, demeure
entierement serve de vostre excellence, &
ne peut faire jugement au differend dont vous
parlez, sors celuy qu’elle entendra de vous, pource
que fille, mariee, & vesve, tousjours vous avez
monstré une vertu tres-parfaite : & la vertu est source
du bonheur. Or je suppliray les graces qui vous
accompagnent, qu’il leur plaise recevoir les humbles
recommandations de ma Fille & de moy avec
mon affectionné service, en tesmoignage duquel
j’ay composé un Sonnet par vostre commandement,
& le vous envoie, esperant que mon obeissance
& ma diligence excuseront mon insuffisance.
8.
Es lettres vous avoüent pour fils, dans lequel
elles ont tracé mille lignes d’honneur pour se
rendre plus honorables. Les lettres vous tiennent
pour pere, vous dont l’esprit né au ciel a songeusement
contemplé les riches tresors de la sapience
divine, & depuis par les doctes discours formez en l’ame de vostre ame, les avez vous sceu animer :
les tirant de l’ombre en la lumiere leur propre &
naturel sejour, qui est vostre gentil entendement.
Or comme le bourgeon de la vigne, la verdeur du
blé, la fleur de l’arbre, sont non seulement l’esperance,
mais les avant-coureurs des fruits : ainsi
(Monsieur) unissant les vertus morales aux intellectuelles
par elles vous accomplirez le reste de
vos excellences, aux graces desquelles ma Fille &
moy nous recommandons humblement.
9.
Endant une missive pour deux je ne veux pourtant m’excuser : car ce seroit presupposer
une faute, & je ne veux jamais faillir envers vous à
la recognoissance de tant d’honneur & de plaisir
que je reçoy par vostre moyen. Mais je crains que
double lettre doublement mal-faite vous cause
double importunité. Je ne sçay si le siecle de Saturne
& Messire Philippe de Comines assistent
vostre navigation en ceste mer de procés. Je le dis
pource que sans eux on ne peut avoir vent, ny marée.
Si en celà, ou autre chose, je puis faire service
à vos honnestetez, je m’y emploieray d’aussi bon
cueur que je desire estre humblement recommandee
à vos graces : & je vous jure Monsieur que je
le desire infiniement.
10.
E vous doy les mercis du souvenir que vous
avez de moy : mais plus encore de celuy que j’ay
de vous : car l’un vient de vostre seule bien vueillance, & l’autre de vos graces & vertus : qui d’autant qu’elles sont plsu en nombre & en valeur, m’obligent davantage à vouloir maintenir l’heureuse memoire qui m’en demeure. J’ay sceu vostre bonne disposition par ce messager honorable qui accorde sa deposition avec le tesmoignage de vos lettres, asseurant que le temps ne fauche point le repos de vostre ame, ny la santé de vostre personne. Ce qui me donne esperance de vous revoir encore quelquefois comme vous le dites. Ce pendant ma Fille & moy vous salüons humblement (Monsieur) priant Dieu vous tenir en sa grace & tout ce que vous aimez.
11.
’Ay maintenant aux mains, aux yeux, & en la pensee, vos lettres pleines d’esprit, de graces & de nouvelles si vivement descrites sur le portrait naif de vostre gentillesse, que je pense quelquefois avoir l’honneur de vous ouir & parler, demander l’estat de vostre portement, l’exercice de vostre patience en la peregrination commune de vous & du personnage qui sortant de ceste ville sembloit entrer en colere poir le miracle de Neptune. Je m’enquiers aussi du mesnage & repos de celuy qui laissa les Filles du ciel, pour le Fils de la terre, & l’aggreable pour l’utile, s’il trouve autant le premier siecle aux mœurs comme en la gibesiere. Sur tout je m’enquiers & m’enquierray sans fin à vous de vous mesmes (Monsieur) à qui ma Fille & moy avons une infinité d’obligations, & toutes deux en unité vous salüons humblement.
12.
E desir que j’ay d’obeir à vos honnestetez, me fait esperer toutes faveurs d’elles, pensant que vous estes obligé à ma bonne volonté, à vostre promesse, & vostre bonté sincere, qui veut que vous prestiez aide & secours à ceux qui humblement vous en prient. Aidez moy donc (s’il vous plaist) à trouver une douce & aggreable fin du procés, duquel la continuë ma semblé tant amere & fascheuse. Ainsi je prie Dieu qu’il vous maintienne en toute felicité (Monsieur) vous & Madame vostre compagne, que ma Fille & moy salüons de bon cueur.
13.
E ne pouvois esperer moins de vostre courtoisie, ny vous me promettre plus à ma necessité, que ce dont vos lettres m’asseurent, n’aiant pour ceste heure (graces à Dieu) affaire de plus d’importance que celle de laquelle il vous plaist prendre le soin, que j’espere venir bien tost à bonne fin par la faveur de vostre prudence, & l’equité de ma cause, que je vous recommande & moy humblement à vos graces.
14.
Iant receu par vos graces des gracieusetez infinies sans qu’il me soit reste moyen de les recognoistre, il me seroit maintenant plus seant d’excuser envers vous mes premieres importunitez que recommencer les secondes. Toutesfois pensant que mes debtes sont rendues honorables par vos valeurs, estant un veritable signe qu’il ne vous a pas esté deplaisant de me faire plaisir, j’ose vous requerir encore qu’il vous plaise avoir soin de mon procés, lequel estant aux mains de Monsieur de la Vau, je desire aussi qu’il luy soit à la teste, & que bien-tost sortant par la bouche d’un Rapporteur tant equitable il face heureuse monstre de foy pour ma Fille, qui saluë vos bonnes graces, vous suppliant humblement (Monsieur) l’avoir pour recommandee, usant envers vous de mesme salut, & pareille requeste. Je prie Dieu qu’il vous tienne en sa sainte garde, & moy en vostre souvenance.
15.
Os gracieuses lettres me sont certaine qu’un bienfait n’est jamais receu sans recompence. Je dy cecy pource que vostre maladie precedant la mienne, j’envoiay pour vous les Filles de Jupiter à la deité reveree par les Ssicioniens : qui receut mes humbles vœux portez par ces divines vierges, lesquelles firent de sorte que pour un Dieu, la Deesse s’esmeut oyant nommer vostre beau nom (plus cognu au ciel qu’en la terre) & tirant le mal hors d’un si precieux domicile, vous feit reprendre vos premieres forces. Mais ceste ennemy de repos ne voulant rester sans logis, & sçachant bien que l’oraison estoit la cause de sa chasse, me guetta dedans un saint temple, & au beau milieu d’un sermon me print la gorge & le poulmon, dont j’estois pour souffrir beaucoup, sans les sacrifices que vous (Monsieur) avez faitz pour moy à la Deesse Angerone, qui m’ont servi de panacee, dont je vous remercie humblement.
16.
E suis en doute (Monsieur) si je vous presente ma lettre, ou si je la vous envoye, estant ce gentil-homme (present porteur) le plus proche parent que j’aye en ce monde, & que je tiens comme un autre moy-mesmes. Or sçachant le singulier plaisir que vous prenez à bien faire, je supplie humblement vos graces avoir soucy de luy, & memoire de moy, qui saluë vos excellentes Muses en toute humilité.
17.
Es singulieres vertus dont vous estes orné avec les divines graces, qui reluisent en vos escrits, font qu’ayant leu ceux qu’il vous plaist m’envoyer, je desire de voir encor ceux que vous escrivez aux autres : & lisant les lettres que vous adressez à Monsieur vostre cousin, je voy un suoospeçon contre moy qui est presque en forme de plainte. Vous desirez que pour une missive de Sparte on vous responde une Iliade. Je sçay que le pris de vos paroles pleines de sens & de raison, ne peut recevoir par les lignes de ma main eschange de telle valeur. Mais c’est à Dieu seul d’exercer tousjours la geometrie : je suy l’ancienne loy qui commandoit de donner œil pour œil, dent pour dent. Je vous en rends une pour une. Aussi ne pouvois-je croire que vous pratiquant en la Jurisprudence voulussiez commettre une faute si grande contre vostre
profession, que de faire payer le double, & en demander
deux pour une. Plustost usant de vostre accoustumee
liberalité, vous recevrez s’il vous plaist
Monsieur l’excuse de mon impuissance, avec les
humbles recommandations de ma Fille & moy.
18.
E vous honore infiniment Madame pour les
parfaites qualitez qui sont en vous, & pource que
vous representez si bien le portrait des Graces, rendant
deux gratuitez pour une. Mais ceste derniere
loüange que je rends à vos valeurs me pourra
tourner à blasme : car je donne occasion de penser
que l’avarice me fait semer si peu de bien envers
vostre excellence pour en recevoir beaucoup, toutesfois
je m’excuse regardant le present qui j’ay
receu de vostre liberalité, lequel n’est pas moins à
l’honneur de vous qu’au proffit de moy, qui avec
ma Fille vous saluë & remercie humblement.
19.
Ous faignez d’avoir failly (Monsieur) pour
monstrer combien vous sçavez gentillement
preparer excuse à une faute. Mais vous ne serez
point accusé par moy de ceste loüable paresse que
les Spartains disoient appartenir aux hommes nobles,
bien que nous ayons d’autres loix meurdrieres
de loisiveté comme les Atheniens que vous sçavez
tant bien imiter en subtilitez de propos & d’escris.
Ma Fille suivant ainsi que moy l’opinion de Herondas,
ne veut point que vous soiez condamné pour cause de gentillesse. Mais afin de n’empescher pas en vostre ame, ce qui sans agir hors de soy surpasse les actions de tous autres : elle vous exempte de soing de ses escrits, & des miens : ayant pourveu d’ailleurs pour les faire paroistre au Soleil, ou à l’ombre pour le peu de clarté qui est en eux : tels qu’ils sont toutesfois je desire qu’ils vous plaisent, & que vous me donniez part en vos bonnes graces.
20.
Insi que je voy (jeune Pallas) vous avez songneusement recueilli les enseignements du vieil Evandre : qui estoient que selon la compagnie que vous frequenteriez, on feroit jugement de vous. Pource vous avez recherché les plus gentils personnages de la France, afin que les admirant vous fussiez admiré par eux. Or sçachez que depuis vostre partement je n’ay receu lettre qui m’ayt donné tant de plaisir que la vostre derniere, pource qu’elle m’asseure de vostre prompt retour, & pour le bien que ceste espoir me donne, pour le penser l’escrire j’abandonne. Priant Dieu vous donner sa grace, je place aux vostres que je saluë humblement.
21.
Ostre divine voix criant au desert, est une lumiere vive, luisante aux plus grandes tenebres, pour monstrer le chemin du ciel à ceux qui par une regeneration nouvelle se veulent, & peuvent affranchir du vice & de l’gnorance. Mais moy qui n’ay pas ceste grace de faire mon proffit des vostres : je ne sens dans l’Egypte de mon ame autre Mercure que la teste de chien, qui d’un continuel aboy veut respondre à vos paroles tant bien ornees. Lesquelles par leur incroiables courtoisies me veullent acquiter envers vous par un acte contraire & semblable à celuy des Spartaines, qui eurent l’honneur du salut des Argives : ainsi Monsieur vous prenez un portrait de moy figuré par vos excellences, puis triomphant en ma personne en avez seul la gloire meritee.
22.
E cognois assez (Madame) combien les vertus vous sont familieres, & mesmes la liberalité. Il n’estoit pas besoin que par ce nouveau present ma Fille en fist nouvelle preuve : elle a receu la lettre, un don & l’advertissement de son devoir, pour l’epitaphe de feu Monsieur vostre mary : lequel outre plusieurs louables qualitez qui le faisoient estimer, l’heur de vous avoir espousee le rendoit honorable entre toutes les personnes d’honneur : vous que le nom, & la bonté font cognoistre premiere, & qui serez sans fin premiere en ma pensee.
23.
Ecevant, lisant, & notant les lignes de vostre main, je me suis souvenuë que l’ambiguité de l’oracle deceut le Roy des Lydiens : qui simple & sans souspeçon prit la parole, & non le sens d’un dieu caut & fin. Aussi vous Monsieur qui par la vive promptitude de vostre esprit & graces de la poësie pratiquez avec Dieu, me pourriez tromper si je ne pensois vos lettres voües par vous à ceste deité, dont Apulée trop craintif fit dans Hipate le sacrifice à ses depens. Vous dites qu’il ne me faut jamais voir, ou me voir tousjours. Ceux qui au prin-temps de leur aage ont assemblé en eux tant d’aggreables diversitez propres à leur naturel, comme vous, ne doivent jamais frequenter les personnes simples & uniformes, comme nous sommes ma Fille & moy : ny laisser les menus plaisirs pour choisir la vie privée. Aussi vous estes vous porté en cela de telle sorte, que sans ce miroir espois au centre, qui vous fait sembler le point un grand corps, vous cognoistriez avoir esté si peu de temps en nostre compagnie, que la presence ne pourroit vous donner cause d’amitié, ny l’absence de regret.
24.
Onsieur, le romarin n’est point plus agité de vents, de vagues, & d’orages, que moy de fievre, de langueur, & de passion d’estomac, qui se sont violemment saisis de mon triste domicile : & m’ont osté le moyen de vous imiter, à manger, boire, & escrire une lettre qui en vaille deux, comme vous dites de la vostre : aussi n’ay-je pas telle opinion de ceste-cy. Mais la Mere & la Fille n’estant jamais divisees (n’ayant qu’une volonté) n’ont besoin que d’une response pour se recommander à vos graces, & desirer que Madamoiselle vostre mere, ensuivant Penelope ne vueille pour second mary, que le saint regret du premier ayant un amour entier envers vous, son premier Thelemaque.
25.
Onsieur ayant parfait & accomply une tant belle & importante charge que celle qui vous a retenu si long temps loing de la France, la gloire en est à vous seul inseparable, comme un ombre qui suit tousjours vostre solide vertu. Mais nous sommes participantes ma Fille & moy, du plaisir que vous avez receu à vostre heureux retour, pource que nous l’avons affectueusement desiré. Vous avez retrouvé (graces à Dieu) vostre douce patrie, vos desirez amis, vostre sage & vertueuse compagne, commandant si prudemment vostre maison & famille, que les republiques du monde les mieux ordonnees devroient desirer un pareil gouvernement, comme l’Ambassadeur de Turquie en rend bon tesmoignage, nous l’avons ouy asseurer. Et n’estoit-ce pas assez de bien pour nous, d’entendre tout cecy ? de voir vos eloquentes & gracieuses lettres, par lesquelles vous monstrez nous avoir en bonne opinion, sans y adjouster des presens si precieux, que leurs effets admirables guerissent les corps plus offencez, & toutesfois ilos rendent nos ames malades, pource qu’elles ne peuvent dignement recognoistre ce riche don, tant s’en faut, que nous puissions le rendre, ainsi qu’Hesiode le conseille, & la liberalité le commande ? Or doncques nous trouvant attaintes du premier vice tant hay par les anciens, que l’on appelle devoir, nous ne voulons pas estre coupable du second qu’ils avoient le plus en horreur, qui est mentir : car ce seroit assez affermer une mensonge, que de celler ingratement la verité des faveurs tant honorables que nous avons receües de vous & de Madame vostre espouse : desquelles nous sentons vous estre infiniement redevables. Et desirans nous acquiter (s’il est possible) nous vous envoyons un petit livre de nostre façon, sans penser que ce soit à valoir sur la debte : pource que si vous le recevez de bon cueur, vous accroistrez le nombre de nos obligation envers vous (Monsieur) de qui nous salüons les graces en toute humilité.
26.
Epuis que l’air qui voisine la riviere de Seine a esté si mal sain, voyant tant de personnes illustres abandonner leur terre aymee pour demeurer en autre part, j’ay fort desiré que noste ville vous fust un rempart asseuré contre le danger, veu mesmes qu’elle semble promettre ce bien à qui l’approche : estant son air si temperé que Galien l’eust ordonné aux plus dispos & aux plus malades, aux uns pour maintenir la santé, aux autres pour la recouvrer. Mais puis que nostre Clein ne vous a sçeu faire incliner en sa faveur, me voyant aussi loing de l’esperance que proche du desir de vous voir, je vous supplie humblement (Monsieur) n’esloignez point du tout de vostre memoire la promesse qu’il vous a pleu faire d’avoir soin de l’equité de ma cause, s’il ne vous en souvient pour moy qui ne le merite pas, que ce soit au moins
pour l’amour de vous qui l’avez promis : afin que
vous monstrant tousjours un, vous soiez plus digne
d’avoir receu vos conditions excellentes de la
divinité à qui l’unité est sacree, en faveur de laquelle
ma Fille & moy salüons tres-humblement
vos graces avec unité de pensee.