Les Missives/Response

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Les Missives de Mesdames Des Roches de Poitiers Mère et Fille
Paris, Abel L’Angelier (p. --17).

RESPONSE.

1.


VIerge dont la vertu, le sçavoir, & la grace
Reluit dedans les mœurs, les propos & la face
Par vos mains, par vos yeux, par vos divins esprits,
Recevez, relisez, retenez, ces escrits
Qui prompts, humbles, devots recherchent vostre oreille,
Disant, chantant, priant, Dieu gard belle merveille.

2.


Je voüe à la splendeur de ta vive beauté
L’amarante immortel de la grand Citherée :
J’entends de la Venus chastement ceinturee
Lisant sur ton beau frond l’honneur & la bonté.
Je voüe à ton esprit pour sa divinité
La branche de Phebus, & Pallas reveree,
Et à ta claire voix doucement admiree
La chaisne dont Hercul a maint peuple dompté.
Je sçay que tes vertus auront des ans victoire,
Et que mon vers ne peut esperer tant de gloire.
Tel subjet est chanté par moy trop bassement.
Mais qui pourroit loüer ton angelique face
Ou ta celeste voix, ou ta divine grace,
Celuy auroit d’un Dieu l’art & l’entendement.

3.


Tout ainsi que l’on voit le maistre de Platon
Recherchant les effets par les premieres causes,
Transformer l’argument en cent Metamorphoses
Par l’anneau de Giges & l’armet de Pluton :
Ainsi tu m’affranchis de la main de Clothon
Par tes vers admirez plus beaux que nulles choses.
Tu faits d’un froid hiver le prin-temps & les roses :
Et dans tes mots dorez tu change mon leton.
O hommes bien disans, dont les vertus exquises
S’honorent à l’enuy des sciences acquises.
Laisse voir de tes vers la divine clairté.
Voy tu pas que Phebus les cherist & embrasse ?
Calliope voyant le parfait de leur grace,
Les pend au saint Autel de l’immortalité.

4.


J’ayme plus que jamais mon vivre solitaire.
J’ayme plus que jamais la douce liberté.
J’ayme plus que jamais ce que j’ay enfanté.
J’ayme plus que jamais ma jeune secretaire.
J’ayme plus que jamais n’avoir aucun contraire.
J’ayme plus que jamais l’honneur & la bonté.
J’ayme plus que jamais la grace & la beauté.
J’ayme plus que jamais un agreable taire.
J’ayme plus que jamais un discours à loisir.
J’ayme plus que jamais un loüable plaisir
J’ayme plus que jamais la dame bien aprise.
J’ayme plus que jamais le labeur des neuf sœurs,
Et de tes saints propos les merveilleuses douceurs
Qui demonstrent l’effait de ta belle devise.

5.


Pour chanter le parfait qui ton ame decore,
Et couronne ton chef des rameaux verdissans,
Faudroit du Dieu luysant la voix & les accens
Dignes de la vertu qui ton siecle redore.
Tu invoque la Muse, & la Muse t’honore,
Sçachant combien par toy ses effets sont puissans.
Moy qui defaux d’esprit, de discours & de sens,
Crainds de souiller ton nom que nostre France adore.
Si tu veux qu’envers toy je face mon devoir,
Preste moy ton esprit, ta grace, & ton sçavoir :
Et lors je chanteray tes supresmes loüanges.
Mon parler empenné de ta sainte grandeur
Fera voir ton los la divine splendeur
A l’Euphrate & au Nil, au Danube & au Gange.

6.


Ce loüable desir qui ores vous tient pris,
De voir le grand Paris, Seine, & l’Isle de France,
Ne vous tire du cueur la vive souvenance
Que Poitiers vous a fait bien né & bien apris.
Remarquant de ce lieu les fertiles espris.
Je sçay que vous verrez moins que vostre excellence.
De quitter le certain guidé par l’esperance,
Le Macedonien n’a pas esté repris.
Mais s’il vous advenoit suivant vostre oraison
D’enrichir vostre esprit de sens & de raison,
N’abismez nostre Clein dedans les flotz de Seine.
L’Argive & l’Itaquois privoient pour l’heureux jour
Qui puissent aborder en leur naif sejour,
Pour le juste loyer d’une si longue peine.

7.


J’ayme, j’admire, estime, honore & prise
Ce beau desir en ton cueur allumé,
Qui du sçavoir te rend amy aymé,
Favorisant la vertu tant exquise.
J’ay reveré ta Muse bien aprise,
Qui du saint chœur te rend plus estimé,
D’Orphee aussi le lutz mieux animé,
Dont Apollon cede à ton entreprise.
Mais j’ayme plus ta naïve bonté,
Honte modeste & grand honnesteté,
Qui te fait estre à tous yeux agreable.
Le son, la Muse, & le docte parler,
Ainsi qu’un vent s’esvanoüist par l’air,
Et la vertu est à jamais durable.

8.


Ces pommes ne sont pas de chacun tant requises
Que celles d’Hippomene, ou du grand Libyen :
Mais je les puis jurer estre pommes de bien,
Et que l’arbre estoit bon où ma main les a prises.

Nostre premier parent au gouster d’une pomme
Fut par l’Ange divin chassé du beau sejour.
C’estoient pommes d’ennuie, & cettes sont d’amour.
Amour par vive foy sauve l’esprit de l’homme.

9.

Le quatre enserre la dixaine.
Le dix tient le quatre enserré.
Et vostre gracieuse estraine,
Enclost le dix & le quarré.


Le quatre eternelle nature,
L’esprit de quatre Presidans,
Les quatre voix de l’escriture,
Les quatre freres discordans :

Sont les subjets de vostre Muse,
Pleine de divine fureur,
Faites s’il vous plaist mon excuse
A la maistresse du saint chœur.

Car les vers qu’ores je vous donne,
Ont besoin d’estre reformez.
Ce sont des enfans d’Ericthone,
Qui sans pere ont esté formez.

10.

Madame j’ay au cueur la vive souvenance,
Combien vostre grandeur me feit de doux acueil
De vos sages propos, de la main & de l’œil
Qui de l’ame & du corps demonstre l’excellence.

Vous m’avez commandé vous qui m’estes oracle,
De vous donner des vers que j’ay faitz promptement,
Cedant ma conscience à vostre jugement,
Dont la divinité est un nouveau miracle.

Madame le grand Dieu dont vous estes l’image,
Voulut dorer par vous nostre siecle d’airain,
Faisant luyre au plus haut de vostre frond serain,
La Fille que Memoire enfanta de l’Usage.

11.

L’ame est un air, un feu, un vent :
L’un des trois, ou les trois ensemble.
L’air devient feu en s’eslevant.
L’ame l’un & l’autre resemble.

Vous sçavez bien qu’elle est un air,
Puis qu’elle forme la parole,
On ne peut ouyr ny parler,
Qu’en l’air des sciences l’escole.

Doncques l’ame qui va ouvrant
Le plus secret de sa pensee,
Ne doit craindre se descouvrant
D’estre esventee ou insensee.

12.


Divin esprit si ta chaste Pentee
Fut autrefois l’argument de mes vers,
Je n’ay jamais ses manes descouvers,
Et sa grandeur ne s’en fut contentee.
Mais toy qui l’as heureusement portee
Par la rondeur de ce grand univers,
En discourant les accidens divers
Et le parfait de ceste Pasithee,
Trois fois tresgrand tu as par ce butin
Vaincu la mort, le ciel & le destin.
Le corps tant beau sort de la sepulture,
L’esprit desçend de l’eternel repos,
L’ombre a quité les doux champs de Minos
Pour le tableau de ta vive peinture.

13.


Vous poëte qui parlant à la sage memoire
Ornez de ses discours le nombre de vos vers,
N’irritez contre un Roc le Roy de l’univers,
Le disant envieux de si petite gloire.
D’Osse & de Pelion Jupiter eut victoire,
Quand de geans armez ils estoient plus couvers,
D’un foudroiant regard les guignant de travers,
Il les fit trebucher dedans la rive noire.
Ne presumez donc point que ce double Rocher
Presume tant de soy de pense rapprocher
Les graces du saint chœur qui decore Parnasse.
Si pour luy vous merquez une maison aux cieux,
Les aisles de vos vers vous leveront mieux,
Et cest humble Rocher vous en cede la place.

POUR MADAME
LA BARONNE DE GERMOLE
sur l’absence de son mary.

14.


ABsente de vos yeux je sens en la pensee
Tant & tant de regretz que mon ame offencee
A voulu mainte fois laisser ce foible corps
Et s’enfuir dehors.

Vous voyant traverser les ondes marinieres,
J’ay crainte que mes vœux & mes humbles prieres
Ne puissent retirer vostre navire à bord
Vous sauvant de la mort.

Je craind que frequentant les estranges provinces
Vous soiez attiré aux delices des Princes,
Oublyant ce lien qui vous doit tout à moy
Par une juste loy.

J’ay peur que delaissant vostre fidele femme
Vous sentiez amortir vostre premiere flamme,
Pour alumer en vous le feu pernicieux
D’un amour vicieux.


O mon cher Germini & mais qui pourroit ore
Vous desrober à moy ! he qui pourroit encore
Retarder si longtemps vostre promis retour
Sinon faute d’amour ?

Vous estes eschappé des mains de la fortune,
Peut estre en ma faveur vous est elle oportune :
Et peut estre les vœux que j’ay tant faits pour vous
Appaisent son courous.

J’ay tant prié les Dieux, pour vostre heureux voyage,
Que yous estes sauvé, las moy je faiz naufrage
Dedans la mer d’amour, si vostre douce main
Ne m’en tire soudain.

Aidez moy donc amy, aidez moy donc de grace :
Monstrez moy seulement vostre amiable face :
A l’heure je perdray tout le soubçon jaloux
D’un si loyal espoux.

15.

Vous qui recevez les faveurs
Du Roy des Princes des Seigneurs,
Chantez de leurs victoires :
Gravez leurs noms dedans les cieux :
Faites les vivre entre les Dieux,
Eternisant leurs gloires.

Le cueur espoint d’un haut souci
Avec le labeur adouci
De vostre Dieu Delphique :
Chantez l’âme de l’univers

Et l’arbre roulant de travers
Par une voye oblique.

Dites comme il fait les saisons
Descrivez ses douze maisons
Et comment l’Aspec trine
Leur cause une parfaite amour,
Comme l’Opposite à son tour
Une haine maline.

Chantez aussi de ce grand Dieu,
Qui sans estre enclos d’aucun lieu,
Tient enclost tout le monde.
Je dy ce grand Dieu souverain,
Qui soutient d’une forte main
Ceste machine ronde.

Chantez le Roy son Lieutenant,
Vous pouvez dire maintenant
Que la majesté sainte.
Ne voit point un plus juste Roy.
Que celuy qui nous donne loy,
Avec amour & crainte.

Qu’il soit donc l’ame de vos vers,
Et que de mille chans divers
Sa brave renommee
Volle aux estranges Nations,
Rendant par ses perfections
Vostre gloire animee.


De moy si j’avois le pouvoir,
L’esprit, la grace, le sçavoir,
Dignes d’un plus haut stille ;
Je dirois vos esprits unis,
Et que vous estes le Phenix
De ce divin Achille.

16.

Qui a receu le bien, c’est raison qu’il le rende.
Euphrosine & ses Sœurs le demandent ainsi,
Ayant pris vostre don, vostre don me commande
Que je rende cest autre avec humble merci.

17.

Ayant receu de vous de la prose & des vers,
Ce livre rend pour nous des vers & de la prose.
Mais voyant les secrets du Seigneur descouvers,
Pourrez vous regarder vers si petite chose ?
Monsieur, pour voir le bien vos yeux seront ouvers,
Et pour les vanitez voste paupiere close.

18.

Dame belle, chaste & prudente,
Si j’avois l’arbre du Tresor,
Comme la premiere Atalante
Vous auriez les trois pommes d’or.

Jeune & gentille Cytheree
Dont chacun est ravy & pris,
De la riche pomme doree
Vous seule emporterez le pris.


Je ne cognois vostre seconde,
Si blancheur s’appelle beauté :
Et croy que de la pomme ronde
Vous eussiez le pris emporté.

Belle & courtoise Damoiselle,
N’en vueillez vostre part quiter :
Je ne croy pas qu’autre plus belle
Ait dompté le grand Jupiter.

Par arrest des Dieux & des hommes
Beauté belle en perfection,
L’arbre, le jardin & les pommes,
Sont en vostre possession.