Les Moineaux francs/24

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(p. 189-192).


NUAGE ROSE





Le soleil s’est couché depuis quelques instants.
La nuit vient. Seul, frappé de rayons persistants,
Comme un dernier et doux reflet d’apothéose,
Sur le ciel assombri flotte un nuage rose.

Entraîné lentement par la brise du nord,
Élégant et fantasque, il semble, sans effort,
Gigantesque hippogriffe à l’ondulante queue,
S’avancer d’un vol lourd dans l’immensité bleue,

Vaillamment chevauché par quelque chevalier
Tenant haute la lance et droit le bouclier,
Quelque nouveau Jason à l’armure dorée,
Qui s’en va conquérir une rive ignorée.

Oh ! le hardi voyage et le fier voyageur !

Parmi les profondeurs du ciel, dont la rougeur
Lui montre le chemin de l’Occident splendide,
Il va droit au soleil éclatant qui le guide ;
Il va, franchit les monts, les fleuves et les mers,
Et, pacificateur de la terre et des airs,
Au service du faible engageant son épée,
Sans pitié renversant toute force usurpée,
Il fait, à larges coups de son estoc d’acier,
Besogne de vengeur et de justicier !
Par lui le bien triomphe et la terre apaisée
Boit amoureusement la suave rosée
Du calme universel et du droit respecté :
Dans le monde adouci, tout n’est plus que bonté,

Et les hommes entre eux s’aiment, et la Nature,
Au nom du Créateur douce à la créature,
Réprime ses rigueurs et ses emportements ;
Et, dans l’égalité d’un bonheur sans tourments,
Le corps ne souffre plus et l’âme se repose…

Le vent vient d’emporter le beau nuage rose !