Les Moineaux francs/3

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(p. 17-24).


ÉPITHALAME MODERNE





Àparis, chaque printemps,
Cupido dresse son piège :
Sur les filles de vingt ans

Neige

De l’oranger tout le temps.

On s’est connu dans un bal…
On s’est fait une visite…
Elle est bien… Il n’est pas mal…

Vite

L’officier municipal !


C’est réglé, c’est arrêté !
On se rend à la mairie ;
Le couple, tout emprunté,

Crie

« Oui ! » — Le sort en est jeté !

Le lendemain, rendez-vous
À l’église, en grande foule ;
Sur la tête des époux

Coule

Un discours pieux et doux.

On entre en se bousculant
Dans la sacristie étroite ;
Et, sous son grand voile blanc,

Droite,

Elle rit… ou fait semblant.


Lui fier, superbe, important,
Écrase sa belle-mère
Et, sans souffler un instant,

Serre

Les cinq cents mains qu’on lui tend.

Un fort lunch est apprêté
Suivant la nouvelle mode ;
En mangeant, chaque invité

Brode

Un bout de banalité.

Les sandwichs, vrais monuments,
Fondent avec le champagne ;
Et la gaîté par moments

Gagne

Jusqu’au groupe des mamans.


Que Dieu bénisse aujourd’hui
Ces époux, couple modèle !
Qu’il Lui soit un ferme appui !

Qu’Elle

N’ait de regards que pour Lui !

Qu’ils vivent sans nul souci !
Que rien ne les puisse abattre !
Qu’ils aient des enfants aussi…,

Quatre…

Ou plus, s’il leur plaît ainsi !

Qu’ils aient des santés extra !
Point de goutte ou de névrose…
L’existence leur sera

Rose

Et gaîment s’écoulera !


Qu’ils se plaisent au foyer
L’hiver, lorsque le vent pleure,
Et qu’ils sachent oublier

L’heure

Coulant dans le sablier !

Qu’ils s’envolent chaque été,
Quand Paris commence à frire,
Dans quelque coin abrité

Rire

Ou rêver en liberté !

Qu’ils ne parlent que très peu
Politique ou bien finance !
Que leur jeunesse, morbleu !

Danse

Une gigue dans le bleu !


Qu’ils n’aient pas trop de parents
Qui chez eux plantent leur tentes :
Petits-cousins encombrants,

Tantes

Aux bonnets exubérants !

Que Monsieur soit décoré ;
Que Madame ait des toilettes
D’un goût toujours épuré,

Faites

Chez le tailleur consacré.

Qu’ils aient un appartement
Sans tramways ni pianistes
Qui tapent, lugubrement

Tristes,

Des morceaux dits d’agrément !


Qu’estimés dans le quartier,
Bénis du propriétaire,
Ils sachent, quand vient janvier,

Plaire

À messire leur portier !

Ainsi les souhaits par tas
S’accumulent sur leur tête...
La voiture attend en bas,

Prête…

Allez !… et ne versez pas !