Les Monikins/Chapitre XVI

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Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 14p. 194-210).



CHAPITRE XVI.


Une auberge. — Dettes payées d’avance. — Singulière touche de nature humaine incorporée à la nature des Monikins.



Après nous être assurés d’un appartement, nous ordonnâmes notre dîner, nous brossâmes nos vêtements, et nous fîmes tous les autres petits arrangements qui étaient nécessaires pour l’honneur de l’espèce humaine. Tout étant prêt, nous sortîmes de l’auberge, et nous prîmes le chemin du Palais des Arts et des Sciences. Nous n’avions pas encore perdu l’auberge de vue, quand un des garçons accourut pour nous apporter un message de sa maîtresse. Il nous dit, d’un ton respectueux, que son maître était sorti, qu’il avait emporté la clef du coffre-fort, et qu’il n’y avait pas dans le tiroir du comptoir de quoi fournir à dîner à d’aussi grands personnages que nous. Elle avait donc pris la liberté de nous envoyer un reçu, en nous priant de lui faire une petite avance pour ne pas l’exposer à la mortification de traiter des personnages aussi distingués que nous, d’une manière indigne d’eux. Ce mémoire était rédigé ainsi qu’il suit :

» Doivent n° 1, couleur mixte, et ses amis,

À n° 82,763, couleur de raisin :

Pour appartements, nourriture et lumière, à raison de 300 p. p. par jour, comme il a été convenu, pour

un jour ………… 300 p. p.
Reçu par avance, comptant …………    50   
Balance restant due ……… 250

— Tout cela me paraît fort juste, dis-je à Noé ; mais en ce moment je n’ai pas plus d’argent dans ma poche qu’il ne s’en trouve dans le tiroir de notre bonne hôtesse. Je ne vois réellement pas ce que nous pouvons faire, à moins que Bob ne lui renvoie sa provision de noisettes.

— Écoutez, mon agile voltigeur, dit le marin ; que désirez-vous de nous ?

Le garçon montra le mémoire, comme exprimant suffisamment les désirs de sa maîtresse.

— Je vois, je vois ; mais que signifient ces p. p. ?

— Des promesses.

— Quoi ! vous ne demandez que cinquante promesses pour nous servir à dîner ?

— Bien de plus, Monsieur. Avec cette somme vous dînerez comme des seigneurs, — comme des aldermen.

Je vis avec plaisir que cette digne classe de citoyens avait les mêmes penchants en tout pays.

— Prenez-en un cent ! s’écria Noé en faisant claquer ses doigts, et faites-en bon emploi. — Écoutez-moi, mon brave ; veillez à ce que cette somme, jusqu’au dernier farthing, soit employée en bonne chère. Servez-nous un bon dîner, et nous ne marchanderons pas sur le prix. Par ma foi, je suis en état d’acheter l’auberge et tout ce qu’elle contient.

Le garçon se retira, satisfait de cette assurance, et comptant sur un bon pour-boire en récompense de ses peines.

Nous nous trouvâmes bientôt au milieu de la foule qui se rendait au lieu de notre destination. En arrivant à la porte, nous vîmes que nous étions attendus avec impatience, car nous y trouvâmes un huissier de l’Académie, chargé de nous conduire vers les sièges qui nous avaient été préparés. Il est toujours agréable d’être avec les privilégiés, et je dois avouer que nous ne fûmes pas peu flattés en voyant qu’on nous avait préparé une tribune élevée au centre de la rotonde dans laquelle l’Académie tenait ses séances, de sorte que nous pouvions voir chaque individu de l’assemblée et en être également vus. Tout l’équipage et même notre cuisinier nègre nous y avaient précédés ; nouvelle attention, dont je ne manquai pas de témoigner ma reconnaissance en saluant tous les membres présents. Après que les premiers mouvements de plaisir et de surprise furent un peu calmés, je trouvai le loisir de jeter un coup d’œil autour de moi, et d’examiner la compagnie.

Les académiciens occupaient la totalité du corps de la rotonde, à l’exception de l’espace occupé par la tribune temporaire qui avait été construite pour nous y placer. Des sofas, des chaises, des bancs et des tribunes remplissaient tout le reste de la salle, garnissaient toutes les murailles, et servaient de sièges aux spectateurs. Comme l’édifice était très-grand, et que l’esprit a considérablement réduit la matière chez les Monikins, il ne pouvait s’y trouver alors moins de cinquante mille queues. Avant que le cérémonial de la séance commençât, le docteur Reasono s’approcha de notre tribune, passant de l’un à l’antre de nous, et disant à chacun un mot agréable et encourageant, de manière à faire naître en nous une vive attente de ce qui allait se passer. Nous étions si évidemment distingués et honorés que je fis les plus grands efforts pour réprimer un indigne sentiment d’orgueil, comme peu convenable à l’humilité chrétienne, et pour maintenir une équanimité philosophique, au milieu des démonstrations de respect et de reconnaissance dont je savais que le dernier nous allait être l’objet. Le docteur était encore à nous prodiguer ses attentions quand l’aîné des cousins-germains du roi entra dans la salle, et la séance s’ouvrit sur-le-champ. Je profitai pourtant d’un court intervalle pour dire en peu de mots à mes compagnons qu’ils allaient bientôt se trouver dans le cas de faire preuve de modestie. Nous avions fait un grand trait de courage et de générosité, et il ne fallait pas en diminuer le prix en laissant paraître un sentiment de vaine gloire. Je les conjurai de me prendre pour modèle, et je les assurai que de nouveaux amis en apprécieraient trois fois plus leur intrépidité, leur grandeur d’âme et leurs talents.

Il y avait à recevoir et à installer un nouveau membre de l’Académie des Sympathies-Secrètes. Un membre de ce département des sciences lut un long discours contenant l’éloge du nouvel académicien. Celui-ci y répondit par une harangue très-élaborée, qui dura cinquante-cinq minutes, et fit tout ce qu’il put pour convaincre l’auditoire que la mort du défunt avait causé une perte irréparable atout l’univers, et qu’il était le dernier Monikin qu’on aurait dû choisir pour le remplacer. Je fus un peu surpris du sang-froid avec lequel ce corps de savants écouta des reproches si sérieux et si souvent répétés. Mais une connaissance plus intime avec les Monikins me prouva que chacun pouvait dire tout ce qu’il voulait, pourvu qu’il convînt que tous les autres avaient un mérite infiniment au-dessus du sien. Lorsque le nouveau membre eut établi d’une manière triomphante le peu de droits qu’il avait à entrer dans l’académie, et à l’instant où je croyais que ses collègues étaient tenus par honneur d’examiner de nouveau le choix qu’ils avaient fait, il termina son discours et prit son siège parmi eux avec autant d’assurance que le plus grand philosophe de toute la compagnie.

Après une courte pause, et une foule de compliments sur son excellent et plus que modeste discours, le nouveau membre se leva une seconde fois, et se mit à lire un essai sur quelques découvertes qu’il avait faites dans la science de Sympathies-Secrètes. Suivant sa doctrine, chaque Monikin possédait un fluide qui était invisible, comme les animalcules qui remplissent tout dans la nature, et qui n’avait besoin que d’être bien connu et assujetti à des lois plus rigides pour pouvoir remplacer le sens de la vue, du toucher, du goût, de l’ouïe et de l’odorat. Ce fluide était communicable, et avait déjà été assujetti à la volonté, au point de le rendre utile pour voir dans les ténèbres ; pour sentir toutes les odeurs quand on avait un rhume de cerveau, et pour toucher par procuration. Par le moyen de ce fluide on avait transmis des idées à une distance de soixante-deux milles en une minute et demie. Deux Monikins, qui avaient le malheur d’avoir une maladie de queue, avaient perdu cet embellissement de leur personne par une opération devenue indispensable, mais ils avaient été saturés de ce fluide, et l’effet en avait été si heureux qu’ils s’imaginaient briller plus que jamais par la longueur et l’élasticité de leur queue. Une expérience avait été faite sur un Monikin, membre de la chambre basse du Parlement. Étant marié à une Monikine pleine d’esprit, il avait, pendant la dernière session, tiré toutes ses idées de cette source, quoique sa femme fût obligée de rester à la campagne pendant tout le temps, pour surveiller l’administration d’un domaine à quarante-deux milles de la capitale. L’orateur recommanda particulièrement au gouvernement d’accorder de l’encouragerment à cette science, qui pouvait être très-utile pour obtenir des preuves dans l’intérêt de la justice, pour découvrir des conspirations ; pour percevoir les taxes, et pour faire un choix parmi les candidats à des places importantes. Cette suggestion fut bien accueillie par le cousin-germain du roi, surtout en ce qui concernait les séditions et le revenu public.

Cet essai ne fut pas moins bien reçu par les savants, et j’appris ensuite qu’il était rare que l’académie trouvât à redire à quelque chose. On nomma sur-le-champ un comité pour faire une enquête sur les faits relatifs aux fluides invisibles et inconnus ; sur leurs effets, leur importance, et l’influence qu’ils pouvaient avoir sur le bonheur des Monikins.

On nous régala ensuite d’une dissertation sur les différentes significations du mot gorstchwzyb, qui, traduit en anglais ou en français, signifie « eh ! » Le célèbre philologue qui traita ce sujet fit preuve d’une profonde érudition en en développant toutes les ramifications. D’abord il en transposa toutes les lettres de toutes les manières possibles, et il prouva ainsi, d’une manière triomphante, que ce mot était tiré de toutes les langues anciennes. Le même procédé démontra qu’il avait quatre mille deux significations différentes. Il entra alors pendant dix minutes dans une suite de raisonnements profonds, dans lesquels il ne fit usage que de ce seul mot employé dans ses différents sens. Enfin, il établit, d’une manière irréplicable, que ce mot était si utile, qu’il devenait superflu, et finit par proposer qu’il fût biffé sur le-champ et pour toujours du vocabulaire de Leaphigh. Cette proposition ayant été adoptée par acclamation, le cousin du roi se leva et déclara que, si quelqu’un à l’avenir péchait contre le bon goût au point de se servir de cette expression proscrite, il en serait puni par le retranchement de deux pouces de l’extrémité de sa queue. Un frémissement qui se fit entendre parmi les dames, qui, comme je le reconnus ensuite, aimaient à porter la queue aussi haut que nos femmes aiment à porter la tête, prouva suffisamment la sévérité de ce décret.

Un membre plein de l’expérience que donnent les années, et qui semblait très-respecté, se leva alors pour faire la proposition suivante : il dit qu’on savait que la race monikine approchait rapidement de la perfection ; que l’accroissement de l’esprit et le décroissement de la matière étaient un fait évident et irrécusable ; que, quant à lui, il sentait que ses moyens physiques diminuaient tous les jours, tandis que ses forces mentales acquéraient, dans la même proportion, une nouvelle vigueur ; qu’il ne pouvait plus voir sans lunettes, qu’il n’entendait qu’à l’aide d’un cornet acoustique, et que son goût était émoussé au point de distinguer à peine les ragoûts les plus épicés. De tout cela il conclut que les Monikins approchaient de quelque changement important, et il demanda que cette portion de la science des Sympathies-Secrètes qui avait rapport au fluide inconnu dont il venait d’être parlé, fût renvoyée à un comité de toute l’académie, afin de pourvoir d’avance aux besoins qu’éprouveraient les Monikins quand ils viendraient à perdre leurs sens. Il n’y avait rien à dire contre une proposition si prudente, et elle fut adoptée, nemine contradicente.

Il y eut alors beaucoup de chuchotements et de remuements de queue, qui étaient les indices qu’on allait s’occuper de la véritable affaire pour laquelle on était assemblé. Tous les yeux se tournèrent vers le docteur Reasono qui, après une pause convenable, monta dans une tribune préparées pour les occasions solennelles, et commença son discours.

Le philosophe, qui avait confié à sa mémoire tout ce qu’il avait à dire, parla ex improviso. Il commença par une belle et éloquente apostrophe au savoir et à l’enthousiasme qu’il fait naître dans le sein de tous ses vrais adorateurs, les rendant également indifférents à leurs aises personnelles, à leurs intérêts temporels, aux dangers et aux souffrances du corps, et aux tribulations de l’esprit. Après cet exorde, qui fut déclaré unique par sa simplicité et sa vérité, il commença l’histoire de ses aventures récentes.

D’abord faisant allusion à cet usage de Leaphigh qui prescrit le Voyage d’Épreuve, notre philosophe parla de la manière dont il avait été choisi pour accompagner lord Chatterino, dans une occasion si importante pour les espérances futures de ce jeune seigneur. Il rendit compte des préparatifs physiques, des études préalables et des moyens moraux, qu’il avait jugés nécessaires dans l’intérêt de son pupille avant son départ. Il y a lieu de croire que toutes ces mesures remplissaient leur objet, car il fut constamment interrompu par des murmures d’applaudissements. Après avoir passé quelque temps à s’étendre sur ces divers points, j’eus enfin la satisfaction de le voir partir, avec mistress Lynx et les deux jeunes gens confiés à leurs soins, pour un voyage qui, comme il le dit avec raison, « fut fécond en événements de la plus haute importance pour les connaissances en général, pour le bonheur de toute leur race, et particulièrement pour diverses branches très-intéressantes des sciences des Monikins. » Je dis « la satisfaction, » car, pour avouer la vérité, il me tardait de voir l’effet qu’il produirait sur la sensibilité des Monikins, quand il viendrait à parler du discernement que j’avais montré en distinguant leur véritable caractère dans la situation ignominieuse où je les avais trouvés, de la promptitude avec laquelle je les en avais tirés ; enfin de la libéralité et du courage dont j’avais fait preuve en leur fournissant les moyens de retourner dans leur pays, et en courant tant de dangers pour les y conduire moi-même. Ce triomphe, dont nous jouissions d’avance, ne put que répandre une satisfaction générale dans notre tribune. Même les simples matelots, se rappelant les dangers auxquels ils avaient été exposés, sentaient qu’ils avaient de justes droits à la récompense honorable qu’ils allaient recevoir. La narration du philosophe approchant de l’époque où il lui serait nécessaire de parler de nous, je jetai un coup d’œil de triomphe à lord Chatterino ; mais il ne produisit pas l’effet que j’en attendais. Le jeune pair continua à chuchoter avec quelques-uns de ses nobles compagnons, avec un air d’autant de sang-froid et d’importance que s’il n’eût pas été lui-même un de ceux que j’avais délivrés d’esclavage.

Le docteur Reasono était justement renommé parmi ses collègues pour son génie et son éloquence. L’excellente morale qu’il répandait dans toutes les parties possibles de son sujet, la beauté des figures qu’il employait, et la tendance mâle de ses arguments, enchantèrent tout son auditoire. Le Voyage d’Épreuve parut dans son récit ce que les sages qui avaient été les pères des institutions de Leaphigh avaient eu dessein qu’il fût, — un temps d’épreuve fertile en conseils et en instruction. Les individus âgés et expérimentés, que le temps avait rendus moins susceptibles d’émotions, ne pouvaient cacher leur plaisir ; ceux d’un âge mûr paraissaient graves, et plongés dans de sérieuses méditations ; les jeunes gens tremblaient, et pour cette fois doutaient presque. Mais comme le philosophe conduisait ses compagnons en sûreté d’une montagne sur une autre, qu’il savait escalader les rochers et éviter les précipices, un sentiment général de sécurité commença à se répandre dans l’auditoire, et pendant qu’il traversait les glaces, nous le suivîmes avec cette sorte de confiance aveugle que le soldat acquiert avec le temps en exécutant les ordres d’un général expérimenté et victorieux.

Le docteur traça un tableau animé de la manière dont ses compagnons et lui avaient supporté toutes les épreuves. L’aimable Chatterissa, — car elle était présente à cette séance ainsi que mistress Lynx, détourna la tête en rougissant, quand il dit que la flamme pure qui brûlait dans son cœur avait résisté à l’influence engourdissant de la contrée glaciale ; et lorsqu’il répéta la déclaration passionnée que lord Chatterino avait faite à sa maîtresse au centre d’un champ de glace, et la réponse pleine de tendresse qu’elle y fit, je crus que les applaudissements des académiciens feraient tomber sur nos têtes le dôme qui les couvrait.

Enfin, il arriva au point de son récit où les aimables voyageurs rencontrèrent un bâtiment faisant la pêche des veaux marins sur cette île inconnue, où le hasard et la fortune contraires les avaient malheureusement conduits. J’avais eu soin de donner des instructions secrètes à M. Poke et à mes autres compagnons sur la manière dont ils devaient se conduire quand le docteur informerait son auditoire du premier outrage que la cupidité des hommes avait commis en le réduisant en esclavage lui et ses amis. Nous devions alors nous lever en masse, détourner un peu le visage, et nous couvrir les yeux en signe de honte. Il m’avait semblé que nous ne pouvions faire moins sans manifester une indifférence peu convenable aux droits des Monikins ; et faire plus, c’eût été en quelque sorte nous identifier avec les individus de notre espèce qui s’étaient rendus coupables de ce crime. Mais nous n’eûmes pas besoin de donner à nos hôtes cette preuve de délicatesse. Le docteur, avec une adresse qui faisait véritablement honneur à la civilisation des Monikins, donna à toute cette affaire une tournure ingénieuse, qui affranchit l’espèce humaine de toute honte, et qui, si elle devait obliger quelqu’un à rougir, jetait par un acte de noble désintéressement tout le poids de cette obligation sur lui-même. Au lieu d’appuyer sur la manière indigne dont ses amis et lui avaient été privés de leur liberté, le digne docteur informa tranquillement son auditoire que le hasard l’ayant mis en contact avec une autre espèce d’êtres, et lui fournissant inopinément les moyens de faire d’importantes découvertes ; sachant que les savants désiraient depuis longtemps de voir de plus près la société humaine, et de s’en former une idée plus correcte ; croyant qu’il avait un pouvoir discrétionnaire sur ses compagnons, et n’ignorant pas que les habitants de Leaplow, république avec laquelle le royaume de Leaphigh n’avait pas des relations très-amicales, parlaient sérieusement d’envoyer une expédition précisément dans ce dessein, il avait promptement pris la résolution de chercher à se procurer toutes les informations qu’il pourrait obtenir, et de tout risquer pour la cause de la science et de la vérité en passant à bord de ce navire, et en faisant voile, sans crainte des conséquences, vers le centre même du monde de l’homme.

J’ai entendu avec une terreur religieuse le tonnerre gronder entre les tropiques ; — j’ai retenu mon haleine quand l’artillerie d’une flotte lançait ses foudres ; — j’ai été assourdi par le bruit terrible des cataractes du Canada ; — j’ai tremblé en entendant tomber la arbres d’une forêt, brisés ou déracinés par un ouragan ; — mais jamais je n’ai senti une émotion aussi forte, aussi vive, aussi profonde, que celle que j’éprouvai en entendant le tumulte des cris de joie et des applaudissements qui s’élevèrent de toutes parts quand le docteur eut annoncé l’esprit de dévouement avec lequel il disait qu’il avait conçu cette entreprise. Toutes les queues étaient en l’air, toutes les pattes se serraient avec extase, toutes les voix se faisaient entendre en même temps ; et ce fut un concert général de louanges et de félicitations à cette preuve de courage ; non d’un Monikin seulement, car ce n’eût été qu’un demi-triomphe, mais d’un Monikin de Leaphigh.

Je profitai de ces clameurs pour exprimer au capitaine Poke ma satisfaction de la manière adroite qu’avait prise notre ami le docteur pour couvrir d’un voile un outrage commis par des hommes, et l’esprit avec lequel il avait fait tourner cette aventure à la gloire de son pays. Noé me répondit que le philosophe avait sans doute montré qu’il connaissait la nature humaine, et sans doute aussi la nature monikine. Il croyait bien que personne ne contesterait ce qu’il venait de dire, car il savait par expérience qu’on n’accusait jamais de mensonge celui qui flattait la bonne opinion qu’avait de soi-même une communauté ou un individu. C’était la mode à Stonington, et il en était à peu près de même à New-York, et il pourrait dire sur toute la terre, d’un pôle à l’autre. Quant à lui, il avouerait qu’il voudrait avoir quelques minutes de conversation privée avec le maître du bâtiment en question, pour entendre le compte qu’il rendrait de cette affaire ; car il ne connaissait pas un armateur dans le monde qui trouverait bon qu’un capitaine abandonnât ses opérations de pêche pour se charger d’une troupe de singes, — et surtout de singes qui devaient lui être tout à fait étrangers.

Quand le tumulte des applaudissements se fut un peu calmé, le docteur Reasono reprit sa narration. Il passa légèrement sur la manière dont ses compagnons et lui étaient logés à bord de ce bâtiment ; donnant seulement à entendre qu’ils ne s’y trouvaient pas d’une manière convenable à leur rang ; mais qu’ayant rencontré contre un plus grand et meilleur vaisseau qui allait de Bombay en Grande-Bretagne, il avait profité de cette occasion pour changer de navire. Ce vaisseau avait touché à Sainte-Hélène, et le docteur, à ce qu’il nous dit, avait trouvé le moyen de passer près d’une semaine à terre.

Il rendit un compte scientifique, très-long et certainement fort intéressant, de cette île. — Les savants, parmi les hommes, dit-il, prétendaient qu’elle était de formation volcanique ; mais, en ayant examiné la géologie avec un peu d’attention, il s’était convaincu que ce qu’on trouvait dans les annales minéralogiques de Leaphigh était la vérité ; en d’autres termes, que ce rocher était un fragment du monde polaire, qui avait été enlevé lors de la grande éruption, et qui, s’étant séparé du reste de la masse en cet endroit, était tombé dans la mer, et y avait formé cette île. Ici, le docteur montra un échantillon de rocher qu’il soumit aux savants, les invitant à bien l’examiner, et leur demandant avec un ton de confiance s’il n’offrait pas les mêmes traits qu’un stratum bien connu d’une montagne située à deux lieues de l’endroit où ils étaient alors. Cette preuve triomphante de son assertion fut reçue avec de nouveaux applaudissements ; et le philosophe en fut particulièrement récompensé par les sourires des dames ; car en général elles aiment assez une démonstration qui leur épargne la peine de faire des comparaisons et des réflexions.

Avant de quitter cette branche de son sujet, le docteur fit observer que, quelque intéressantes que fussent ces preuves de l’authenticité de leur histoire, et des grandes révolutions de la nature inanimée, il y avait un autre objet se rattachant à Sainte-Hélène, qui ne pouvait manquer d’exciter une vive émotion dans le cœur de tous ceux à qui il s’adressait en ce moment. À l’époque de son arrivée dans cette île, elle servait de prison à un grand conquérant, perturbateur du repos de ses semblables : circonstance qui fixait l’attention publique sur cet endroit. Peu d’hommes y allaient sans avoir leurs pensées absorbées par les exploits passés et la fortune actuelle de l’individu en question. Quant à lui, il ne trouvait rien qui pût l’intéresser bien vivement dans des événements qui n’avaient rapport qu’à la grandeur humaine, l’histoire des petites querelles des hommes et des convulsions de leurs États incivilisés n’offrant rien qui pût attirer l’attention d’un philosophe monikin. Mais, comme tous les yeux étaient fixés dans une seule direction, il en était résulté qu’il avait eu une liberté d’action dont il s’était empressé de profiter ; et il se flattait humblement qu’on reconnaîtrait qu’il l’avait fait d’une manière qui n’était pas indigne d’approbation. Tandis qu’il cherchait des minéraux sur les rochers, son attention s’était fixée sur certains êtres appelés singes dans la langue du pays, mais que, d’après des affinités très-évidentes d’une nature physique, il y avait de bonnes raisons pour regarder comme pouvant avoir eu une origine commune avec les Monikins. L’académie verrait sur-le-champ combien il était à désirer d’obtenir tous les détails possibles sur les habitudes, la langue, les coutumes, les mariages, les obsèques, les opinions religieuses, les traditions, l’état des sciences, et la condition morale de ce peuple, dans la vue de s’assurer si ces affinités n’étaient qu’un de ces caprices auxquels on sait que la nature est sujette, ou si, comme quelques-uns de leurs meilleurs écrivains le soutenaient avec assez de vraisemblance, ils étaient les descendants d’une partie de ceux qu’ils avaient coutume de désigner sous le nom de « Monikins perdus. » Il avait réussi à obtenir son admission dans une famille de ces êtres ; il y avait passé un jour entier. Le résultat de ses recherches avait été qu’ils faisaient véritablement partie de la famille des Monikins ; qu’ils conservaient encore assez de génie et d’esprit pour démontrer leur origine ; mais que cependant leurs facultés intellectuelles étaient cruellement émoussées, et que peut-être même leurs moyens de perfectionnement avaient été anéantis par le choc de l’éruption qui les avait dispersés sur la surface de la terre sans leur laisser ni pays, ni demeure, ni espérance. Les vicissitudes du climat, une grande différence survenue dans leurs habitudes, avaient certainement produit en eux quelques changements physiques ; mais ils offraient encore des traits assez caractéristiques pour prouver aux yeux d’un savant leur identité comme Monikins. Leurs traditions conservaient même quelque idée de la catastrophe terrible qui les avait séparés de leurs semblables ; mais cette idée était vague, obscure et sans utilité. Ayant légèrement appuyé sur divers autres points relatifs à ces faits extraordinaires, le docteur finit par dire qu’il ne voyait qu’un moyen de tirer un avantage pratique de cette découverte, indépendamment de ce qu’elle confirmait la vérité de leurs annales. C’était d’envoyer une expédition dans cette île pour s’emparer d’un certain nombre de familles de ces êtres qui, étant transportés à Leaphigh, pourraient former une race de domestiques qui seraient plus faciles à manier que ceux qui possédaient toutes les connaissances des Monikins, et qui probablement se trouveraient plus intelligents et plus utiles que tous les animaux domestiques dont on se servait à présent. Cette heureuse proposition obtint une approbation décidée, et je remarquai que les vieilles Monikines approchaient leurs têtes les unes des autres, et semblaient se féliciter de la perspective d’être bientôt soulagées d’une bonne partie de leurs soins domestiques.

Le docteur Reasono parla ensuite de son départ de Sainte-Hélène, et de son débarquement en Portugal. Là, suivant son récit, il loua certains Savoyards pour lui servir des courriers et de guides pendant le voyage qu’il avait dessein de faire en Portugal, en Espagne, en Suisse, en France, etc. Je l’écoutai avec admiration. Jamais je n’avais si bien senti l’immense différence que peut produire dans notre manière d’envisager une chose ou un sujet, une philosophie aussi active que celle qui animait le discours de l’orateur. Au lieu de se plaindre du traitement qu’il avait essuyé, et de la dégradation à laquelle il avait été soumis ainsi que ses compagnons, il en parla comme si c’était la conséquence d’une soumission prudente aux coutumes du pays où il se trouvait, et un moyen de se procurer la connaissance de mille faits importants au moral et au physique dont il se proposait de rendre compte à l’académie dans une autre séance. En ce moment, la cloche avertissait qu’il était temps de conclure et qu’il devait abréger son récit autant que possible.

Le docteur, avec beaucoup de franchise, avoua qu’il aurait volontiers passé un an ou deux de plus dans ces parties éloignées et intéressantes de la terre ; mais il ne pouvait oublier qu’il avait des devoirs à remplir envers deux nobles familles. Le Voyage d’Épreuve avait en lieu sous les auspices les plus favorables, et les dames désiraient naturellement de retourner dans leur pays. Ils avaient donc passé en Grande-Bretagne, pays remarquable par ses entreprises maritimes, et il y avait fait sur-le-champ les préparatifs nécessaires pour mettre à la voile. Il s’était procuré un navire, sous la condition qu’il pourrait emporter une cargaison des productions de Leaphigh sans payer aucun droit de douane. Mille demandes lui avaient été adressées pour obtenir la permission de l’accompagner ; car il était tout simple que les naturels désirassent voir un pays civilisé. Mais la prudence lui avait fait une loi de ne prendre pour compagnons que ceux dont les services pouvaient être utiles. Le roi de la Grande-Bretagne, prince très-haut placé dans l’estime des hommes, avait confié à ses soins son fils unique, son héritier présomptif, pour qu’il se formât en voyageant ; et le lord grand-amiral lui-même avait sollicité le commandement d’une expédition qui était d’une si grande importance pour les connaissances en général, et pour sa profession en particulier.

Alors le docteur Reasono monta dans notre tribune, et présenta Bob à l’académie comme prince royal de la Grande-Bretagne, et le capitaine Poke comme lord grand-amiral de ce royaume. Il fit remarquer la crasse qui s’était incorporée avec la peau du premier, et quelques autres particularités de conformation, comme autant de marques de naissance royale ; et, ordonnant au jeune drôle de se déshabiller, il déploya à tous les yeux le vieux pavillon qu’il portait ordinairement en guise de plastron sur la partie postérieure de son corps, et dit que c’étaient ses armoiries. Quant au capitaine Poke, il invita les académiciens à étudier son air nautique en général, comme offrant une preuve suffisante de sa profession, et un échantillon de l’extérieur ordinaire des marins humains.

Se tournant enfin vers moi, il me présenta comme le gouverneur du jeune prince, et comme un homme fort respectable dans sa condition. Il ajouta qu’il croyait aussi que j’avais quelque idée d’avoir découvert quelque chose qu’on appelait le système de l’équilibre social ; découverte qui était sans doute honorable pour un homme qui avait eu si peu de moyens pour la faire.

Par suite de cette prompte distribution d’emplois, je vis que j’avais, par le fait, changé de place avec le mousse de cabane ; et qu’au lieu d’être servi par lui, ce serait moi désormais qui devrais le servir. Les deux enseignes furent présentés comme des apprentis contre-amiraux, et tous les gens de l’équipage comme autant de capitaines de marine. Enfin il donna à entendre qu’il nous avait amenés à Leaphigh comme autant d’échantillons de l’espèce humaine, nous traitant à cet égard comme son fragment de rocher de Sainte-Hélène.

Je ne nierai pas que le docteur Reasono ne se fût considéré et ne m’eût envisagé moi-même sous un point de vue tout différent du mien. Cependant, en y réfléchissant bien, il nous est si ordinaire de nous regarder sous un jour tout opposé à celui sous lequel nous paraissons aux autres, que je ne pouvais, à tout prendre, me plaindre de son discours autant qu’il m’avait d’abord paru qu’il pouvait me convenir de le faire. Dans tous les cas, il m’avait épargné la nécessité de rougir de ma générosité et de mon désintéressement, et il m’avait évité le désagrément de sentir que ma conduite attirait l’attention par la singularité de son mérite. Je dois pourtant avouer que j’éprouvai beaucoup de surprise et un peu d’indignation ; mais la tournure inattendue qui avait été donnée à toute l’affaire me déconcerta tellement que, se fût-il agi de ma vie, je n’aurais pu dire un mot en ma faveur. Pour comble de dépit, ce singe de Chatterino me faisait des signes d’un air de protection, comme pour montrer aux spectateurs qu’au total j’étais une bonne pâte d’homme.

Le discours terminé, les auditeurs s’approchèrent pour nous examiner, prenant d’aimables libertés avec nos personnes, et prouvant de toutes les manières possibles qu’ils nous regardaient comme des curiosités qui méritaient d’être étudiées. Le cousin du roi lui-même ne nous négligea pas, car il fit annoncer en pleine assemblée que nous étions les bien-venus à Leaphigh, et que, par respect pour le docteur Reasono, nous étions élevés à la dignité de « Monikins honoraires » pour tout le temps de notre séjour dans cette île. Il fit aussi proclamer que si quelques enfants nous importunaient dans les rues, ils auraient la queue battue de verges. Quant au docteur, il fut élevé au plus haut degré qu’un savant de Leaphigh pût atteindre.

Enfin la curiosité se calma, et il nous fut permis de descendre de la tribune, la compagnie cessant de songer à nous pour s’occuper les uns des autres. Ayant alors le temps de rentrer en moi-même, je ne perdis pas un instant pour tirer à part les deux enseignes, et je leur proposai de nous rendre en corps devant un notaire pour faire une protestation contre les erreurs inconcevables dans lesquelles le docteur Reasono s’était permis de tomber ; erreurs qui violaient la vérité, qui étaient contraires aux droits individuels, qui déshonoraient l’humanité ; et qui égaraient les philosophes de Leaphigh. Je ne puis dire que mes arguments furent bien accueillis, et je fus obligé de quitter lies deux contre-amiraux pour aller chercher l’équipage, avec la conviction que les deux enseignes s’étaient laissé gagner. Je croyais qu’un appel au caractère franc, loyal et insouciant des matelots ne pouvait manquer d’obtenir plus de succès, mais j’étais destiné à subir un nouveau désappointement de ce côté. Ils jurèrent que Leaphigh était un excellent pays, et qu’ils comptaient bien que leur paie et leur ration seraient proportionnées à leur nouveau grade. Se croyant déjà en possession des douceurs du commandement, ils n’étaient pas disposés à chercher querelle à la fortune, ni à quitter le pot d’argent pour le pot au goudron.

Quittant ces coquins dont la tête semblait réellement tournée par leur élévation imprévue, je me mis à la poursuite de Bob pour le forcer, à l’aide des arguments ordinaires du capitaine Poke, à reprendre son service auprès de moi. Je trouvai le jeune drôle au milieu d’un essaim des Monikins de tout âge qui lui prodiguaient leurs attentions, et faisaient tout ce qui leur était possible pour extirper en lui tout sentiment d’humilité et toute bonne qualité, s’il en avait. Il m’offrait certainement une bonne occasion pour commencer l’attaque, car il portait sur ses épaules, en guise de manteau royal, le lambeau de drapeau qui servait communément de doublure à ses culottes, et une foule de Monikines de rang inférieur se disputaient à qui en baiserait les pans. L’air de dignité avec lequel il recevait leurs adulations m’imposa presque ; et, craignant que toutes les Monikines ne tombassent sur moi si j’essayais de les détromper, — car les Monikines, de quelque race qu’elles soient, aiment toujours à se repaître d’illusions, — j’abandonnai pour le moment mes intentions hostiles, et je me mis à chercher le capitaine Poke, ne doutant pas qu’il ne me fût aisé d’amener un homme dont l’esprit était naturellement droit, à envisager les choses sous leur véritable point de vue.

Le capitaine écouta mes remontrances avec l’attention convenable ; il parut même entrer dans mes sentiments. Il convint franchement que le docteur Reasono ne m’avait pas bien traité, et il sembla croire qu’une conversation particulière avec lui pourrait le déterminer à présenter les faits sous un jour plus raisonnable. Mais il se déclara fortement contre tout appel soudain à l’opinion publique et à la justice, et contre une protestation devant un notaire. Voici à peu près quelles furent ses observations sur ce sujet.

Il ne savait pas, dit-il, quelle était la loi sur les protestations à Leaphigh, et il pourrait se faire que nous eussions à payer de gros honoraires et à dépenser beaucoup d’argent sans en retirer aucun profit. D’ailleurs le docteur était un philosophe, un individu en grand crédit, et qui venait d’être élevé au plus haut grade dans l’académie. Ce serait donc un adversaire redoutable en tout pays, et surtout en pays étranger. Il avait une répugnance naturelle pour les procès. La perte de mon rang était sans doute un désagrément, mais il était possible de le supporter. Quant à lui, il n’avait jamais sollicité la place de grand-amiral de la Grande-Bretagne ; mais comme elle lui avait été jetée à la tête, il ferait de son mieux pour en soutenir la dignité. Il savait que ses amis de Stonington seraient charmés d’apprendre sa promotion ; car, quoi qu’il n’y eût dans son pays ni lords ni même amiraux, les Américains étaient toujours enchantés quand un de leurs compatriotes était élevé à ce grade par d’autres que par eux, semblant croire qu’un honneur accordé à l’un d’eux rejaillissait sur toute la nation. Or il aimait à faire honneur à sa nation, parce que nul peuple sur la terre ne savait en faire si bon usage que ses concitoyens ; car chacun d’eux en prenait sa part en ayant pourtant soin d’en laisser quelque chose dans les premières mains. Il était donc disposé à en conserver autant qu’il le pourrait. Il croyait être aussi bon marin que la plupart des lords grands amiraux qui l’avaient précédé ; et il n’avait aucune crainte à cet égard. Il voudrait savoir si sa promotion ferait de miss Poke une lady grande-amirale. Comme je paraissais très-mécontent d’avoir perdu mon rang, il me nommerait son chapelain ; — car il ne me croyait pas propre à être un officier de marine ; — et j’avais sûrement assez de crédit à la cour pour faire confirmer ma nomination. Un grand homme d’état de son pays avait dit que très peu d’hommes mouraient en place, mais qu’aucun ne donnait sa démission, et il n’aimait pas à introduire une nouvelle mode. Quant à lui, il regardait le docteur Reasono comme son ami, et il était désagréable d’avoir une querelle avec un ami. Il était disposé à faire tout ce qui était raisonnable, mais non à donner sa démission. Si je pouvais persuader au docteur de dire qu’il avait fait une méprise à mon égard, et que j’avais été envoyé à Leaphigh comme lord grand-ambassadeur, lord grand-prêtre, lord grand tout ce que je voudrais, excepté lord grand-amiral, il était prêt à le certifier avec serment. Cependant il devait m’avertir qu’en ce cas il réclamerait la préséance sur moi, attendu la date de sa commission S’il renonçait à sa place une minute plus tôt qu’il ne serait absolument nécessaire, il manquerait au respect qu’il se devait à lui-même, et n’oserait plus regarder miss Poke en face. Au total il ne pouvait faire une pareille chose. Il finit par me souhaiter le bonjour, en me disant qu’il allait rendre visite à son confrère le lord grand-amiral de Leaphigh.