Les Muses françaises/Hélène Vacaresco

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Les Muses françaises : anthologie des femmes-poètesLouis-MichaudII (XXe Siècle) (p. 310-322).




HÉLENE VACARESCO




Mlle Hélène Vacaresco est née à Bucarest le 3 octobre 1867. Elle appartient à l’une des plus anciennes et illustres familles de Roumanie. Tout enfant, elle vint à Paris, où elle fut présentée à Sully-Prudhomme qui la dirigea vers la poésie, pour laquelle elle avait toujours eu beaucoup de goût. — Le nombre de femmes poètes qui sollicitèrent les conseils et i’appui de Sully-Prudhomme, est véritablement incroyable ! — Mlle Vacaresco connut aussi Leconte de Lisle. Elle était encore toute jeune lorsqu’elle fit paraître son premier volume ; l’Académie française la couronna. Son talent, sa naissance, sa grâce lui valurent d’être distinguée par Elisabeth de Roumanie. Cette reine qui tient certaineuient moins à sa couronne qu’au nom de Carmen Sylva qu’elle s’est créé dans les lettres, s’attacha la jeune fille en qualité de demoiselle d’honneur. Bientôt une véritable et profonde amitié s’établissait entre elles. Et, comme le dit un critique, « tout souriait à Mlle Vacaresco : son talent reconnu, l’amitié d’une reine, la perspective d’une couronne. » La grandeur a ceci de pénible que les secrets, joies et douleurs de la vie, échappent à l’intimité ; un jour, la « raison d’Etat » vint brusquement séparer ce que tout semblait devoir unir... Sa vie était brisée ; trop fière pour se prêter à aucun compromis, elle enterra du même coup ses rêves de gloire et son amour.

« C’est ce pur roman qu’elle nous chante ; à peine ébauché dans les Chants d’Aurore, tristement dénoué dans Ame sereine, s’élevant peu à peu de l’amour humain à l’amour universel dans Lueurs et flammes : trois phases de son histoire, trois tournants de sa vie… » Bien que ce ne soit pas le lieu ici d’entreprendre un rapprochement critique qui pourrait excéder les proportions restreintes d’une notice, il me semble impossible de ne pas signaler, en quelques mots, le lien d’évidente parenté qui unit les talents de Mlle Hélène Vacaresco et de Mme de Noailles. Encore une fois, ce n’est qu’un lien, mais, pour moi, il est des plus apparents. On le suit au milieu des qualités comme au milieu des défaut des deux poétesses. Faut-il en chercher la cause dans leur commune origine ? Peut-être. — On sait, en effet, que Mme de Noailles est Roumaine par son père !…

J’ai dit ailleurs l’harmonie et le charme extraordinaires des poésies de Mme de Noailles, eh bien ! cette harmonie, cette musicalité délicieuse, ce charme infini, nous les trouvons chez Mlle Vacaresco. Nous trouvons aussi cetre facilité surprenante d’évocation, cette surabondance d’images qui nous frappe dans les livres de la comtesse de Noailles. Ici et là, c’est le même délire de sensations, la même sensibilité, la même volupté et HÉLÈNE VACARESCO 311

jusqu’à ce même flou des mots... C’est aussi le même panthéisme exaspéré qui permet à l’une et à l’autre de s’extérioriser, de se confondre avec la nature, d’animer les choses, de donner corps à leurs sentiments, à leurs émotions, à leurs désirs.

       Je sens flotter sur moi mes désirs haletants, 

dit Mme de Noailles, et Mlle Vacaresco .

       O ma douceur, deviens-tu donc une âme ! {1) 

Il n’est pas jusqu’à cette saveur musettiste qu’on a signalée chez l’auteur des Eblouissements, que je ne rencontre chez Mlle Hélène Vaca- resco. Il va de soi que Mlle Vacaresco, pas plus que Mme de Noailles n’imitent Alfred de Musset — pour cette raison d’ailleurs préremptoire qu’il est impossible de l’imiter ! Mais chez l’une comme chez l’autre — si on ne trouve ni l’esprit, ni le fond, ni même tout à fait le tour de Musset — on trouve du moins une facilité sentimentale, charmante et désinvolte, qui rappelle quelque peu la grâce légère et émue de Fortunio.

  Lisez plutôt : 

Il passa ! J’aurais dû sans doute Ne point paraître en son chemin ; Mais ma maison est sur sa route. Et j’avais des fleurs dans la main.

Il parla : j’aurais dû peut-être Ne point m’enivrer de sa voix. Mais l’aube emplissait ma fenêtre. Il faisait avril dans les bois.

Il m’aima : j’aurais dû sans doute N’avoir pas l’amour aussi prompt ; Mais, hélas ! quand le cœur écoute. C’est toujours le cœur qui répond.

Il partit : je devais peut-être Ne plus l’attendre et le vouloir ; Mais demain l’avril va paraître. Et, sans lui, le ciel sera noir.


Est-ce que cette jolie piécette de Mlle Vacaresco ne fait pas songer à la pièce cruelle de Musset Sur une morte ?

On pourrait encore relever chez Mlle Vacaresco ce même pen-

(1) Mais cette personnalisation des sentiments est poussée beaucoup plus loin par Mlle Vacaresco... Chez elle c’est un procédé constant: elle donne forme humaine à sa douleur, au soir, au vent, — l’amour, la haine, le courage, le coeur, l’épée... sont des êtres vivants. Et je me demande s’il ne faut pas voir là comme une survivance des croyances mythologiques, comme un besoin héréditaire de prêter aux passions et aux choses la forme et la conscience humaine! 612 • LES MUSES FRANÇAISES

chant à la littérature qui conduit Mme de Noailles — et elle-même — à évoquer des pays féeriques et à décrire avec une semblable fausse réalité un paysage de France ou d’Italie. Mais ce sont là comparaisons qu’il est temps de cesser. Au surplus, cette parité s’arrête à la surface, et le talent de Mlle Hélène Vacaresco, sa personnalité — ont une véritable et très forte originalité.

Une des caractéristiques du talent de Mlle Vacaresco, est l’aisance surprenante avec laquelle, — après avoir dit, à mots doux, pleins d’une troublante suavité, d’exquises tendresses, — il lui est permis d’évoquer puissamment les gestes héroïques et farouches des vieilles races rou- maines, violentes, guerrières et à demi barbares. Tant de vigueur succé- dant à tant de grâce surprend, cependant qu’élargissant le champ d’inspiration du poète, elle lui crée une personnalité robuste et variée. Ainsi Mlle Vacaresco connaît et nous fait connaître dans son œuvre :

La volupté du verbe amoureux ou guerrier.

Avec un même bonheur, elle écrira des vers langoureusement ber- ceurs comme celui-ci :

Cette nuit, les fasmins sont amoureux et ivres.

Ou vibrants comme ces deux autres :

Quand je ne serai plus moi-même un feu vivant. Je voudrais devenir de la flamme et du vent.

C’est bien cela, Mlle Vacaresco est un « feu vivant ». Dans ses vers d’amour même, dans ses vers les plus mélancoliques, les plus doulou- reux, les plus doux, on sent déborder l’extraordinaire bouillonnement de sa vie. Qu’elle aime, qu’elle souffre ou que le bonheur gonfle son cœur, le « feu » qui brûle son sang d’orientale ne cesse pas de « vivre » un seul instant. Pas de mièvrerie dans son art, souvent très raffiné d’ailleurs, et quelquefois même entaché de mots outranciers et de néo- logismes de mauvais goût, pas de pâmoisons maladives, d’ivresses morbides. Elle ignore le dilettantisme de la névrose. Ses poèmes les phus désespérés- sont pleins de désirs mal contenus, pleins de cris mal étouffés, pleins de frémissements, pleins d’emportements. Elle est abattue, brisée, elle pleure : elle n’est jamais vaincue. La vie roule trop tumul- tueuse en elle pour cela. Mlle Hélène Vacaresco, — c’est une force réflé- chie et musicale.

BIIBLIOGRAPHIE. — Les Chants d’aurore, ouvrage couronné par l’Académie française, A. Lemerre, Paris, 1886, in-18. — L’Ame sereine, A. Lemerre, Paris. 1896, in-18. — Jéhovah, traduction d’un poème de Carmen Sylva. — Le Rhapsode de la Dambovitsd, recueil de ballades roumaines, traduites en frarçais, ouvrage couronné par l’Académie française, A Lemerre, Paris, 1900, in-18. — Lueurs et flammes, Plon-Nourrit et Cie, Paris, 1903. in-18. — Le Jardin passionné, Plon-Nourrit. Paris, 1908, ln-18. — Prose : Rois et reines que j’ai connus, Sansot et Cie, Paris.

CONSULTER. — M. BARRACAND, Revue Bleue, 1896. — M. BERTHET, Cronache della civilta Elleno-Latina (Rome), août-novembre 1906. — E. ARNAL, La Revue Française, Politique et Littéraire. Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/319 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/320 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/321 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/322 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/323 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/324 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/325 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/326 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/327 Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/328