Les Mystères de Londres/3/08

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Au Comptoir des imprimeurs unis (6p. 225-258).


VIII


LA SAIGNÉE.


L’homme qui avait surpris le docteur Moore en flagrant délit d’espionnage, l’homme qui l’avait surpris au moment où, désertant le chevet d’un malade confié, — d’un mourant ! — il se livrait à une sorte de visite domiciliaire, inexcusable par tout pays, mais inexcusable surtout dans les mœurs anglaises, où chaque maison habitée est un sanctuaire que la loi elle-même n’a pas le droit de violer, cet homme n’était ni le cavalier Angelo Bembo ni aucun des serviteurs du marquis.

C’était le dernier homme dont le docteur pût raisonnablement redouter la surveillance.

C’était le malade confié lui-même, — le mourant, — Rio-Santo en personne.

Le docteur Moore était trop véritablement un maître dans la science médicale, et méritait trop bien la première place que l’opinion publique lui décernait parmi les praticiens de Royal-College pour n’avoir point regardé comme possible, comme certain même le retour à la vie du marquis de Rio-Santo, à condition qu’on l’entourât à temps des soins convenables.

Mais ce qui le frappait de stupeur, c’était cette résurrection soudaine, spontanée, accomplie sans aide et sans secours.

Évidemment, dans son examen fait à la légère de l’état du marquis, il s’était trompé. Lui, si habile, si prudent d’ordinaire, il avait agi, dans une circonstance où sa propre vie était en jeu, avec l’étourderie d’un enfant. Ce qu’il avait pris pour un évanouissement produit par la strangulation presque parfaite, n’était que cette paralysie passagère qui prend souvent en pleine santé les gens qui font abus de leurs facultés cérébrales, paralysie dont l’aspect effraie, et qui, souvent répétée, mène à l’idiotisme ou à la mort, mais dont les premières atteintes sont aisées à combattre à l’aide des notions de la clinique la plus élémentaire.

Le marquis avait été sous le coup d’une congestion cérébrale ; il y était encore.

Mais cette immobilité, cette mort de tout à l’heure, était un phénomène nerveux, compliqué sans doute d’accidents sanguins, dont la description précise et technique ne pourrait qu’effrayer ou ennuyer nos belles lectrices. — Tout écrivain se berce de la consolante idée qu’il est journellement dévoré par une très grande quantité de belles lectrices. — Cette mort n’était qu’apparente : c’était une léthargie.

Le docteur mesura sa situation d’un coup d’œil et il s’humilia.

Il était sous la main de Rio-Santo, non seulement à cause de l’espionnage flagrant où le surprenait ce dernier, non seulement à cause de l’abandon déloyal où il l’avait laissé, mourant, mais parce que chacune des paroles qui s’étaient échappées de sa bouche, à lui, docteur Moore, avait été entendue par le marquis.

Il le savait et n’essayait même point d’espérer le contraire ; la léthargie et ses variétés laissent le complet exercice des sens et de la réflexion.

Mais, tandis qu’il s’humiliait ainsi, une résolution extrême surgissait parmi le trouble de ses pensées. Rio-Santo était devant lui et portait sur son visage les symptômes manifestes de cette désorganisation partielle du cerveau dont les effets sont si divers.

Moore venait de deviner qu’il était muet.

Sa langue demeurait paralysée après le retour à la vie de toutes les autres parties de son corps. Il pensait lucidement ; son intelligence était en parfait état, mais les muscles sa langue étaient momentanément frappés de mort.

Cet accident est de ceux qui se présentent tous les jours. Moore, dans sa longue pratique de la médecine, en avait rencontré d’innombrables exemples. — Il était sûr de son fait.

Or, Rio-Santo, privé momentanément de la parole et affaibli par le rude assaut dont il gardait les marques, était tout aussi bien au pouvoir du docteur que Rio-Santo, étendu sur l’ottomane.

Moore eut l’idée de le tuer.

Rio-Santo se tenait debout devant lui, l’œil fixe, le cou raide, et présentant plutôt l’aspect d’un fantôme que celui d’un homme. — La résistance qu’il opposerait serait sans doute bien faible et facile à surmonter. Quant aux obstacles du dehors, rien à craindre ! Rio-Santo ne pouvait appeler.

Celui-ci, comme s’il eût voulu confirmer les pronostics du docteur, releva la manche de sa robe de chambre, et, d’un geste significatif, montra la veine gonflée de son avant-bras.

— Vous voulez que je vous saigne, milord ? demanda Moore.

Rio-Santo fit, avec énergie, un signe affirmatif.

Le docteur hésita. Quelque chose de sa résolution parut sans doute sur son visage, car Rio-Santo jeta instinctivement un regard vers le lit, comme pour voir s’il n’avait point de secours à espérer de ce côté.

La faiblesse du corps abat la force de l’âme. — Heureusement pour le marquis, Moore ne surprit point ce regard de détresse. Ce regard eût mis fin à ses doutes.

Mais Rio-Santo, si bas que fussent ses forces physiques, ne pouvait long-temps demeurer faible en face d’un danger. Il y avait en lui un trésor de sang-froid et de courage que tant d’épreuves successives n’avaient point épuisé. Il se redressa vite et haut, bien qu’il eût la conscience parfaite de l’impuissance actuelle de sa nature physique.

Tandis que Moore hésitait encore, il se sentit serrer de nouveau le bras. Cette pression fut lente et persistante. — C’était quelque chose comme un ordre donné d’une voix ferme, mais sans colère.

Moore tira sa trousse et l’ouvrit.

Certes, on ne peut se rejeter ici sur le pouvoir fascinateur de la physionomie du marquis, car, en ce moment, sa physionomie immobile exprimait une complète insensibilité. Ses muscles raidis étaient au repos. Ses yeux ternes et marbrés de veines violettes sortaient, grossis et comme étonnés, de leurs orbites gonflées. Sa bouche, convulsivement crispée, refusait de s’ouvrir ; tous ses traits, en un mot, avaient cette apparence stupide qu’amène après soi l’imminence de l’apoplexie.

Mais la volonté est aussi une puissance qui fascine et qui n’a besoin que de se manifester de manière ou d’autre, — lorsqu’elle est supérieure et forte, — pour dompter une résistance chancelante.

Et puis, n’y a-t-il pas l’habitude du respect et de l’obéissance qui peut balancer un mauvais vouloir de révolte ?

Le souvenir de la fière audace, brillant d’ordinaire sur le beau visage du marquis, vint s’interposer sans doute entre l’œil de Moore et ce masque inerte qui était devant lui maintenant. Il vit par la pensée ce regard flamboyer comme d’habitude, et menacer, et commander.

Il obéit.

Et, une fois le premier pas fait dans cette voie de soumission forcée, Moore redevint vassal. Il oublia toute pensée de révolte ; il s’effraya d’en avoir pu concevoir.

Au moment où il approchait la lancette du bras de Rio-Santo, celui-ci lui arrêta la main et prit l’instrument qu’il approcha de ses yeux. — Ses yeux étaient troublés par le sang qui emplissait ses prunelles ; il ne put voir ce qu’il voulait. Mais le docteur comprit, bien que le visage pétrifié du marquis ne pût servir de commentaire à son geste ; il comprit et trembla, car ce geste lui disait plus clairement que tout le reste que Rio-Santo n’avait rien perdu de sa pantomime, alors qu’il avait essuyé cette même lancette sur son habit, dont le drap s’était instantanément rougi.

Il releva, lui aussi, sa manche sans mot dire et se piqua légèrement le bras.

Rio-Santo fit un signe d’approbation. — L’instant d’après, de sa veine ouverte s’élança un vigoureux jet de sang.

— Assez ! dit Rio-Santo au bout de quelques secondes.

Le docteur tressaillit violemment au son de cette voix. Il releva son regard attaché sur la saignée avec une véritable terreur. Rio-Santo parlait. Rio-Santo était de nouveau l’homme redoutable devant qui tout pliait.

Moore venait de briser lui-même la chaîne qui garrottait la parole de cet homme, dont naguère il regardait l’impuissance en dédain. Il venait de lui rendre la faculté de commander, le pouvoir de punir.

Habile à réprimer ses impressions, il sut cacher sa crainte sous le voile du calme austère et impassible dont il couvrait d’ordinaire sa physionomie, mais il baissa involontairement les yeux devant Rio-Santo, dont le hautain regard avait repris vie, et dont le pâle visage recouvrait graduellement son expression accoutumée.

Cette transformation, dont on pouvait suivre les phases, ce changement à vue, eût ravi de joie une mère ou une amante, mais il devait faire naître dans l’âme ennemie du docteur Moore une terrible arrière-pensée.

Car ce cadavre, qui se redressait, était celui d’un maître, et d’un maître trahi.

Le sang coulait toujours. — Moore, absorbé par l’attention qu’il donnait au visage du marquis, dont chaque muscle reprenait tour-à-tour son expressive mobilité, ne songeait plus à la saignée.

— Assez ! monsieur, répéta Rio-Santo qui fronça le sourcil et porta la main à son cœur défaillant : — Voulez-vous donc encore m’assassiner ?

Moore ferma la saignée et croisa ses bras sur sa poitrine. — Il attendait son arrêt.

— Avancez-moi un fauteuil, dit Rio-Santo.

Moore se hâta d’obéir. Le marquis tomba pesamment sur le coussin et mit sa main sur ses yeux qui, affaiblis par les veilles, la crise et le sang perdu, se blessaient à l’éclat du grand jour.

Il demeura ainsi pendant trois ou quatre minutes.

Au bout de ce temps, il redressa la tête. Son front pâle avait décidément recouvré toute sa fière sérénité.

— Monsieur le docteur, dit-il sans affectation aucune, je vous remercie d’avoir violé le secret de cette retraite… Grâce à vous, je sais maintenant que ce pauvre malade n’est plus en danger de mort.

Il montrait Angus, endormi sur le lit. Moore s’inclina automatiquement.

— Je pense que je ne me trompe point, ajouta Rio-Santo. Vous avez dit que son état est désormais sans péril ?

— Je l’ai dit, milord.

— Monsieur le docteur, reprit le marquis, je vous remercie d’avoir mis à nu devant moi le fond de votre âme, tandis que je gisais là-bas, mourant…

— Votre Seigneurie entendait ?…

— Parfaitement, monsieur… Vous êtes jaloux de moi… vous voulez mon secret…

— Ah ! milord !.. voulut interrompre Moore, dont la voix prit des notes suppliantes.

— Ne priez pas, monsieur, interrompit Rio-Santo qui s’épuisait en parlant, mais dont le calme vainqueur contrastait grandement avec sa faiblesse. — Ne priez pas ; c’est inutile. Je ne vous veux point de mal… Seulement, votre jalousie est insensée, et mon secret est de ceux qu’on ne devine pas… Il est comme ces pages écrites en langues inconnues que vous avez trouvées dans mon cabinet et que vous avez essayé en vain de déchiffrer ; on aurait beau le tenir entre ses mains, il faudrait encore une clé pour le comprendre, — et cette clé, monsieur, Dieu, qui seul la donne, ne l’a point mise en vous.

Il y avait dans ces dernières paroles un mépris froid, absolu, sans bornes. L’orgueil de Moore se révolta sourdement au dedans de lui.

— Monsieur le docteur, reprit encore Rio-Santo, parlant toujours de cette voix lente et fatiguée qui donnerait de la froideur à une louange, mais qui ajoute à l’expression du dédain, — je vous remercie enfin, et surtout, de ne m’avoir pas assassiné.

Moore recula de deux pas. Ce mot le sangla comme un coup de fouet au cœur. Il se crut perdu sans ressources.

Mais Rio-Santo continua :

— La mort m’eût été cruelle… bien cruelle ! Encore une fois, je ne vous veux point de mal… Mettez ce coussin sous mes pieds, monsieur le docteur.

Moore prit le coussin et le plaça sous les pieds du marquis.

— Excusez-moi, monsieur le docteur, poursuivit ce dernier, si j’abuse ainsi de votre complaisance… Allez ouvrir la porte extérieure de mon cabinet et dites à Ange… Vous avez parlé bien durement à ce pauvre enfant tout à l’heure, monsieur !.. Dites-lui que vous m’ayez sauvé la vie… Il vous pardonnera votre insolence. — Dites aussi à mes gens… Quelle heure est-il, monsieur le docteur ?

— Il est dix heures, milord.

— Dix heures, répéta Rio-Santo ; — le temps est précieux, mais la fatigue m’accable et il me faut au moins une demi-journée de repos… Dites à mes gens, monsieur, d’atteler pour quatre heures… Le cavalier Angelo Bembo m’accompagnera.

Le docteur demeura sans s’ébranler pendant une demi-minute, comme s’il eût attendu de nouveaux ordres, puis il se dirigea vers la porte.

— Quand vous aurez fait cela, monsieur le docteur, reprit Rio-Santo au moment où il s’éloignait, — vous reviendrez… J’ai quelques questions à vous faire.

Moore rentra dans le cabinet, qu’il traversa pour aller ouvrir la porte extérieure. En passant devant l’ottomane où il avait tenu Rio-Santo tout à l’heure, vaincu par le hasard, et si près de la mort qu’il était à peine besoin de le pousser pour l’y faire choir, le docteur haussa les épaules avec colère contre soi-même.

L’occasion était perdue.

Mais la haine de Moore, soudainement accrue par le fait même de sa trahison éventée, se promit revanche.

On dit que l’occasion ne vient pas deux fois. Ceci est bien vrai, mais importe peu aux gens habiles, parce que l’occasion qui ne vient pas, on peut la faire naître…

Moore ouvrit la porte extérieure du cabinet.

— Eh bien, monsieur, eh bien ? s’écria le cavalier Bembo.

— La vie de monsieur le marquis est hors de danger, signore, dit Moore qui saisit Lovely par le collier, pour l’empêcher de faire irruption dans l’appartement.

— Hors de danger ! répéta Bembo avec un communicatif élan de joie. — Je vous avais mal jugé, monsieur le docteur ; vous êtes un savant homme et un digne ami !… Je vous prie d’accepter mes excuses et de me croire tout à vous.

Le docteur s’inclina froidement et toucha la main que Bembo lui tendait.

— Signore, prononça-t-il tout bas et avec une expression équivoque, je n’ai pas fait tout ce que j’aurais voulu…

— Et ne puis-je voir don José ? demanda Bembo.

— Pas à présent… Sa Seigneurie vous charge de faire atteler pour quatre heures et compte sur vous pour l’accompagner.

Bembo sauta de joie.

— Sortir ! sortir déjà ! s’écria-t-il ; mais c’est une résurrection ! Ah ! docteur, vous êtes un homme habile !

— Je l’ai pensé long-temps, répondit Moore en secouant la tête ; — mais croyez-moi, signore, le hasard est pour beaucoup dans les choses de ce monde…

Il salua et referma la porte.

Angelo se dit peut-être que le docteur était devenu bien modeste ; mais la joie l’affolait ; il se prit à courir vers les mews (écuries et remises), suivi de Lovely, qui comprenait sans doute, puisque lui aussi, oublieux de sa récente tristesse, gambadait et remplissait les galeries de ses aboiements joyeux.

Moore, cependant, était revenu dans la chambre du laird.

Le bruit de ses pas réveilla Rio-Santo, qui commençait à s’assoupir dans son fauteuil.

— Voilà six jours que je n’ai rien fait, dit-il, rien vu, rien entendu… S’est-il passé quelque chose parmi vous, monsieur le docteur ?

— On s’est étonné de votre longue absence, milord, mais vos fidèles n’ont pas eu de peine à faire taire les mécontents… Milord, je ne sais ce que vous pensez de moi, mais je vous le dis du fond du cœur : — Bien fous sont ceux qui essaient de vous combattre !…

Rio-Santo mit sur lui son regard profond et tranquille.

— Et vous êtes un homme sage, vous, monsieur le docteur ! prononça-t-il avec simplicité.

— Chacun, en sa vie, a ses heures de démence, milord… Puisque nous parlons de moi, j’ai été doublement fou tout à l’heure… fou de vouloir vous tuer…

— Et fou de ne l’avoir point fait, interrompit Rio-Santo.

— Oui, milord, répondit le docteur ; — fou de ne l’avoir point fait.

Rio-Santo se retourna sur son fauteuil.

— C’est partie remise, monsieur, dit-il ; vous ne me pardonnerez point. — Moi, je n’ai pas le temps de m’occuper de vous… J’accepte votre aide comme par le passé ; je m’appuie sur vous pour un peu, et je le fais à coup sûr…

— Cette confiance, milord… commença le docteur Moore, qui sentit un instant l’envie de jouer au repentir.

— Confiance n’est pas le mot, interrompit don José. Ce que je voulais vous dire, c’est que, n’ayant point le loisir d’instruire votre procès, je vous écraserai désormais au moindre soupçon…

Le pied de Rio-Santo, repoussant violemment le coussin, tomba sur le tapis que son talon coupa.

— Veillez sur vous, monsieur ! acheva-t-il.

— Milord ! milord ! s’écria Moore avec une émotion hypocrite, — en un moment comme celui-ci, une seule parole de bonté m’eût fait votre esclave pour la vie !

L’œil de Rio-Santo ne perdit point son expression de calme supériorité, mais les muscles de sa bouche, involontairement contractés, firent mouvoir légèrement les pointes relevées de sa fine moustache noire.

Moore jeta son masque ; il se vit percé à jour jusqu’au fond de l’âme. Son front courbe se releva ; son sourire froid et cynique reparut à sa lèvre, et il dit sans plus se contraindre :

— Eh bien ! milord, je veillerai sur moi… Je vous servirai, tout en vous haïssant. Je ferai…

— Silence, monsieur ! interrompit encore Rio-Santo. Je sais tout cela. Vous ne risquez rien à me le dire et vous n’y gagnez rien non plus… Parlons de choses sérieuses, s’il vous plaît.

Moore sentit un flot de colère lui monter au cœur, en voyant le mépris absolu, complet, immense qu’on faisait de ses menaces comme de ses avances. Sa haine grandit encore, mais son respect s’accrut et une sorte de superstitieuse terreur s’empara de lui.

Rio-Santo lui sembla invulnérable.

— Un mot encore, pourtant, reprit celui-ci avec fatigue et d’un ton négligent ; — comme le hasard peut me livrer une seconde fois à vous sans défense et que vous pouvez d’ailleurs piquer à distance comme ces venimeux reptiles qui jettent leur salive à l’aventure, je veux vous dire un secret… Si vous m’eussiez tué ce matin, ce soir vous auriez dormi sur la paille de Newgate… Ne m’interrompez pas. Vous savez bien que je ne parle jamais à la légère… Il y a long-temps que je vous connais, docteur… Et entre vous et l’échafaud il n’y a que ma volonté depuis deux mois.

Moore tremblait, mais il voulut douter.

— Entre l’échafaud et moi, milord, dit-il en essayant vainement de mettre de la superbe dans son regard, — il y a un abîme que toute votre puissance ne saurait point combler.

— Écoutez, monsieur, parler trop me lasse et j’ai des questions importantes à vous faire. Le lord haut-shérif a entre les mains un paquet cacheté où se trouve votre condamnation, — ne vous étonnez pas : je tiens ainsi plus ou moins tous les lords de la nuit, vos confrères… Sans cela, monsieur, il me faudrait mille vies !

— Mais que contient ce paquet ?

— Choisissez entre tous vos méfaits, docteur. Ce paquet contient la preuve de l’un d’eux ; — la preuve irrécusable.

— Mais pourquoi le haut-shérif ne l’a-t-il pas encore ouvert ?

— Il faut vous pardonner tant de questions. La chose vous intéresse de bien près, en effet, docteur, mais ma condescendance n’ira pas jusqu’à vous faire réponse. Ce paquet est une mine, monsieur ; la traînée de poudre existe, soyez sûr… et ma mort y mettrait le feu.

— Mais…

— C’en est assez. Laissons cela… Quelles nouvelles de miss Mary Trevor ?