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Les Mystères du confessionnal/Dissertation sur le sixième commandement/04

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Imprimerie E.-J. Carlier (p. 50-71).


CHAPITRE IV

DES PÉCHÉS DE LUXURE NON CONSOMMÉE


La luxure non consommée est celle qui n’arrive pas jusqu’à l’écoulement de la semence. À cette espèce se rapportent : la délectation morose ou contemplative, les baisers, les attouchements et regards impudiques, la parure des femmes, les peintures et sculptures indécentes, les paroles déshonnêtes, les livres obscènes, les danses, bals et spectacles Nous traiterons rapidement ces divers sujets au point de vue pratique.


ARTICLE I

DE LA DÉLECTATION MOROSE


Sous ce titre sont comprises toutes les pensées mauvaises en fait de luxure, à savoir le désir, le plaisir et la délectation morose ou contemplative.

Le désir est un acte de la volonté qui a pour objet une action mauvaise comme la fornication, ou qui a pour but d’arriver à l’accomplissement de cette action le désir, dans ce cas, est dit efficace. Il est inefficace lorsqu’on désire arriver à l’exécution, si la chose est possible, en se disant, par exemple : je voudrais bien me livrer à la fornication avec telle personne, sachant que la chose n’est pas possible ; les désirs se rapportent donc à l’avenir.

Le plaisir, au contraire, se rapporte au passé : C’est la délectation dans le souvenir d’une mauvaise action, comme, par exemple, quand on évoque le | souvenir d’un acte charnel déjà accompli, ou de mauvais propos qui ont été tenus : dans cette espèce se classe le dépit de ne pas avoir, dans une occasion donnée, fait une action mauvaise ; par exemple, de ne pas avoir séduit une jeune fille, quand on vient à s’apercevoir que la chose eût été facile.

La délectation morose ou contemplative consiste simplement à se complaire dans une action mauvaise que l’imagination nous représente comme réelle, mais sans désir de l’accomplir ; par exemple, lorsqu’on s’imagine qu’on se livre à la fornication, et que, sans chercher à accomplir cet acte, on se complaît, d’un libre consentement, dans l’idée qu’on s’en est faite.

Ce n’est pas la durée de cette disposition de l’esprit qui a fait donner à la délectation dont nous parlons le nom de morose, puisqu’un seul instant suffit pour l’accomplissement d’un péché intérieur, mais bien la persistance dans cette délectation après qu’on s’est aperçu qu’on était en état de péché.

Il est certain, d’après ce qui vient d’être dit :

1o Que le désir d’une chose mauvaise est un péché de la même nature et de la même espèce que la chose désirée, parce que le siége du péché est dans la volonté ; or, la volonté est complète, lorsqu’il y a vrai désir d’arriver à une chose mauvaise.

Il suit de là que ce péché se qualifie par son objet. Les qualités et les particularités de l’objet désiré changeant l’espèce du péché ou augmentant sa gravité sans en changer l’espèce, on doit les déclarer en confession ; celui, par exemple, qui a porté ses désirs sur une parente par consanguinité ou par alliance, doit déclarer cette circonstance, de même que le degré de consanguinité ou d’alliance, aurait-il seulement désiré l’acte charnel faisant, dans son esprit, abstraction de tout lien de consanguinité ou d’alliance, car la malice de l’inceste est inséparable de l’objet, même en faisant abstraction de ce dernier ; il en serait autrement si on ignorait complètement cette circonstance.

Il ne suffit donc pas que le pénitent dise, d’une manière générale, qu’il a eu de mauvais désirs ou qu’il a désiré commettre des actes impurs ; il doit spécifier l’objet de ses désirs : l’union charnelle, ou seulement des attouchements ou des regards, avec une personne en général et de quel sexe, ou avec une personne déterminée, libre ou liée par un engagement quelconque, etc.

2o Il n’est pas moins certain que le fait d’arrêter sa pensée sur un acte de luxure passé, de s’y complaire librement, peut être assimilé, comme malice, à l’acte lui-même : car la volonté embrasse l’objet tout entier revêtu de toutes ses particularités ; elle revêt donc de nouveau toute sa malice. Il en est évidemment de même lorsqu’on regrette de ne pas avoir fait le mal dans une occasion passée.

3o Il est encore certain que la libre délectation de l’esprit, dans un objet vénérien que l’imagination nous montre comme présent, constitue un péché mortel ; car, dans l’hypothèse, l’objet lui-même est mortellement mauvais ; or, celui qui donne son libre consentement à une chose mauvaise, par exemple à la fornication à laquelle il suppose se livrer, fait une action contraire à la loi de Dieu.

On lit dans le Livre de sagesse, 1. 3 : Les mauvaises pensées nous éloignent de Dieu ; et dans Les Proverbes, 4. 23 : Mets tous tes soins à conserver ton cœur.

Des auteurs nombreux enseignent que la délectation morose ou contemplative se spécifie non par les objets extérieurs, mais par la représentation qu’on se fait de ces objets, et que c’est en cela qu’elle diffère des désirs. La raison de cette différence vient de ce que le désir aspire à l’objet autant qu’il est au pouvoir de celui qui l’éprouve, et par là entraîne nécessairement toutes ses malices connues, quelles que soient les abstractions qu’on peut avoir faites. (de qualités ou circonstances), tandis que la simple délectation repose dans l’image de l’objet.

D’où il suit que celui qui se délecte dans l’idée qu’il se fait de l’acte charnel pratiqué avec une femme mariée, parente par consanguinité ou par alliance, ou avec une religieuse, mais considérée uniquement comme femme, commet un péché qui n’est probablement pas revêtu de la malice de l’adultère, de l’inceste ou du sacrilége. Voy. de Lugo, Bonacina, Layman et nombre d’autres cités par St Ligori, l. 5, no  15, qui donne cette opinion comme probable.

Beaucoup d’autres, cependant, tiennent l’opinion contraire comme la plus probable, parce qu’ils ne regardent pas comme fondée cette prétendue différence entre le désir et la simple délectation : La délectation, disent-ils, embrasse comme le plaisir, tout l’objet connu nonobstant les abstractions. Voy. St Antoine, Cajetan, Lessius, Sanchez, Suarez, Sylvius, le P. Antoine, Collet, Dens, etc.

Les deux opinions sont probables ; la dernière est la plus sûre ; mais il est souvent difficile d’obtenir que les pénitents fassent connaître l’objet de leurs pensées ; dans ce cas, un confesseur prudent, se basant sur la première opinion, s’abstient de questions importunes.

4o Celui qui s’aperçoit qu’il prend plaisir à un objet vénérien qui n’est présent que dans son imagination et qui y reste indifférent, commet probablement un péché mortel, n’éprouverait-il même pas de mouvements désordonnés, car il donne son consentement à une chose mauvaise, ou, du moins, s’expose au grave danger d’y consentir. C’est, dans la pratique, l’opinion de presque tous les théologiens.

5o Il est à remarquer qu’il y a une grande différence entre penser à une chose mauvaise et se délecter dans une chose mauvaise. Nous allons l’expliquer par une comparaison : Celui qui se complaît volontairement dans la pensée d’un homicide qu’il se représente comme s’accomplissant, commet certainement un péché mortel ; mais celui qui pense à un homicide qu’un autre a commis ou doit commettre, ou qui en parle, ne pèche pas pour cela. Il en est de même des actions honteuses : La simple pensée de ces actions ou du plaisir qu’elles procurent n’est pas en soi un péché, et on n’en commet pas davantage en y pensant, en se les rappelant ou en les prévoyant ; autrement les médecins, les théologiens, les confesseurs, les prédicateurs, qui étudient et écrivent sur ces matières, qui les traitent ou en parlent, pècheraient nécessairement, et c’est ce que personne ne saurait affirmer.

Il y a cependant cette différence entre la pensée d’un homicide ou d’une autre chose mauvaise et la pensée d’une chose honteuse, que cette dernière est toujours dangereuse à cause de notre concupiscence naturelle ; il n’en est pas ainsi de la première, car un tel penchant n’est pas dans notre nature. Par conséquent, on pèche véniellement ou mortellement, selon le danger qui en résulte, en se formant volontairement des images d’objets honteux, à moins que ce ne soit par nécessité.

Il est à remarquer que le sentiment de la délectation se distingue du consentement à la délectation : L’un, en effet, est souvent nécessaire et pour cela, exempt de péché, tandis que l’autre dépend toujours de la volonté. Autre chose est sentir, autre chose consentir.

Beaucoup de personnes tombent dans une grande confusion d’idées et sont tourmentées de scrupules parce qu’elles confondent sentir et consentir, penser à une chose mauvaise et se délecter dans cette chose : elles doivent faire des études afin de sortir triomphantes de ces ténèbres et de ces anxiétés.

Ceux qui aiment sincèrement la chasteté peuvent demeurer certains qu’ils n’ont pas consenti aux mouvements de concupiscence, toutes les fois qu’il est resté, dans leur esprit, confusion ou incertitude ; car s’ils avaient consenti ils auraient remarqué le changement survenu dans leurs résolutions, et ils en auraient gardé le souvenir.

Ceux, au contraire, qui ont la pernicieuse habitude de se livrer aux plaisirs des sens doivent, lorsqu’ils ne sont pas sûrs de s’être prêtés aux mouvements de concupiscence, décider qu’ils y ont consenti, car s’ils avaient résisté à leur penchant, ils n’auraient pas perdu le souvenir de leurs efforts : et comme les péchés de luxure se multiplient en peu de temps, outre mesure, ils peuvent, avec raison, dire avec le prophète pénitent : Mes iniquités se sont emparées de moi…… elles sont plus nombreuses que les cheveux de ma tête. Ps. 39, 13.

On demande s’il est permis aux personnes mariées et veuves de prendre plaisir à la pensée de l’acte charnel à venir ou passé.

R. 1o Les fiancés et les veufs ne pèchent pas en pensant que le plaisir est attaché à ces actes, ni en prévoyant qu’ils éprouveront ce plaisir ou en se souvenant qu’ils l’ont éprouvé : car il est évident que cette notion n’est pas le plaisir dans l’acte vénérien.

Si donc il y a quelque péché, c’est certainement dans le danger d’en commettre plus tard : Or, ce danger étant grand, petit ou même nul, il en est de même du péché.

R. 2o Pèchent mortellement les personnes fiancées, ou les personnes veuves, qui donnent leur consentement à la délectation charnelle que produit en elles la prévision de l’acte futur ou le souvenir de l’acte passé ; car elles se figurent l’acte charnel comme s’accomplissant actuellement et elles y prennent volontairement plaisir. Or, l’acte charnel s’accomplissant actuellement, est, à leur égard, une fornication puisqu’elles ne sont pas mariées.

R. 3o L’époux qui, en l’absence de son épouse, prend plaisir à l’acte charnel comme s’accomplissant actuellement, commet probablement un péché mortel, surtout si les esprits génitaux en sont gravement agités, non pas précisément parce qu’il consent à une chose qui lui est défendue, mais parce qu’il s’expose ordinairement à un grave danger de pollution. Beaucoup de théologiens prétendent qu’il ne pèche que véniellement lorsqu’il se complaît librement dans la pensée de l’acte vénérien futur ou passé, pourvu cependant qu’il ne soit pas en danger de pollution. Voy., dans ce sens, Sanchez, Bonacina, Lessius, Cajetan, La Croix, Suarez, St Ligori, etc.

Beaucoup d’autres affirment que, moralement parlant, il y a toujours, dans ce cas, péché mortel, tant à cause du danger qu’à cause de l’agitation désordonnée des esprits génitaux qui ne sauraient être justifiés par une fin légitime. Voy. Navarrus, Azor, Vasquez, Layman, Henno, Le P. Antoine, Collet, etc.

On doit donc blâmer les personnes mariées qui se livrent à de semblables plaisirs et les exhorter à adopter le parti le plus sûr. On ne doit cependant pas les traiter avec trop de sévérité, ni les irriter par des questions qui leur sont odieuses.


ARTICLE II

DES BAISERS, DES ATTOUCHEMENTS, DES REGARDS IMPUDIQUES ET DE LA PARURE DES FEMMES


Nous ferons observer qu’il ne s’agit pas ici des baisers, attouchements, etc., entre personnes mariées, mais entre personnes libres : nous parlerons ailleurs des personnes mariées.


§ I. — Des baisers


I. Les baisers sur les parties honnêtes, comme la main et la joue, ne sont pas mauvais de leur nature, même entre personnes de différents sexes : Cela est conforme à l’opinion générale et à la pratique partout admise dans le monde.

D’où il suit : 1o Qu’on ne trouve aucune espèce de mal dans les baisers que les enfants incapables de passions sont dans l’habitude d’échanger.

2o Qu’il n’y a pas de péché dans les baisers que donnent, aux enfants qui leur sont confiés, les mères, les nourrices, etc. ;

3o Ni, ordinairement du moins, dans ceux que d’autres personnes, hommes ou femmes, donnent aux enfants en bas âge de l’un ou de l’autre sexe.

II. Les baisers même honnêtes, motivés par la passion, donnés ou reçus, entre personnes du même sexe ou de sexes différents, sont des péchés mortels. Mais les baisers sur les parties inusitées du corps, par exemple sur la poitrine, sur les seins, ou à la mode des colombes en introduisant la langue dans la bouche d’une autre personne, sont présumés avoir la passion pour mobile, ou du moins mettent dans un grave danger d’y succomber et, pour cette raison, ne peuvent être excusés de péché mortel.

III. Il est certain qu’on doit regarder comme péchés mortels les baisers, même honnêtes, qui mettent dans le danger prochain de pollution ou de mouvements de violente passion, à moins que, par hasard, il n’y ait de graves raisons de les donner ou de les permettre, car c’est pécher mortellement que de s’exposer au danger sans nécessité.

IV. Il est certain, au contraire, qu’il n’y a nul péché à donner ou recevoir des baisers, selon l’usage, sans qu’il y ait moralement danger de passion, et en signe d’urbanité, de bienveillance et d’amitié, comme avant le départ et au retour d’un voyage : tout le monde le comprend ainsi partout.

Cela ne concerne pas les religieux et les moines ni les prêtres séculiers, qui ne peuvent ordinairement ainsi embrasser des personnes d’un autre sexe sans qu’il en résulte naturellement une certaine indécence, du scandale et du mépris pour la religion.

V. Les baisers en soi honnêtes, faits selon l’usage, mais par légèreté ou en jouant et sans grave danger de passion, n’excèdent pas la gravité d’un péché véniel : du moment qu’on les suppose honnêtes, ils ne peuvent être mauvais si ce n’est en raison du danger ; et, d’un autre côté, le danger est supposé léger.

Il en résulte : 1o qu’on ne doit pas accuser de péché mortel celui qui, recherchant une jeune fille en mariage, l’embrasse honnêtement chaque fois qu’il arrive ou qu’il la quitte sans se mettre en danger de mouvements passionnés, ou du moins sans qu’il y ait danger d’y consentir ; à plus forte raison ne pèchera-t-il pas s’il y a motif de faire cet acte de politesse, sans lequel il aurait à craindre de passer pour scrupuleux ou original et d’être la risée et le jouet des autres personnes.

2o Par la même raison, il faut excuser une jeune fille qui ne peut refuser les baisers honnêtes sans se faire moquer d’elle ou sans risquer de déplaire au jeune homme qui la recherche en mariage.

3o On ne doit pas trop facilement accuser d’un grave péché les jeunes gens de l’un et de l’autre sexe qui, dans certains jeux, s’embrassent d’une manière décente et sans mauvaises intentions. On doit les détourner prudemment de cette manière de jouer, à cause du danger qui en est inséparable ; mais il importe beaucoup, pour leur salut, de ne pas les regarder, à la légère, comme coupables de péché mortel.


§ II. — Des attouchements impudiques


1o Je suppose des attouchements faits sur soi ou sur d’autres sans intentions lubriques ; car, alors ce seraient des péchés mortels.

2o Si ces attouchements sont faits par pure nécessité comme pour soigner des infirmités, ce ne sont nullement des péchés, mettraient-ils en mouvement les esprits génitaux et exciteraient-ils la pollution, pourvu qu’il n’y ait pas consentement ; cela résulte de ce que nous avons dit plus haut en parlant de la pollution.

3o On ne saurait excuser de péché mortel ceux qui sans cause légitime se livrent à des attouchements honteux sur des personnes de l’un ou de l’autre sexe, à cause du danger évident de la commotion des esprits et de la pollution. On doit regarder comme tels, les attouchements sur les parties vénériennes ou sur celles qui les avoisinent : se rend coupable du même péché celui qui porte avec complaisance morose les mains sur les seins d’une femme alors qu’ils sont couverts, car la sympathie donne naissance au grave danger de mouvement des esprits et de la pollution. Le péché ne nous paraîtrait pas mortel si on se contentait de toucher légèrement les vêtements d’une femme parce que cet acte n’est pas de nature à porter, d’une manière prochaine, aux actes vénériens.

La Croix, l. 3, no  902, regarde comme probable que les servantes ne commettent pas un péché mortel quand elles touchent les parties pudiques des enfants en les habillant, à moins qu’elles ne se complaisent ou se délectent dans ces attouchements. Je les regarde comme coupables de péché mortel si elles le font sans nécessité, à cause du danger qu’elles courent et font courir aux enfants de l’un et de l’autre sexe, surtout s’ils commencent à devenir grands. Les parents doivent avoir une extrême méfiance au sujet des servantes perdues de mœurs qui souvent enseignent le mal aux enfants en bas âge.

4o Une femme pècherait mortellement si même, sans être dominée par la passion, elle permettait des attouchements sur ses parties pudiques ou sur celles qui les avoisinent, ou bien sur les seins ; car alors elle s’exposerait évidemment au danger vénérien et participerait, en plus, à la passion d’autrui ; elle devrait repousser aussitôt l’agresseur, le réprimander, le frapper, repousser violemment la main, le fuir ou crier si elle pouvait compter sur du secours. Billuart, t. 13, p. 478.

5o Celui qui se complaît sans motif dans les attouchements des parties vénériennes, commet un péché véniel ou mortel, suivant le danger qu’il court de ne pas s’arrêter là. En effet, le danger n’est pas le même pour tout le monde ; chez beaucoup de personnes, les sens sont ébranlés par les moindres attouchements qui les mettent dans le danger prochain de pollution ; d’autres ont l’insensibilité du bois et de la pierre. Ces derniers, donc, ne sont point tenus à une aussi grande vigilance que ceux qui sont plus portés aux actes vénériens.

J’ai dit sans motif, car il n’y a pas de péché dans ces attouchements lorsqu’ils sont faits dans un but raisonnable et sans mauvaise intention, par exemple, pour se laver ou pour calmer le prurit.

Bien plus, il est permis, après avoir éloigné tout danger de consentement, de se faire des attouchements, même en prévision de mouvements voluptueux et de la pollution d’ailleurs involontaires, lorsqu’on a de graves motifs, tels que de guérir une infirmité, ou, suivant l’opinion d’un grand nombre, de calmer un prurit insupportable, comme cela arrive souvent chez les femmes. Ligori, l. 3, no  419.

6o On ne doit pas regarder comme constituant des péchés mortels, les attouchements faits, en jouant ou par légèreté, sur les parties honnêtes d’une autre personne, soit du même sexe, soit de sexe différent, lorsqu’il n’y a pas grave danger d’exciter les passions. Toute leur malice, en effet, réside dans le danger ; or, dans ce cas, nous supposons que ce danger est léger.

Ainsi, il n’y a pas de péché mortel à tenir la main d’une femme, palper et presser ses doigts, toucher légèrement son cou ou ses épaules, poser le pied sur son pied, à moins qu’en raison de sa propre faiblesse ou de celle de la femme, il n’y ait danger grave d’exciter les passions.

Mais au contraire, le jeune homme qui attire une jeune fille sur ses genoux, l’y retient assise ou l’étreint en l’embrassant, commet, du moins ordinairement, un péché mortel, et on ne peut pas davantage excuser d’un semblable péché, la femme qui s’y prête volontiers.

L’expérience ne prouve que trop que des actes de ce genre entre personnes du même sexe font souvent naître le danger de tomber dans des actions honteuses. On doit donc les fuir ou les éviter avec soin, et on ne doit pas facilement les excuser de péché mortel, surtout lorsqu’ils résultent d’une affection sensible.

Mais ces actes et d’autres semblables ne constituent pas des péchés mortels chez ceux qui n’ont pas atteint l’age de puberté, car le danger de pollution n’existe pas encore chez eux. On doit cependant les détourner avec prudence de ces sortes de jeux, car ils n’apprennent jamais trop tôt les règles de la décence, et, en cette matière surtout, on doit les prémunir même contre les fautes vénielles.

7o C’est un péché mortel rentrant dans la catégorie de la bestialité, de toucher, d’une manière lascive, les parties génitales des animaux. C’est encore un péché mortel de les manier par curiosité, par plaisanterie ou légèreté, jusqu’à l’écoulement de la semence, non pas à cause de la déperdition de la semence de la bête, mais parce que cette action excite fortement les passions de celui qui s’y livre. Voy. St Ligori, l. 3, no  420, Collet, Billuart et beaucoup d’autres. Sont d’une opinion contraire, Diana et Sanchez qui a cependant plus tard modifié son opinion. Enfin, selon La Croix, Sanchez et St Ligori, ce ne serait pas un péché mortel de les toucher sans intention lascive, pourvu qu’on n’arrivât pas jusqu’à l’écoulement de la semence. Concina, Collet, Billuart, enseignent la doctrine contraire, prétendant que cette action est dangereuse.

Celui donc qui aime la chasteté doit s’abstenir avec soin de pareils actes, et cependant les confesseurs doivent être prudents à l’égard de ceux qui en font l’aveu, de peur de tomber dans le danger de les troubler en pure perte.

Il est reconnu par tout le monde que ceux qui, par nécessité, aident dans le coït les animaux domestiques, tels que chevaux, taureaux et porcs, ne commettent pas de péché, éprouveraient-ils des mouvements lascifs, pourvu qu’ils n’y consentent pas.


§ III. — Des regards impudiques


L’expérience prouve que les regards influent moins sur l’acte vénérien que les attouchements ; il est certain cependant que ce sont très souvent des péchés mortels ou véniels, suivant l’intention, le consentement ou le danger qui en résulte.

I. Il est évident que certains regards, honnêtes en soi, deviennent des péchés mortels, quand il existe une intention perverse.

II. Le péché est, sans aucun doute, mortel si les regards impudiques excitent des mouvements de concupiscence suivis de consentement.

III. On pèche mortellement, sauf le cas de nécessité ou de grave utilité, en portant, même sans intentions lubriques, des regards prémédités sur les parties vénériennes d’une grande personne de l’autre sexe, ou sur les parties qui les avoisinent ; car il est moralement sûr que ces regards excitent des mouvements lubriques, et même la pollution.

J’ai dit 1o prémédités, parce qu’il n’y a pas de péché à porter les yeux à la légère, par hasard et sans intention mauvaise, sur les parties pudiques d’une personne de l’autre sexe.

J’ai dit 2o d’une grande personne, car ces regards sur des enfants n’excitant pas les passions à ce point ne constituent pas des péchés mortels. Donc les servantes et les nourrices ne pèchent pas mortellement en regardant ainsi les enfants dont elles ont la garde, à moins qu’elles ne le fassent avec complaisance (littéralement : qu’elles ne le fassent morosement — morose —), avec plaisir ou danger pour elles.

Ne pèchent peut-être pas mortellement, même ceux ou celles qui se regardent entre eux à l’état de nudité et qui n’ont pas atteint l’age de puberté, parce que de pareilles passions n’existent pas encore chez eux : On devrait autrement décider s’ils couraient un grave danger.

IV. Pèche mortellement celui qui se complaît à regarder ses propres parties pudiques, car il est presque impossible que ces regards ne fassent pas naître chez lui des mouvements lubriques. Il en serait autrement s’il les regardait par pure curiosité, et surtout s’il y avait lieu de présumer qu’il n’a pas couru un grave danger. Il n’y aurait pas de péché si, tout danger de lubricité écarté d’ailleurs, ces regards étaient nécessaires ou utiles.

C’est un péché mortel de regarder complaisamment — morose — les seins nus d’une belle femme, à cause du danger inséparable de ces regards. Ne pèchent cependant pas ainsi, lorsqu’il n’y a pas un danger particulier, ceux qui regardent des mères ou des nourrices allaiter des enfants. Ces femmes doivent cependant avoir la prudence de se cacher, de peur d’être un sujet de scandale pour les autres, et surtout pour les jeunes gens.

V. C’est souvent un grave péché de regarder fixement une belle personne d’un autre sexe, car une pareille attention est remplie de dangers ; cependant, si, tout bien examiné, il n’y a ni danger grave ni intentions lubriques, le péché est seulement véniel. Il n’est pas nécessaire pour cela de marcher les yeux baissés et sans regarder personne ; il faut naturellement, et sans effort, savoir rester dans un juste milieu.

VI. Ne pèche pas mortellement celui qui, sans affection lubrique et attention morose, tout danger particulier étant écarté d’ailleurs, regarde certaines parties nues, mais honnêtes, du corps d’une femme, par exemple ses pieds, ses jambes, ses bras, son cou, ses épaules ; ordinairement, en effet, de semblables regards n’excitent pas gravement les passions vénériennes, surtout s’il est d’usage que ces parties soient laissées nues, comme cela arrive chez les personnes de l’un et de l’autre sexe qui, pendant l’été, travaillent ensemble dans les champs. Voy. Sylvius, Biliuart, St Ligori, etc.

VII. Ceux qui, par curiosité ou à la légère, jettent les yeux sur les parties pudiques d’une personne du même sexe, comme cela arrive entre hommes, lorsqu’ils se baignent et nagent, ou entre femmes qui se baignent ensemble, ne paraissent pas coupables de péché mortel, à moins qu’il n’y ait intentions lubriques ou un danger particulier, car de semblables regards n’excitent pas les sens d’une manière grave.

Il en serait certes autrement s’ils se complaisaient dans ces regards — si ces regards étaient moroses. — Ainsi pensent les auteurs déjà cités.

Les personnes qui se baignent doivent bien prendre garde de se montrer nues, au mépris de la pudeur chrétienne, devant d’autres personnes, et principalement devant des personnes d’un sexe différent. Qu’elles se baignent seules dans des endroits écartés ou que du moins elles couvrent modestement leurs parties pudiques.

VIII. Ce n’est pas un péché mortel de regarder, par simple curiosité, les parties génitales des animaux et d’assister à leur coït, car il n’en résulte pas, d’ordinaire, un grave danger.

IX. On doit en dire autant de ceux qui regardent des peintures et des sculptures peu décentes qui ne troublent pas gravement les esprits ; telles sont les images et les sculptures exposées dans beaucoup de temples chrétiens et qui représentent des anges ou des enfants nus ou presque nus. Mais les docteurs se refusent à excuser de péché mortel ceux qui regardent avec complaisance, morosé, des tableaux ou des statues représentant, tout à fait à nu, les parties pudiques de grandes personnes d’un autre sexe, à moins qu’ils ne soient à l’abri de tout danger à cause de leur jeunesse, de leur vieillesse ou de la froideur de leur complexion. St Ligori, l. 3, no  324, etc.

Il est à remarquer que les baisers et les attouchements se spécifient par leur objet, d’où il résulte que lorsqu’ils constituent des péchés mortels, il est nécessaire de déclarer les circonstances de personnes. Les auteurs n’en disent pas autant des regards ; il y en a cependant beaucoup qui les rangent dans la catégorie de leur objet ; il est donc plus sûr de découvrir ces circonstances.

Qui oserait affirmer, par exemple, que le fils qui aurait porté ou désiré porter des regards voluptueux sur les parties pudiques de sa mère ne serait pas tenu de faire l’aveu d’une pareille circonstance ?


§IV. — De la parure des femmes


St. Thomas, 22, q. 169, art. 2, Sylvius, t. 3, p. 871, Pontas, Collet, Billuart, etc., donnent un traité spécial sur la parure des femmes.

Les soins du corps peuvent être étudiés sous un quadruple point de vue :

1o Le protéger contre les injures de l’air ;

2o Couvrir les parties pudiques ;

3o Conserver, selon la mode, la décence qui convient à son état ;

4o Augmenter sa beauté et plaire à autrui.

Les premier et deuxième aspects de la question sont nécessaires ; le troisième est convenable et licite, car il est conforme à la raison que chacun conserve, selon la mode, la décence qui convient à son état. Nous parlerons done de la parure considérée au quatrième point de vue, et spécialement de la parure des femmes, parce que les femmes sont plus particulièrement portées à ce genre de fautes et parce que, attirant les regards des hommes par leur mise, elles sont souvent, pour eux, une occasion de ruine spirituelle. En conséquence :

1o Une femme mariée peut se vêtir convenablement, dans l’intention de plaire à son mari, comme le prouvent les paroles suivantes de St Paul, I. aux Corinth., 7. 34 : Celle qui est mariée s’occupe des choses mondaines, des moyens de plaire à son mari ; I. à Timothée, 2. 9. Les femmes doivent relever une belle parure par la pudeur et la réserve. Donc, elles peuvent se parer convenablement, selon leur condition, en vue de plaire à leur mari.

2o Une jeune fille ou une veuve qui s’habille convenablement selon sa condition, pour plaire aux hommes, sans blesser sa chasteté et afin de trouver à se marier, est exempte de péché car il lui est permis de se marier ; elle peut donc employer les moyens nécessaires pour atteindre son but.

3o Les femmes, au contraire, qui n’ont pas de mari, qui n’en veulent pas ou qui ne sont pas dans une condition à en avoir, pèchent mortellement, dit St Thomas, si elles s’habillent avec l’intention de se faire aimer des hommes ; car, dans l’hypothèse, cet amour est nécessairement impur, puisqu’il ne doit pas aboutir au mariage.

À plus forte raison, les femmes mariées qui se pareraient dans l’intention de plaire à d’autres qu’à leurs maris pècheraient mortellement.

On pense communément que le péché est simplement véniel, quand elles se parent uniquement par légèreté ou par vanité ou forfanterie. Telle est l’opinion de St Thomas, de Sylvius et autres théologiens.

4o Selon St Thomas, St François de Sales, Sylvius, St Ligori, etc., ce n’est point un péché de se farder pour cacher un défaut naturel, pour plaire à son mari, à un fiancé ou à un jeune homme à qui une jeune fille est destinée. C’est un péché mortel de le faire pour plaire aux hommes sans un but légitime de mariage ; telle est la décision des SS. Pères. Ce serait un péché véniel en soi, si on le faisait par pure vanité ; telle est l’opinion de St Thomas, 2. 2, q. 169, art. 2, quoiqu’en disent son continuateur Tournely, t. 6, p. 304, et autres théologiens.

J’ai dit en soi, car il peut devenir mortel à cause du danger, du scandale ou d’une autre circonstance.

5o Ce n’est point un péché, dit Sylvius, de se parer des cheveux d’autrui comme on se sert de la laine, du lin et des peaux d’animaux ; ou bien il est seulement véniel si, en raison de sa condition, cette parure est superflue ou portée par vanité.

Pour le même motif, ce n’est pas commettre un péché, ou bien c’est commettre un simple péché véniel, que d’aller tête nue et d’avoir les cheveux tressés selon la mode. Il en serait autrement si on introduisait cette mode ou si on s’y conformait dans de mauvaises intentions : et c’est dans ce sens qu’il faut entendre ces paroles de St Paul, à Tim., 2. 9 : Point de cheveux tressés ou d’or ou de perles ou de riches vêtements, et celles de St Pierre, I. épît. 3. 3.

6o C’est évidemment un péché mortel de prendre les vêtements d’un autre sexe avec des intentions ou grave danger de lubricité, ou lorsqu’il en résulte un grand scandale. Il n’y a point de péché lorsqu’on les prend par nécessité, par exemple, pour se cacher ou parce qu’on n’en a pas d’autres, pourvu qu’il n’en résulte ni scandale ni danger.

Le péché est seulement véniel si on le met pour s’amuser ou par légèreté, sans scandale et sans danger. Telle est l’opinion de Sylvius expliquant St Thomas et disant que le précepte suivant du Deutéronome 22. 5 : La femme ne prendra pas les vêtements de l’homme ni l’homme ceux de la femme, car de tels actes sont abominables aux yeux de Dieu, est en partie positif, et pour cette raison était obligatoire pour les juifs sous peine de péché mortel, mais se trouve abrogé par la nouvelle loi ; en partie naturel, et sous ce rapport obligatoire sous peine de péché mortel ou véniel selon les circonstances.

7o Il faut, par la même raison, décider que ceux qui se masquent ne pèchent pas toujours mortellement, par exemple lorsqu’ils le font pour s’amuser ou par légèreté, et sans qu’il y ait scandale ou danger, surtout quand ils ne prennent pas les vêtements de l’autre sexe, mais ceux d’une personne d’une condition autre que la leur : le domestique les vêtements du maître, la femme de chambre la parure de sa maîtresse. Cette décision est opposée à celle de Pontas et de Collet.

Ceux qui, dans les réunions publiques, portent des vêtements étrangers et bizarres et des masques, peuvent rarement être excusés de péché mortel à cause de l’inconvenance, du danger et du scandale qui en résultent. Sont également coupables de péché mortel ceux qui confectionnent ou vendent ces vêtements ou ces masques pour servir uniquement à un pareil usage. Il n’en est pas ainsi de ceux qui regardent les personnes masquées et s’en amusent, à moins que sous un autre rapport, comme clercs par exemple, ils ne donnent matière à scandale.

8o C’est un péché mortel, pour une femme, de se découvrir les seins ou de les laisser voir sous une étoffe trop transparente, car c’est là une grave provocation à la lubricité, dit Sylvius, t. 3, p. 872. Par contre, ce n’est pas un péché mortel de découvrir un peu la gorge en se conformant à la mode, lorsque c’est sans mauvaises intentions et qu’il n’en résulte aucun danger ; c’est la décision de St Antoine, de Sylvius, de St Ligori, l. 2, no  55, etc.

À plus forte raison, ce n’est pas un péché mortel de sa nature, de mettre à nu ou de ne couvrir que légèrement les bras, le cou et les épaules, en se conformant à la mode ; mais les auteurs déjà cités regardent comme coupables de péché mortel, ceux et celles qui introduisent ces modes.


ARTICLE III

DES DISCOURS DÉSHONNÊTES, DES LIVRES OBSCÈNES, DES DANSES OU DES BALS ET DES SPECTACLES


§ I. — Des discours déshonnêtes


1o Les discours déshonnêtes de leur nature ne sont pas mauvais en soi comme le prouve l’exemple des médecins, des théologiens, des confesseurs, etc., qui, sans pécher, peuvent traiter les sujets honteux.

2o Il y a péché mortel, au contraire, dans toute parole obscène et dans de simples équivoques lancées dans un but de lubricité ou de délectation charnelle volontaire, ou bien faisant courir à soi-même ou aux autres un grave danger de consentement. Bien plus, ces péchés s’aggravent en raison du nombre de personnes qui écoutent et auxquelles ils sont nuisibles. Cela est de toute évidence d’après ce que nous venons de dire.

Ce serait, par conséquent, un péché mortel de parler d’une manière gravement obscène, de prononcer le nom des parties pudiques de l’autre sexe, de parler du coït et des modes du coït, le ferait-on sans délectation, par légèreté, pour exciter le rire ; car ces propos sont de nature à provoquer des mouvements lubriques, surtout chez les personnes non mariées et encore jeunes, selon ces paroles de St Paul aux Corinth., I, Épît. 15. 33 : Les mauvais discours corrompent les bonnes mœurs.

J’ai dit, surtout non mariées, car il est certain que ceux qui le sont, ne se laissent pas facilement troubler par ces propos, habitués qu’ils sont aux actes vénériens. Il est très rare que ceux qui tiennent des discours très obscènes devant des personnes mariées, mais qui ne le sont pas entre elles, ne se rendent pas coupables de péché mortel.

3o Ce n’est pas un péché mortel de tenir des discours légèrement obscènes et équivoques sous le frivole prétexte du besoin de parler, ou de les tenir en plaisantant, à moins que ceux qui les entendent ne soient assez faibles pour en être scandalisés.

Par conséquent, les mots piquants et peu décents que les moissonneurs, les vendangeurs, les meuniers et autres ouvriers, sont dans l’habitude de lancer, ne sont pas des péchés mortels, car ceux qui les prononcent et ceux qui les écoutent en sont ordinairement peu émus. Voy. St Antoine, Sanchez, Lessius, Bonacina, Sylvius, Billuart, St Ligori, etc. Il en serait autrement s’il en résultait un grave danger ou scandale.

4o Ceux qui entendent des discours déshonnêtes ont de l’autorité sur ceux qui les prononcent, ou bien ils n’en ont pas : s’ils en ont, ils doivent les empêcher autant que faire se peut ; dans le cas contraire, ils sont dans l’obligation de les avertir, ou du moins ils doivent garder le silence ; les femmes surtout doivent prendre les plus grandes précautions pour ne pas paraître donner une approbation qui, d’habitude, enflamme la lubricité des hommes.

Il ne faut cependant pas décider que le fait d’avoir accueilli en riant des paroles indécentes qui constituent un péché mortel pour celui qui les prononce, mette en ce même état de péché mortel la personne qui les a entendues et qui en a ri ; car il peut arriver que son hilarité soit plutôt provoquée par la manière de dire que par le sujet lui-même : or, dans ce cas, il n’y a pas de péché mortel, à moins qu’il n’en résulte un scandale. Mais les religieux, les clercs et les personnes connues par leurs vertus chrétiennes deviendraient facilement un sujet de scandale en riant de paroles obscènes.

5o Ce que nous avons dit des discours honteux s’applique également aux chansons déshonnêtes. C’est un péché mortel de composer, de chanter ou d’écouter, en y prenant plaisir, des poésies obscènes : il en est de même lorsqu’un scandale grave se produit, par exemple lorsqu’un clerc compose des vers ayant un sens équivoque ou lorsqu’il les chante devant d’autres personnes : le péché est encore plus grave s’il les chante devant des laïcs.

6o Ceux qui ont autorité sur les autres, et surtout les pasteurs et les confesseurs, doivent veiller avec sollicitude à ce que leurs inférieurs ou ceux dont ils ont la direction ne contractent pas l’habitude de parler ou de chanter d’une manière indécente ; ils ne doivent pas oublier ces paroles de St Paul : Qu’on n’entende jamais parmi vous parler de fornication ni d’aucune espèce d’impureté ; soyez réservés comme des saints et ne mêlez pas à votre conversation des turpitudes, des sottises ou bouffonneries grossières qui ne conviennent pas. (Éph., 5.)

7o Les entretiens sur des sujets voluptueux, dans des lieux écartés, entre des personnes de sexe différent, surtout s’ils se prolongent et se répètent souvent, sont très dangereux et le signe du naufrage | prochain de la chasteté ; on doit donc les éviter avec soin quoiqu’on ne puisse pas toujours les considérer comme des péchés mortels.

8o Les jeunes confesseurs doivent éviter, avec le plus grand soin, d’exciter une trop vive sensibilité chez les jeunes filles ou les femmes et de s’en faire aimer, car cela tourne fréquemment à la ruine des âmes et au détriment de la religion ; qu’ils ne craignent pas, lorsqu’ils s’aperçoivent de ces affections désordonnées, de les repousser par de dures paroles, et si cela ne suffit pas, qu’ils renvoyent leurs pénitentes immédiatement à d’autres confesseurs ; sans cela, ils les perdront par leur imprudence, et ils périront avec elles.

Par la gloire éternelle de Dieu et au nom de leur salut, nous adjurons tous les clercs, conformément aux statuts des conciles, de ne jamais retenir les jeunes femmes auprès d’eux, de ne pas les visiter, de ne pas parler familièrement avec elles, et, à plus forte raison, de ne pas les embrasser et de ne pas les introduire dans leur chambre. Hélas ! que de maux l’oubli de ces préceptes a causés, et quels opprobres en sont résultés pour la religion !


§ II. — Des livres obscènes


Nous ne parlerons pas ici des livres hérétiques et impies, mais seulement de ceux qui sont contraires aux bonnes mœurs, et particulièrement des romans ordinairement remplis de récits d’amours illicites ou d’histoires scandaleuses très propres à exciter les passions désordonnées.

1o Ceux qui composent des livres gravement obscènes pèchent mortellement : car ils sont une occasion de ruine spirituelle pour un grand nombre de personnes, et ils ne peuvent invoquer aucun motif d’excuse légitime.

2o Il est également impossible de trouver une raison suffisante pour excuser ceux qui font profession de vendre de tels livres : Pèchent donc mortellement les libraires qui les tiennent dans leur magasin, les y étalent et les vendent au public.

3o Régulièrement, c’est un péché mortel de prendre plaisir à la lecture des livres de cette espèce, et même de les lire par légèreté, curiosité ou même dans un but de récréation ; car il est dans leur nature de troubler les sens, d’exciter l’imagination et d’allumer des feux impurs dans le cœur.

Je dis régulièrement ; car je ne veux pas donner comme certain que tous ceux qui lisent de tels livres, par pure curiosité, tombent dans le péché mortel, si, par leur âge avancé, la froideur de leur complexion ou l’habitude qu’ils ont de traiter des questions vénériennes, ils sont mis hors de danger.

4o Il y a des livres racontant des amours licites ou illicites qui n’excitent pas gravement les passions, ne troublent pas les sens et n’exposent pas à un notable danger ; telles sont beaucoup de tragédies, de comédies et d’autres poëmes. Ne pèchent pas mortellement ceux qui, sans danger pour eux et sans scandale pour autrui, lisent des livres de ce genre par pure curiosité ; et ils ne pèchent nullement s’ils le font dans un but légitime, celui par exemple de s’instruire, d’acquérir ou de perfectionner l’éloquence, en supposant qu’ils n’omettent ni ne négligent les devoirs que leur impose leur état. Les clercs peuvent, rarement sans péché, se livrer à ce genre de lectures, car ordinairement ou ils négligeraient leurs devoirs, ou ils seraient un sujet de scandale. L’expérience prouve tout au moins que ces lectures produisent, chez eux, le dégoût de la piété, le relâchement dans le travail, l’anéantissement de l’esprit d’onction et de ferveur, etc. Aussi remarque-t-on avec raison que ces livres sont souvent beaucoup plus nuisibles aux fidèles que s’ils étaient profondément obscènes, car alors ils exciteraient l’horreur ; on doit donc détourner les pénitents de cette lecture.

Ceux qui composent les livres dont nous venons de parler, ne seraient-ils même pas gravement obscènes, pèchent souvent mortellement, parce que, sans raisons suffisantes, ils sont une occasion de ruine pour beaucoup de personnes. Ceux qui les vendent ne nous paraissent pas commettre un aussi grave péché. En effet, d’après ce que nous avons dit, beaucoup de personnes peuvent les lire sans pécher, ou du moins, sans pécher mortellement ; il en résulte qu’elles ne commettent pas de péché en les achetant, ou qu’elles commettent seulement un péché véniel. Le libraire qui les a en magasin et qui les vend à ceux qui lui en font la demande, ne doit donc pas être considéré comme en état de péché.

5o Les pères de famille, les maîtres d’école, les chefs de maison et tous ceux qui sont chargés de la direction des autres doivent, autant que possible, éloigner leurs inférieurs de la lecture des romans et les accoutumer aux lectures pieuses, saintes et sérieuses. C’est le seul moyen de faire des hommes instruits, sensés, vertueux, défenseurs de la religion et de la société, propres à diriger leur famille et toute sorte d’affaires.


§ III. — Des danses et des bals


Danses et bals sont deux mots synonymes qui expriment certains modes d’amusement ou de récréation connus de tout le monde. Il y a trois sortes de danses : la première, qui est certainement licite, a lieu entre personnes du même sexe, soit hommes, soit femmes, sans actions, gestes ou paroles impudiques. La seconde, entre personnes du même sexe ou de sexe différent, exécutée d’une manière indécente ou avec de mauvaises intentions, doit certainement être réprouvée par tout le monde. La troisième a lieu entre hommes et femmes d’une manière décente et sans intentions mauvaises ; c’est sur cette dernière seulement que les controverses se sont élevées entre les auteurs.

Les auteurs de la théologie morale, dit Benoit XIV, inst. 75, no 3, sont unanimes pour reconnaître que ceux qui se livrent à la danse ne commettent aucune espèce de péché…… Les Pères de l’Église, au contraire, s’élèvent contré les danses qu’ils montrent comme propres à entraîner dans le crime les personnes qui s’y livrent.

Les auteurs dont nous venons de parler et les SS. PP. ne sont cependant pas en contradiction, car les premiers parlent des danses considérées comme amusement licite, et les seconds les envisagent plutôt au point de vue de leurs dangers et de leurs conséquences. C’est ainsi que le P. Segneri et St Ligori, 1. 3, no  429, apprécient l’opinion de Benoit XIV. On se trouve donc en face d’une double décision, savoir :

1o Celle qui veut que les danses ne soient pas, par elles-mêmes, illicites ;

2o Celle qui veut que les genres de danses auxquelles on se livre d’habitude, soient entourées de toute espèce de dangers.

Cela posé, il est important d’établir des règles pratiques d’une grande importance pour la direction des âmes.

1o C’est un péché mortel d’assister à des bals gravement déshonnêtes à cause des nudités, de la manière de danser, des paroles et gestes : Aussi la danse allemande, vulgairement appelée valse, ne peut jamais être permise non plus que les danses avec des masques ou habits laissant à découvert les parties déshonnêtes.

2o Ceux qui, à cause de leur faiblesse personnelle, sont mis dans un grave danger de lubricité par la danse, doivent s’en abstenir sous peine de péché mortel, à moins que, ce qui n’est pas probable, il n’y ait nécessité pour eux de se livrer à ce plaisir, et qu’ils ne soient pas en danger de consentement : c’est pourquoi l’absolution doit leur être refusée jusqu’à ce qu’ils se soient amendés et aient promis de s’en abstenir par la suite.

3o Il est évident que ceux qui sont, en dansant, un sujet de scandale, pèchent mortellement, excepté en cas de nécessité, si l’on peut réellement admettre qu’il y ait une nécessité pour eux de se livrer à la danse. Mais les moines, les religieux, les prêtres et les clercs d’un rang inférieur, eux-mêmes, ne peuvent être excusés de péché mortel, lorsqu’ils dansent dans les bals publics, le feraient-ils d’une manière honnête. C’est ainsi que semblent le décider plusieurs théologiens et, parmi eux, Benoit XIV qui, par l’Inst. 76 déjà citée, interdit les danses aux prêtres et aux clercs d’une manière formelle et appuie cette défense de raisons et de témoignages.

Si cependant les clercs et les religieux dansent entre eux, hors la présence des laïques, dans un but de récréation ou par légèreté, ils commettent bien un péché, mais non pas cependant mortel, dit le même pontife, d’après St Thomas.

4o On ne commet pas de péché en dansant d’une manière modeste ou en assistant à des bals honnêtes, si c’est pour certaines raisons de nécessité ou de convenance et de condition, et lorsqu’il n’y a pas danger probable d’exciter les passions. En effet, dans ce cas, s’il pouvait y avoir quelque péché, ce serait surtout parce qu’on fournirait à d’autres personnes l’occasion de pécher et qu’on participerait à leurs péchés ; or, dans l’hypothèse, il y a des raisons suffisantes pour passer sur des choses qui se produisent indépendamment de la volonté.

Une femme belle et bien vêtue n’est pas dans l’obligation de s’abstenir de paraître à l’église et dans les promenades publiques par la raison qu’elle est pour beaucoup de personnes une occasion de péché. Il en est de même des bals honnêtes qui ne présentent aucun danger pour elle, si elle a des raisons suffisantes pour y aller, ce que les circonstances seules peuvent déterminer ; une jeune fille destinée au mariage, par exemple, doit assister aux bals qui se donnent d’une manière honnête, dans la maison paternelle, chez des voisins ou des parents, et elle ne peut refuser l’offre qui lui est faite de danser, sans se faire tourner en ridicule et sans déplaire au jeune homme qui la recherche en mariage ou à ses parents ; elle ne commet alors aucun péché en dansant d’une manière décente et avec des intentions pures. Aussi lit-on dans St François de Sales (introduction à la vie dévote, 3e partie, ch. 23) :

Je vous dis des danses, Philothée, comme les médecins disent des potirons et des champignons : les meilleurs n’en valent rien, disent-ils ; et je vous dis que les meilleurs bals ne sont guères bons ; si néanmoins il faut manger des potirons, prenez garde qu’ils soient bien apprestez. Si par quelque occasion, de laquelle vous ne puissiez pas vous bien excuser, il faut aller au bal, prenez garde que votre danse soit bien apprestée. Mais comment faut-il qu’elle soit accommodée ? de modestie, de dignité et de bonne intention. Mangez-en peu et peu souvent (disent les médecins, parlant des champignons) : car pour bien apprestez qu’ils soient, la quantité leur sert de venin. Dansez et peu et peu souvent, Philothée ; car faisant autrement, vous vous mettez en danger de vous y affectionner.

Il n’est pas hors de propos de faire observer que le pieux évêque veut qu’on danse modestement avec des intentions pures et rarement : de plus, comme les mœurs étaient alors plus simples qu’aujourd’hui, ce genre d’amusement était peut-être moins dangereux qu’à notre époque.

5o C’est un péché seulement véniel d’assister à des bals honnêtes sans qu’il y ait grave danger ou scandale notable, et d’y danser sans raisons suffisantes que ce soit un péché, c’est ce dont personne ne saurait douter ; qu’il soit seulement véniel, c’est ce qui résulte de l’hypothèse elle-même. Des théologiens trop rigoureux ne veulent pas admettre l’hypothèse et affirment que, dans toutes les danses entre hommes et femmes, il y a toujours grave danger de lubricité. Ils prétendent qu’on ne doit pas ajouter foi à la parole de ceux qui disent n’éprouver, dans les danses, ni mouvements désordonnés ni délectation. Ce n’est cependant pas sur des présomptions qu’on doit juger les pénitents, et quand on les a interrogés avec prudence, il ne faut pas les croire plus coupables qu’ils ne le paraissent par leurs aveux, à moins qu’il ne reste évident qu’ils se font illusion ou qu’ils veulent tromper. Si, après avoir procédé avec une attention suffisante, le confesseur est trompé et donne l’absolution à un pénitent indigne, il sera innocent devant Dieu ; il commettrait au contraire une grande injustice si, sur une simple présomption, il refusait les sacrements à un pénitent bien disposé. Il ne faut donc pas, témérairement, regarder comme indignes d’absolution des hommes et des femmes qui ont dansé ou assisté à des bals, et il serait souvent imprudent d’exiger d’eux, sous peine de refus de l’absolution, la promesse de ne plus danser ni assister à des bals.

6o Cependant les danses, telles qu’on les pratique ordinairement, sont toujours dangereuses ; c’est pourquoi les confesseurs doivent, autant qu’il est en leur pouvoir, en éloigner leurs paroissiens et tous ceux dont les âmes leur sont confiées, que ce soient des jeunes gens de l’un ou de l’autre sexe : s’ils ne peuvent complètement empêcher les bals, ils doivent, autant que possible, diminuer les dangers qui en sont inséparables en défendant, par exemple, de danser aux jours d’abstinence, pendant le temps des offices divins, dans les cabarets où se rendent les dissolus des deux sexes, et en recommandant de ne pas continuer les danses pendant la nuit.

Les prêtres ne peuvent jamais approuver d’une manière positive ce genre de divertissements ni s’y livrer ou y assister ; ils doivent, au contraire, toujours les désapprouver comme dangereux ou, du moins, comme très peu en rapport avec les vertus chrétiennes. Mais s’il est convenable de les désapprouver, il serait mal à propos de refuser indistinctement les sacrements de l’Église à ceux qui s’y livrent.

7o Celui qui, en toute prudence, estime qu’en usant d’une grande sévérité il abolira complètement les bals dans sa paroisse, peut différer et même refuser l’absolution à tous ceux qui dansent ou prêtent leur concours dans les bals. Car s’il y en a qui ne pèchent pas mortellement en dansant, ils tendent des embûches à autrui en introduisant les danses ou en empêchant de les abolir et, sous ce rapport, on ne peut pas facilement les excuser de péché mortel.

8o Mais dans le cas où, comme cela arrive souvent, on n’aurait pas espoir de faire disparaître les bals du pays dans lequel on se trouve, une trop grande sévérité serait nuisible au salut des âmes. Il y a, en effet, beaucoup de personnes qui, persuadées que ces amusements sont permis ou du moins qu’ils ne sont pas gravement illicites, refusent absolument de s’en abstenir : elles désertent la confession, l’Eucharistie et les saints exercices. N’étant plus retenues par aucun frein, elles se livrent aux plus infames débauches. Livrées tout à la fois à l’ignorance, à la corruption, à la fréquentation d’hommes perdus de mœurs et à la prévention contre la religion et ses ministres, elles s’endurcissent dans la perversité et ne se corrigent point ; le plus souvent, elles se conduisent dans le mariage d’une manière indigne, scandalisent leurs domestiques, élèvent mal leurs enfants, et ainsi l’impiété fait des progrès et la corruption de leurs mœurs augmentant de plus en plus, ne leur laisse presque aucun moyen de faire quelque chose de bon.

On doit, au contraire, traiter avec douceur les pénitentes et les pénitents qui fréquentent les bals, les détourner de ces sortes de dangers par la persuasion et les prières, leur donner de salutaires conseils pour éviter le péril ; s’ils ont commis une faute, on doit leur faire paternellement des reproches, différer l’absolution, et enfin les reconnaissant repentants de leurs péchés, quoiqu’ils ne soient pas exempts de toute faute, on doit leur donner l’absolution et les admettre à la communion, du moins à Pâques ; en agissant ainsi, on prépare très efficacement leur salut et on est utile au bien de la religion.

Des principes que nous venons de poser découlent quelques conséquences qu’il est utile de consigner ici, savoir :

1o On ne doit pas proscrire publiquement les danses là où elles sont en usage et regardées comme licites ou indifférentes ; il sera permis de prêcher contre les péchés qui s’y commettent d’habitude, en termes chastes et de manière à ne pas offenser les oreilles pudiques. Il conviendra de parler avec précaution des personnes qui fréquentent les réunions de ce genre ou qui les tiennent chez elles ; elles ne doivent pas être notées d’infamie, et il ne serait pas prudent de déclarer que ceux qui auraient dansé ou assisté à des bals, ne seraient pas, pour cette raison, admis par la suite à la communion pascale.

2o Le confesseur ne peut donc pas repousser indistinctement ceux qui refusent de renoncer à des danses d’ailleurs honnêtes ; il ne peut pas non plus absoudre tous les pénitents indifféremment. C’est pourquoi il doit examiner avec soin les circonstances de la danse, de l’endroit où elle a eu lieu, de l’époque de l’année, des personnes qui y assistaient, du danger que le pénitent a couru, etc.

3o On ne peut pas absoudre ceux qui tiennent chez eux des bals publics où ils attirent, sans distinction, les jeunes gens des deux sexes, comme beaucoup de cabaretiers et d’aubergistes des villes ou des villages ; car l’expérience prouve que ces réunions où se rencontrent toute sorte de gens doivent être regardées comme des écoles de vices et de corruption.

Par la même raison, on ne doit pas admettre, si ce n’est sous promesse qu’ils abandonneront cette profession, les joueurs d’instruments qui président aux danses dans ces sortes de bals.

4o Il ne faudrait pas traiter avec la même sévérité ceux qui, pour des réjouissances publiques, données par l’autorité, prêteraient leur maison, procureraient des musiciens ou feraient eux-mêmes danser en jouant de divers instruments. Car s’il en résulte quelque danger, il y a des raisons suffisantes pour le tolérer, et qui excusent, sinon d’un péché véniel, au moins d’un péché mortel. Du reste, les curés et les confesseurs doivent, dans ce cas, prudemment passer sous silence ce qu’ils ne sauraient empêcher.

5o Je ne regarderais pas comme coupables de péché mortel ceux qui, quelquefois seulement dans l’année, à l’époque de la moisson par exemple ou les jours de fête, sont dans l’habitude de donner un bal à leurs parents, à leurs voisins ou à leurs ouvriers. Je les blâmerais, mais je leur donnerais l’absolution à Pâques. J’en ferais de même pour les musiciens, et, à plus forte raison pour ceux qui, sans un danger particulier, dansent dans ces occasions.

6o Bien plus, je ne voudrais pas refuser rigoureusement l’absolution à tous ceux qui dansent quelquefois, dans les réunions publiques — vulgairement assemblées ; — les confesseurs peuvent avoir certaines raisons d’excuser, sinon de tout péché, au moins d’un si grand, c’est-à-dire mortel : c’est le cas d’un jeune homme qui se ferait tourner en ridicule par ses camarades, et d’une jeune fille qui s’attirerait le mépris de celui qui la recherche en mariage, s’ils refusaient de danser. Mais, au contraire, je n’admettrais pas d’excuse pour les musiciens qui font profession de jouer dans les réunions, car, sans des raisons suffisantes, ils sont pour beaucoup de personnes une occasion de péché.

7o Je ne pense pas qu’on puisse absoudre, même à Pâques, ceux qui s’obstinent à fréquenter nuit et jour les bals publics, car ils s’exposent à un danger manifeste, et l’expérience prouve qu’ils sont presque tous corrompus.

Il n’est pas hors de propos de rapporter textuellement la décision que le sage et savant Tronson, consulté au sujet des bals par un Évêque, rendit, le 29 mai 1684, relativement aux jeunes filles qui s’obstinent à danser. Elle est conçue en ces termes :

1o Les confesseurs doivent détourner, autant qu’ils le peuvent, leurs pénitentes de la danse, surtout s’il s’y trouve des garçons. 2o Ils doivent leur refuser l’absolution, si la danse est pour elles une occasion de péché, soit par mauvaises pensées ou autrement, et qu’elles ne veuillent pas promettre de s’en abstenir. 3o Si elle n’est pas pour elles une occasion de péché, et s’il ne s’y passe rien de scandaleux, j’aurais peine à condamner les confesseurs qui leur donneraient l’absolution, supposé que l’évêque ne l’ait pas défendu. 4o Comme très souvent il y a du péril dans la danse, et qu’il arrive souvent que celles mêmes à qui elle n’est pas une occasion de péché, s’y attachent trop, les confesseurs peuvent leur donner pour pénitence de s’en abstenir pour plus ou moins de temps, selon qu’ils les trouvent disposées, et qu’ils jugent que cela leur est nécessaire, et leur refuser l’absolution si elles ne veulent pas le promettre.

Je crois que la prudence est bien nécessaire dans ces occasions.

Le pieux docteur dit encore, au même évêque, que lorsqu’il rencontrait des difficultés de ce genre, il avait l’habitude de suivre le conseil que St Augustin, Épît. 22, t. 2, p. 28, donnait à l’évêque Aurélius, tout en déplorant l’usage établi en Afrique, sous un prétexte religieux, lequel consistait à se livrer, dans les cimetières, aux excès du manger et du boire, en l’honneur des Martyrs : Ce n’est pas, autant que je puisse en juger, par la sévérité et la dureté, pas même par des moyens impérieux, qu’on peut mettre un terme à ces choses-là ; c’est plutôt en instruisant qu’en ordonnant, plutôt par les conseils que par les menaces. C’est ainsi, en effet, qu’on doit en agir avec le grand nombre et ce n’est qu’avec un petit nombre de pécheurs qu’il faut employer la sévérité.

Cajétan et Azor enseignaient que les bals ne sont pas défendus les dimanches et jours de fêtes, non-seulement parce qu’ils sont un signe de joie, mais encore parce que, ayant lieu en public, ils n’entraînent pas un grand danger de mal ; en outre parce qu’ils sont l’occasion de propositions de mariage ; et encore parce que, privés de cette distraction, les habitants de la campagne courraient un plus grand danger en se livrant à l’oisiveté, aux entretiens en tête à tête, où à de mauvais projets.

Sylvius, cependant, juge plus sainement, t. 3, p. 801, qu’on ne doit pas interdire les bals aux habitants des campagnes comme s’ils devaient pécher mortellement par cela même qu’ils danseraient ; qu’on doit cependant les en éloigner par de bons avis et par la persuasion, car il se commet souvent beaucoup de péchés dans les bals, même lorsqu’ils ont lieu en public ; et qu’il n’est pas facile d’éviter ces péchés en les autorisant. C’est là l’abrégé de notre doctrine.

Ce que nous avons dit des bals s’applique, toute proportion gardée, aux réunions de nuit vulgairement appelées veillées : celles-ci, cependant, n’offrent pas ordinairement d’aussi grands dangers que les bals. Du reste, on doit, afin de juger sainement des uns et des autres, peser avec soin toutes les circonstances : si les réunions de ce genre ont lieu entre parents, voisins ou amis, ou entre personnes de mœurs éprouvées, elles présentent beaucoup moins de dangers ; sachons, par conséquent, garder un juste milieu entre le relâchement et une trop grande sévérité.


§ IV. — Des spectacles


Il est reconnu par tout le monde que les spectacles n’ont en soi rien de mauvais. Aussi a-t-on autrefois représenté des tragédies même dans des collèges très religieux ; et si les pièces de théâtre n’étaient pas obscènes et de nature à exciter les passions, il serait permis de les représenter, et, à plus forte raison, d’assister à leurs représentations.

Mais, comme elles sont ordinairement dangereuses, par elles-mèmes, par leurs conséquences, il convient d’établir des règles dictées par la pratique.

I. Ceux qui composent ou qui représentent des comédies notablement obscènes ne peuvent, en aucune manière, être excusés d’un grave péché, en raison du scandale qu’ils ont causé, quoiqu’ils ne l’aient pas eu pour but : C’est l’opinion de théologiens peu suspects de sévérité, comme St Antoine, Sylvestre, Angelus, Sanchez et St Ligori, etc., et ce n’est certes pas le gain considérable qu’elles procurent qui peut être opposé comme excuse, car on ne verrait pas alors pourquoi on n’excuserait pas la prostitution elle-même.

II. C’est encore un péché mortel de contribuer par de l’argent ou d’encourager par des applaudissements les représentations de ces comédies obscènes, car c’est coopérer d’une manière effective à des actions extrêmement mauvaises. C’est ainsi que pense, contre quelques théologiens, St Ligori, l. 3, no  427, qui affirme qu’il a changé d’opinion après avoir été d’un avis contraire.

III. On ne peut cependant pas ordinairement excuser de péché mortel ceux qui composent ou représentent sur le théâtre des comédies ou des tragédies même peu obscènes, parce que le danger est inséparable de ce genre de divertissement et qu’il en résulte le scandale pour autrui. C’est pour cette raison que le concile d’Arles, tenu en 314, par son canon 5, prononce l’excommunication contre les acteurs et les actrices qui ont été jusqu’ici, au moins en France, regardés comme des êtres infâmes : aussi les sacrements de l’Église ne leur sont pas administrés, même à l’article de la mort, à moins qu’ils ne fassent la promesse de renoncer à leur profession.

Je dis, au moins en France, car en Italie, en Allemagne, en Pologne et dans plusieurs autres pays, les hommes et les femmes ne sont pas exclus des sacrements de l’Église par la raison qu’ils ont participé à la représentation de scènes théâtrales, mais les confesseurs sont libres de les admettre aux sacrements ou de les leur refuser selon la représentation à laquelle ils ont concouru.

IV. C’est certainement un péché mortel, à cause de la délectation qu’ils procurent, d’assister à des spectacles notablement obscènes ; certains théologiens pensent que le péché est seulement véniel lorsqu’on y va par curiosité ou par un motif de vaine curiosité et sans danger de consentement aux plaisirs vénériens. Mais cette décision est trop relâchée et le péché doit être regardé comme mortel, tant à cause du danger que du scandale, et de la coopération apportée à un acte mortellement mauvais.

V. Mais ce n’est pas un péché mortel d’assister à des scènes théâtrales lorsqu’elles ne sont pas notablement obscènes ni représentées d’une manière obscène, et qu’il n’y a ni danger spécial ni scandale. Le fait d’assister à des représentations de cette nature ne peut être un péché mortel qu’autant qu’il constituerait une coopération à la profession d’acteur ; or l’assistance au spectacle, tout scandale spécial mis de côté, n’est pas une grave coopération à la profession d’acteur. Voy. Sanchez, St Ligori et les théologiens en général, mais étrangers.

Ne pècherait en aucune façon celui qui, par nécessité, utilité ou convenances, assisterait à des spectacles honnêtes et sans graves dangers pour lui ; car, dans ce cas, il y aurait des motifs d’excuse suffisants d’avoir coopéré de loin aux péchés d’autrui et de s’être exposé à certains dangers. D’où il résulte qu’à de pareils spectacles peuvent assister sans péché :

1o Les femmes mariées, pour ne pas déplaire à leurs maris lorsqu’ils l’exigent ;

2o Les domestiques et les servantes, pour servir leurs maîtres ;

3o Les fils et les filles de famille, lorsque leurs parents l’ordonnent ;

4o Les militaires et les magistrats chargés du maintien de l’ordre ;

5o Les rois et les princes qui veulent s’attirer l’affection de leurs sujets ;

6o Les courtisans qui sont dans l’obligation d’accompagner les princes, etc., pourvu qu’ils soient animés de bonnes intentions et qu’ils ne donnent pas leur consentement à la délectation charnelle si, par hasard, elle se produit.

Le prince de Conti, Nicole, Bossuet, Desprez-de-Boissy ont écrit en maîtres contre les spectacles ; l’auteur de l’ouvrage, appelé comte de Valmont, Fromageau, Pontas et presque tous nos théologiens les ont condamnés ; J. J. Rousseau lui-même, dans une longue et éloquente lettre à d’Alembert, les a fortement désapprouvés.

On pourrait en citer beaucoup d’autres, comme Racine, Bayle, La Mothe, Gresset, Ricobini, qui avaient éprouvé les dangers du théâtre et qui, pour cette raison, ressentaient le regret d’y avoir succombé et désiraient qu’ils pussent être supprimés.

Nous n’avons certainement pas la prétention de combattre tant d’hommes illustres, et nous ne prétendons en aucune manière qu’ils se soient trompés ou qu’ils aient été trop rigoureux en condamnant le théâtre. Nous dirons volontiers avec le P. Alexandre (t. 10, in-8o, p. 358) : La fréquentation du théâtre et des comédies est dangereuse pour la chasteté et, de beaucoup de manières, funeste à l’âme : un chrétien peut à peine y assister sans péché.

De ce que les spectacles sont dangereux, il suit certainement qu’on doit mettre tous ses soins à en éloigner les chrétiens, mais il n’en résulte pas que tous ceux qui y assistent pèchent mortellement et soient indignes d’absolution. Ceux qui, par leurs paroles et leurs écrits, veulent défendre les mœurs et prendre soin de leur intégrité, examinent seulement ce qui est licite ou illicite dans les représentations théâtrales ; ils exposent longuement les circonstances dans lesquelles leurs résultats sont pernicieux et s’appuient sur de nombreux témoignages des PP. de l’Église, des conciles et des docteurs, qui confirment cette vérité. Aussi, nous avons établi des règles pour les confesseurs nous devons donc, autant que possible, discerner le péché mortel du péché véniel, car la direction d’une personne coupable de péché mortel est bien différente de celle d’une personne qui a péché véniellement.

C’est pourquoi je n’accorderais pas l’absolution :

1o Aux acteurs et actrices, même à l’article de la mort, à moins qu’ils ne promissent de renoncer à lear profession.

2o Aux poètes qui composent des pièces remplies d’amours illicites et destinées à être représentées sur le théâtre.

3o À ceux qui prêtent un concours direct aux représentations théâtrales, comme les servantes qui habillent les actrices, ceux qui font profession de vendre des costumes destinés à cet usage, qui les louent ou les confectionnent.

4o À ceux qui occasionnent un grave scandale en assistant à des représentations théâtrales, à un chrétien qui s’est fait remarquer par ses vertus, par exemple, à moins qu’ils n’y fussent tenus par une grave nécessité.

5o À ceux qui, en raison de circonstances personnelles, tombent dans un grave danger de lubricité.

6o Ni à ceux qui, sans excuse raisonnable, assistent fréquemment à ces sortes de divertissements, n’encourraient-ils pas un grave danger, et ne seraient-ils pas un sujet de scandale ; car une pareille habitude est inconciliable avec la vie chrétienne.

Mais j’absoudrais et j’admettrais à la communion pascale :

1o Ceux qu’un motif suffisant excuse de péché ;

2o Ceux qui, quelquefois seulement ou dans certaines circonstances, assistent à des spectacles qui ne sont pas notablement obscènes et qui n’offrent ni danger ni scandale.

3o Ceux qui prêteraient leur concours aux représentations théâtrales, non pas d’une manière directe, mais par certains accessoires, par exemple en nettoyant le rideau, en restaurant l’édifice, etc.

Du reste, dans beaucoup de pays étrangers, les confesseurs ne refusent pas l’absolution aux pénitents qui, par simple curiosité, pour donner du repos à l’esprit, et sans grave danger, assistent aux représentations théâtrales qui se donnent habituellement ; ni à ceux qui prêtent à des représentations honnêtes un concours direct ou indirect.

St François de Sales, tout en avouant que les spectacles présentent le même danger que les bals, excuse de tout péché ceux qui y assistent sans intentions mauvaises.

Les jeux, les bals, les festins, les pompes, les comédies en leur substance ne sont nullement choses mauvaises, ains indifférentes, pouvant estre bien et mal exercées, toujours néanmoins ces choses-là sont dangereuses : et de s’y affectionner, cela est encore plus dangereux. Je dis doncques, Philothée, qu’encore qu’il soit loisible de jouer, danser, se parer, ouyr des honestes comédies, banqueter, si est-ce que d’avoir de l’affection à cela, c’est chose contraire à la dévotion, et extrêmement nuisible et périlleuse. Ce n’est pas mal de le faire, mais ouy bien de s’y affectionner. (Introduction à la vie dévote, 1re partie, ch 23).

Par conséquent, nous ne nous éloignerons pas, dans notre doctrine au sujet des bals et des spectacles, des principes posés par un grand maître en piété.

On demande ce qu’il faut penser de la profession de comédien et de ceux qui assistent à leurs représentations.

R. St Thomas, 2. 2 ; q. 168, art. 3e, dit, au sujet des comédiens et des représentations qu’ils donnent : Parmi les choses utiles à la vie sociale peuvent être rangées certaines professions licites. C’est pourquoi celle de comédien elle-mime n’a en soi rien d’illicite lorsqu’elle sert à procurer aux hommes quelque délassement ; et les acteurs ne sont pas en état de péché, pourvu qu’ils mettent de la modération dans leur jeu, c’est-à-dire qu’ils s’abstiennent de paroles et de gestes illicites, et qu’ils n’emploient pas leur talent à des choses et dans des circonstances défendues… D’où il suit que ceux qui leur prêtent un concours modéré ne pêchent pas, mais agissent équitablement en récompensant leur travail. Mais ceux qui dépensent follement leur bien pour cela, ou même viennent au secours des comédiens qui représentent des pièces illicites, pêchent mortellement, car ils les encouragent dans le péché.

Les autres théologiens se rangent généralement à cette opinion de St Thomas. Or, si la profession de comédien n’est pas illicite en soi, à plus forte raison n’y a-t-il pas de péché, ou du moins n’est-il pas mortel, à assister, par pure curiosité, à des représentations honnêtes et dont il ne peut pas résulter de préjudice. Il n’y a pas non plus de péché à assister à des scènes où paraissent certains animaux, des chevaux, par exemple. Il faut cependant prendre garde de ne pas occasionner de scandale, ce qui arriverait ordinairement si un religieux, un moine ou un clerc séculier assistait à de tels spectacles, surtout en présence des laïques, s’il se produisait des faits encore moins honnêtes, ou si les acteurs couraient le danger de mort, ce qui arrive souvent dans les exercices avec des chevaux.